N° RG 21/00509 - N° Portalis DBVM-V-B7F-KXEB
C3
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
Me Pierre Lyonel LEVEQUE
la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 28 FEVRIER 2023
Appel d'une décision (N° RG 19/00457)
rendue par le Tribunal judiciaire de BOURGOIN-JALLIEU
en date du 10 novembre 2020
suivant déclaration d'appel du 27 Janvier 2021
APPELANTE :
La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE-EST, société coopérative à capital et personnel variables, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de LYON sous le numéro 399.973.825, dont le siège social se situe [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Me Pierre Lyonel LEVEQUE, avocat au barreau de VIENNE
INTIME :
M. [J] [C]
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Laurence LIGAS de la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 janvier 2023, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de Mme Blatry conseiller et de Mme Lucile Granget, élève avocate, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant acte sous seing privé du 24 octobre 2007, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Est (le Crédit Agricole) a consenti à M. [J] [C] un prêt immobilier n°117066 d'un montant de 62.000€ remboursable en 240 mensualités de 407,46€ au taux de 4,95 %.
Des incidents de paiement sont intervenus à compter du 10 août 2014, malgré un règlement de 500€ imputé sur la mensualité de mars 2015, justifiant la délivrance par le Crédit Agricole d'une mise en demeure par lettre recommandée avec AR du 29 avril 2016 (AR signé le 30 avril suivant).
Le Crédit Agricole a prononcé la déchéance du terme par courrier recommandé avec AR du 14 février 2018 (AR non distribué).
Suivant acte extrajudiciaire du 19 juillet 2019, le Crédit Agricole a assigné M. [C] devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en paiement de la somme de 67.815,20€ outre intérêts au taux contractuel à compter du 14 février 2018, sans préjudice de dommages et intérêts pour résistance abusive, des frais irrépétibles et des dépens.
Par jugement contradictoire du 10 novembre 2020, le tribunal précité a :
-débouté le Crédit Agricole de ses demandes,
-déclaré M. [C] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts,
-dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens et de ses frais irrééptibles,
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La juridiction a retenu que la déchéance du terme n'avait pas été prononcée à défaut de réception par le débiteur de la lettre recommandée du 14 février 2018, que la prescription biennale était acquise pour toutes les échéances antérieures de plus de 2 ans à compter de l'assignation malgré la reconnaissance de dette de mars 2015, le nouveau délai de 2 ans courant de celle-ci s'étant éteint en mars 2017, soit plus de 2 ans avant cette assignation, et que la banque ne pouvait pas être accueillie dans le paiement des échéances exigibles non prescrites à défaut de décompte de sa créance. Elle a retenu également que l'action de M. [C] fondée sur le devoir de mise en garde de la banque était prescrite, celui-ci étant un emprunteur averti de par ses fonctions au sein de sociétés et de SCI , et qu'il avait eu conscience de la situation au plus tard en août 2014.
Par déclaration du 27 janvier 2021, le Crédit Agricole a relevé appel des dispositions de ce jugement l'ayant débouté de ses demandes et l'ayant condamné à supporter ses dépens et frais irrépétibles.
Dans ses uniques conclusions déposées le 26 avril 2021 sur le fondement des articles 1134 ancien, 2233 et suivants du code civil, L.137-2 ancien du code de la consommation, le Crédit Agricole demande à la cour de :
-réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens et de ses frais irrépétibles et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
-confirmer le même jugement en ce qu'il a déclaré M. [C] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts,
statuant à nouveau,
-condamner M. [C] à lui verser :
la somme de 67.815,20€, montant du solde débiteur du prêt n°117066 outre intérêts au taux conventionnel à compter du 14 février 2018,
la somme de 1.500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes,
-condamner le même aux entiers dépens, distraits au profit de Me Pierre Leveque, avocat sur son affirmation de droit ;
Par conclusions uniques déposées le 9 juillet 2021, M. [C] sollicite de la cour qu'elle :
-confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le Crédit Agricole de ses demandes,
-réforme le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclaré irrecevable en sa demande de dommages et intérêts,
et statuant à nouveau,
-constate que le Crédit Agricole ne rapporte pas la preuve qu'il s'est assuré au jour de l'engagement que ses capacités financières étaient suffisantes pour lui permettre d'honorer le prêt objet du litige,
-constate que le Crédit Agricole ne rapporte pas la preuve du bon respect de son obligation de mise en garde à son égard,
-par conséquent, dire et juger que le Crédit Agricole a commis une faute à son égard, qui lui a nécessairement causé un préjudice,
-condamne le Crédit Agricole à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 67.815,20€ outre intérêts au taux conventionnel à compter du 22 mai 2019 ; à titre subsidiaire, condamne le Crédit Agricole à lui verser des dommages et intérêts à hauteur du nouveau calcul de la banque tel que sollicité supra, soit pour les échéances du prêt entre le 19 juillet 2017 et la date du jugement à intervenir,
-ordonne la compensation des créances et dettes réciproques,
-condamne le Crédit Agricole à lui verser une indemnité de 3.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamne le même aux entiers dépens de l'instance, en ce compris le coût de la signification et de l'exécution forcée par huissier, en ce compris le coût de l'émolument de l'huissier normalement en charge du créancier , en application des articles L.111-8 du code des procédures civiles d'exécution et A.444-21 du code de commerce issu de l'arrêté du 26 février 2026 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 décembre 2022.
MOTIFS
A titre liminaire, il est rappelé d'une part que les « demandes » tendant à voir « constater » « donner acte » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour, en étant de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles ci développent en réalité des moyens, et d'autre part que la cour n'est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendent inopérantes.
Sur l'action en paiement du Crédit Agricole
Le Crédit Agricole soutient la régularité de la mise en demeure portant déchéance du terme formalisée par courrier recommandé avec AR du 14 février 2014 en faisant valoir qu'elle a été envoyée à la dernière adresse connue de M. [C], celui-ci ayant fait preuve de déloyauté dans l'exécution du contrat de prêt en ne lui signalant pas son changement de domicile ; il ajoute qu'aucune disposition légale ou contractuelle ne lui faisait obligation de faire signifier par huissier de justice la déchéance du terme et que la décision du premier juge disant cette déchéance du terme non valable est dénuée de fondement juridique.
Ce qui ne peut être retenu.
La mise en demeure précisant le délai dont dispose l'emprunteur pour régulariser et annonçant le prononcé de la déchéance du terme pour le cas où elle serait restée dépourvue d'effet au terme du délai indiqué, de par les conséquence qu'elle entraîne, ne peut produire effet que si elle est effectivement réceptionnée par son destinataire, à savoir l'accusé de réception dûment signé par celui-ci, son expédition étant, à elle seule, insuffisante.
Dès lors que le courrier recommandé avec AR du 14 février 2028 n'a pas été remis à M. [C] ainsi qu'en atteste le motif de non distribution mentionné par les services de la Poste « destinataire inconnu à l'adresse », cette mise en demeure n'est pas valable, étant inopérant le débat instauré par les parties sur l'adresse à laquelle ce courrier a été envoyé.
Il en résulte que le Crédit Agricole ne peut pas se prévaloir des effets de la déchéance du terme prévus au contrat de prêt, à savoir l'exigibilité immédiate de la totalité du prêt en ce compris l'indemnité de 7 % des sommes dues en capital et intérêts échus.
Sachant que le premier impayé date d'août 2014, et même à considérer l'effet interruptif de prescription de la reconnaissance de dette de M. [C] en mars 2015 (paiement de 500€ à valoir sur sa dette d'impayés) et de la première mise en demeure du 29 avril 2016, l'action en paiement du Crédit Agricole était prescrite au 29 avril 2018 du chef des échéances dues à cette date.
Et dès lors qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs échéances successives, c'est à bon droit que le premier juge a, par d'exacts et pertinents motifs adoptés par la cour, dit prescrites toutes les échéances échues donc exigibles antérieures de 2 ans à l'assignation du 19 juillet 2019.
Ainsi, le Crédit Mutuel ne peut réclamer paiement que des échéances exigibles, non prescrites, soit du 19 juillet 2019, date de l'assignation, jusqu'au jour du présent arrêt, les échéances ultérieures n'étant pas encore exigibles.
Tout comme en première instance, le Crédit Agricole, qui est en charge de prouver le bien fondé et le montant de sa créance, ne communique pas un décompte intégrant le défaut de déchéance du terme et la prescription des échéances antérieures au 19 juillet 2019 et chiffrant le montant de sa créance de cette date jusqu'à ce jour ; dès lors, il est débouté de toute demande en paiement du chef du prêt litigieux.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté le Crédit Agricole de sa demande en paiement.
Sur la réclamation indemnitaire de M. [C] fondée sur le devoir de mise en garde
M. [C] défend la recevabilité de cette prétention en soutenant que la prescription quinquennale a commencé à courir seulement à compter de la mise en demeure du 29 avril 2016 et au plus tard au jour de l'assignation du 19 juillet 2019.
Le Crédit Agricole objecte que M. [C] était un emprunteur averti de par les fonctions sociétales qu'il exerçait à l'époque de la conclusion du prêt, à savoir qu'il était administrateur d'une société (société Ressorts Raynaud) et gérant d'une SCI (SCI Du [Adresse 6]) dont l'activité était la location de terrains et d'autres biens immobiliers, de sorte qu'il disposait de toutes les informations et capacités nécessaires dès la conclusion du contrat de prêt ; il ajoute que l'emprunteur a pris connaissance des difficultés à honorer son prêt dès l'échéance d'août 2014, date du premier impayé.
Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou auraît du connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Ainsi, la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; or le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'octroi du crédit.
C'est donc à bon droit et par d'exacts motifs que le premier juge a dit la demande en paiement de dommages et intérêts pour violation du devoir de mise en garde présentée par M. [C] dans ses conclusions de janvier 2020 irrecevable comme prescrite, en tant qu'ayant été formulée plus de cinq ans après la conclusion du contrat, non sans avoir mis en exergue qu'il était en capacité de par ses fonctions d'administrateur et de gérant de sociétés, donc l'une exerçait son activité dans le domaine de l'immobilier, de prendre conscience dès le 24 octobre 2007 , date du contrat, qu'il n'allait pas pouvoir assumer la charge du prêt immobilier de 62.000€ ; en tout état de cause, cette demande en paiement était également prescrite à ne retenir que la date à partir de laquelle il a cessé de rembourser ce prêt , à savoir août 2014, cet arrêt de paiement signant indiscutablement sa connaissance des difficultés à honorer ledit prêt qu'il corrèle au défaut de mise en garde de la banque, étant dit que ses conclusions de janvier 2020 n'ont pas pu interrompre le délai de prescription quinquennale, la prescription étant déjà acquise à cette date.
L'ensemble de ces constatations et considérations conduit à confirmer le jugement déféré de ce chef.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Chacune des parties succombant , l'une dans son appel principal, l'autre dans son appel incident, il est justifié de leur laisser la charge de leurs dépens d'appel personnels sans droit de recouvrement ; pour ce même motif, leurs demandes respectives en paiement d'indemnités de procédure seront rejetées en appel.
Le jugement est par ailleurs confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu de statuer sur les frais de recouvrement forcé de la créance comme sollicité par M. [C], dès lors qu'aucune condamnation n'est prononcée à son profit.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute les parties de leurs réclamations fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Déboute M. [J] [C] de sa demande présentée sur le fondement des articles L.111-8 du code des procédures civiles d'exécution et A.444-21 du code de commerce issu de l'arrêté du 26 février 2026 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice.
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens personnels d'appel, sans droit de recouvrement.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame Clerc , président, et par Madame Burel, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT