ARRÊT N°22/
SP
R.G : N° RG 22/01478 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FYPS
S.A.S. IMPRIMERIE CHANE PANE (ICP ROTO)
C/
S.A.S. LA SOCIÉTÉ NOUVELLE DU JOURNAL DE L'ILE DE LA RÉUN ION
RG 1èRE INSTANCE : 22/00058
COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS
ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2022
Chambre commerciale
Appel d'une décision rendue par le PRESIDENT DU TMC DE SAINT DENIS en date du 06 OCTOBRE 2022 RG n°: 22/00058 suivant déclaration d'appel en date du 18 OCTOBRE 2022
APPELANTE :
S.A.S. IMPRIMERIE CHANE PANE (ICP ROTO)
[Adresse 1]
ZAC 2000
[Localité 3]
Représentant : Me Jean Jacques MOREL, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.A.S. LA SOCIÉTÉ NOUVELLE DU JOURNAL DE L'ILE DE LA RÉUN ION
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Driss FALIH, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS : En application des dispositions de l'article 917 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 novembre 2022 devant la Cour composée de :
Président : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, la présidente a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 16 décembre 2022.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 16 décembre 2022.
* * *
LA COUR
Par ordonnance en date du 4 octobre 2022, le président du tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a autorisé la SAS Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion (la SN JIR) à assigner en référé d'heure à heure la SAS Imprimerie Chane Pane (la société ICP Roto) pour l'audience du 6 octobre 2022.
Par acte d'huissier en date du 5 octobre 2022, la SN JIR a assigné la société ICP Roto aux fins de voir condamner de cette dernière à exécuter le contrat d'impression la liant à elle pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire à compter de la date de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard. Subsidiairement, si l'existence du contrat d'impression n'était pas retenue, la SN JIR a sollicité la condamnation de la société ICP Roto à poursuivre leurs relations contractuelles pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire à compter de la date de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard, et pendant une durée de deux ans et à lui verser la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Dans ses conclusions notifiées le 6 octobre 2022 à la SN JIR, la société ICP Roto a soulevé l'irrecevabilité des demandes et prétentions de la SN JIR. A titre subsidiaire, elle a conclu au débouté des prétentions de la SN JIR et sollicité une indemnité de procédure de 20.000 euros.
C'est dans ces conditions que, par ordonnance de référé en date du 6 octobre 2022, le président du tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a :
-condamné la société Imprimerie Chane Pane à exécuter le contrat la liant à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire, et ce sous astreinte de 200.000 euros par jour de retard, à compter de la notification de la présente ordonnance, et pour un mois
-s'est réservé la liquidation de l'astreinte
-ordonné l'exécution de la présente ordonnance au seul vu de la minute
-condamné la société Imprimerie Chane Pane à payer à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion une indemnité de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
-condamné la société Imprimerie Chane Pane SAS aux entiers dépens. Lesdits dépens liquidés pour ceux exposés à ce jour à la somme de 36,76 €, en ceux non compris les frais de signification de la présente ordonnance et de ses suites s'il y a lieu.
Par déclaration au greffe en date du 18 octobre 2022, la société ICP Roto a interjeté appel de cette décision.
Par requête en date du 21 octobre 2022, la société ICP Roto a sollicité auprès du premier président de la cour d'appel de Saint Denis l'autorisation d'assigner à jour fixe la SN JIR
Suivant ordonnance en date du 25 octobre 2022, le premier président de la cour d'appel de Saint Denis de la Réunion a autorisé la société ICP Roto à assigner la SN JIR à l'audience circuit court du 16 novembre 2022.
Dans ses conclusions transmises par voie électronique le 15 novembre 2022, la société ICP Roto demande à la cour, au visa des articles 15, 16 et 873 du code de procédure civile, de :
1.rejeter des débats comme tardives et manquant à l'exigence du contradictoire les conclusions et pièces le cas échéant produites par la SAS Société Nouvelle du Journal de l'Île de La Réunion le jour de l'audience ou dans la nuit du 15 au 16 novembre 2022
2.réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
.condamné la société Imprimerie Chane Pane à exécuter le contrat la liant à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire, et ce sous astreinte de 200.000 euros par jour de retard, à compter de la notification de la présente ordonnance, et pour un mois
.s'est réservé la liquidation de l'astreinte
.condamné la société Imprimerie Chane Pane à payer à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion une indemnité de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
.condamné la société Imprimerie Chane Pane SAS aux entiers dépens. Lesdits dépens liquidés pour ceux exposés à ce jour à la somme de 36,76 €, en ceux non compris les frais de signification de la présente ordonnance et de ses suites s'il y a lieu.
3.statuant de nouveau, débouter la SAS Société Nouvelle du Journal de l'Île de La Réunion de toutes ses demandes, fins et conclusions.
4.condamner la SAS Société Nouvelle du Journal de l'Île de La Réunion à payer à la SAS Imprimerie Chane Pane la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 novembre 2022, la SN JIR demande à la cour , au visa de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile et de l'urgence : de :
-dire et juger la société JIR recevable et bien fondée en ses fins, moyens et conclusions
-confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
.condamné la société Imprimerie Chane Pane à exécuter le contrat la liant à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire, et ce sous astreinte de 200.000 euros par jour de retard, à compter de la notification de la présente ordonnance, et pour un mois
.ordonné l'exécution provisoire
.condamné la société Imprimerie Chane Pane à payer à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion une indemnité de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
.condamné la société Imprimerie Chane Pane SAS aux entiers dépens. Lesdits dépens liquidés pour ceux exposés à ce jour à la somme de 36,76 €, en ceux non compris les frais de signification de la présente ordonnance et de ses suites s'il y a lieu
-condamner la société ICP Roto à payer à la société JIR la somme de 40.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
Le prononcé de l'arrêt, par mise à disposition au greffe, a été fixé au 16 décembre 2022.
Les parties ont été autorisées à rédiger une note en délibéré, au plus tard le 17 novembre 2022 pour l'intimée et au plus tard le 18 novembre 2022 pour l'appelante.
SUR CE, LA COUR
Sur le rejet des conclusions et pièces de la SN JIR
Sur le fondement des articles 15, 16 et 920 du code de procédure civile, la société ICP Roto soutient que la procédure à jour fixe ne fait pas exception au principe directeur du procès civil, à savoir le principe de la contradiction et que la sanction du manquement à cette obligation cardinale, qui procède d'une infraction à l'exigence de loyauté des débats, réside dans le rejet des conclusions et pièces communiquées tardivement et dans des circonstance telles que l'adversaire se trouve dans l'incapacité d'en prendre connaissance et d'y répondre. Elle déplore ainsi le comportement déloyal de la SN JIR qui, la veille de l'audience et à 21 heures ne lui avait toujours pas notifié ses conclusions et pièces.
Dans sa note en délibéré transmise par voie électronique le 17 novembre 2022, sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile, la SN JIR fait valoir que le principe du contradictoire est violé si, en fait, le contradicteur n'a pas été en mesure de connaître en temps utile les moyens développés par son adversaire et d'y répondre éventuellement. En l'espèce, elle estime que ses conclusions et pièces ont été transmises en temps utiles à l'appelant : les conclusions ont été transmises à l'appelant la veille de l'audience par courriels ce qui permettait à l'appelant d'y répliquer s'il le souhaitait, les pièces sur lesquelles se fondent les conclusions sont les mêmes que celles de première instance, les moyens développés sont les mêmes que ceux développés en première instance et lors de l'audience de plaidoirie, l'appelant a répliqué aux moyens développés par elle de manière circonstanciée et complète.
Sur le fondement de l'article 930-1 du code de procédure civile, la SN JIR considère qu'elle démontre avoir été confrontée à un dysfonctionnement technique du RPVA. Elle ajoute qu'elle est néanmoins parvenu à transmettre ses conclusions et pièces avant l'ouverture des débats.
Sur quoi,
D'une part,
Selon l'article 15 du code de procédure civile : « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquant, afin que chacun soit à même d'organiser sa défense. »
Le fait de déposer des conclusions trop tard pour que l'adversaire puisse y répondre constitue une atteinte au principe du contradictoire dont le juge est gardien.
L'appréciation du caractère tardif relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Pour écarter des débats les conclusions et pièces tardives, il y a lieu de préciser les circonstances particulières qui ont empêché de respecter le principe du contradictoire ou caractériser un comportement contraire à la loyauté des débats
Aux termes de l'article 16 du même code :
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
Il en résulte que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue contradictoirement et cette exigence implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toutes pièces ou observations présentées au juge en vue d'influencer sa décision.
Ainsi, le juge ne peut fonder sa décision sur des pièces produites par une partie et non communiquées à son adversaire, ou sur des conclusions non notifiées à l'adversaire.
D'autre part,
La procédure à jour fixe devant la cour d'appel fait l'objet d'une réglementation spécifique traitée aux articles 917 à 925 du code de procédure civile.
Aux termes de l'article 917 du code de procédure civile :
« Si les droits d'une partie sont en péril, le premier président peut, sur requête, fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité. Il désigne la chambre à laquelle l'affaire est distribuée.
Les dispositions de l'alinéa qui précède peuvent également être mises en 'uvre par le premier président de la cour d »appel ou par le conseiller de la mise en état à l'occasion de l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en matière de référé ou d'exécution provisoire. »
Selon l'article 921 du même code « L'intimé est tenu de constituer avocat avant la date de l'audience, faute de quoi il sera réputé s'en tenir à ses moyens de première instance. »
L'article 923 dispose que :
« Le jour de l'audience, le président s'assure qu'il s'est écoulé un temps suffisant depuis l'assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défenses. Le cas échéant, il ordonne sa réassignation.
Si l'intimé a constitué avocat, les débats ont lieu sur-le-champ ou à la plus prochaine audience, en l'état où l'affaire se trouve.
Si l'intimé n'a pas constitué avocat, la cour statue part arrêt réputé contradictoire en se fondant, au besoin, sur les moyens de première instance. »
L'urgence qui caractérise la procédure à jour fixe peut permettre une communication tardive des pièces et conclusions mais « en temps utile » : l'adversaire doit pouvoir en avoir connaissance et y répondre « en temps utile ».
Par ailleurs,
Dans les procédures écrites avec représentation obligatoire, les conclusions sont notifiées par « acte du palais », c'est-à-dire dans la forme des notifications entre avocats.
Ainsi, aux termes de l'article 930-1 (modifié par le décret n°2017-891 du 6 mai 2017 en vigueur depuis le 1 septembre 2017) :
« A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique.
Lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe ou lui est adressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. En ce cas, la déclaration d'appel est remise ou adressée au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué.
Lorsque la déclaration d'appel est faite par voie postale, le greffe enregistre l'acte à la date figurant sur le cachet du bureau d'émission et adresse à l'appelant un récépissé par tout moyen.
Les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l'expéditeur.
Un arrêté du garde des sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique. »
En l'espèce, suivant ordonnance en date du 25 octobre 2022, le premier président de la cour d'appel a autorisé la société ICP Roto à assigner la SN JIR à l'audience circuit court du 16 novembre 2022.
La SN JIR s'est constituée par acte du 14 novembre 2022.
La société ICP Roto a déposé ses conclusions d'appel par RPVA le 15 novembre 2022 à 19h50.
Suivant message RPVA du 15 novembre 2022 à 22h50, la société ICP Roto a indiqué :
« A ce stade, et mon contradicteur n'ayant toujours pas conclu, vous trouverez, ci-joint, les conclusions récapitulatives aux termes desquelles je sollicite que les conclusions et pièces qui seraient éventuellement produites par l'intimée pour l'audience de demain matin soient écartées des débats comme tardives et manquant à l'exigence du contradictoire. »
Aux termes d'un courriel du 16 novembre 2022 à 8h37 adressé au greffe de la cour par le conseil de la SN JIR :
« Dans la perspective de l'audience de ce jour, je vous indique avoir tenté hier de mettre sur RPVA nos conclusions d'intimée, notre BCP et nos pièces.
En vain.
Le système n'a eu de cesse d'afficher des erreurs.
J'ai réessayé ce matin mais cela ne fonctionne toujours pas. Vous trouverez ci-joint copie des captures d'écran.
Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint nos conclusions, BCP et pièces.
Un exemplaire papier vous sera remise par notre dossier de plaidoirie.
Notre contradicteur en a été informé hier et un exemplaire lui a été communiqué par courriel. Vous trouverez ci-joint une copie dudit courriel officiel. »
Outre les conclusions, les pièces jointes sont les suivantes :
- « courrier officiel » adressé sur la boite mail du conseil de la société ICP Roto le 15 novembre 2022 à 21h05 ainsi rédigé :
« Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint nos conclusions d'intimé, notre BCP et nos pièces n°1 à 9.
Face (à) une impossibilité de les mettre sur le RPVA (erreur du système), je vous les communique par courriel. »
-une capture d'écran d'e-barreau du 15 novembre 2022 8h1(suite illisible) portant les mentions « veuillez patienter... » et « une erreur générale s'est produite ! S'il vous plaît essayer de rafraîchir la page »
-une capture d'écran d'e-barreau du 16 novembre 2022 21h0(suite illisible) portant les mêmes mentions.
L'audience du 16 novembre 2022 a débuté à 10 heures.
La SN JIR a déposé ses conclusions d'intimée par RPVA le 16 novembre 2022 à 11h45, pendant le cours de l'audience, avant l'appel du dossier.
La cour relève que le conseil de la société ICP Roto n'a pas répondu au courriel du 15 novembre 2022 qui lui a été adressé en début de soirée.
La cour rappelle que la transmission des conclusions et pièces par simple courriel à l'avocat de l'appelant, ne peut être retenue conformément aux dispositions de l'article 930-1 du code de procédure civile, étant remarqué qu'en outre, le courriel est lui même tardif (plus de 21 heures) et n'a été suivi d'aucun courriel en retour.
Il résulte de ce qui précède que, d'une part, le dysfonctionnement technique du RPVA constitutif d'une cause étrangère au sens de l'article 930-1 du code de procédure civile argué de la SN JIR n'est pas établi.
En effet, la SN JIR ne justifie pas avoir été empêchée de procéder par voie de RPVA, ni la veille de l'audience ni quelques heures avant :
-seules deux captures d'écran sont produites : une la veille de l'audience et une le jour même de l'audience
-s'agissant de l' « erreur » mentionnée, elle est, d'une part, « générale » et, d'autre part, il n'est pas justifié que la SN JIR ait, ne serait-ce que tenté, de « rafraîchir la page » pour y remédier ou encore avoir contacté le conseil national des barreaux afin d'établir l'origine du dysfonctionnement et sa durée, la première capture d'écran datant de la veille de l'audience en tout début de matinée.
En tout état de cause :
-les conclusions et pièces n'ont pas été remises au greffe sur support papier, ni avant l'audience, ni pendant
-les conclusions ont finalement été enregistrées par message RPVA pendant le cours de l'audience à 11h45 (vérifier l'heure exacte).
Par ailleurs, il convient de relever que l'appelante a pu transmettre un message par RPVA la veille de l'audience, sans rencontrer de difficulté.
D'autre part, il y a lieu de considérer que la communication des conclusions et pièces de la SN JIR sont non seulement tardives mais n'ont pas été transmises en temps utile à la société ICP Roto.
En effet, ce n'est qu'en toute fin d'audience, certes avant l'appel du dossier, que les conclusions de l'intimée sont parvenues au greffe par RPVA, ne laissant aucune possibilité à l'appelante d'en prendre connaissance et encore moins d'y répondre, contrevenant tant au principe du contradictoire qu'à la loyauté des débats.
Dans ces conditions, il convient d'écarter les conclusions et pièces de l'intimée transmises par RPVA le jour même de l'audience et ce, sans avoir justifier d'un dysfonctionnement du RPVA.
Sur la demande principale
La société ICP Roto expose que la relation contractuelle la liant à la SN JIR se déroulait normalement depuis trois ans jusqu'à ce que M. [S] [L], faisant des affaires à titre personnel, tente de reprendre une imprimerie Ah Sing dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire et que c'est, faute d'avoir obtenu satisfaction, qu'il a engagé une campagne de presse infamante contre elle et son dirigeant M. [R] Chane Pane.
La société ICP Roto soutient, d'une part, qu'elle a été dans l'incapacité d'imprimer le journal de l'île de la Réunion du fait d'un cas de force majeure, à savoir un mouvement de protestation des rotativistes présentant tous les caractères d'une grève, expressément envisagé par la convention des parties (articles 14.2 et 14.3) et ne pouvant dès lors caractériser un trouble manifestement illicite justifiant sa condamnation à l'exécution forcée du contrat. Elle rappelle que la Cour de cassation définie la grève comme étant la cessation collective et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles et qu'elle ne condamne pas nécessairement les grèves dite de solidarité : il suffit pour qu'elles soient licites que soient également invoquées des revendications d'ordre professionnel. Elle argue que la cessation du travail n'a pas à être totale. Elle expose qu'au cas présent, les rotativistes ont, de leur seul chef et après concertation, décidé ensemble d'une cessation collective du travail, évoquant, au-delà d'un sentiment de solidarité pour leur employeur, la volonté de dénoncer des conditions de travail dégradées (mal-être, stresse, insécurité) par les conditions d'impression de longue date imposées par le JIR et depuis peu aggravées par la campagne médiatique visant l'imprimeur. Elle ajoute qu'outre la « grève interne à ICP Roto », le contrat envisage également au nombre des circonstances caractérisant la force majeure, le fait de tiers, si bien que le mouvement de protestation peut, à ce second titre, et indépendamment même de sa qualification, justifier la suspension de ses obligations.
La société ICP Roto invoque, d'autre part, l'exception d'inexécution, reprochant à la SN JIR ses manquements graves et renouvelés à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat d'impression. Elle considère que cette obligation consacrée par l'article 1104 du code civil, nonobstant son fondement légal, est encore incontestablement née de la convention des parties. Elle estime que, sous couvert de liberté de la presse, mais souhaitant en réalité régler des comptes personnels, M. [L] n'a pas hésité à instrumentaliser le JIR pour porter atteinte à l'image, à l'intégrité et à la respectabilité de la société ICP Roto et de son dirigeant, taxés d'avoir pris part, tantôt à une escroquerie, tantôt à des magouilles, tout ceci au prix d'une désorganisation qui a amené les salariés, particulièrement impactés, à cesser le travail. Elle fait valoir que le contrat est ici le support de la calomnie propagée par M. [L] et l'instrument de ses entorses graves à son obligation d'exécution loyale et de bonne foi. Enfin, elle soutient qu'en tout état de cause, la discussion de la réalité et de la gravité des manquements contractuels justifiant la mise en 'uvre de l'exception d'inexécution prévue par l'article 1219 relève de la connaissance exclusive du juge du fond et n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés.
Sur quoi,
D'une part,
Selon l'article 872 du code de procédure civile, « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. »
Aux termes de l'article 873 du même code (modifié par les décrets n°85-1330 du 17 décembre 1985 et n°87-434 du 17 juin 1087)
« Le président peut, dans les mêmes limites et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »
La charge de la preuve du trouble ou du dommage pèse sur le demandeur.
Le trouble manifestement illicite peut se définir comme «toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit». Il procède de la méconnaissance d'un droit, d'un titre ou corrélativement d'une interdiction les protégeant, sans qu'il ait à présenter une gravité exceptionnelle.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.
Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines. Un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés.
D'autre part,
Il ressort des dispositions de l'article 1103 du code civil que « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
Selon l'article 1104 du même code :
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d'ordre public »
Il résulte des articles 1188 et suivants du code civil consacrés à l'interprétation du contrat, notamment, que si l'on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes, il n'est cependant pas permis aux juges, lorsque les termes d'une convention sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu'elle renferme. Enfin, dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposé.
Par ailleurs,
Selon l'article 1218 du code civil :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
Enfin,
Aux termes de l'article 1219 du code civil : « Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. » et l'article 1220 dispose que : « Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »
L'exception d'inexécution est donc le droit qu'à chaque partie à un contrat synallagmatique de refuser d'exécuter son obligation tant qu'elle n'a pas reçu la prestation qui lui est due.
C'est une voie de justice privée, reposant sur les devoirs de loyauté et de bonne foi dans les rapports synallagmatiques.
Une connexité juridique est requise entre la créance de « l'excipiens » et l'obligation qui lui incombe à l'égard de la partie adverse.
La créance que «l'excipiens» oppose à son partenaire doit être exigible.
La charge de la preuve de l'inexécution du débiteur incombe à « l'excipiens ».
L'exception ne peut être soulevée par le créancier que si l'inexécution présente un caractère suffisamment grave. Dès lors qu'une condition de mise en 'uvre est imposée, il peut y avoir contrôle a posteriori par le juge.
L'usage de l'exception d'inexécution par un créancier face à une inexécution insignifiante constituera dès lors une faute susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle.
En l'espèce, par acte sous signature privée en date du 2 octobre 2019, la SAS ICP Roto et la SAS Journal de l'île de la Réunion (le JIR) ont conclu un « CONTRAT D'IMPRESSION DU JOURNAL DE L'ILE DE LA REUNION », en présence de la SELARL Langet, es qualité d'administrateur judiciaire du JIR désigné à ces fonctions par le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion du 11 septembre 2019.
Aux termes de l'article 14 ' Force Majeure :
« Par dérogation aux dispositions de l'article 1218 du Code Civil, les Parties conviennent des dispositions suivantes :
14.1 ' Définition
Les Parties conviennent que les événements non imputables au fait de la Partie invoquant la Force Majeure qui empêchent raisonnablement cette dire Partie d'accomplir tout ou partie de ses obligations contractuelles seront considérés comme événement de Force Majeure.
14.2 - Exemples
A titre d'illustration, les Parties conviennent que les événements de force majeure comprendront les événements ci-dessous, sans que cette liste soit limitative :
- Les catastrophes naturelles, incendie, inondation, explosion, tremblement de terre,
catastrophe d'origine atmosphérique,
- Défaut/arrêt de la force motrice et/ou d'utilités fournies par des tiers, de matières
premières, de moyens de transport
- De grève interne à ICP Roto, sabotage, faits de tiers
- Acte de guerre, émeute, acte de malveillance, actes de terrorisme.
14.3 - Effets
Un événement de force majeure suspend tout ou partie des obligations de la Partie affectée pendant la durée de cet événement et dans la mesure de ses effets.
Si un événement de force majeure affectant durablement l'exécution du Contrat se prolongeait au-delà d'une dure de trente (30) jours consécutifs à compter de la notification par la Partie affectée et sous réserve qu'aucun accord ne soit intervenu au préalable entre les Parties dans ce délai et que la Partie affectée ayant notifié l'événement de Force Majeure ne soit pas en mesure de reprendre ses obligations contractuelles au terme des trente (30) jours, alors l'autre Partie pourra solliciter la résiliation du Contrat sans dommages et intérêts de part et d'autre.
14.4 - Notifications
Dès la survenance d'un cas de force majeure, la Partie affectée informera l'autre partie et fera ses meilleurs efforts pour apporter une solution ou tenter de limiter les conséquences en vue de reprendre l'exécution de ses obligations. »
La société ICP Roto verse également aux débats la coupure de presse du JIR du samedi 1er octobre 2022 dans la rubrique : « L'EDITO DE [S] [L] » intitulé « DES COUPS, DES BOSSES, DES GNONS » dont les passages suivants :
« ...le bal va s'ouvrir avec le tribunal de commerce de la semaine dernière qui a décidé du sort de l'imprimerie Ah Sing. Je ne vais pas évoquer, en détail, le fond de l'histoire qui a permis au célèbre imprimeur [A] [P] [C] et à ses associés minoritaires, indirects ou directs, [R] [T] [N], [A] [B] [T] [N] neveu [H], patron et gérant des imprimeries sudiste et portoise ' de rafler la mise et surtout le foncier qui va avec.
Sur le fond, nos avocats s'en chargent parce que cette attribution renifle l'escroquerie au tribunal vu que l'imprimeur, [R] Chane Pane et même [J] Ah Sing battent, depuis le début de la semaine, campagne et les communiqués pour dire qu'il y a escroquerie, usurpation de nom, pour dire que les Chane Pane du sud et du nord ne sont en rien concernés par cette reprise.
Ce dont je vais vous parler aujourd'hui, c'est de la composition du tribunal qui, ce jour-là, a choisi de vendre l'imprimerie Ah Sing au trio [C]-Chane Pane-Chane Ching sud et nord plutôt qu'à l'association Olivier Lévy ' [S] [L], représentant le Jir. .. »
Y est caricaturé en page 3 [X] [K], juge assesseur, qualifié de « compère la grattouille notoire » entre autres. L'édito aborde également d'autres sujets, essentiellement politique, égratignant au passage nombre de personnalités qualifiées de « calife », employant des « méthodes de bidet », de « rikiki », savourant « sa saloperie en se trémoussant, sourire en coin, sans honte », de « sbire », de « grand échalas », de « clémente, feignasse notoire », de « castafiore » ou encore « connu pour avoir tapé dans la caisse », etc...
La société ICP Roto produit encore au dossier :
-le « certificat d'hospitalisation de M. [T] [N] » consistant en une copie d'un document partiel (page 1 uniquement) dénommé « AUTORISATION DE SORTIE EN CHIRURGIE AMBULATOIRE » non daté, excepté la mention « date de mise à jour : 05/2018 » figurant en haut à droite et sur lequel figure un document,visiblement rajouté, portant des codes barre ainsi que la date du 30/09/2022
-une «ATTESTATION DE TEMOIGNAGES » signée par sept salariés de la société IVCP Roto dont les cartes nationales d'identité ont été photocopiées recto verso (parfois difficilement lisible), non datée et portant la mention dactylographiée suivante :
« Nous confirmons avoir pris la décision de refuser d'imprimer le JIR du samedi 1er octobre.
En effet, le 30 septembre, à la lecture de l'édito publié dans le JIR nous avons été choqués et scandalisés.
Ne pouvant contacter M. CHANE PANE directement pour l'en informer, nous nous sommes concertés avec les chefs d'Atelier et de fabrication.
Après un week-end d'attaques incessantes, le trouble dans l'entreprise s'est accentué, et compte tenu de ce contexte malsain nous avons pris la décision de persister dans l'attente d'un contexte plus rassurant pour notre sécurité au travail.
Nous déclarons que ce témoignage a été établi en vue de la production en justice et qu'une fausse déclaration de notre part nous exposerait à des sanctions pénales. »
-un courrier de M. [R] Chane Pane remis par exploit d'huissier le 3 octobre 2022 au JIR aux termes duquel :
« Un mouvement de débrayage du personnel de notre société ICP Roto a conduit à l'impossibilité d'imprimer le JIR dans la nuit du vendredi 30 septembre. En effet, le personnel a considéré que l'intégrité de la société et de son dirigeant étaient gravement et injustement mis en cause.
Le lendemain Samedi 1er octobre, le personnel et moi-même avons constaté que des attaques outrancières et violentes persistaient en s'aggravant, si bien qu'une décision a été prise de suspendre l'impression du journal.
J'ai pris le temps de la réflexion et me suis également reporté au contrat d'impression signé le 2 octobre 2019. Ce contrat a été signé avec l'ancienne société du JIR si bien que la société ICP Roto n'est en l'état tenue par aucune convention vis-à-vis de la Société Nouvelle du JIR (statuts du 18 janvier 2021).
Conscient cependant des enjeux à tous points de vue, et si par extraordinaire les juridictions qui seront probablement saisies devaient considérer qu'une contre nous lie, je relève que l'article 11 de ce contrat stipule que tout différend devra être soumis d'abord à une médiation.
En dirigeant responsable, je sollicite expressément de votre société cette médiation. Chaque partie pourrait désigner un médiateur. »
-la copie d'une page du JIR du dimanche 2 octobre 2022 « dont seulement 1500 exemplaires ont été distribués avant que l'imprimeur ne décide de tout arrêter » sur lequel figure deux articles intitulés « LA CENSURE CONTINUE » et «CENSURE ET MENSONGE » aux termes desquels, notamment, « Bis repetita ! Pour la deuxième nuit consécutive, les équipes d'ICP Roto ont refusé d'imprimer le journal de l'île. Ce matin, en effet, à peine 1500 exemplaires, soit moins de 10% de notre diffusion ce dimanche, auront pu être distribués sur notre réseau. Après avoir menti toute la journée d'hier sur l'air de « c'est pas moi, c'est l'autre », [R] Chane Pane a décidé peu avant 2 heures ce matin, d'arrêter l'impression du journal. Passant consigne auprès de son chef rotativiste de stopper la machine. » ou encore « Le Journal de l'île n'est pas sorti hier matin, provoquant un « petit séisme » dans le paysage médiatique péi. Et pour cause. Comme nous l'évoquions à la Une de notre édition numérique, sur Clicanoo, très tôt ce samedi, si notre titre papier (enrichi par son magazine télé Visu) n'a pas été imprimé et a fortiori diffusé, ce n'est pas en raison d'un incident technique survenue au stade industriel de l'impression du journal. Ce n'est pas non plus à cause d'un mouvement de grève ourdi comme c'est le cas parfois dans les imprimeries de presse, ou plus rarement, quoique, dans les salles de rédaction. Non, le JIR n'est pas sorti, samedi matin des entrepôts portois d'ICP Roto, où il est imprimé depuis trois ans, c'est uniquement en raison de la mauvaise humeur de son PDG, [R] Chane Pane, lui-même. Courroucé, le mot est faible, le célèbre imprimeur n'a pas apprécié de voir son nom « abondamment cité » dans la presse locale, ces deniers jours, pour son implication dans la reprise de l'imprimerie Ah Sing, avec la complicité de son neveu [A] [B] Chane Ching, gérant d'ICP sud et l'homme d'affaire, [A] [P] [C], validée pourtant le 21 septembre par les juges du tribunal de commerce de Saint Denis. Au nez et à la barbe de l'association Olivier Lévy ' [S] [L], représentant le JIR. Mieux disante sur le plan social, moins en fonds sur le plan économique. On ne refait pas l'histoire. Pas encore. Ni le Match de ce rachat, pour lequel [S] [L], dans l'édito de ce samedi (que nous reproduisons ici en page 2) flaire d'entourloupe ' il a beau s'en défendre, il ment ' C'est bien l'imprimeur [R] Chane Pane qui a censuré, hier matin, le JIR et personne d'autre. Et c'est encore lui, [R] Chane Pane, qui menace par cet infâme diktat, de distendre un peu plus le fil ténu qui nous lie à l'ensemble de nos lecteurs et avec eux, à nos annonceurs et à nos diffuseurs. Sa responsabilité n'en est que plus grande. »
-l'édition numérique du JIR du 3 octobre 2022 titrant « CENSURE-JOUR 3 » reprenant l'article « CENSURE ET MENSONGE » et en page deux titrant dans la rubrique « LE FAIT DU JOUR » « Le JIR dérange parce qu'il révèle les magouilles » relatif à une interview de [S] [L] diffusée sur clicanoo.re dans lequel ce dernier analyse la situation comme suit : « On veut tuer le journal de l'île et M. [T] [N] n'est pas le seul à la man'uvre dans cette affaire. C'est évident : il est manipulé, car il est manipulable '.En attendant, quelle que soient les causes, les méthodes employées sont des méthodes de voyou...Sur le fond, le coup est politique, et nous savons très bien d'où il vient. Le JIR dérange, car il propose de l'information, des investigations, des analyses élaborées par les journalistes. L'édito du samedi met souvent en lumière les magouilles, le rôle des lobbys, les trafics d'influence, les harcèlements, les abus et les injustices contre la population réunionnaise. C'est ça qui dérange l'établissement, la soi-disant élite qui voudrait remplacer l'information par la communication et de la propagande....je ne vais pas me laisser faire. Ni par M. [R] Chane Pane, ni par Mme [W] [O], ni par M. [M] [I], ni par M. [D] [F]. »
-le «COMMUNIQUE DES DELEGUES DU PERSONNEL » daté du 4 octobre 2022 et comprenant quatre signatures aux termes duquel :
« Nous, délégués du personnel de ICP ROTO, avons pris connaissance hier soir du souhait de notre direction d'entrer en médiation avec le JIR pour éventuellement en reprendre l'impression.
Cependant, il est évident que la sérénité n'est pas absolument pas revenue du côté du personnel de l'imprimerie qui demeure choqué, inquiet et préoccupé par les prises à partie quotidiennes de M. [L].
C'est pourquoi, nous tenons fermement à faire savoir que, quelle que soit la décision de M. CHANE PANE, la décision éventuelle de la direction de reprendre la parution du JIR continue à se heurter à la persistance de notre mouvement de grève.
C'est la raison pour laquelle le personnel demande à être associé au plus près au protocole de sortie de crise et demandera des garanties pour être préservé et respecté. »
et à laquelle est jointe une page comprenant plus d'une vingtaine de signatures dont certaine accompagnée d'une nom de famille
-la page 2 de l'édition du JIR du 4 octobre 2022 et titrant « Le JIR « sans papier » : une atteinte grave et renouvelée à la liberté de la presse » relatant notamment la participation de [S] [L] à l'émission « le Talk » sur TéléKréol « pendant laquelle il a fait part de son incompréhension face à la décision unilatérale d'[R] [T] [N] de rompre toute collaboration sans préavis. Lui c'est [U], moi je suis l'Ukraine en conclut [S] [L] ainsi qu'une article intitulé «[S] [L] : « La reprise de l'impression est le préalable à toute médiation »
-19 sommations interpellatives réalisées le 6 octobre 2022 auprès des salariés de la société ICP Roto à la demande de celle-ci d'avoir à répondre aux questions suivantes :
Êtes vous employé à l'imprimerie Chane Pane ICP ROTO '
Êtes vous en grève et dans la positive depuis quand '
Pouvez-vous m'indiquer les raisons pour lesquelles vous êtes en grève '
A la première question, il a été répondu « Oui » par tous les interpellés
A la seconde question, il a été répondu :
-depuis le 30 septembre 2022 par cinq salariés, l'un précisant être en grève « contre M. [S] [L] »
-depuis le 1er octobre 2022 par deux salariés, l'un précisant « uniquement contre le JIR »
-depuis le 3 octobre 2022 par sept salariés, l'un précisant « uniquement contre le JIR »
-depuis le 4 octobre par deux salariés
-depuis le 5 octobre 2022 (concerne un seul salarié)
-je le serai à partir de 21 heures ce soir (concerne un seul salarié)
-je ne suis pas en grève (concerne un seul salarié)
A la troisième question, les salariés grévistes ou en passe de l'être évoquent pratiquement tous une pression, morale ou psychologique du fait des attaques du JIR contre leur employeur, M. [R] Chane Pane, en majorité, contre la société, ou pour une minorité, contre eux-mêmes, contribuant à la dégradations de leurs conditions de travail en créant un sentiment de mal-être, de démotivation, de stress, voire d'insécurité, un salarié allant jusqu'à faire le lien entre les attaques du JIR et son accident du travail qui lui a coûté l'amputation de deux moitié de phalanges le 31 janvier 2021. Beaucoup font référence à M. [L] et ses propos déplacés ou insultants. Certains encore évoquent plutôt un mouvement de soutien à l'égard de leur employeur, voire à l'égard du personnel ou de collaborateurs. Enfin, deux salariés indiquent que M. [T] [N] leur a demandé de reprendre l'impression du JIR.
-page 2 de l'édito du JIR du samedi 8 octobre 2022 titrant « Ils ne me feront pas taire » dans la rubrique « L'EDITO DE [S] [L] » accompagné d'une caricature de Mme [W] [O], qualifiant M. [T] [N] de «Gutenberg péi, devenu maître censeur pour le compte de politicards trouillards ».
Pour rappel, la société ICP Roto évoque en premier lieu la force obligatoire du contrat.
La cour constate, à la lecture de l'article 14 du contrat d'impression liant les parties que :
-d'une part, les parties ont entendu clairement déroger aux dispositions de l'article 1218 du code civil qui définit la force majeure en matière contractuelle, ont ainsi convenu que sont considérés comme des événements de force majeure « les événements non imputables au fait de la partie invoquant la Force Majeure qui empêchent raisonnablement cette dite Partie d'accomplir tout ou partie de ses obligations contractuelles » et ont retenu, à titre d'exemples, la grève interne à ICP Roto, le sabotage ou encore les faits de tiers.
-d'autre part, ils ont précisé les effets d'un événement de force majeure tel que défini par le contrat, à savoir la suspension « de toute ou partie des obligations de la Partie affectée pendant la durée de cet événement et dans la mesure de ses effets », prévoyant également le cas d'un événement de force majeure se prolongeant si un événement de force majeure affectant durablement l'exécution du Contrat se prolongeait au-delà d'une durée de 30 de jours consécutifs
-les parties ont également convenu que « Dès la survenance d'un cas de force majeure, la Partie affectée informera l'autre partie et fera ses meilleurs efforts pour apporter une solution ou tenter de limiter les conséquences en vue de reprendre l'exécution de ses obligations. »
Or, force est de constater que la société ICP Roto, bien qu'arguant d'un événement de force majeure, en l'occurrence une grève interne, ne justifie pas en avoir informé la SN JIR, ni avoir fait tout son possible pour y apporter une solution ou tenter d'en limiter les conséquences, conformément à l'article 14.4 du contrat et ce, indépendamment du fait de savoir si le mouvement des rototativistes de la société ICP Roto répondait ou non à la définition de la grève ou, hypothèse peu crédible, constituait un fait d'un tiers.
Il s'en suit que le mouvement des salariés de la société ICP Roto constitue un trouble manifestement illicite, et ce, de façon évidente, à la lecture du contrat d'impression.
La société ICP invoque également l'exception d'inexécution pour manquement grave et renouvelée de l'obligation de bonne foi de la part de son co-contractant.
S'il est vrai que l'obligation de bonne foi dans les contrats est d'ordre public et que c'est donc à tort que le juge des référés a estimé que l'exception d'inexécution n'avait lieu qu'entre des obligations connexes, comme découlant du contrat lui-même et qu'elle n'était pas applicable entre une obligation contractuelle et une autre, de source distincte, tirée de la loi, comme l'était la bonne foi contractuelle, la cour rappelle néanmoins que les actes de justice privée constituent une variété du trouble manifestement illicite.
En tout état de cause, si une partie peut invoquer devant le juge des référés une exception d'inexécution, contrairement à ce que prétend la société ICP Roto, encore faut-il que la contestation qu'elle oppose revête un caractère sérieux et repose sur des éléments suffisamment probants et que, surtout, l'exception d'inexécution n'ait pas été mise en 'uvre dans des conditions constitutives d'un trouble manifestement illicite.
Or, en l'espèce, le manquement à l'obligation de loyauté et/ou de bonne foi de la SN JIR à l'égard de la société ICP Roto n'est pas suffisamment établi, seul M. [R] Chane Pane étant visé, l'article étant à l'origine du litige ne mentionnant pas même la société ICP Roto.
Par ailleurs, l'exception d'inexécution arguée par la société ICP Roto constitue un acte de justice privée qui, de fait, constitue un trouble manifestement illicite.
C'est donc à bon droit, mais par substitution de motif que le juge des référés a considéré que le manquement de la société ICP Roto était de nature à mettre en péril l'existence même de la SN JIR et qu'il y avait lieu de faire cesser le trouble et prévenir les dommages susceptibles d'en résulter.
S'agissant de l'astreinte, en vertu des dispositions issue de la loi du 9 juillet 1991, tout juge peut ordonner une astreinte, même d'office, pour assurer l'exécution de sa décision. Il dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour en fixer le montant L'astreinte ne prend effet qu'à la date fixée par le juge et elle ne peut pas être antérieure au jour où la décision qui porte sur une condamnation à une obligation est devenue exécutoire.
L'astreinte est provisoire ou définitive. Provisoire, elle permet une révision à la diminution ou une suppression de son montant lors de sa liquidation. Elle peut avoir une durée indéterminée. Définitive, elle ne peut être ordonnée qu'après une astreinte provisoire et pour une durée déterminée.
En l'espèce, la SN JIR a sollicité en première instance la condamnation de la société ICP Roto à exécuter le contrat d'impression la liant à elle pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire à compter de la date de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard et pendant une durée de deux ans.
La société ICP Roto a demandé à la cour de débouter la SAS Société Nouvelle du Journal de l'Île de La Réunion de toutes ses demandes, fins et conclusions.
C'est encore à bon droit que le juge des référés a ordonné la reprise de l'exécution du contrat sous astreinte, compte tenu de l'enjeu de la solution du présent litige pour la survie de la SN JIR. Pour autant, la cour fixe le montant de ladite astreinte à la somme de 20.000 euros par jour et pour un mois.
S'agissant d'une nouvelle astreinte, elle se substitue à celle prononcée précédemment en première instance et apparaît comme une mesure destinée à garantir l'exécution de l'arrêt d'appel. En conséquence, elle ne peut prendre effet qu'à compter de la décision d'appel.
En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a condamné la société Imprimerie Chane Pane à exécuter le contrat la liant à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire, et ce sous astreinte de 200.000 euros par jour de retard, à compter de la notification de la présente ordonnance, et pour un mois et confirmé en ce qu'il s'est réservé la liquidation de l'astreinte.
Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, de condamné la société Imprimerie Chane Pane à exécuter le contrat la liant à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire, et ce sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard, à compter de la notification de la présente décision, et pour un mois.
Sur les dépens
La société ICP Roto succombant, il convient de :
-la condamner aux dépens d'appel
-la débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d'appel
-confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens de la procédure de référé
-confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance.
L'ordonnance de référé sera également confirmée en ce qu'elle a alloué à la SN JIR la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;
ECARTE les conclusions et pièces de la SAS Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion ;
CONFIRME l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion, sauf en ce qu'il a condamné la société Imprimerie Chane Pane à exécuter le contrat la liant à la Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire, et ce sous astreinte de 200.000 euros par jour de retard, à compter de la notification de la présente ordonnance, et pour un mois ;
LE REFORME sur ce point ;
Statuant à nouveau sur le seul chef infirmé
CONDAMNE la SAS Imprimerie Chane Pane à exécuter le contrat la liant à la SAS Société Nouvelle du Journal de l'Île de la Réunion pour l'impression de l'édition papier du journal qu'elle édite, ainsi que tout supplément mensuel ou hebdomadaire, et ce sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard, à compter de la notification de la présente décision, et pour un mois ;
Y ajoutant,
DEBOUTE la SAS Imprimerie Chane Pane de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
LA CONDAMNE aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE SIGNE LA PRÉSIDENTE