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06/06/2023 | FRANCE | N°21/01686

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 1ere chambre, 06 juin 2023, 21/01686


N° RG 21/01686 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K2HK

C2

N° Minute :













































































Copie exécutoire

délivrée le :







la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC



la SCP LACHAT MOURONVALLE



Me Anaïs BOURGIER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE GRENOBLE



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 06 JUIN 2023





Appel d'une décision (N° RG 16/01808)

rendue par le Tribunal judiciaire de GRENOBLE

en date du 11 février 2021

suivant déclaration d'appel du 13 avril 2021





APPELANTE :



Intimée dans le RG 21/1728



LA S.C.I. BOURG SAVOURET prise en la personne de son représe...

N° RG 21/01686 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K2HK

C2

N° Minute :

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

la SCP LACHAT MOURONVALLE

Me Anaïs BOURGIER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 06 JUIN 2023

Appel d'une décision (N° RG 16/01808)

rendue par le Tribunal judiciaire de GRENOBLE

en date du 11 février 2021

suivant déclaration d'appel du 13 avril 2021

APPELANTE :

Intimée dans le RG 21/1728

LA S.C.I. BOURG SAVOURET prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Yann GUITTET de la SELARL ISEE, avocat au barreau de LYON

INTIMEES :

Intimée dans les RG 21/1728 et 21/3695

Mme [G] [S]

née le 15 mai 1969 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Christophe LACHAT de la SCP LACHAT MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE

Intimée dans les RG 21/3695

S.A.S. STELLIUM IMMOBILIER prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Anaïs BOURGIER, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Bérénice DE PERTHUIS FALGUEROLLES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Catherine Clerc, président de chambre,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

Mme Véronique Lamoine, conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 avril 2023 Mme Blatry, conseiller chargé du rapport en présence de Mme Clerc, président de chambre, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.

*****

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

En 2005, la SCI Bourg Savouret (la SCI) a fait édifier sur la commune de Saint Marcellin (38) une résidence dénommée Domaine de Chambaran destinée à l'investissement locatif et placée sous le régime de la copropriété.

Suivant contrat du 2 mai 2005, la SCI a donné à la SAS Stellium Immobilier (la SAS), anciennement Omnium Finance, mandat de commercialisation.

Suite à un démarchage par la société Omnium Finance, Mme [G] [S], après un contrat de pré-réservation, puis de réservation, a acquis le 11 juillet 2006 dans un objectif de défiscalisation, le lot M 7 portant sur un pavillon de 3 pièces avec terrasse et garage moyennant le prix de 179.570€.

Mme [S] a loué ce bien, puis l'a revendu le 11 juillet 2019 pour un prix de 115.000€.

Estimant avoir été trompée sur la rentabilité de cet investissement au regard de la surévaluation du prix de vente, Mme [S] a, suivant exploits d'huissier des 12 février et 25 mars 2016, notamment fait citer la SCI et la SAS en nullité du contrat de vente et, à défaut, en perte de chance de ne pas contracter et en dommages-intérêts.

Par jugement du 11 février 2021 assorti de l'exécution provisoire rectifié le 8 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Grenoble a, notamment :

donné acte à Mme [S] de son désistement de sa demande en nullité pour dol de l'acte de vente,

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme [S],

déclaré Mme [S] recevable en son action,

condamné in solidum la SCI et la SAS à payer à Mme [S] la somme de 50.000€ au titre de la perte de chance de n'avoir pas contracté l'investissement litigieux, outre des dommages-intérêts de 5.000€ en réparation de son préjudice moral,

dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

ordonné la capitalisation des intérêts par année entière,

rejeté la demande de la SCI d'être relevée et garantie par la SAS,

dit que dans les rapports entre elles, la SCI et la SAS seront tenues respectivement à hauteur de 50% chacune

condamné in solidum la SCI et la SAS à payer à Mme [S] une indemnité de procédure de 2.000€ et à supporter les dépens de l'instance.

Suivant déclarations des 13 avril et 19 août 2021, la SCI Bourg Savouret a relevé appel de cette décision.

La SAS Stellium Immobilier a également interjeté appel le 16 avril 2021.

Par ordonnances des 4 mai et 21 septembre 2021, les procédures ont été jointes.

Au dernier état de ses écritures du 6 mars 2023, la SCI Bourg Savouret demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :

1) à titre principal, déclarer Mme [S] prescrite en son action,

2) subsidiairement, débouter Mme [S] de l'ensemble de ses prétentions,

3) plus subsidiairement :

rejeter toute demande de condamnation in solidum avec la SAS,

condamner la SAS à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre,

4) en tout état de cause :

débouter la SAS de l'ensemble de ses prétentions à son encontre,

condamner Mme [S] ou qui mieux le devra à lui payer une indemnité de procédure de 18.000€.

Elle fait valoir que :

sur la prescription de l'action de Mme [S]

Mme [S] l'a assignée plus de 10 ans après la signature de l'acte de vente,

il appartient à l'acquéreur de se renseigner sur la valeur du bien qu'il s'apprête à acquérir,

l'argument selon lequel Mme [S] aurait eu des doutes sur la valeur vénale du bien dès lors qu'elle avait du mal à trouver un autre locataire doit être écarté puisque la difficulté de trouver un preneur n'est pas directement en lien avec la valeur du bien,

la caractérisation de la perte de chance de ne pas conclure prend naissance à l'instant où Mme [S] ratifie l'acte de vente,

le raisonnement retenu par le tribunal fait dépendre le départ du délai de prescription de la seule volonté de Mme [S],

sur le caractère mal fondé des demandes de Mme [S]

Mme [S] ne démontre ni les fautes qui auraient été commises ni les préjudices allégués,

le devoir de conseil ne peut porter sur l'estimation de la valeur vénale du bien,

le vendeur dispose d'une liberté totale dans la fixation du prix des produits qu'il commercialise,

le tribunal s'est basé sur 3 attestations immobilières produites par Mme [S] issues de la même agence immobilière et non d'un expert immobilier,

elles ont été réalisées de façon non contradictoire,

les attestations ne tiennent pas compte des 12 années d'occupation et l'état de vétusté a totalement été ignoré par Mme [S],

la motivation du tribunal n'a pas pris en compte l'évolution du marché qui constitue un aléa non maîtrisable,

contrairement à ses allégations sur un rendement locatif inférieur à celui annoncé, le bien a été loué près de 10 ans à la même personne puis vendu alors qu'il était occupé, ce qui ne démontre pas de réelles difficultés de location,

le bien a été loué 650€ par mois lors du premier bail, puis 600€ alors que le loyer annoncé dans le contrat de réservation était de 630€ hors charges,

le bien a été loué sans discontinuité hormis une période de 4 mois,

dès lors, la rentabilité locative est tout à fait correcte,

Mme [S], qui prétend qu'elle n'a pas bénéficié d'un conseil suffisant sur le choix de l'investissement par rapport à sa situation patrimoniale, fournit une étude qui ne correspond pas à l'appartement litigieux,

il n'existe aucun lien de subordination entre elle et la SAS Stellium Immobilier, de sorte qu'elle ne saurait être tenue des manquements de celle-ci,

la demande en condamnation tant solidaire qu'in solidum doit être rejetée,

si elle ne saurait être relevée de ses prétendues fautes propres, il ne saurait en être de même pour les fautes propres de son mandataire.

Par conclusions récapitulatives du 11 juillet 2022, la SAS Stellium Immobilier sollicite de la cour l'infirmation du jugement déféré, de déclarer prescrite l'action de Mme [S], à défaut mal fondée, de la débouter de l'ensemble de ses prétentions, de rejeter les demandes de la SCI Bourg Savouret à son égard et de condamner Mme [S] in solidum avec toute autre partie perdante à lui payer une indemnité de procédure de 18.000€.

Elle expose que :

un manquement au titre du défaut d'information et de conseil n'aurait pu intervenir que durant sa mission, soit au plus tard lors de la signature du contrat préliminaire,

en aucun cas des manquements postérieurs au contrat querellé ne pourraient être qualifiés de manquements au devoir d'information et de conseil,

Mme [S] a été avertie du risque de revente déficitaire, ce qui est expressément mentionné dans le cadre du contrat de réservation,

l'éventuelle surestimation du prix s'apprécie nécessairement à la date de la vente,

Mme [S] avait toute latitude pour faire évaluer son bien à la date de sa construction comme dans les années qui ont suivi,

le point de départ du délai de prescription ne peut être laissé à la discrétion de celui qui l'invoque,

l'estimation du bien litigieux concluant à une valeur vénale inférieure au prix initialement payé ne suffit pas en elle-même à caractériser un prétendu manquement au devoir d'information et de conseil,

Mme [S] a pu louer son bien à un loyer supérieur à celui estimé et avec un seule vacance de 4 mois sur une période de 12 années et n'a rencontré aucune difficulté de rentabilité locative,

elle n'a commis aucune faute extracontractuelle,

elle a seulement conclu un mandat de commercialisation et n'est absolument pas conseil en gestion de patrimoine,

il est regrettable que Mme [S], qui se plaint de subir des préjudices qui résulterait essentiellement de l'étude financière établie par M. [K] [C], ne l'ai pas mis en cause,

ce mandataire commercial indépendant ne saurait être considéré comme son préposé,

il s'évince de l'ensemble de la plaquette de commercialisation qu'elle n'a pas valeur d'engagement contractuel s'agissant de documents publicitaires,

Mme [S] ne démontre pas de préjudice en lien de causalité avec les fautes alléguées,

les demandes récursoires de la SCI Bourg Savouret sont infondées.

Enfin, suivant conclusions récapitulatives du 19 mai 2022, Mme [S] demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf sur le quantum de son indemnisation qui sera portée à la somme de 210.925€, outre 12.000€ de dommages-intérêts et, y ajoutant, de condamner in solidum la SCI et la SAS à lui verser une indemnité de procédure de 10.000€.

Elle explique que :

sur la recevabilité de son action

elle ne s'est aperçue de la non-rentabilité de l'opération que lors de la première estimation du bien en octobre 2016,

aux termes de l'article 2224 du code civil, la victime est légitime en l'ignorance de son préjudice au jour de la conclusion du contrat,

le dommage ne se manifeste pas au jour de la conclusion du manquement au devoir d'information,

le dommage ne se réalise qu'au jour où le risque sur lequel elle devait être informée se réalise,

devant obligatoirement louer le bien 9 années, elle n'avait pas à se préoccuper de la rentabilité en capital à la revente sauf à renoncer à l'avantage fiscal,

elle ne pouvait donc découvrir le manque de rentabilité qu'à l'issue du dispositif de défiscalisation dit Robien,

sur les devoirs d'information et de conseil du conseiller de la SAS

la SAS était débitrice d'une obligation d'information sur les caractéristiques essentielles de l'opération proposée et notamment les perspectives de valorisation du bien au terme de la période de défiscalisation en terme de plus-value,

le devoir de conseil impose au professionnel de l'immobilier de placement de vérifier que l'opération proposée est adéquate ou opportune par rapport aux besoins et objectifs de son contractant et par rapport à ses connaissances et situation personnelle,

elle a revendu le bien avec une perte de 50%,

l'opération a été présentée comme ayant une prise de risque nulle et il a été volontairement passé sous silence tous les risques inhérents à l'opération malgré la faible demande locative dans le secteur,

la valeur du bien a été surestimée,

il n'y a eu aucune approche objective et professionnelle des perspectives de valorisation du bien,

l'argumentaire selon lequel il lui appartenait de se renseigner sur le prix du produit est particulière choquante et reviendrait à vider de sa substance l'obligation d'information,

sur la responsabilité de la SCI

la SCI était tenue de présenter l'opération de manière loyale et de souligner également les facteurs défavorables et les risques encourus,

la SCI est également responsable des démarcheurs même indépendants qui agissent pour son compte,

elle subit un préjudice financier du fait de sa perte de chance de ne pas contracter,

elle a exposé 140.354,41€ de divers frais devant être pris en compte au titre de sa perte de chance,

elle subit également un préjudice du fait de la valeur du bien ainsi qu'un préjudice moral.

La clôture de la procédure est intervenue le 21 mars 2023.

MOTIFS

1/ sur la recevabilité de l'action de Mme [S]

Mme [S] reproche à la SCI et à la SAS un manque de rentabilité de l'opération de défiscalisation qu'elle a conclue au motif de la surévaluation du prix de vente et allègue à leur encontre un défaut d'information et de conseil.

L'action en responsabilité de Mme [S] à l'encontre de la SCI et de la SAS se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun de l'article 2224 du code civil.

Aux termes de ces dispositions, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire de ce droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer.

L'obligation d'information et de conseil ne porte pas sur les faits qui sont de connaissance commune pour des personnes d'intelligence normale.

Il est de connaissance commune que la fixation du prix de vente tient compte de l'offre et de la demande, est soumise à l'aléa du marché et que le prix de revente d'un bien immobilier, même s'il est le support d'une opération de défiscalisation, ne peut être garanti.

Dès lors, il appartenait à Mme [S] d'exercer son discernement concernant le prix de vente de l'immeuble qu'elle a acquis, dont elle pouvait, durant la période précédant la vente, vérifier l'adéquation avec le marché immobilier.

Ainsi, le point de départ du délai de prescription ne peut être laissé à la discrétion de celui qui l'invoque et le raisonnement retenu par le tribunal fait dépendre le départ du délai de prescription de la seule volonté de Mme [S].

Par voie de conséquence, le point de départ du délai de prescription quinquennal étant fixé à la date de la réitération de la vente le 11 juillet 2006, Mme [S], qui a poursuivi la SCI et la SAS les 12 février et 25 mars 2016, est largement prescrite en son action en responsabilité.

Dès lors, le jugement déféré sera réformé et Mme [S] sera déclarée irrecevable en son action.

2/ sur les mesures accessoires

L'équité justifie de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de la SCI et de la SAS.

Enfin, les entiers dépens de la procédure seront supportés par Mme [S] avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Déclare l'action de Mme [G] [S] irrecevable comme prescrite,

Condamne Mme [G] [S] à payer à la SCI Bourg Savouret et à la SAS Stellium Immobilier, chacune, la somme de 1.500€, soit 3.000€ au total, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [G] [S] aux dépens de la procédure tant de première instance qu'en cause d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 21/01686
Date de la décision : 06/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-06;21.01686 ?
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