N° RG 22/03466 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LQWY
C3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL GABARRA GUIEU PRUD'HOMME - AVOCATS
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 04 AVRIL 2023
Appel d'une décision (N° RG 2022/110)
rendue par le Juge de l'exécution de VALENCE
en date du 06 septembre 2022
suivant déclaration d'appel du 21 septembre 2022
APPELANT :
M. [B] [Y]
né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Valérie GABARRA de la SELARL GABARRA GUIEU PRUD'HOMME - AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
LE CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD) venant aux droits du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), ensuite de la réalisation définitive de la fusion au 1er juin 2015 par voie d'absorption de la société CIFRAA, laquelle société venait elle-même aux droits de CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE AIN (CIFFRA) suite à fusion par absorption selon procès-verbal d'AGE et d'AGO en date du 24 décembre 2007.
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 février 2023, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [B] [Y] et son épouse Mme [E] [Y], ont souscrit auprès du Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne aux droits de laquelle est venu le Crédit Immobilier de France Développement (ci-après désigné «'la Banque'») deux prêts immobiliers pour financer l'acquisition en l'état futur d'achèvement de deux biens immobiliers dans le cadre de l'opération de défiscalisation développée par la société Apollonia (acquisition de biens immobiliers à visée locative permettant de bénéficier du régime fiscal des loueurs en meublé non professionnels), à savoir,
le 12 décembre 2006, un prêt n°104147 de 799.556€,
le 6 février 2007, un prêt n°110306 de 279.683€.
Une instruction pénale a été ouverte ultérieurement du chef notamment d'escroqueries à l'encontre de la société Apollonia et des autres intervenants à l'opération de défiscalisation (notaires, banques ') par plusieurs investisseurs au nombre desquels M. et Mme [Y]. Une action en responsabilité civile a été également initiée par ces derniers le 27 novembre 2009 à l'égard des mêmes parties devant le tribunal de grande instance de Marseille.
Le remboursement de ces deux prêts n'étant pas honoré, la déchéance du terme a été prononcée et la Banque, suivant acte extrajudiciaire du 22 juin 2012, a assigné en paiement les emprunteurs devant le tribunal de grande instance de Grenoble.
Mme [Y] est décédée en [Date décès 6] 2012.
Par jugement du 13 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Grenoble a':
rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir et de prescription de l'action,
déclaré recevable l'action de la Banque,
débouté M. [Y] de ses demandes de sursis à statuer, de déchéance du droit aux intérêts au taux conventionnel et de ses demandes accessoires,
condamné M. [Y] à payer à la Banque'les sommes suivantes':
au titre du prêt n°104147 = 792.726,71€, outre intérêts au taux contractuel de 4,70'% E12 M+2,30'% l'an à compter du 22 avril 2010, date de la déchéance du terme,
au titre du prêt n°110306 = 282.780,59€, outre au taux contractuel de 4,70'% E12 M+2,30'% l'an à compter du 22 avril 2010, date de la déchéance du terme,
condamné M. [Y] à payer à la Banque la somme de 1.500€ au titre des clauses pénales pour chacun des deux prêts litigieux, outre intérêts au taux légal à compter du jugement,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
dit qu'il appartient au tribunal de grande instance de Marseille, saisie en premier lieu, de connaître de l'action en responsabilité dirigée par M.[Y] à l'encontre de la Banque.
Par arrêt du 29 octobre 2019, la cour d'appel de céans a 'infirmé ce jugement en ses seules dispositions relatives au montant la créance de la Banque et au rejet de la demande reconventionnelle de M. [Y] et statuant à nouveau de ces seuls chefs a':
condamné M. [Y] à payer à la Banque les sommes suivantes':
au titre du prêt n°104147 = 806.856,97€, outre intérêts au taux contractuel de 4,70'%à compter du 23 avril 2010,
au titre du prêt n°110306 = 282.834,36€, outre au taux contractuel de 4,70'% à compter du 23 avril 2010,
ordonné la capitalisation des intérêts,
condamné la Banque à payer à M.[Y] la somme de 500.000€ à titre de dommages et intérêts,
ordonné la compensation,
dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
dit que chacune des parties conserverait ses dépens
Cet arrêt a été signifié le 27 mars 2020.
Par arrêt du 25 mai 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la Banque à l'encontre de cet arrêt d'appel.
Poursuivant l'exécution forcée de sa créance, la Banque a initié une procédure de saisie des rémunérations'selon requête du 10 octobre 2021 adressée au juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Valence aux fins de voir convoquer en audience de conciliation M. [Y] pour avoir paiement de la somme totale de 1.313.153,23€.
Les parties, convoquées à l'audience de conciliation du 15 mars 2022, ont sollicité tour à tour le renvoi de l'affaire qui a été retenue à l'audience du 21 juin 2022.
Par jugement contradictoire du 6 septembre 2022, le juge de l'exécution précité a':
rejeté la demande de sursis à statuer de M.[Y],
déclaré la requête en saisie des rémunérations présentée par la Banque recevable,
débouté M. [Y] de ses demandes de nullité de la requête,
ordonné au profit de la Banque la saisie des rémunérations de M. [Y] dans les termes de la requête,
rappelé qu'en application de l'article R.3252-21 alinéa 2 du code du travail, «'si l'audience de conciliation a donné lieu à un jugement, le greffier procéde à la saisie dans les huit jours suivant la notification du jugement s'il est exécutoire et, à défaut, suivant l'expiration des délais de recours contre ce jugement'»,
rappelé que le jugement doit être signifié par acte d'huissier à l'initiative de la partie intéressée qui devra adresser anesuite au greffe une copie de l'acte de signification de la décision, accompagnée le cas échéant d'un certifcat de non appel,
réduit le taux d'intérêt contractuel au taux légal minoré à compter du prononcé du jugement et durant la période où la saisie sera effective, et dit que les sommes retenues dans le cadre de la saisie s'imputeront d'abord sur le capital,
dit que la Banque devra effectuer une intervention pour les intérêts et le surplus des dépens,
rejeté toutes les autres demandes,
ordonné l'exécution provisoire du jugement,
débouté les parties de leur demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [Y] aux entiers dépens.
Par déclaration déposée le 21 septembre 2022, M. [Y] a relevé appel.
Dans ses uniques conclusions déposées le 18 novembre 2022 sur le fondement des articles 73 et 328 du code de procédure civile, L .212-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, L.3252 et suivants, R. 3252 et suivants du code du travail, M.[Y] demande que la cour, le jugeant recevable en ses demandes, fins et conclusions, infirme partiellement le jugement déféré, et statuant à nouveau':
« - ordonne un sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive à intervenir devant les juridictions civiles et pénales marseillaises,
à titre principal,
juge que le taux d'intérêt applicable à la dette sera le taux légal minoré et confirmer en cela la décision des premiers juges.
juge que les règlement s'imputeront prioritairement sur le capital, et confirmer en cela encore la décision déférée,
condamne la Banque au paiement d'une somme de 2.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
la condamne également aux entiers dépens de l'instance.'»
Il soutient en substance que':
sa demande de sursis à statuer est recevable comme ne se heurtant pas à l'autorité de la chose jugée dès lors qu'est intervenu un élément nouveau depuis la décision de 2019, à savoir l'ordonnance de renvoi du magistrat instructeur du 25 mai 2022'; le sursis à statuer sollicité, qui est facultatif comme relevant des articles 3 du code de procédure civile et 4 alinéa 3 du code de procédure pénale applicables y compris devant le juge de l'exécution, est nécessaire dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice qui n'exige pas un lien entre deux procédures, même avec une procédure pénale mais qui est dictée par le droit à un procès équitable (article 6 CEDH) afin d'éviter la remise en cause de l'autorité de la chose jugée de la décision à intervenir (la décision pénale à rendre au fond portant sur le process de formation des prêts qui se trouve au coeur de l'escroquerie poursuivie) et de préserver l'égalité des parties devant la justice comme imposée par l'article 6 de la CEDH (alors qu'il est endetté par l'escroquerie et ne peut plus rembourser ses prêts, il est poursuivi en paiement alors que les notaires instrumentaires des prêts ne seront pas condamnés avant plusieurs dizaines d'années) '; ce sursis n'est pas de nature à mettre en péril l'activité de la Banque, alors même l'audience pénale est prévue le 8 septembre 2023,
le taux d'intérêt légal minoré doit être confirmé car sa situation financière ne lui permettra pas de combler la créance qui lui est réclamée, les paiements qu'il pourra effectuer étant inférieurs au coût des intérêts,
la saisie de ses rémunérations ne pourra pas être supérieure aux montant fixés par décret, soit un total maximal de 25.952,50€, et il devra être tenu compte qu'il fait déjà l'objet d'une autre saisie des rémunérations en exécution d'un arrêt tendu le 3 mai 2022.
Dans ses uniques conclusions déposées le 16 décembre 2022 sur le fondement des articles L.3252-1 à L.3252-13, R. 3252-1 à R.3252-13 du code du travail, 1315, 1343-5 du code civil, la Banque sollicite que la cour':
confirme le jugement déféré en ce qu'il :
l'a déclarée recevable et bien fondée en ses demandes,
a débouté M. [Y] de sa demande de sursis à statuer,
l'a autorisée à saisir les rémunérations de M.[Y] pour la somme de 1.313.153,23€ en principal, frais et intérêts arrêtés au 1er octobre 2021,
infirme le jugement déféré en ce qu'il a réduit le taux d'intérêt au taux légal et dit que les réglements s'imputeront en priorité sur le capital,
en tout état de cause,
déboute M. [Y] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formées à son encontre,
condamne M. [Y] à lui verser la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La Banque réplique en substance que':
la demande de sursis à statuer est irrecevable d'une part en tant que contredisant son droit fondamental d'obtenir l'exécution d'une décision ayant force de chose jugée, d'autre part en tant qu'excédant les pouvoirs du juge de l'exécution définis à l'article R.121-1 du code des procédures civiles d'exécution'; elle est également mal fondée dès lors que l'issue des procédures civiles et pénales en cours devant les judiridictions marseillaises ne sont pas de nature à influer sur la décision à intervenir relative à la contestation de la saisie litigieuse et qu'il n'est pas de l'intérêt de M. [Y] de repousser encore l'exécution de la condamnation qui est assortie d'intérêts,
la saisie a été validée et est non discutée en tant que telle en appel,
M. [Y] ne justifiant pas de sa situation économique, rien ne justifie que le taux d'intérêt soit réduit ni que les sommes saisies soient imputées sur le principal, et ce d'autant qu'il ne peut pas prétendre obtenir à la fois cette réduction d'intérêt et cette imputation des paiements, ces deux mesures n'étant pas cumulatives ainsi qu'en atteste la rédaction de l'article L.3252-13 du code du travail.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2023.
MOTIFS
La cour n'est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendent inopérantes et qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Sur la demande de sursis à statuer
Cette demande doit être jugée objectivement recevable dès lors que depuis la dernière décision ayant statué sur ce sursis à statuer (arrêt du 29 octobre 2019) est intervenu un fait nouveau, à savoir l'ordonnance de règlement du 25 mai 2022 du magistrat instructeur.
Le sursis à statuer réclamé en l'espèce relève certes du pouvoir discrétionnaire conféré au juge en vue d'une bonne administration de la justice ainsi que le précise M. [Y] par référence aux articles 4 alinéa 3 du code de procédure pénale et 3 du code de procédure civile.
Pour autant, accueillir cette demande de sursis à statuer présentée devant le juge de l'exécution reviendrait à contourner l'interdiction faite à cette juridiction par l'article R.121-1 alinéa 3 du code des procédures civiles d'exécution de suspendre l'exécution d'un titre exécutoire qui sert de fondement aux poursuites, hormis les cas prévus par la loi pour l'octroi d'un délai de grâce.
En effet, surseoir à statuer sur la demande de saisie des rémunérations de la Banque dans l'attente d'une décision définitive à intervenir devant les juridictions civiles et pénales marseillaises conduit à suspendre l'exécution de l'arrêt d'appel du 29 octobre 2019 qui a force de chose jugée et qui sert de fondement aux poursuites de la Banque.
Dés lors, sans plus ample discussion le jugement querellé est confirmé, par substitution de motifs, sur le rejet de la demande de sursis à statuer de M. [Y], la cour, statuant sur l'appel d'une décision du juge de l'exécution ne disposant pas plus de pouvoirs que celui-ci pour accorder ce sursis.
Sur la saisie des rémunérations
De fait, la saisie des rémunérations prononcée par le premier juge n'est pas critiquée en tant que telle en appel, M. [Y] ne remettant pas en discussion la régularité de cette mesure'et la cour n'est pas saisie des moyens développés au sujet de la quotité saisissable de ses revenus en l'absence de prétention formulée de ce chef dans le dispositif de ses écritures d'appel.
Ne sont discutés dans le cadre de l'appel incident de la Banque, que le taux d'intérêt applicable à la créance et le mode d'imputation des sommes saisies.
Selon l'article L.3252-13 du code du travail «'Le juge peut décider, à la demande du débiteur ou du créancier et en considération de la quotité saisissable de la rémunération, du montant de la créance et du taux des intérêts dus, que la créance cause de la saisie produira intérêt à un taux réduit à compter de l'autorisation de saisie ou que les sommes retenues sur la rémunération s'imputeront d'abord sur le capital.
Les majorations de retard prévues par l'article 3 de la loi n°75-619 du 11 juillet 1975 relative au taux de l'intérêt légal cessent de s'appliquer aux sommes retenues à compter du jour de leur prélèvement sur la rémunération.'»
Le jugement déféré encourt d'ores et déjà l'infirmation en ce qu'il a accordé le bénéfice à M.[Y] des deux mesures prévues par ce texte, à savoir la réduction des intérêts et l'imputation des paiements sur le capital, alors que ces mesures ne sont pas cumulables entre elles («'.. ou que ...'»).
Eu égard au montant du taux d'intérêt contractuel (4,70%) rapporté au quantum de la créance et à la quotité saisissable de la rémunération de M'. [Y] qui est constituée d'une pension de retraite, il est justifié de réduire uniquement le taux d'intérêt contractuel au taux légal minoré en confirmant le jugement déféré de ce chef, mais en l'infirmant en ce qu'il a également prévu que les sommes retenues dans le cadre de la saisie s'imputeraient d'abord sur le capital.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant dans leurs prétentions d'appel respectives, les parties sont condamnées à conserver la charge de leurs dépens et frais personnels exposés devant la cour'; les dispositions du jugement querellé relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré par substitution de motifs, sauf en ses dispositions relatives à l'imputation des sommes saisies,
Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,
Déboute M. [B] [Y] de sa demande tendant à voir imputer par priorité sur le capital de la créance les sommes retenues dans le cadre de la saisie des rémunérations,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens personnels d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT