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09/02/2023 | FRANCE | N°21/03354

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 09 février 2023, 21/03354


N° RG 21/03354 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K7RW



C8



Minute :









































































Copie exécutoire

délivrée le :







la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC



la SELARL EYDOUX MODELSKI



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL D

E GRENOBLE



CHAMBRE COMMERCIALE



ARRÊT DU JEUDI 09 FEVRIER 2023





Appel d'une décision (N° RG 2020J155)

rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 02 juillet 2021

suivant déclaration d'appel du 20 juillet 2021





APPELANTE :



Mme [Y] [C]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5...

N° RG 21/03354 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K7RW

C8

Minute :

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

la SELARL EYDOUX MODELSKI

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 09 FEVRIER 2023

Appel d'une décision (N° RG 2020J155)

rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 02 juillet 2021

suivant déclaration d'appel du 20 juillet 2021

APPELANTE :

Mme [Y] [C]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me Anne-Marie REGNIER, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL SUD RHÔNE ALPES Société Civile Coopérative à capital et personnel variables immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le n° B 402 121 958 agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ;

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat au barreau de GRENOBLE, substituée par Me ALMY-AUBERT, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente de Chambre,

Mme Marie Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 novembre 2022, Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente, qui a fait rapport assistée de Alice RICHET, Greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions et Me REGNIER en sa plaidoirie, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.

Exposé du litige :

Par acte sous seing privé en date du 22 décembre 2017, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes a consenti à la Sarl Ipso Sport une crédit de trésorerie d'un montant de 20.000 euros au taux d'intérêt de 4,77 % l'an.

Par acte sous seing privé du même jour, Madame [Y] [C], gérante de la Sarl Ipso Sport, s'est portée caution solidaire du remboursement de ce crédit de trésorerie à hauteur de la somme de 26.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de 120 mois.

Par acte sous seing privé en date du 17 janvier 2018, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes a consenti à la Sarl Ipso Sport:

- un prêt n° 00001569461 d'un montant de 75.000 euros pour une durée de 84 mois au taux d'intérêt fixe de 2,45 % l'an,

- un prêt n° 00001569462 d'un montant de 50.000 euros pour une durée de 60 mois au taux d'intérêt fixe de 2,24 % l'an.

Dans le même acte, Madame [Y] [C] s'est portée caution dans la limite de 62.500 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de 102 mois.

Par jugement du 6 août 2019, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Ipso Sport.

Par courrier reçu le 6 septembre 2019, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes a déclaré ses créances auprès de Me [D], liquidateur judiciaire.

Par courrier reçu le 6 septembre 2019, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes a mis en demeure Madame [Y] [C] de lui régler la somme de 81.963,56 euros.

Par acte du 28 mai 2020, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes a assigné Madame [Y] [C] en paiement en sa qualité de caution.

Par jugement en date du 2 juillet 2021, le tribunal de commerce de Grenoble:

- s'est déclaré compétent,

- a dit et jugé irrigables [sic] les demandes de Madame [Y] [C],

- a condamné Madame [Y] [C], pris en qualité de caution, à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes les sommes de:

* 37.500,00 euros au titre du prêt n°0001569461, outre intérêts au taux contractuel de 2,45 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de la créance,

* 25.000,00 euros au titre du prêt n°00001569462, outre intérêts au taux contractuel de 2,24 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de la créance,

* 19.940,06 euros au titre de l'ouverture de crédit n°0000l546466 outre intérêts au taux contractuel de 4,71% l'an à compter du 25 février 2020, date du décompte de créance,

- a débouté Madame [Y] [C] de toutes ses demandes comme étant non fondées,

- a ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- a condamné Madame [Y] [C] à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes la somme de 800 euros en application de particle 700 du code de procédure civile,

- a ordonné l'exécution provisoire,

- a condamné Madame [Y] [C] aux entiers dépens.

- a liquidé les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision.

Par déclaration du 20 juillet 2021, Madame [Y] [C] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions énoncées à l'acte d'appel sauf en ce qu'il a liquidé les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision.

Prétentions et moyens de Madame [Y] [C]

Dans ses conclusions remises le 21 juin 2022, elle demande à la cour de:

- recevoir Madame [Y] [C] en ses présentes conclusions,

- réformer la décision dont appel en ce qu'elle a:

' dit et jugé irrigables [sic] les demandes de Madame [Y] [C],

' condamné Madame [Y] [C], pris en qualité de caution, à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes les sommes de:

* 37.500,00 euros au titre du prét n°0001569461, outre intérêts au taux contractuel de 2,45 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de la créance,

* 25.000,00 euros au titre du prêt n°00001569462, outre intérêts au taux contractuel de 2,24 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de la créance,

* 19.940,06 euros au titre de l'ouverture de crédit n°0000l546466 outre intérêts au taux contractuel de 4,71% l'an à compter du 25 février 2020, date du décompte de créance,

' débouté Madame [Y] [C] de toutes ses demandes comme étant non fondées,

' ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,

' condamné Madame [Y] [C] à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes la somme de 800 euros en application de particle 700 du code de procédure civile,

' ordonné l'exécution provisoire,

' condamné Madame [Y] [C] aux entiers dépens,

Statuant à nouveau,

- juger que Madame [Y] [C] est une caution non avertie,

- juger que la banque intimée a manqué à ses obligations au titre du devoir de mise en garde,

- juger la disproportion entre les engagements de caution souscrits par Madame [Y] [C] et sa situation lors de la souscription et lors de son appel,

- juger que le comportement de la banque est dolosif,

- juger que la banque n'a pas respecté ses obligations au titre de l'information de la caution,

- débouter la banque intimée de l'ensemble de ses demandes,

- prononcer la nullité des actes de cautionnement souscrit par Madame [Y] [C],

- dire et juger les actes de cautionnement souscrit par Madame [Y] [C] sans effet,

En tout état de cause

- condamner la banque au paiement de la somme de 82.440,06 euros et ordonner la compensation des sommes dues,

- débouter la banque intimée pour le surplus,

- ordonner la déchéance des intérêts pour défaut d'information de la caution,

- ordonner la mise en place de délais de paiement,

- condamner la banque au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir que le fait d'avoir indiqué par écrit ne jamais refuser de régler la banque n'est pas constitutif d'un aveu judiciaire, que l'aveu extrajudiciaire ne lie pas le juge qui peut en apprécier la portée, qu'à la date des échanges versés au dossier elle ignorait les divers arguments dont elle disposait pour contester son engagement, que de toute façon la sanction encourue n'est pas l'irrecevabilité de la demande, que le jugement est taisant sur ce point et s'est contenté de dire et juger que les demandes de Madame [Y] [C] sont irrigables [sic].

Elle indique qu'elle ne peut être considéré comme une caution avertie dès lors qu'elle n'a jamais exercé des fonctions de dirigeante, étant précédemment salariée en qualité de juriste, qu'elle est diplômée en langues étrangères, qu'elle n'a aucune compétence en matière bancaire, ni formation sur la vie des affaires. Elle fait observer que 2 prêts d'un montant de 125.000euros ont été consentis à la société Ipso Sport quelques jours après un premier crédit de trésorerie de 20.000 euros accordé pour permettre le paiement de la Tva sur deux crédits travaux et machines, que la société Ipso Sport placée en liquidation judiciaire était en cessation de paiement en juillet 2019 et sa situation était compromise bien avant cette date et vraisemblablement au moment de l'octroi des prêts litigieux, que la banque a manqué à son obligation de mise en garde, ce manquement devant être réparé par l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 82.440,06 euros.

Sur le comportement dolosif de la banque, elle fait remarquer que la banque a une obligation d'information envers les cautions sur les modalités et conditions d'exécution de la garantie Oseo ou BPI, qu'à défaut d'information cette réticence peut entraîner l'annulation du cautionnement, qu'en l'espèce la banque ne justifie pas avoir informé Madame [Y] [C] des conditions de mise en oeuvre de la garantie Bpi.

Sur la disproportion du cautionnement, elle expose que la capacité de la caution à faire face à son obligation s'apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d'autres engagements de caution, que la fiche individuelle de patrimoine a été établie le 4 décembre 2017 pour deux engagements de caution signés le 22 décembre 2017 et le 17 janvier 2018, que la fiche ne contient aucune précision quant aux charges et ressources de Madame [Y] [C] et ne fait état que de la valeur présumée d'une maison pour un montant de 250.000 euros, que justifiant disposer d'un salaire de 3.623,25 euros ses engagements de caution représentaient plus de 24 fois son revenu mensuel, qu'elle établit la disproportion de son engagement lors de sa conclusion. Elle ajoute qu'au moment où elle a été appelée, son endettement représente plus de 74% de ses revenus.

Sur l'absence d'information, elle rappelle les dispositions des articles 2302 et 2303 du code civil, indiquant que la banque produit diverses correspondances sans preuve de réception, le listing communiqué émanant d'un fichier interne de la banque et le constat d'huissier ne retraçant que des opérations faites par sondage. Elle conclut donc à la déchéance des intérêts.

Elle sollicite des délais de paiement dès lors que la somme réclamée représente plus de 21 fois son revenu mensuel, étant relevé que son patrimoine est composé de sa seule maison d'habitation.

Prétentions et moyens de la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes

Dans ses conclusions remises le 30 mai 2022, elle demande à la banque de:

- juger irrecevable la demande de Madame [Y] [C] tendant à voir déclarer irrecevables les demandes de la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 2 juillet 2021 en toutes ses dispositions,

- débouter Madame [Y] [C] de l'ensemble de ses prétentions comme étant non fondées,

En conséquence,

- juger irrecevables les demandes de Madame [Y] [C],

- débouter Madame [Y] [C] de sa demande de nullité de ses engagements de caution,

- juger subsidiairement que Madame [Y] [C] n'était pas créancière d'un devoir d'information, celle-ci étant une caution avertie,

- juger qu'en tout état de cause, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes a informé Madame [Y] [C] de l'étendue de la garantie Bpifrance,

- rejeter la demande de dommages et intérêts formulée par Madame [Y] [C] ,

- juger que Madame [Y] [C] ne justifie pas de ce que ses cautionnements étaient disproportionnés à ses biens et revenus au jour de ses engagements,

Subsidiairement,

- juger qu'elle est à même d'y faire face à ce jour,

- juger n'y avoir lieu à déchéance des intérêts contractuels,

- condamner Madame [Y] [C] à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes les sommes de :

* 37.500 euros au titre du prêt n° 00001569461, outre intérêts au taux contractuel de 2,45 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de créance,

* 25.000 euros au titre du prêt n° 00001569462, outre intérêts au taux contractuel de 2,24 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de créance,

* 19.940,06 euros au titre de l'ouverture de crédit n° 00001546466, outre intérêts au taux contractuel de 4,71 % l'an à compter du 25 février 2020, date du décompte de créance,

- condamner la même à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile exposés en cause d'appel,

- condamner la même aux entiers dépens comprenant les frais d'hypothèque judiciaire provisoire,

- ordonner la capitalisation des intérêts.

Sur l'irrecevabilité des demandes de Madame [Y] [C], la banque expose que par mails des 16 et 22 septembre 2019, la caution a indiqué n'avoir jamais refusé de régler mais devoir solliciter un délai afin de trouver un financement lui permettant de solder la caution de 81.963,56 euros, qu'au regard de cet aveu extra judiciaire Madame [Y] [C] est irrecevable à contester sa dette.

Sur l'obligation de mise en garde, elle relève que Madame [Y] [C] doit être considérée comme une caution avertie dès lors qu'elle a exercé depuis 1996 des fonctions d'assistante de direction, d'assistante du directeur financier et de 'contract manager' dans des grands groupes, qu'elle a suivi une formation juridique et qu'elle était gérante depuis huit ans au jour de son engagement. Elle ajoute que le cautionnement était adapté aux capacités financières de Madame [Y] [C] laquelle détenait un patrimoine immobilier de 250.000 euros et avait un revenu annuel de 43.479 euros et n'a pas créé de risque d'endettement excessif pour l'emprunteur, les crédits ayant servi à la consolidation de la trésorerie et au développement de l'activité et ayant été octroyés plus de 18 mois avant la cessation des paiements de la société. Elle en conclut que les conditions d'existence du devoir de mise en garde ne sont pas remplies.

Sur l'absence de dol, elle fait observer que Madame [Y] [C] ne démontre pas l'existence de manoeuvres dolosives, que seul l'acte de prêt du 17 janvier 2018 a été garanti par la Bpi France, que cet acte contient une annexe contenant toutes les informations nécessaires à la mise en oeuvre de la garantie Bpi, annexe paraphé par Madame [Y] [C], que celle-ci a donc été clairement informée des conditions de la garantie Bpifrance.

Sur l'absence de disproportion, elle fait remarquer qu'il appartient à la caution de démontrer que le cautionnement serait disproportionné au jour de l'engagement et que si tel est le cas, il appartient alors au banquier de démontrer que la caution est revenue à meilleur fortune au jour où elle est appelée. Elle note qu'il résulte de la fiche patrimoniale que Madame [Y] [C] avait deux prêts pour un capital restant dû de 104.399,98 euros, qu'elle n'a pas déclaré d'autres charges, que la disproportion s'apprécie par référence aux déclarations faites par la caution, qu'elle disposait d'un bien immobilier d'une valeur de 250.000 euros et avait un salaire annuel de 43.479 euros, qu'il n'existait pas de disproportion lors de la conclusion, le patrimoine immobilier de Madame [Y] [C] couvrant ses engagements de caution. Subsidiairement, elle souligne que le patrimoine et les revenus de la caution lui permettent de faire face aux sommes réclamées au moment où elle est appelée.

Sur l'information annuelle de la caution, la banque relève qu'elle justifie des lettres d'information pour les années 2017 à 2018 et de l'envoi des courriers par constat d'huissier, qu'elle n'a pas à justifier de la réception des courriers par Madame [Y] [C] mais du seul envoi, que les actes de prêts stipule que l'information annuelle s'effectue par lettre simple et que la caution s'engage à signaler au prêteur l'absence de réception de l'information, qu'elle a reçu l'information sur ses obligations au 31 décembre 2019 par courrier du 31 janvier 2020, cette information résultant aussi de l'assignation délivrée le 28 mai 2020.

Elle sollicite la confirmation du jugement sur les délais de paiement en l'absence d'éléments financiers actuels et compte tenu des délais déjà obtenus par Madame [Y] [C].

Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction est intervenue le 27 octobre 2022.

Motifs de la décision :

A titre préliminaire, il convient de relever que les 'demandes' tendant à voir 'dire et juger' qui ne font que reprendre des moyens ne constituent pas des prétentions. Il n'y sera donc pas répondu dans le dispositif.

Par ailleurs, les développements de la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes sur l'irrecevabilité soulevée par Madame [Y] [C] et sur la compétence du tribunal de commerce sont sans objet dès lors que dans ses dernières conclusions, l'appelante ne soulève pas l'irrecevabilité des demandes de la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes , ni ne sollicite la réformation du jugement sur la compétence du tribunal de commerce de Grenoble.

1) Sur la recevabilité des demandes de Madame [Y] [C]

La reconnaissance de sa dette par le débiteur dans des mails ne constitue pas un aveu judiciaire et la jurisprudence invoquée par la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes sur ce point est inopérante.

S'agissant d'un aveu extrajudiciaire, il convient d'en apprécier la portée, étant précisé que l'aveu ne porte que sur un fait. Dans son mail du 16 septembre 2019, Madame [Y] [C] indique qu'elle n'est malheureusement pas en état de rembourser la somme de 81.963,56 euros et sollicite un rachat de crédit. Dans son mail du 22 septembre 2019, elle indique n'avoir jamais refusé de régler et avoir fait le nécessaire pour trouver un financement. Ses seules déclarations ne sont pas de nature à priver Madame [Y] [C] de la possibilité d'engager la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de mise en garde, ni même de soulever l'inopposabilité du cautionnement ou sa nullité, Madame [Y] [C] étant dans l'ignorance au moment de ses déclarations des moyens juridiques pouvant être soulevés.

Le tribunal a jugé irrigables [sic] les demandes de Madame [Y] [C] sans toutefois motiver sur ce point sa décision.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef et les demandes de Madame [Y] [C] seront déclarées recevables.

2) Sur le devoir de mise en garde

Cette obligation pèse sur le créancier à l'égard d'une caution non avertie.

S'il appartient au créancier de justifier du caractère averti de la caution, il appartient à la caution de justifier des conditions de mise en oeuvre de la mise en garde, à savoir le risque d'un endettement excessif du débiteur principal qui doit être analysé comme un risque de défaillance caractérisé ou une inadaptation de l'engagement de la caution à ses capacités financières.

Il résulte du document établi par Madame [Y] [C] sur l'historique et les perspectives de son entreprise à l'occasion des demandes de prêt qu'elle est titulaire d'une formation Bac + 2 et d'une formation de juriste en entreprise. Son curriculum vitae fait apparaître qu'elle a exercé des fonctions d'assistante du directeur financier incluant notamment la gestion des rapports financiers, des fonctions d'assistante de direction incluant des fonctions de gestion du personnel, du parc des véhicule et des fournisseurs, des fonctions d'attaché de direction comprenant des analyses de rendement de nouveaux produits et des fonctions de contract manager depuis 2004 qui implique la maitrise de processus complexe. Par ailleurs, lorsqu'elle a souscrit son engagement de caution, elle gérait depuis quelque temps son entreprise créée en 2011 pour laquelle elle avait un projet de développement qu'elle avait préparé. Sa formation juridique et ses expériences professionnelles lui ont donc conféré des compétences en matière de gestion, en matière financière et en matière juridique qui font d'elle une caution avertie ce qu'a exactement retenu le tribunal.

Par ailleurs, Madame [Y] [C] ne rapporte pas la preuve d'un risque de défaillance caractérisé du débiteur principal lors de l'octroi du prêt. Les prêts souscrits avaient pour but de permettre le développement de la société par la création d'un showroom et le crédit de trésorerie d'accompagner ce développement. La liquidation judiciaire de la société est intervenue plus de 18 mois après la souscription des prêts et la déclaration de créance ne mentionne aucunes échéances impayées.

Au vu de ces éléments, il ne pesait sur le créancier aucune obligation de mise en garde et c'est à juste raison que le tribunal a débouté Madame [Y] [C] au titre de sa demande pour manquement au devoir de mise en garde.

3) Sur le dol

La cour relève qu'est annexé au contrat de prêt du 17 janvier 2018, seul concerné par la garantie de Bpifrance, un document intitulé 'Conditions générales de la garantie Bpifrance' paraphé par Madame [Y] [C] dans lequel il est stipulé que la garantie ne bénéficie qu'à l'établissement intervenant et ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers, notamment par le bénéficiaire et ses garants pour contester tout ou partie de leur dette.

En conséquence, faute de démontrer la réticence dolosive de la banque, l'engagement de caution ne peut encourir la nullité et le jugement sera confirmé en ce qu'il en a débouté Madame [Y] [C].

4) Sur la disproportion manifeste de l'engagement

Aux termes des articles L 332-1 et L 343-4 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Il appartient à la caution de prouver la disproportion manifeste de son engagement. Ce n'est que lorsque cette disproportion est rapportée qu'il appartient à l'établissement de crédit d'établir le retour à meilleur fortune de la caution lorsqu'elle est appelée.

Lorsque la banque a fait remplir une fiche de renseignements, elle est en droit de se fier aux informations fournies sans être tenue de les vérifier et la caution ne peut prétendre à postériori que sa situation était moins favorable que celle qu'elle a déclarée.

En l'espèce, il ne peut être reproché à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes de s'être fiée à la fiche de renseignements établie le 4 décembre 2017 tant pour le crédit de trésorerie souscrit le 22 décembre 2017 que pour les prêts contractés le 17 janvier 2018 dès lors que les deux évènements ont eu lieu à moins d'un mois d'intervalle.

Dans sa fiche, Madame [Y] [C] a déclaré percevoir des revenus annuels de 43.479 euros et détenir une maison qu'elle a évaluée à 250.000 euros. Elle a mentionné des emprunts avec un capital restant dû de 104.399,98 euros et des charges d'impôt de 4.783 euros. Le seul fait que la caution n'a pas fait état d'autres charges n'est pas susceptible d'établir l'existence d'une anomalie apparente au demeurant non alléguée.

L'appréciation de la disproportion manifeste s'apprécie tant au regard des revenus que des biens de la caution. Elle implique pour la caution une impossibilité manifeste de pouvoir faire face à ses engagements avec ses biens et ses revenus. Dès lors, les développements de Madame [Y] [C] appréciant la disproportion au regard de ses seuls revenus sont inopérants.

A la date de l'engagement du 22 décembre 2017, la valeur du patrimoine net de Madame [Y] [C] s'élevait à 145.600 euros. Elle ne peut donc sérieusement soutenir que son engagement de caution à hauteur de 26.000 euros était manifestement disproportionné.

A la date du 17 janvier 2018, en tenant compte de son précédent engagement à hauteur de 26.000 euros que la banque ne pouvait ignorer, le seul bien immobilier de Madame [Y] [C] suffisait à couvrir son engagement de caution à hauteur de 62.500 euros.

L'argumentation de la caution sur l'absence de retour à meilleur fortune est inopérante en l'absence de démonstration d'une disproportion manifeste lors de la conclusion de l'engagement.

En conséquence, le tribunal a exactement retenu que Madame [Y] [C] ne démontre pas que ses engagements étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formée à ce titre.

5) Sur l'information de la caution et la condamnation à paiement

Conformément à l'article L.313-22 du code monétaire et financier applicable au litige, l'établissement de crédit était tenu de faire connaître à la caution avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal, des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation cautionnée, ainsi que le terme de son engagement.

Le défaut d'accomplissement de cette formalité emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement de crédit, déchéance des intérêts et pénalités échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle et les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, à l'égard de la caution, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

La cour relève que la banque doit seulement justifier de l'envoi de la lettre d'information mais non de sa réception.

Si la seule production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi, la preuve de l'envoi de l'information peut être suffisamment rapportée si les copies des lettres sont complétées par d'autres éléments tels que les procès-verbaux d'huissier de justice attestant globalement des envois annuels.

En l'espèce, la copie de la lettre portant information des cautions au 31 décembre 2017 datée du 2 mars 2018 est complété par un constat d'huissier du 16 mars 2018 attestant globalement de l'envoi annuel.

En revanche, les copies des lettres portant information des cautions au 31 décembre 2018 et au 31 décembre 2019 ne sont complétées par aucun élément. Elles ne peuvent justifier à elles seules que la banque a rempli son obligation d'information, étant relevé que l'assignation délivrée le 28 mai 2020 ne l'a pas été dans le délai prévu à l'article L313-22 et ne comprend pas les informations prévues par cet article.

Ce défaut d'information emporte donc déchéance des intérêts et pénalités échus depuis le 2 mars 2018.

S'agissant du prêt de 75.000 euros, au regard du tableau d'amortissement, après déchéance des intérêts (2.123,17 euros) depuis le 2 mars 2018, le solde dû s'élève à 62.161,42 euros.

S'agissant du prêt de 50.000 euros, au regard du tableau d'amortissement, après déchéance des intérêts (1.225,48 euros) depuis le 2 mars 2018, le solde dû s'élève à 36.851,50 euros.

Toutefois, Madame [Y] [C] s'étant porté caution dans la limite de 62.500 euros au titre de ces deux prêts, la déchéance des intérêts échus est sans incidence sur le montant réclamé sauf à dire que la somme de 62.500 euros portera intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, à savoir le 6 avril 2019 et non au taux contractuel.

S'agissant du crédit de trésorerie, compte tenu de la déchéance intervenue, Madame [Y] [C] doit être condamnée à payer la somme de 18.190,25 euros, déduction à faire des intérêts conventionnels débiteurs prélevés entre le 2 mars 2018 et le 6 août 2019, portant intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, à savoir le 6 avril 2019.

6) Sur les délais de paiement

Aux termes de l'article L 1343-5 du code civil le débiteur peut se voir accorder des délais de paiement dans la limite de deux ans compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier.

Il ressort de l'avis d'impôt sur les revenus 2021 que Madame [Y] [C] a des revenus annuels de 51.037 euros. Elle est propriétaire d'un bien immobilier.

Mise en demeure d'exécuter ses engagements de caution le 6 avril 2019 et assignée le 20 mai 2020, elle a bénéficié par l'effet des instances successives d'un délai de plus de deux ans.

Au vu de ses éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Madame [Y] [C] de sa demande de délais de paiement.

7) Sur les mesures accessoires

Madame [Y] [C] qui succombe dans la plupart de ses demandes sera condamnée aux dépens d'appel et à payer la somme de 2.500 euros à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement du 2 juillet 2021en ce qu'il a :

- dit et jugé irrigables [sic] les demandes de Madame [Y] [C],

- débouté Madame [Y] [C] de sa demande de déchéance des pénalités et des intérêts conventionnels,

- condamné Madame [Y] [C], prise en qualité de caution, à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes les sommes de:

* 37.500,00 euros au titre du prêt n°0001569461, outre intérêts au taux contractuel de 2,45 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de la créance,

* 25.000,00 euros au titre du prêt n°00001569462, outre intérêts au taux contractuel de 2,24 % l'an à compter du 5 février 2020, date du décompte de la créance,

* 19.940,06 euros au titre de l'ouverture de crédit n°0000l546466 outre intérêts au taux contractuel de 4,71% l'an à compter du 25 février 2020, date du décompte de créance.

Le confirme en ses autres dispositions.

Statuant à nouveau,

Déclare recevables les demandes de Madame [Y] [C].

Prononce la déchéances des intérêts conventionnels et des pénalités depuis le 2 mars 2018.

Condamne Madame [Y] [C] à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes:

- la somme de 62.500 euros outre intérêt au taux légal à compter du 6 avril 2019 au titre de son engagement de caution du 17 janvier 2018,

- la somme de 18.190,25 euros déduction à faire des intérêts conventionnels débiteurs prélevés entre le 2 mars 2018 et le 6 août 2019 outre intérêt au taux légal à compter du 6 avril 2019 au titre de son engagement de caution du 22 décembre 2017.

Y ajoutant,

Condamne Madame [Y] [C] aux dépens d'appel.

Condamne Madame [Y] [C] à payer la somme de 2.500 euros à la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Rhône Alpes en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Signé par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/03354
Date de la décision : 09/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-09;21.03354 ?
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