N° RG 21/00842 - N° Portalis DBVM-V-B7F-KYCK
C3
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELAS FOLLET RIVOIRE
la SELARL AABM
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 14 MARS 2023
Appel d'une décision (N° RG 1118000175)
rendue par le Tribunal d'Instance de GRENOBLE
en date du 28 janvier 2021
suivant déclaration d'appel du 15 février 2021
APPELANTE :
Mme [T] [E]
née le 14 juillet 1955 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Eric RIVOIRE de la SELAS FOLLET RIVOIRE, avocat au barreau de VALENCE
INTIME :
M. [S] [V]
né en 1953 de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Arnault MONNIER de la SELARL AABM, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, présidente,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 30 janvier 2023 madame Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de madame Blatry, conseiller, assistées de Anne Burel, greffier, en présence de Catherine Silvan, greffier stagiaire, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [T] [E] M. [S] [V] qui se sont rencontrés en 1976, ont vécu ensemble et ont eu quatre enfants.
Selon acte notarié du 17 mai 1991, Mme [E] a acquis de M. [V] la moitié indivise en pleine propriété d'une maison d'habitation sise [Adresse 4] (38), l'autre moitié indivise lui appartenant déjà depuis 1983.
Il était prévu dans l'acte de vente au chapitre «'propriété-jouissance'» que Mme [E] acquérait la propriété immédiate et la jouissance immédiate du bien, «'à l'exception du bureau, d'une chambre et du garage sur lesquels M. [V] se réserve sa vie durant un droit d'usage et d'habitation, ainsi que le droit d'utiliser la cuisine, les WC, la salle de bains et une partie du jardin. Étant précisé que ce droit est incessible, que M. [V] ne peut pas louer et que son départ de la maison éteindra ce droit'».
Le 13 mars 2005, M. [V] s'est marié en Guinée-République et a eu quatre enfants de cette union.
En 2012, Mme [E] a quitté la maison de [Localité 5] et a mis en demeure M. [V] suivant courrier recommandé avec AR du 12 juin 2014 de lui remettre les clés de la maison'; par ordonnance sur requête du 17 décembre 2015, le président du tribunal d'instance de Grenoble a autorisé un huissier de justice à se rendre dans ladite maison, hormis le bureau, la chambre et le garage occupés par M. [V], pour y faire toutes constatations utiles.
L'huissier instrumentaire a établi son procès-verbal de constat le 10 février 2016.
Suivant acte extrajudiciaire du 30 juillet 2018, Mme [E] a assigné M. [V] devant le tribunal d'instance de Grenoble pour voir prononcer, sur le fondement de l'abus de jouissance, l'extinction du droit d'usage et d'habitation et subsidiairement, voir convertir ledit droit en capital ou rente viagère, outre l'expulsion de M. [V] et des occupants de son chef, sans préjudice de dommages et intérêts, frais irrépétibles et dépens.
Par jugement contradictoire du 28 janvier 2021, le tribunal précité devenu tribunal judiciaire a':
débouté Mme [E] de l'intégralité de ses demandes,
débouté les parties de leurs demandes d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné Mme [E] aux dépens,
dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire.
Par déclaration déposée le 15 février 2021, Mme [E] a relevé appel.
Dans ses dernières conclusions déposées le 21 mai 2021 sur le fondement des articles 544, 625 et 627 du code civil, Mme [E] demande à la cour de'réformer le jugement déféré et':
à titre principal,
prononcer l'extinction du droit d'usage et d'habitation de M. [V],
à titre subsidiaire,
prononcer la conversion du droit d'usage et d'habitation en capital,
à titre infiniment subsidiaire,
prononcer la conversion du droit d'usage et d'habitation en rente viagère,
désigner tel expert qu'il plaira à la «'juridiction de céans'» ayant pour mission de se rendre sur les lieux et de convoquer les parties afin de déterminer le montant de la rente viagère susceptible d'être allouée à M. [V],
en tout état de cause,
ordonner l'expulsion de M. [V] et des personnes qu'il héberge du bien sis [Adresse 2] à [Localité 5],
condamner M. [V] à lui payer la somme de 88.800€ à titre de dommages et intérêts,
condamner M. [V] à lui payer une indemnité d'occupation de 800€ par mois jusqu'à son départ effectif de la maison ainsi que des personnes hébergées de son chef et ses biens personnels,
condamner le même aux paiement de la somme de 2.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par uniques conclusions déposées le 16 juillet 2021 au visa des articles 617 et suivants, 625 et suivants du code civil, M. [V] sollicite de la cour qu'elle':
confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
condamne Mme [E] à lui verser la somme de 2.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamne la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2023.
MOTIFS
Sur la demande d'extinction du droit d'usage et d'habitation
Mme [E] sur la foi des constatations opérées par l'huissier de justice dans son procès-verbal de constat du 10 février 2016 selon lesquelles M. [V] occupe avec son épouse et leur fils le salon de la maison, et a déclaré à cet huissier occuper «'toutes les pièces de la maison'ainsi que la totalité du jardin», revendique que soit prononcée l'extinction du droit d'usage et d'habitation «'pour utilisation abusive et à tout le moins déraisonnable'» portant atteinte à son droit de propriété'; elle ajoute que M. [V] commet d'autant plus un abus de jouissance, qu'il a changé les serrures, qu'il n'assume pas les charges liées à la jouissance de la maison (assurance habitation) et qu'il a quitté à plusieurs reprises cette maison (en 1995 pendant 7 mois, et en 2004).
Toutefois, l'huissier de justice ayant procédé au constat le 10 février 2016 n'a jamais constaté que les clés de Mme [E] n'ouvraient pas les serrures de la maison ni que l'accès de celle-ci lui était interdit par des verrous. De fait, exception faite de ses seules affirmations dénuées de force probante, Mme [E] ne prouve pas la réalité de ce changement de serrure, la circonstance que M. [V] n'a pas déféré à sa mise en demeure du 12 juin 2014 d'avoir à lui remettre les nouvelles clés étant inopérante à rapporter cette preuve.
Ensuite, si M. [V] occupe plus de pièces que prévu à l'acte notarié précité, il n'en demeure pas moins que l'huissier de justice n'a pas constaté le 10 février 2016 des dégradations ou un défaut d'entretien de sa part, ce qui a contrario autait été de nature à mettre fin à ce droit d'usage et d'habitation conformément à l'article 618 du code civil ; l'intimé justifie par ailleurs en pièce 3 de l'assurance habitation souscrite pour ce bien à effet au 15 octobre 2019.
Au demeurant, M. [V] ne s'est pas opposé à l'occupation des lieux par Mme [E] dont il ne discute pas le droit de propriété sur la maison et notamment sur les pièces non concernées par son droit d'usage et d'habitation, et celle-ci ne communique pas la moindre preuve de l'impossibilité dans laquelle elle affirme se trouver de résider sans sa maison.
Si M. [V] a pu quitter cette maison durant quelques mois en 1995 puis en 2004, il s'agissait de départs temporaires qui ne sont pas de nature à éteindre son droit d'usage et d'habitation, seul un départ définitif étant de nature à entraîner cette extinction conformément aux termes de l'acte notarié précité.
Enfin, la circonstance que M. [V] exerce son droit d'usage et d'habitation avec son épouse et leur fils n'est pas non plus une cause d'extinction du droit en litige, l'article 632 du code civil énonçant que celui qui a un droit d'habitation dans une maison peut y demeurer avec sa famille, quand bien même il n'aurait pas été marié à l'époque où ce droit lui a été donné.
L'ensemble de ces constatations et considérations conduit à confirmer le jugement dont appel qui a débouté Mme [E] de sa demande d'extinction du droit en litige.
Sur la demande subsidiaire de conversion du droit d'usage et d'habitation en capital et plus subsidiairement en rente viagère
Mme [E] s'estime fondée, pour le cas où la cour n'autoriserait pas l'extinction du droit d'usage et d'habitation, à solliciter la conversion du droit d'usage en capital sans plus ample motivation en droit comme en fait'; elle sollicite à défaut, une conversion en rente viagère rappelant au visa d'un arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 1981 que lorsque la dégradation des relations entre les parties empêche l'exécution en nature du droit d'habitation, celui-ci peut être converti en rente viagère, ajoutant «'qu'elle est privée des nouvelles clés du logement et que l'utilisation de toutes les pièces de la maison par M. [V] l'empêche ipso facto d'user de son droit de propriété sur les pièces qui lui appartiennent en propre'».
Ce qui ne peut être retenu.
M.[V] oppose à bon droit qu'aucune disposition légale n'autorise la conversion d'un droit d'usage et d'habitation en capital hormis le cas prévu à l'article 766 du code civil applicable uniquement en matière successorale.
Ensuite, Mme [E] procède par affirmation assortie d'aucune offre de preuve lorsqu'elle se dit dans l'impossibilité d'occuper les pièces de la maison non assujetties au droit d'usage et d'habitation.
Ainsi, il a été déjà relevé qu'elle ne produit pas le moindre élément de preuve établissant que M. [V] aurait changé les serrures ou encore qu'elle se serait vu refuser l'accès à sa maison par ce dernier.
En tout état de cause, si Mme [E] a pu mal ressentir que M. [V] a refait sa vie en 2005 et exerce son droit d'usage et d'habitation avec son épouse et leur dernier enfant, il n'est pas démontré que ces nouvelles circonstances rendent effectivement impossible l'exercice en nature de ce droit, aucune allégation de conflits relationnels, voire de voies de fait n'étant formulée' par celle-ci'; en réalité, Mme [E] apparaît n'avoir jamais cherché à exercer son droit de propriété depuis que sa rupture avec M. [V] qui exerce son droit d'usage et d'habitation avec sa nouvelle famille, n'ayant pour seul projet que de se voir libérée du droit d'usage et d'habitation accordé à celui-ci, sa vie durant, dans les termes de l'acte notarié précité.
Le jugement déféré est en conséquence confirmé sur le rejet de ces demandes de conversion.
Sur les demandes d'expulsion, en paiement de dommages et intérêts et d'indemnité d'occupation
Il n'y a pas lieu d'ordonner l'expulsion de M. [V] et des occupants de son chef dès lors qu'il dispose d'un titre d'occupation, à savoir l'acte notarié précité du 17 mai 1991, et que les demandes d'extinction ou de conversion de son droit d'usage sont rejetées.
Mme [E] n'est pas plus fondée en appel qu'en première instance à réclamer le paiement de dommages et intérêts au titre de la privation de jouissance de son droit de propriété depuis 2012 (et également d'une indemnité d'occupation) , date à laquelle elle indique avoir cessé d'occuper la maison, étant une nouvelle fois constaté qu'elle s'abstient de justifier de son impossibilité d'accéder à sa propriété au motif, non justifié, que M. [V] aurait changé les serrures et les verrous.
Le jugement querellé est donc confirmé sur le rejet de ces demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Partie succombante, Mme [E] est condamnée aux dépens d'appel et garde la charge de ses frais irrépétibles'; elle est condamnée à verser une indemnité de procédure d'appel à l'intimé.
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne Mme [T] [E] à verser à M. [S] [V] une indemnité de procédure de 1.500€ pour l'instance d'appel,
Condamne Mme [T] [E] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT