N° RG 21/01949 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K3ET
C2
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL FAYOL ET ASSOCIES
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY (X2)
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 06 JUIN 2023
Appel d'une décision (N° RG 17-000404)
rendue par le Juridiction de proximité de ROMANS SUR ISERE
en date du 18 mars 2021
suivant déclaration d'appel du 28 avril 2021
APPELANTS :
M. [D] [T]
né le 03 septembre 1957 à [Localité 22]
de nationalité Française
[Adresse 20]
[Localité 9]
Mme [B] [L] épouse [T]
de nationalité Française
[Adresse 20]
[Localité 9]
M. [Z] [H]
de nationalité Française
[Adresse 17]
[Localité 9]
représentés et plaidant par Me Elodie BORONAD de la SELARL FAYOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de VALENCE
INTIMES :
M. [M] [V]
né le 08 avril 1949 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 9]
M. [X] [R]
né le 24 mai 1956 à [Localité 21]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 9]
Mme [K] [C] épouse [R]
née le 22 novembre 1958 à [Localité 19]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 9]
représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Pierre-François GROS, avocat au barreau de VALENCE
LA COMMUNE DE [Localité 9] prise en son maire en exercice
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Lolita TEYSSIER avocat au barreu de LYON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 24 avril 2023 Mme Blatry, conseiller chargé du rapport en présence de Mme Clerc, président de chambre, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
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FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Les époux [K] [C] / [X] [R] sont propriétaires sur la commune de [Localité 9] (26), [Adresse 18], des parcelles cadastrées A [Cadastre 16], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] voisines du fonds A [Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 6] appartenant à M. [M] [V] lesquels sont situés en contrebas de la propriété des époux [B] [L]/[D] [T] ZH [Cadastre 13], [Cadastre 14] et [Cadastre 15] et du tènement immobilier [Cadastre 3] et [Cadastre 5] appartenant jusqu'au 14 août 2014 à M. [Z] [H] et vendu par lui aux époux [S]/[E].
A la suite de fortes précipitations pluvieuses survenues en octobre 2013, la propriété de M. [V] a subi d'importantes dégradations.
Alléguant un écoulement des eaux anormal sur son fonds, M. [V] a obtenu, suivant ordonnances de référé des 19 juin 2014 et 16 avril 2015, l'instauration d'une mesure d'expertise au contradictoire de M. [T], des époux [E] et de la commune de [Localité 9].
L'expert, M. [J] [A], a déposé son rapport le 15 décembre 2015.
Suivant exploits d'huissier du 22 février 2017, M. [V] a fait citer M. [T], les époux [E], Mme [N] [P] épouse [I] aux droits de laquelle viennent les époux [R] et la commune de [Localité 9] devant le tribunal de grande instance de Valence, lequel par ordonnance juridictionnelle du 21 septembre 2017 a renvoyé l'affaire devant le tribunal d'instance de Romans sur Isère.
Selon assignations des 23 août 2018 et 1er août 2019, M. [V] a appelé à la cause Mme [T] ainsi que les consorts [O], [G] et [Z] [H].
Par jugement du 18 mars 2021, le tribunal de proximité de Romans sur Isère a condamné in solidum les époux [T] et M. [Z] [H] à :
faire réaliser les travaux correspondant aux préconisations de l'expert selon la solution n° 3 dans le délai de 3 mois suivant la signification du jugement sous astreinte de 75€ par mois passé ce délai,
supporter le coût des travaux,
payer à M. [V] une indemnité de procédure de 1.000€ et supporter les dépens qui comprennent les dépens de l'instance de référé outre les frais d'expertise.
Suivant déclaration du 28 avril 2021, les époux [T] et M. [Z] [H] ont relevé appel de cette décision en intimant uniquement M. [V], les époux [R] et la commune de [Localité 9].
Au dernier état de leurs écritures en date du 10 mars 2023, les consorts [T]/[H] demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à leur payer à chacun une indemnité de procédure de 2.000€.
Ils font valoir que :
sur l'insuffisance du rapport d'expertise
le rapport d'expertise présente de nombreuses lacunes avec plusieurs imprécisions,
le rapport de l'étude préalable imposée à M. [V] concerne une simple maison d'habitation avec rez de chaussée alors que M. [V] a construit une toute autre maison avec 2 étages,
M. [V] n'a pas végétalisé le talus comme le permis de construire le lui imposait et a réalisé un terrassement aggravant la situation,
l'expert n'a pas recherché l'impact des aménagements réalisés par M. [V], notamment un tas de parpaing et de très importants remblais de terre,
ces aménagements sont à l'origine exclusive des désordres qu'il invoque puisqu'il a supprimé la pente transversale du chemin et réalisé des tranchées d'enfouissement sur le chemin pour l'alimentation de sa maison,
ces tranchées ont été mal rebouchées et ont créé une canalisation des eaux de ruissellement au milieu du chemin,
l'expert n'a pas tenu compte de l'impact des cultures au regard du sens des sillons en direction de la propriété [V],
l'expert n'a pas davantage tenu compte de la propriété du chemin qui contrairement à ses affirmations n'est pas privative mais appartient à la commune,
la commune n'a pas contestée être propriétaire de la parcelle ZH [Cadastre 12] qui sert d'assiette au chemin,
contrairement à ce que retient l'expert, la commune a abandonné l'entretien du chemin quand elle n'en a plus eu l'usage,
la solution n° 3 préconisée par l'expert se situe sur le chemin qui n'est pas privatif et appartient à la commune ce qu'a retenu le tribunal sans pour autant en tirer les conséquences,
la commune reste totalement silencieuse sur la propriété de la parcelle ZH [Cadastre 12] soutenant que le rapport d'expertise la dédouane de toute responsabilité,
les intimés produisent un devis de la société Cheval en prétendant que la solution de l'expert peut parfaitement être réalisée sur les terres des appelants,
ce devis, réalisé non contradictoirement, ne permet pas de déterminer si c'est bien la solution 3 de l'expert qui est mise en 'uvre et a un coût exorbitant par rapport au chiffrage expertal,
sur l'aggravation de la servitude d'écoulement des eaux
l'expert retient que ce sont les aménagements modifiant le fonctionnement hydraulique d'origine sur la piste privée qui ont aggravé l'écoulement des eaux alors qu'il a été démontré que le chemin appartient à la commune,
l'expert, dans sa démonstration, n'établit pas une aggravation des écoulements dans la mesure où aucun calcul ne vient établir ou ne permet d'évaluer la qualité de l'écoulement des eaux préalable aux édifices incriminés,
en tout état de cause, M. [V] est responsable de la situation qu'il a soumise au tribunal,
depuis 1983, la commune a connu de nombreux arrêtés de catastrophes naturelles mais aucun événement ne s'est produit sur le chemin avant 2008 alors que M. [V] a commencé ses travaux en 2007,
il y a donc un lien très clair entre la construction de M. [V] et le début des désordres.
Par uniques conclusions du 22 octobre 2021, M. [V] et les époux [R] demandent à la cour, à titre principal, de confirmer le jugement déféré sauf à majorer le montant de l'astreinte à 500€ par jour de retard passé le délai de 3 mois suivant la signification de l'arrêt, subsidiairement, si la solution 3 était impossible à mettre en 'uvre retenir la solution n° 1 et condamner les appelants sous la même astreinte à la mettre en 'uvre et, y ajoutant, de condamner in solidum les époux [T] et M. [H] à supprimer à leurs frais tous les obstacles érigés dans le délai de 3 mois suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500€ par jour de retard, ainsi qu'à leur payer à chacun une indemnité de procédure de 3.000€.
Ils exposent que :
l'expert a retenu que l'eau provenant du plateau était à l'origine canalisée par deux talwegs traversant la propriété des appelants et que ceux-ci ont canalisé l'eau pluviale débouchant des talwegs sur la piste ZH [Cadastre 12] en mettant en 'uvre divers ouvrages,
l'expert a préconisé trois solutions pour mettre fin aux désordres résultant des aménagements ayant affecté l'écoulement naturel des eaux,
l'expert a décrit et photographié tous les ouvrages mis en 'uvre par les appelants ce qui a eu pour conséquence de créer, lors des fortes pluies, un véritable torrent qui traverse la propriété de M. [V] pour poursuivre vers la propriété des époux [R],
M. [V] a suivi les préconisations du cabinet Hydroc et n'encourt aucun reproche,
sa construction est conforme aux deux permis de construire et n'est absolument pas construite sur le chemin d'exploitation,
les appelants essayent de tout mélanger s'agissant de l'accès à leur propriété et au chemin d'exploitation appartenant à la commune,
il convient de se reporter aux pages 17 à 20 du rapport d'expertise pour constater l'ampleur des travaux réalisés par les époux [T] et M. [H],
il est établi que les ouvrages de retenue d'eau effectués par les époux [T] l'ont été en empiétant largement sur le chemin communal et que les ouvrages mis en 'uvre par M. [H] l'ont été sur la propriété de M. [V] ainsi que cela ressort du PV de bornage,
jusqu'à présent les appelants n'ont pas été gênés par la propriété du chemin à la commune pour y réaliser leurs divers ouvrages,
la commune accepte la réalisation de la solution 3 préconisée par l'expert,
la preuve de l'aggravation de la servitude d'écoulement des eaux est largement rapportée,
en revanche, les appelants échouent à établir la soit disant responsabilité de M. [V].
En dernier lieu le 4 octobre 2021, la commune de [Localité 9] conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation solidaire des appelants à lui payer une indemnité de procédure de 1.000€.
Elle explique que :
l'expert, dans son rapport très précis, démontre que les appelants ont canalisé les eaux sur le chemin en mettant en 'uvre des ouvrages de toutes sortes, modifiant ainsi le chemin naturel des eaux et créant des désordres sur les propriétés en aval,
l'expert a exclu la responsabilité de la commune,
elle n'a pas davantage commis de faute dans l'octroi du permis de construire à M. [V],
elle entend soutenir la solution n° 3.
La clôture de la procédure est intervenue le 21 mars 2023.
MOTIFS
La recevabilité de l'action des consorts [R]/[V] n'est plus discutée.
1/ sur les demandes des époux [R] et de M. [V]
Les consorts [R]/[V] reprochent aux consorts [T]/[H] une aggravation de la servitude d'écoulement des eaux.
Ils sollicitent la condamnation des appelants à mettre en 'uvre la solution 3 préconisée par l'expert ainsi que la suppression de tous les ouvrages érigés par eux à l'origine de l'aggravation de l'écoulement des eaux fluviales.
Aux termes de l'article 640 du code civil, les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué.
Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur.
Pour s'opposer aux demandes des intimés, les consorts [T]/[H] critiquent le rapport d'expertise, relèvent la faute de M. [V] dans les désordres qu'il dénonce et soulignent l'impossibilité de mise en 'uvre de la solution expertale n°3.
Le rapport de l'expert, exhaustif, précis et argumenté, ne souffre d'aucune critique. La cour relève, à cet égard, que les appelants se gardent bien de solliciter une contre-expertise.
L'expert expose qu'à l'origine trois talwegs collectaient les eaux pluviales des parcelles agricoles.
Il souligne que depuis plus de 25 ans, des bourrelets et divers aménagements ont été construits sur la rive gauche de la piste dans le sens de la pente, ce qui empêche les écoulements de suivre les talwegs naturels.
L'expert liste précisément, avec photographies à l'appui en pages 16,17, 18, 19, 23 et 24, les aménagements conséquents mis en 'uvre par les époux [T] ainsi que ceux réalisés par M. [H], à savoir: bourrelets de terre, en béton, clôture, tôles, mur de soutènement en agglomérés, bâches plastiques qui canalisent les eaux pluviales vers la piste aboutissant à la propriété [V] et poursuivant leur route vers le fonds [R].
Il exclut la responsabilité de M. [V] ou celle de la commune et relève que les sillons liés aux labours et à la circulation du tracteur sont sans conséquence sur l'écoulement des eaux.
Enfin, il préconise trois solutions dont la plus facile à mettre en 'uvre est la solution 3 consistant en la création d'un fossé en rive droite de la piste ZH [Cadastre 12].
Il résulte de ces éléments que les consorts [T]/[H] ont, sans contestation possible, modifié le fonctionnement hydraulique naturel, occasionnant un aggravation de la servitude d'écoulement des eaux au préjudice des consorts [R]/[V] dont les propriétés sont situées en contrebas de leurs fonds.
Le fait que la piste soit la propriété de la commune de [Localité 9] ne constitue aucune difficulté à la mise en 'uvre de la solution n° 3 qui est la plus efficace, dans la mesure où la dite commune accepte que les travaux y soient réalisés.
Par voie de conséquence, le jugement déféré doit être confirmé sur ces points.
En revanche, le montant de l'astreinte, fixé à 75€ par mois est insuffisant et doit être majoré à la somme de 100€ par jour de retard durant 6 mois.
Enfin, l'expert ne préconisant aucunement, pour remédier à l'aggravation de l'écoulement des eaux, la suppression des aménagements réalisés par les appelants, il convient de rejeter cette demande.
2/ sur les mesures accessoires
L'équité justifie de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice des intimés.
Enfin, les dépens de la procédure d'appel seront supportés in solidum par les époux [T] et M. [H].
Les mesures accessoires prononcées par le jugement déféré sont par ailleurs confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf sur le montant de l'astreinte,
Statuant à nouveau sur ce point,
Assortit la condamnation aux travaux selon la solution n° 3 de M. [D] [T], de Mme [B] [L] épouse [T] et de M. [Z] [H] d'une astreinte de 100€ par jour de retard passé le délai de 3 mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir et ce, pour une durée de 6 mois,
Y ajoutant,
Rejette la demande de M. [M] [V], de M. [X] [R] et de Mme [K] [C] épouse [R] en suppression sous astreinte des aménagements ayant contribué à l'aggravation de la servitude d'écoulement des eaux,
Condamne in solidum M. [D] [T], Mme [B] [L] épouse [T] et M. [Z] [H] à payer, de première part, à M. [M] [V] la somme de 1.500€, de seconde part, à M. [X] [R] et à Mme [K] [C] épouse [R], unis d'intérêts, la somme de 1.500€ et, enfin, à la commune de [Localité 9] la somme de 1.000€, soit 4.000€ au total, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes formées à ce titre,
Condamne in solidum M. [D] [T], Mme [B] [L] épouse [T] et M. [Z] [H] aux dépens de la procédure d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT