N° RG 23/03704 -
N° Portalis DBVM-V-B7H-L774
C4
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN
la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES
la SCP MONTOYA & DORNE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 04 JUILLET 2024
Appel d'une ordonnance (N° RG 23/00290)
rendue par le Président du TJ de Grenoble
en date du 19 octobre 2023
suivant déclaration d'appel du 24 octobre 2023
APPELANTE :
Mme [L] [X] épouse [K]
née le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 8]
représentée et plaidant par Me François-Xavier LIBER-MAGNAN de la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉS :
Mme [W] [X]
née le [Date naissance 3] 1945 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 8]
Mme [C] [X]
née le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 8]
S.C.I. [B] [X] au capital de 3 000,00 € immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le n° 481 872 463, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 7]
[Localité 8]
représentées par Me Franck BENHAMOU de la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE, substitué et plaidant par Me POUTONNAT, avocat au barreau de GRENOBLE
Me [H] [M] notaire associé au sein de la SELARL ARIANE,
[Adresse 4]
[Localité 10] / FRANCE
représenté par Me Olivier DORNE de la SCP MONTOYA & DORNE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière,
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 avril 2024, M. BRUNO, Conseiller, a été entendu en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré.
Faits et procédure :
1. Le 9 avril 2005, [N] [Y] veuve [X] et ses filles, [C] [X] et [L] [X] épouse [K], ont constitué la Sci [B] [X]. [N] [Y] veuve [X] a été désignée gérante statutaire, et chacune des trois associées détient 100 des 300 parts constituant le capital social de la société.
2. Le 2 juin 2005, la Sci [B] [X] a acquis un appartement situé au [Adresse 9] à [Localité 10] (lot n°26) pour la somme de 85.370 euros. Par acte en date du 19 août 2005, la Sci [B] [X] a acquis un studio situé au [Adresse 9] à [Localité 10] (lot n°22) pour la somme de 45.735 euros. Ces deux biens ont été mis en location pour un loyer mensuel hors charges et hors taxes pour un montant respectif de 760 euros et 570 euros.
3. En février 2022, [N] [Y] veuve [X] a fait réaliser par deux agences immobilières une estimation de la valeur du studio et de l'appartement. Le studio a ainsi été évalué entre 85.000 euros et 95.000 euros pour une surface habitable de 20 m². La valeur de l'appartement a été estimée entre 125.000 euros et 135.000 euros pour une surface habitable de 49 m².
4. [L] [X] épouse [K] a considéré qu'elle n'est pas suffisamment informée de la manière dont la Sci familiale est gérée par sa mère, et a sollicité la communication de divers documents, demandant en outre à être tenue informée au préalable de tout projet de vente des biens de la Sci.
5. Le 9 mars 2022, la Sci [B] [X], par l'intermédiaire de sa gérante, a informé [L] [X] épouse [K] et [C] [X] qu'au regard des tensions existantes, il est nécessaire de trouver un accord amiable afin de procéder à la cession des biens immobiliers appartenant à la société.
6. Par courrier du 27 janvier 2023, [C] [X] a manifesté son souhait d'acquérir le studio en contrepartie de la somme de 85.000 euros et son conjoint [S] [G] le souhait d'acquérir l'appartement pour la somme de 125.000 euros.
7. Par acte authentique du 9 novembre 2022, maître [M], notaire, a régularisé une promesse unilatérale d'achat au profit de [C] [X] pour le studio moyennant un prix de 85.000 euros et une promesse unilatérale d'achat au profit de [S] [G] pour l'appartement moyennant un prix de 125.000 euros.
8. Le 6 février 2023, [L] [X] épouse [K] s'est opposée à la vente des deux biens immobiliers.
9. Le 10 février 2023, la gérante a convoqué [L] [X] épouse [K] à une assemblée générale ordinaire devant se tenir le 27 février 2023, avec pour ordre du jour l'autorisation de céder les deux biens immobiliers. L'avocat de [L] [X] épouse [K] a informé les autres associées de l'absence de cette dernière à l'assemblée générale, contestant la légitimité de cette assemblée.
10. Par exploit d'huissier délivré le 23 février 2023, [L] [X] épouse [K] a fait assigner [N] [Y] veuve [X], [C] [X], la Sci [B] [X] et maître [M] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Grenoble aux fins de voir notamment ordonner la suspension de toute action tendant à obtenir la cession des actifs immobiliers appartenant à la Sci [B] [X]. Elle a également demandé qu'il soit ordonné à [N] [Y] veuve [X] de communiquer sous astreinte les documents nécessaires à l'information des associées sur la gestion de la Sci depuis sa création. Elle a sollicité une expertise comptable de la Sci [B] [X] depuis sa création, ainsi que la révocation de la gérante et la désignation d'un administrateur provisoire.
11. Par ordonnance du 19 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grenoble a :
- débouté [L] [X] épouse [K] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné [L] [X] épouse [K] à payer à [N] [Y] veuve [X], [C] [X] et la Sci [X], la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné [L] [X] épouse [K] aux entier dépens.
12. [L] [X] épouse [K] a interjeté appel de cette décision le 24 octobre 2023 en toutes ses dispositions, dont le détail a été repris dans sa déclaration d'appel.
L'instruction de cette procédure a été clôturée le 28 mars 2024.
Prétentions et moyens de [L] [X] épouse [K]:
13. Selon ses conclusions n°2 remises par voie électronique le 26 mars 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 145, 834 et 835 du code de procédure civile, des articles 1851 alinéa 2, 1855 et 1856 du code civil :
- de réformer l'ordonnance déférée ;
- d'ordonner la suspension de toute action tendant à obtenir la cession des actifs immobiliers appartenant à la Sci [B] [X], et spécifiquement l'accomplissement des démarches pour lesquelles autorisation était demandée aux associées dans le cadre de l'assemblée générale du 27 février 2023 ;
- d'ordonner à [N] [Y] Veuve [X] la communication, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, des documents nécessaires à l'information des associées sur la gestion de la Sci depuis sa création: les convocations aux AG, les baux, les relevés bancaires, les devis, contrats et factures de travaux ou d'entretiens ;
- d'ordonner une mesure d'information consistant en une expertise comptable de la Sci [B] [X], depuis sa création ;
- de désigner pour y procéder tel expert qu'il plaira de commettre, avec notamment pour mission de vérifier si, d'une manière générale, le gérant :
* a apporté à la gestion des affaires sociales de la Sci toute l'activité et la diligence nécessaires ;
* s'est assuré que la vie sociale se déroule dans des conditions régulières, et notamment que la comptabilité est régulièrement tenue, que la collectivité des associées est consultée aussi souvent qu'il est nécessaire et au moins une fois par an pour l'approbation des comptes, que les obligations légales en matière d'assemblées générales, de consultations écrites des associées, de formalités de publicité, ont été respectées, que toutes les actions sont entreprises pour réaliser l'objet social ;
* a commis des fautes et auquel cas, si celles-ci ont entraîné un préjudice pour la société ou ses associées ;
- d'ordonner la révocation de la gérante de la Sci [B] [X] ;
- de désigner un administrateur provisoire pour la Sci [B] [X] ayant notamment pour mission, de faire correctement évaluer les biens immobiliers détenus par celle-ci, de tenter d'organiser les actes utiles à la cession desdits biens, dans des conditions respectueuses des intérêts de la structure, de préparer les actes de dissolution et de liquidation de la structure, en s'appuyant sur les conclusions qui auront été produites par l'expert désigné par la juridiction de céans ;
- de juger la décision à intervenir opposable à maître [M] ;
- de condamner [N] et [C] [X] à verser à la concluante la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, y compris ceux de première instance.
L'appelante expose :
14. - concernant la gestion de la société, qu'elle demande depuis plusieurs années des informations et des éclaircissements, la communication des décisions prises, des dépenses réalisées, des fruits perçus et de la fiscalité ; que la gérante n'accepte pas de rendre des comptes ; que la concluante n'a jamais pu obtenir la communication des bilans avant la présente instance ; que les procès-verbaux des assemblées générales ont tous été rédigés au même moment en réaction à l'assignation ; que la concluante n'a jamais été convoquée à ces assemblées ce que confirme l'absence d'émargement sur les feuilles de présence ; que ce n'est que suite à l'assignation que la concluante a pu recevoir des dividendes alors qu'ils demeuraient auparavant sur le compte de la société ;
15. - que des zones d'ombre planent sur la gestion de la société, puisque la comptabilité n'a pas été confiée à un expert-comptable, la loi n'en faisant pas obligation pour les sociétés civiles ; que cette comptabilité a été tenue par une ancienne comptable bénévolement, alors qu'elle n'était pas titulaire du diplôme d'expert-comptable ;
16. - que des erreurs ont été commises sur le plan fiscal, puisque les formulaires utilisés pour les déclarations concernent des locations nues soumises aux revenus fonciers, et non pour les locations meublées professionnelles ou non qui imposent de recourir à un formulaire spécial et qui sont imposées au titre des baux non commerciaux ou au régime réel ; qu'il en résulte que des conséquences préjudiciables peuvent survenir en cas de contrôle ;
17. - que la gérante se prévaut d'un compte courant de 109.495 euros, sans justification ; que si elle indique que le montant des loyers ne suffisait pas à rembourser les prêts souscrits par la société pour l'acquisition des biens, de sorte qu'elle aurait apporté chaque année la différence, les comptes obtenus au cours de l'instance révèlent que la société était cependant fréquemment bénéficiaire, le solde étant positif de 70.043,61 euros sur la période 2006/2020 ; que la gérante a fait le choix d'accroître l'endettement de la société plutôt que d'utiliser les résultats positifs ;
18. - que la société s'est vue imputer des dépenses d'entretien importantes, représentant 44.412 euros sur la période comprise entre 2006 et 2020, alors que les logements ont des surfaces réduites ; que les charges locatives ont fluctué de façon importante, passant de 951 euros à 4.851 euros sur la période 2006/2017 ;
19. - que les avis de valeur transmis par la gérante pour justifier du montant des ventes envisagées ne permettent pas de s'assurer que le montant du prix respecte les intérêts de la société, d'autant que les ventes sont à réaliser au profit d'une associée et de son compagnon ; que la gérante a mis presque trois mois pour informer la concluante de l'existence des promesses d'achat ; qu'il existe des promesses pour un prix supérieur ;
20. - concernant la légitimité des demandes de la concluante, au visa des articles 145, 834 et 835 du code de procédure civile, que le juge des référés peut désigner un administrateur provisoire lorsqu'il existe une mésentente grave entre associées faisant obstacle au fonctionnement normal de la société ; que l'article 1855 du code civil précise que les associées ont le droit d'obtenir, au moins un fois l'an, la communication des livres et des documents sociaux et d'obtenir des réponses sur leurs questions sur la gestion ; que l'article suivant prévoit que les gérants doivent rendre compte au moins une fois dans l'année ; que le gérant est révocable par les tribunaux pour cause légitime à la demande de tout associé, demande pouvant être, en cas d'urgence, formée devant le juge des référés ;
21. - que les faits développés plus haut posent question et rendent indispensable que des mesures préventives soient prises pour préserver les intérêts de la société et de la concluante.
Prétentions et moyens de [N] [Y] veuve [X], [C] [X] et de la Sci [B] [X] :
22. Selon leurs conclusions remises par voie électronique le 15 janvier 2024, elles demandent à la cour, au visa des articles 145, 834 et 835 du code de procédure civile, des articles 1841, 1851, 1855 et 1856 du code civil, de l'article L123-12 du code de commerce :
- de confirmer l'ordonnance déférée ;
- de juger que les demandes de [L] [K] sont mal fondées;
- de juger que les demandes de [L] [K] se heurtent à plusieurs contestations sérieuses ;
- de débouter [L] [K] et l'inviter, le cas échéant, à saisir le juge du fond ;
- de condamner [L] [K] à régler à [N] [X], [C] [X] et la Sci [B] [X] une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- de condamner [L] [K] aux entiers dépens d'appel.
Elles soutiennent :
23. - que les biens immobiliers ont été acquis par l'octroi de prêts bancaires de 91.570 euros et 50.935 euros, pour être mis en location meublée ;
24. - que la gérance a satisfait à ses obligations légales et statutaires en communiquant aux associées les procès-verbaux d'assemblée générale, les comptes annuels et les déclarations d'impôts de 2006 à 2023 ;
25. - que l'appelante a perçu des dividendes en 2021 et 2022, alors qu'auparavant, ils restaient sur le compte courant de la société ;
26. - que le montant des loyers ne suffisant pas à rembourser intégralement les prêts, la gérante a apporté chaque année les fonds nécessaires pour couvrir la différence, ce qui a fini par constituer un compte courant d'associée important à son profit ;
27. - que l'estimation des deux biens a été effectuée par deux agences immobilières, retenant pour l'appartement une valeur comprise entre 125.000 et 135.000 euros, pour le studio comprise entre 85.000 et 95.000 euros ; que c'est sur ces bases que [C] [X] et [S] [G] ont fondé leur proposition d'achat, ce dont l'appelante a été avisée ;
28. - que les demandes de l'appelante se heurtent à des contestations sérieuses, puisqu'elle sollicite la communication de documents dont elle a déjà eu connaissance, ne démontre pas l'opportunité d'une expertise comptable, ne démontre pas une cause légitime à voir la gérante être révoquée de ses fonctions et l'opportunité de la désignation d'un administrateur provisoire ;
29. - que les comptes annuels indiquent que la société a toujours été en bonne santé financière, générant des bénéfices chaque année ; qu'en sa qualité d'associée, l'appelante ne peut exiger la communication des documents supplémentaires comme les baux, les relevés bancaires, les devis ou les factures de travaux et d'entretien ;
30. - que la comptabilité a été tenue par madame [U], anciennement comptable, alors que la loi n'impose pas aux associées le recours à un expert-comptable pour une société civile, ce que n'ignorait pas l'appelante ;
31. - que la révocation d'un gérant suppose la démonstration d'une cause légitime, prenant en compte les intérêts de la société et non de ses associées, cause non établie ; que si la gérante dispose d'un compte courant important, il va se résorber au fils du temps puisque les prêts sont désormais éteints ; que les frais d'entretien sont justifiés par la location à des chercheurs mutés sur [Localité 10], pour une année ou quelques mois, de sorte que la gérante a veillé à ce que les biens soient en parfait état et ainsi repeints chaque année, outre des travaux de réfection notamment concernant l'isolation ; que la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril imminent n'est pas rapportée, de sorte qu'un administrateur provisoire ne peut être désigné.
Prétentions et moyens de maître [M] :
32. Selon ses conclusions remises par voie électronique le 11 janvier 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile :
- de juger que la concluante n'a commis aucun manquement à ses obligations professionnelles en procédant à la régularisation des deux actes authentiques du 9 novembre 2022 portant promesses unilatérales d'achat au profit de monsieur [G] et de madame [X] ;
- de statuer ce que de droit sur les prétentions formées par madame [K] à l'encontre de la Sci [B] [X] et ses deux autres associées ;
- de donner acte à la concluante qu'elle ne procédera à la régularisation d'aucun acte de vente tant qu'une décision de justice autorisant de telles opérations immobilières n'aura pas été rendue ou qu'un accord entre les différentes associées de la Sci [B] [X] ne sera pas intervenu ;
- de condamner la partie succombante aux entiers dépens de l'instance.
33. Maître [M] indique qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur le contenu du contexte familial conflictuel existant entre les membres de la société familiale, et que la demande de suspension de toute action visant la cession des biens appartenant à la société interpelle, puisqu'une vente ne pourra être réitérée que dans l'hypothèse où tous les associées donnent leur accord, ou si une autorisation est donnée en justice. Elle souligne que les avis de valeur
produits par l'appelante ne sont pas probants, puisqu'il est indiqué que les lieux
n'ont pas été visités, alors qu'il n'existe pas d'autre offre d'acquisition, mais seulement l'existence d'un client potentiel qui n'a pas visité les lieux.
*****
34. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la demande de l'appelante tendant à voir ordonner la suspension de toute action visant à céder les actifs immobiliers :
35. Le juge des référés a indiqué que malgré les tentatives d'explication, [L] [X] épouse [K] ne rapporte pas la preuve de faits justifiant la suspension des démarches tendant à obtenir la cession des actifs immobiliers de la Sci [B] [X]. Force est en effet d'admettre qu'il n'existe aucune raison objective, nonobstant les querelles internes, de faire obstacle à la vente dans cette Sci familiale dans laquelle elle se trouve de facto minoritaire. Il ne saurait être question de se servir du juge des référés pour faire obstacle aux règles de majorité et aux droits respectifs des parties, et ce d'autant plus que maître [M], notaire a pris la précaution de préciser dans l'acte qu'elle ne procédera à la régularisation d'aucun acte de vente tant qu'un accord entre les différentes associées de la Sci [B] [X] ne sera pas intervenu. Selon le premier juge, il ne fait aucun doute qu'en l'espèce l'action en justice n'avait que pour seul but de ralentir le processus.
36. La cour constate que les statuts de la société civile prévoient que les trois associées le sont à parts égales. Il n'est prévu aucune restriction aux pouvoirs du gérant concernant la vente de droits immobiliers. Ce dernier peut effectuer tous les actes de gestion que commande l'intérêt de la société, et s'agissant d'une société civile immobilière, cela englobe la possibilité d'acquérir et de céder des biens immobiliers, sans qu'une autorisation préalable des associées ne soit nécessaire.
37. Au demeurant, le procès-verbal de l'assemblée générale du 27 février 2023, à laquelle l'appelante a refusé de participer, a autorisé la cession des deux biens immobiliers selon les avis de valeur réalisés par deux agences immobilières indépendantes, et la cour constate que si l'appelante se prévaut d'un avis de valeur qu'elle a fait réaliser, il ne s'agit que d'un mail d'un agent immobilier, qui indique n'avoir pas vu les lieux. Si elle produit également la lettre d'un client potentiel pour acquérir les deux biens, celui-ci précise n'avoir pas vu les lieux et ne sollicite que des informations, sans effectuer de proposition d'acquisition.
38. Il n'est pas établi par l'appelante que la vente des deux biens immobiliers soit contraire à l'intérêt de la société, que la gérante ait dépassé ses pouvoirs, ni que cette vente ait été projetée sur des valeurs ne correspondant pas au prix du marché. En conséquence, il n'est pas justifié de l'existence d'un trouble manifestement illicite ni d'un dommage imminent justifiant la suspension de ces cessions. Cette demande est ainsi affectée d'une contestation sérieuse et ne ressort pas des pouvoirs du juge des référés.
2) Concernant la demande de communication sous astreinte des documents concernant la gestion de la société civile depuis sa création :
39. Le premier juge a retenu que les pièces produites aux débats mettent en évidence que [N] [Y] veuve [X], en sa qualité de gérante, a communiqué les comptes annuels et la déclaration d'impôts de 2008, les comptes courants des trois associées ainsi que le décompte de la Sci [B] [X], les procès-verbaux des assemblées générales de 2010 à 2021, un devis de la société Alp'Iso Renov. Il en a retiré que l'ensemble de ces éléments apparaissent suffisants pour faire état de la gestion de la Sci [B] [X] depuis sa création. Il a indiqué que le juge des référés, juge de l'urgence et de l'évidence, n'a pas le pouvoir d'analyser les comptes pour vérifier qu'ils correspondent aux demandes de [L] [X] épouse [K].
40. La cour relève que [N] [Y] veuve [X], [C] [X] et la Sci [B] [X] produisent les comptes annuels et les déclarations fiscales depuis l'année 2006 jusqu'à l'année 2022, ainsi que les procès-verbaux des assemblées générales des années 2010 à 2020 et 2023, outre les relevés des comptes courants de chacune des associées, ainsi que le décompte des loyers perçus, des charges diverses, courant des années 2015 à 2022.
41. Selon l'article 1855 du code civil, dans les sociétés civiles, les associées ont le droit d'obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d'un mois.
42. Le décret n°78-704 du 3 juillet 1978 relatif à l'application de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil, prévoit, en son article 48, qu'en application des dispositions de l'article 1855 du code civil, l'associé non gérant a le droit de prendre par lui-même, au siège social, connaissance de tous les livres et documents sociaux, des contrats, factures, correspondance, procès-verbaux et plus généralement de tout document établi par la société ou reçu par elle. Le droit de prendre connaissance emporte celui de prendre copie. Dans l'exercice de ces droits, l'associé peut se faire assister d'un expert choisi parmi les experts agréés par la Cour de cassation ou les experts près une cour d'appel.
43. Il résulte de ces dispositions, alors que la preuve d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent n'est pas rapportée, qu'il existe une contestation sérieuse à ce que l'appelante se fasse remettre directement, sans consultation préalable au siège de la société, la copie de l'intégralité des documents nécessaires à l'information des associées sans précision sur la date des exercices concernés, alors que ce droit ne peut s'exercer qu'une fois par an selon l'article 1855 précité.
44. En conséquence, le juge des référés a pu, par ces motifs substitués, rejeté cette demande de communication.
3) Sur la demande d'expertise comptable :
45. Le juge des référés a indiqué, au regard de l'article 145 du code de procédure civile, que justifie d'un motif légitime au sens de ce texte la partie qui démontre la probabilité de faits susceptibles d'être invoqués dans un litige éventuel. Il a relevé qu'il suffit que la mesure demandée soit légalement admissible, que le litige ait un objet et un fondement suffisamment caractérisés, que sa solution puisse dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, que la prétention du demandeur ne soit pas manifestement vouée à l'échec et que ses allégations ne soient pas imaginaires et présentent un certain intérêt.
46. En l'espèce, le premier juge a dit qu'il apparaît que la comptabilité a été régulière et correctement tenue chaque année par la gérante qui verse aux débats de nombreuses pièces comptables et fiscales, notamment les comptes annuels de 2006 à 2023, et que [L] [X] épouse [K] n'apporte par conséquent aucun élément concret démontrant l'utilité d'une mesure d'expertise. Il en a retiré qu'elle ne justifie pas d'un motif légitime à voir une mesure d'expertise être ordonnée.
47. La cour constate que si le juge des référés a exactement énoncé les conditions de mise en 'uvre de l'article 145 du code de procédure civile, il résulte cependant des données de l'instance qu'un litige oppose les associées depuis plusieurs années.
48. L'analyse des documents produits par [N] [Y] veuve [X], [C] [X] et la Sci [B] [X], permet à la cour de constater que concernant les procès-verbaux des assemblées générales, il existe des interrogations sur la validité des décisions prises par l'assemblée générale ordinaire.
49. Ainsi, il résulte du procès-verbal de l'assemblée du 10 juin 2011 que l'appelante est présente et les comptes sont adoptés à l'unanimité. Le bénéfice de 3.827,80 euros est réparti également entre les associées, mais par virements sur leurs comptes courants d'associées. Il n'y a cependant pas de liste d'émargement. Pour le procès-verbal du 10 juin 2012, l'appelante est présente et les comptes sont adoptés à l'unanimité. Le bénéfice de 5.941,68 euros est réparti également entre les associées, mais par virements sur leurs comptes courants d'associées. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
50. Les procès-verbaux des assemblées suivantes apportent les mêmes éléments :
- procès-verbal du 10 juin 2013 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 2.466,40 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2014 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 142,11 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2015 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 7.248,09 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2016 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 3.419,36 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2017 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 8.061,81 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2018 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 6.017,45 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2019 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 8.044,96 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2020 : mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 7.997,78 euros. La signature de l'appelante ne figure pas dans la liste d'émargement.
- procès-verbal du 10 juin 2021: mêmes énonciations que pour celui de 2012. Le bénéfice est de 3.581,04 euros. Aucune signature ne figure dans la liste d'émargement.
51. La cour note que ces procès-verbaux sont rédigés de façon identique, avec toujours la date du 10 juin, et rien n'indique que l'appelante a effectivement participé à ces assemblées, puisque les listes d'émargement, quand elles existent, ne sont signées que par les autres associées. Les comptes annuels sont annexés à ces procès-verbaux.
52. Il en résulte que dans le cadre du conflit opposant les associées depuis plusieurs années, l'appelante justifie d'un motif légitime à voir ordonner une expertise afin d'analyser la gestion de la société civile, la bonne tenue de la comptabilité ainsi que l'exécution des obligations légales concernant la tenue des assemblées générales, l'approbation des comptes et les formalités de publicité. L'action de l'appelante n'est pas manifestement vouée à l'échec, au regard des interrogations posées par la lecture des procès-verbaux des assemblées générales détaillés ci-dessus.
53. En conséquence, l'ordonnance déférée sera infirmée sur ce point, et un expert sera désigné avec la mission qui sera détaillée plus loin.
4) Concernant la révocation de madame [N] [Y] veuve [X] et la désignation d'un administrateur judiciaire:
54. Le juge des référés a constaté qu'il n'apparaît pas que la gérante ait commis une faute dans la gestion de la Sci [B] [X] et qu'elle semble avoir respecté toutes ses obligations légales et statutaires, puisque sont produits les comptes annuels et déclarations d'impôts de 2006 à 2023, ainsi que les procès-verbaux de l'assemblée générale de 2010 à 2023, ce qui met en avant le bon fonctionnement de la Sci [B] [X], et prouve que la Sci tient une comptabilité régulière. Il en a déduit que [L] [X] épouse [K] n'apporte aucun élément concret démontrant l'existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.
55. Par application de l'article 1851 du code civil, sauf disposition contraire des statuts le gérant est révocable par une décision des associées représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts. Le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
56. Concernant l'intérêt légitime à voir la gérante être révoquée judiciairement, la cour constate que si des interrogations concernent la régularité des procès-verbaux des assemblées générales tenues entre 2012 et 2021, des vérifications seront effectuées par l'expert qui sera désigné. En dehors de ce point, la preuve d'une faute de gestion de madame veuve [X] n'est pas établie, alors que la situation de la société civile est bénéficiaire au regard des comptes produits, et que cette situation ne fera que se confirmer puisque les prêts conclus en 2005 afin d'acquérir l'appartement et le studio devaient arriver au terme de leur remboursement respectivement le 1er juin 2020 et le 12 août 2020.
57. La cour ajoute qu'en raison du conflit opposant les associées, la décision de vendre ces biens immobiliers n'est pas nécessairement contraire à l'intérêt social, puisqu'une dissolution de la société emportant sa liquidation est envisagée.
58. En conséquence, alors que la preuve d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent n'est pas rapportée, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de révocation de la gérante.
59. Les mêmes motifs président au rejet de la demande de désignation d'un administrateur provisoire, puisqu'aucune décision de dissoudre la société n'a été prise, alors que le fonctionnement normal de la société n'est pas affecté puisque les décisions peuvent continuer à être prises à une majorité des 2/3 des parts sociales. Si l'appelante invoque également, au soutien de cette demande, que l'administrateur aurait pour mission d'évaluer les biens appartenant à la société, il n'existe, en l'état, aucune nécessité de procéder à une telle évaluation, au regard des deux avis de valeurs produits par [N] [Y] veuve [X], [C] [X] et la Sci [B] [X], concernant chacun des biens immobiliers. Cette demande ne peut ainsi qu'être rejetée.
5) Concernant les demandes de maître [M]:
60. Sa demande visant à juger qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations professionnelles en procédant à la régularisation des promesses unilatérales d'achat ressort de la compétence du juge du fond, puisqu'il n'est invoqué, à l'appui de cette prétention, aucune des conditions permettant à la juridiction des référés de l'apprécier. Il est de même concernant sa demande de donner acte qu'elle ne procédera à aucune régularisation d'un acte de vente sans autorisation de justice ou accord des associées. La cour dira qu'il n'y a pas lieu à référé sur ces points.
*****
61. Il ressort du sens du présent arrêt qu'il est équitable de laisser provisoirement à chacune des parties les frais qu'elle a engagé dans le cadre de l'instance, y compris devant le juge des référés. L'ordonnance déférée sera infirmée sur ce point.
62. S'agissant des dépens de première instance et d'appel, ils seront laissés provisoirement à la charge de l'appelante, à liquider lors de l'instance qui sera éventuellement organisée au fond.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles du 145, 834 et 835 du code de procédure civile, les articles 1851, 1855 et 1856 du code civil ;
Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a:
- débouté [L] [X] épouse [K] de sa demande visant l'organisation d'une mesure d'information consistant en une expertise comptable de la Sci [B] [X], depuis sa création;
- condamné [L] [X] épouse [K] à payer à [N] [Y] veuve [X], [C] [X] et la Sci [X], la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné [L] [X] épouse [K] aux entiers dépens;
Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté [L] [X] épouse [K] de ses autres demandes;
statuant à nouveau ;
Dit n'y avoir lieu à référé concernant les demandes de maître [M] visant à :
- juger qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations professionnelles en procédant à la régularisation des deux actes authentiques du 9 novembre 2022 portant promesses unilatérales d'achat au profit de monsieur [G] et de madame [X] ;
- lui donner acte qu'elle ne procédera à la régularisation d'aucun acte de vente tant qu'une décision de justice autorisant de telles opérations immobilières n'aura pas été rendue ou qu'un accord entre les différentes associées de la Sci [B] [X] ne sera pas intervenu ;
Ordonne une mesure d'information consistant en une expertise comptable de la Sci [B] [X], depuis sa création, et désigne, pour y procéder, monsieur [R] [A], [Adresse 5], expert inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel de Grenoble, avec la mission suivante :
- se faire communiquer tous éléments utiles à l'accomplissement de sa mission et entendre tout sachant ;
- vérifier si, d'une manière générale, le gérant :
* a apporté à la gestion des affaires sociales de la Sci [B] [X] toute l'activité et la diligence nécessaires ;
* s'est assuré que la vie sociale se déroule dans des conditions régulières, et notamment que la comptabilité est régulièrement tenue, que la collectivité des associées est consultée aussi souvent qu'il est nécessaire et au moins une fois par an pour l'approbation des comptes, que les obligations légales en matière d'assemblées générales, de consultations écrites des associées, de formalités de publicité, ont été respectées, que toutes les actions sont entreprises pour réaliser l'objet social ;
* a commis des fautes et auquel cas, si celles-ci ont entraîné un préjudice pour la société ou ses associées ;
- faire toutes observations utiles ;
Dit que l'expert devra établir un pré-rapport et inviter les parties à formuler leurs observations par voie de dires au sens de l'article 276 du code de procédure civile;
Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix, en cas de besoin ;
Dit que l'expert devra déposer son rapport d'expertise définitif au greffe du tribunal judiciaire de Grenoble, après en avoir adressé un exemplaire aux parties, dans le délai de quatre mois suivant l'avis de consignation qui lui aura été donné par le greffe de ce tribunal ;
Dit que [L] [X] épouse [K] devra consigner la somme de 5.000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert auprès du régisseur d'avance et de recettes du tribunal judiciaire de Grenoble, dans le délai d'un mois suivant l'avis qui lui sera adressé par le greffe ;
Dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera caduque, sauf à [L] [X] épouse [K] à solliciter une prorogation du délai pour consigner ou un relevé de caducité, dans les conditions prévues par l'article 271 du code de procédure civile ;
Dit que l'avance des frais d'expertise par [L] [X] épouse [K] sera faite pour le compte de qui il appartiendra ;
Dit que le magistrat chargé du contrôle des expertises du tribunal judiciaire de Grenoble sera chargé du contrôle de cette expertise en application de l'article 964-2 du code de procédure civile;
Déclare le présent arrêt opposable à maître [M], notaire ;
Laisse provisoirement à la charge de chacune des parties les frais qu'elle a exposé, tant en première instance qu'en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laisse provisoirement à la charge de [L] [X] épouse [K] les dépens de première instance et d'appel incluant le coût de l'expertise, à liquider lors de l'instance qui sera éventuellement organisée au fond ;
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente