N° RG 21/01393 - N° Portalis DBVM-V-B7F-KZOK
C3
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SCP TGA-AVOCATS
Me Karine GHIGONETTO
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 04 AVRIL 2023
Appel d'une décision (N° RG 18/01065)
rendue par le Tribunal judiciaire de GAP
en date du 08 mars 2021
suivant déclaration d'appel du 22 mars 2021
APPELANTE :
LA COMMUNE [Localité 11] agissant poursuites et diligences de son Maire en exercice
[Adresse 8]
[Localité 11]
représentée et plaidant par Me François DESSINGES de la SCP TGA-AVOCATS, avocat au barreau de HAUTES-ALPES
INTIMES :
M. [M] [G]
né le 10 juin 1958 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 11]
Mme [H] [L] épouse [G]
née le 04 octobre 1963 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 11]
représentés par Me Karine GHIGONETTO, avocat au barreau de HAUTES-ALPES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 février 2023, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de Mme Blatry, conseiller, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte notarié du 13 décembre 2010, M.[M] [G] et Mme [H] [L] épouse [G] ont acquis auprès de M. [V] [O] une parcelle de terrain cadastrée ZH [Cadastre 4] située lieudit [Adresse 9], sur laquelle se trouve des arbres fruitiers et est édifiée une construction constituant leur habitation.
Le conseil municipal de la commune de [Localité 11] (ci-après désignée «'la Commune'»), par délibération du 6 mars 2014, a autorisé le maire à appréhender la parcelle ZH [Cadastre 10] selon la procédure d'appropriation des biens vacants et sans maître prévue à l'article L.1123-3 du code général de la propriété des personnes publiques, au motif que M. [W] propriétaire de cette parcelle était décédé depuis 1978, que le bien n'avait pas de propriétaire connu et que les contributions foncières n'avaient pas été acquittées depuis plus de 3 ans.
Le 8 juin 2016, Me [Z], notaire à [Localité 6] a dressé un acte de notoriété prescriptive au profit de M. et Mme [G] portant sur la parcelle ZH [Cadastre 10] en relevant que':
«'depuis plus de trente ans, tout d'abord M. et Mme [O] [X] ensuite leur fils, M. [O] [V] et ensuite M. et Mme [G] ont occupé ledit immeuble sans interruption, dans les conditions où il devait l'être d'après sa nature, que cette possession a eu lieu à titre de propriétaire, de façon continue , paisible et non équivoque, que la parcelle ci-dessus désignée a été inscrite à la matrice cadastrale de la commune de [Localité 11] au nom de M. [W] [Y], que par suite toutes les conditions exigées par l'article 2261 du code civil pour acquérir la propriété par la prescription trentenaire sont réunies au profit de M. et Mme [G], sus-nommés, qui doivent être considérés comme seuls propriétaires de l'immeuble ci-dessus désigné'».
Cet acte a été publié à la publicité foncière le 8 juillet 2016'.
Ayant découvert l'existence de cet acte notarié, dont il résultait que la parcelle ZH [Cadastre 10] avait des propriétaires connus en la personne de M. et Mme [G], la Commune, afin que puisse être pris l'arrêté constatant que cette parcelle répondait aux conditions de l'article L.1123-1 alinéa 2 du code général de la propriété des personnes publiques, a assigné ces derniers devant le tribunal de grande instance de Grenoble par acte extrajudiciaire du 13 novembre 2018, pour voir prononcer l'annulation de cet acte de notoriété et revendiquer cette parcelle sur le fondement des articles 713 et 2261 du code civil.
Par jugement contradictoire du 8 mars 2021, le tribunal précité devenu tribunal judiciaire, a':
rejeté la fin de non-recevoir [tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la Commune] soulevée par M. et Mme [G],
déclaré la Commune recevable en ses demandes,
dit n'y avoir lieu à se déclarer incompétent pour connaître de la régularité de la délibération du conseil municipal de la Commune du 6 mars 2014,
débouté la Commune de sa demande d'annulation de l'acte de notoriété du 8 juin 2016,
débouté la Commune de sa demande de la déclarer propriétaire du terrain ZH [Cadastre 10] sur le fondement de l'article 713 du code civil,
condamné la Commune à verser à M. et Mme [G] une indemnité de 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la Commune aux dépens,
ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration déposée le 22 mars 2021, la Commune a relevé appel.
Dans ses dernières conclusions n°2 déposées le 17 décembre 2021 sur le fondement des articles 713, 2261 et suivants du code civil, la Commune demande à la cour de':
confirmer le jugement déféré en qu'il a déclaré recevables ses demandes,
l'infirmer pour le surplus et en conséquence,
juger que l'acte de notoriété du 8 juin 2016 ne permet pas de prouver des actes matériels caractérisant une possession d'une durée de trente ans de M. et Mme [G] publique, paisible, non équivoque, et à titre de propriétaire, et par voie de conséquence l'annuler,
juger qu'en application de l'article 713 du Code civil, elle est le véritable propriétaire de la parcelle cadastrée ZH [Cadastre 10],
sur l'appel incident de M. et Mme [G],
constater qu'ils n'ont pas saisi la cour d'une demande tendant à infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevables ses demandes,
juger que la cour ne peut dès lors que confirmer le jugement de première instance s'agissant de la recevabilité de ses demandes
subsidiairement,
juger ses demandes recevables
lui donner acte qu'elle justifiera de la publication de son assignation et de ses conclusions d'appelant avant la clôture des débats,
en conséquence, déclarer recevable ses demandes et débouter M. et Mme [G] de leur appel incident,
en tout état de cause,
condamner M. et Mme [G] à lui payer la somme de 3.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions n°2 déposées le 19 août 2022 sur le fondement des articles 1353 du code civil, L.1123-3 du code général de la propriété des personnes publiques, 28 et 30 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, M. et Mme [G] sollicitent que la cour':
juge qu'ils rapportent la preuve de possession continue, paisible, publique et non équivoque sur la parcelle cadastrée section ZH [Cadastre 10] située sur la Commune,
dise que la validité de l'acte de notoriété usucapionnaire du 8 juin 2016 est parfaite,
et de surcroît, constater que la procédure menée par la Commune au sujet de la parcelle ZH [Cadastre 10] est viciée, et de surcroît irrecevable faute de publication de la procédure engagée,
en conséquence,
rejeter les demandes de la Commune comme infondées,
à titre subsidiaire si par extraordinaire, la juridiction considérait que la preuve des critères fixés par la loi n'était pas rapportée,
constater que la procédure menée par la Commune au sujet de la parcelle cadastrée ZH [Cadastre 10] est viciée,
en conséquence, rejeter les demandes de la Commune comme infondées,
en tout état de cause,
condamne la Commune à leur payer la somme de 3.500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la condamnation de première instance et donc au total de 5.500€,
condamne la Commune aux entiers dépens distraits au profit de Me Karine Ghigonetto sur son affirmation de droit.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 janvier 2023.
MOTIFS
Sur l'appel incident
Il y a lieu d'examiner en premier lieu cet appel incident dans la mesure où les intimés soutiennent l'irrecevabilité des demandes de la Commune au motif de la non publication de son assignation au service de la publicité foncière en violation des dispositions du décret n°55-22 du 4 janvier 1955.
C'est à bon droit que la Commune oppose que M. et Mme [G] n'ayant pas saisi la cour d'une demande d'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable ses demandes, ce jugement ne peut qu'être confirmé sur ce point.
En effet, conformément à l'état du droit applicable depuis le 17'septembre 2020 (applicable à l'appel incident de M. et Mme [G] qui est postérieur à cette date), il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour ne peut que confirmer le jugement, étant rappelé que l'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet'; ainsi les conclusions de l'appelant principal ou incident doivent déterminer l'objet du litige porté devant la cour, l'étendue des prétentions dont est saisie la cour étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile, de sorte que le respect de la diligence impartie par l'article 909 s'apprécie en considération des prescriptions de cet article 954.
Ainsi, les conclusions de M. et Mme [G] ne comportant aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement attaqué sur la recevabilité des demandes de la Commune ne constitue pas un appel incident valable.
Dès lors, ils ne peuvent pas être accueillis dans leurs demandes touchant à la recevabilité des prétentions de la Commune et pas davantage celles soutenant que la procédure menée par celle-ci est viciée.
Sur la demande d'annulation de l'acte notarié de notoriété du 8 juin 2016
Selon l'article 2261 du code civil, pour prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire. En application de l'article 2256 du code civil, on est toujours présumé posséder pour soi et à titre de propriétaire, le tout sauf la preuve contraire. En application de l'article 2264 du code civil, le possesseur actuel qui prouve avoir possédé anciennement est présumé avoir possédé dans le temps intermédiaire.
Si l'existence d'un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, il appartient au juge d'en apprécier la valeur probante quant à l'existence d'actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée'; un tel acte notarié n'a pas de force probante supérieure mais constitue une présomption de fait qui doit s'apprécier au regard des autres présomptions de fait, c'est à dire les présomptions apparaissant établir avec le plus de certitude l'existence du droit de propriété compte tenu des circonstances, qu'il s'agisse d'actes matériels de possession ou des témoignages attestant d'une intention de se comporter en propriétaire pendant plus de trente ans.
Cet acte notarié s'analyse donc en un élément de preuve demandant à être confirmé, la possession n'étant démontrée que par sa conjonction avec des actes matériels de possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant trente ans.
Or, en l'espèce, une fois écartés comme non pertinents les moyens opposés par la Commune pour contester toute possession acquisitive de la parcelle ZH [Cadastre 10] par M. et Mme [G], à savoir'notamment :
le fait que leur auteur, M. [O], ne leur a pas vendu cette parcelle avec la parcelle ZH [Cadastre 4] , ce qui démontre que celui-ci ne se comportait pas en propriétaire de la parcelle en litige et n'a donc pas pu prescrire par usucapion'; or, cette vente ne pouvait pas juridiquement intervenir dès lors que M. [O] n'était pas titulaire d'un titre de propriété';
le fait que dans leur procédure de recours en annulation d'un permis de construire délivré par le maire, il se sont présentés uniquement comme propriétaires de la parcelle ZH n°[Cadastre 2] et non de la parcelle ZH [Cadastre 10]'; or, le permis de construire ne concernait que la parcelle ZH n°[Cadastre 2]';
le fait que la possession de M. et Mme [G] n'est pas publique dès lors qu'ils ne payaient pas les contributions foncières de nature fiscale'; or, ces taxes ne sont dues qu'à compter de la publication de l'acte notarié du 8 juin 2016';
le fait que leur possession est équivoque car elle a réalisé en 2015 des actes matériels de possession sur la parcelle litigieuse (travaux de réseaux et de voirie), ils n'ont pas clôturé la parcelle côté voie publique'et ne démontrent pas y avoir autorisé l'implantation d'un transformateur électrique par Enedis ; or, M. et Mme [G] objectent opportunément que ces travaux n'ont que très peu impacté les lieux qui se situent sur un emplacement réservé inscrit au PLU, et ont amélioré les réseaux et la voie publique qui jouxtent leurs parcelles, de sorte qu'ils n'avaient pas d'intérêt à s'y opposer, la cour relevant en outre qu'ils n'avaient pas encore signé l'acte notarié du 8 juin 2016'; s'agissant de l'absence de clôture côté voie publique, un tel ouvrage ne s'imposait pas la clôture côté Est étant destinée à empêcher l'accès au verger de la parcelle ZH [Cadastre 10] des troupeaux paissant dans la parcelle contigüe'; s'agissant du transformateur électrique, ils arguent du fait que Enedis s'est passée de toute autorisation,
la cour ne peut que relever l'indigence des éléments de preuve rapportés par les intimés à l'effet de caractériser une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de trente ans.
En effet,
les attestations de MM. [R] et [F] font référence à des événements datant seulement de 2010 et 2013': utilisation avec les enfants de M. et Mme [G] de la parcelle ZH [Cadastre 10] à des fins festives'(réunions de mariage, d'anniversaire, de cousinades, activités sportives) et participation à l'entretien annuel de la parcelle (tonte, entretien du verger)';
les avis de sommes à payer au titre du droit d'arrosage de la parcelle ZH [Cadastre 10] (et de la parcelle ZH [Cadastre 4]) adressés à M. [O], puis à M. [G] (en 2018) tels que versés au débat concernent uniquement les années 2010, 2011, 2012, 2013 et 2018';
aucune valeur probante ne peut être accordée aux photographies communiquées par les intimés, qui n'ont pas date certaine';
le courrier daté du 20 janvier 2022 de l'entreprise de travaux électriques et canalisations (ETEC) adressé à M. et Mme [G] pour solliciter leur accord afin de réaliser une étude d'enfouissement de réseaux électriques est indifférent à la solution du litige en ce qu'il ne concerne pas la parcelle ZH [Cadastre 10] mais une autre parcelle appartenant aux époux, à savoir la parcelle ZH [Cadastre 3] dont il est établi par les plans versés au débat qu'elle ne correspond pas à la parcelle litigieuse';
aucun élément de preuve n'est communiqué concernant des actes matériels de possession de leur auteur, M. [O], étant rappelé que la photographie dont ils affirment qu'elle le représente, mettant en scène un homme sur une tondeuse autoportée au milieu d'arbres n'a pas date certaine.
La circonstance que les parcelles ZH [Cadastre 10] et ZHn°[Cadastre 4] comportent un mur de clôture continu, passant à cheval sur leur limite séparative côté Estce qui attesterait de'«'l'unicité des terrains'» n'est pas pertinent quant à la démonstration d'une possession trentenaire, aucun document attestant de la date d'édification de cet ouvrage que M. et Mme [G] attribue à leur auteur, sans offre de preuve.
En définitive, sans plus ample discussion, il résulte de ces considérations et constatations que les faits matériels de possession dont excipent M. Mme [G] sont insuffisants à caractériser l'existence d'une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de trente ans ayant entraîné l'acquisition par usucapion la parcelle ZH [Cadastre 10]'; en conséquence, l'acte notarié du 8 juin 2016 est annulé, et la Commune accueillie dans sa demande fondée sur l'article 713 du code civil.
Sur les mesures accessoires
Parties succombantes, M. et Mme [G] sont condamnés aux dépens de première instance et d'appel et doivent conserver la charge de leurs frais de procédure. Ils sont dispensés en équité de verser une indemnité de procédure à la Commune y compris en appel', les dispositions du jugement entrepris du chef des dépens et des frais irrépétibles étant infirmées en conséquence.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en ses dispositions déboutant la commune de [Localité 11] de sa demande en annulation de l'acte de notoriété du 8 juin 2016 et de sa demande fondée sur l'article 713 du code civil, et en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles,
Disant l'appel incident de M.[M] [G] et Mme [H] [L] irrégulier à défaut de demande d'infirmation du jugement querellé,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,
Annule l'acte de notoriété du 8 juin 2016 reconnaissant à M.[M] [G] et Mme [H] [L] épouse [G] la prescription acquisitive trentenaire du terrain cadastré section ZH [Cadastre 10] lieudit [Adresse 9],
Dit la commune de [Localité 11] fondée en sa demande présentée au titre de l'article 713 du code civil à l'égard de la parcelle cadastrée section ZH [Cadastre 10] lieudit [Adresse 9],
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties, y compris en appel,
Condamne M.[M] [G] et Mme [H] [L] épouse [G] aux dépens de première instance et d'appel,
Confirme pour le surplus le jugement déféré.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT