N° RG 22/02448 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LNNX
C3
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL CABINET ALEXIA CHARAPOFF AVOCAT
la SELAS AGIS
SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA DORNE GOARANT
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 17 JANVIER 2023
Appel d'une décision (N° RG 22/00055)
rendue par le Tribunal judiciaire de VIENNE
en date du 05 mai 2022
suivant déclaration d'appel du 24 Juin 2022
APPELANTES :
Mme [E] [M] épouse [N]
née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 5]
Mme [C] [T] épouse [M]
née le [Date naissance 1] 1938 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 6]
représentées et plaidant par Me Alexia CHARAPOFF de la SELARL CABINET ALEXIA CHARAPOFF AVOCAT, avocat au barreau de VIENNE
INTIMES :
Me [Y] [F]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 7]
représenté par Me Alexia SADON de la SELAS AGIS, avocat au barreau de VIENNE postulant et plaidant par Me Joël TACHET de la SCP TACHET, AVOCAT, avocat au barreau de LYON
Me [S] [G]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 4]
Me [A] [B]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 4]
représentés par Me Catherine GOARANT de la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA DORNE GOARANT, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant Me Cyrielle DELBE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
M. Laurent Desgouis, vice- président placé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 novembre 2022 Mme Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de Mme Blatry, conseiller, assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
*****
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur [I] [T] été placé sous curatelle simple par jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Vienne du 4 février 2019 qui a désigné sa nièce, Mme [E] [M] épouse [N] (Mme [N]), en qualité de curatrice.
Le 27 avril 2019, il a rédigé un testament olographe qui a été déposé à l'étude notariale de Me [B]-[G] à [Adresse 12] (38).
M. [T] est décédé le [Date décès 8] 2019 sans héritier réservataire, laissant pour lui succéder sa s'ur, Mme [C] [T] épouse [M] (Mme [M]) et sa nièce , Mme [N].
Selon acte authentique du 20 novembre 2020, Me [G] a établi le procès-verbal de dépôt et de description de testament conformément aux dispositions de l'article 1007 du code civil et en a transmis le même jour une expédition au tribunal judiciaire de Vienne qui a établi le certificat de dépôt le 24 novembre suivant.
Le 18 décembre 2020, l'étude notariale de Me [B] et Me [G] a transmis copie de l'acte de dépôt à Me [F], notaire à [Localité 13] (42) en charge de la succession et de l'établissement de l'acte de notoriété.
Après avoir vainement réclamé une copie du testament de M. [T] auprès de Me [F] et Me [B], Mmes [N] et [M] ont assigné à cette fin ces deux notaires devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Vienne lequel, par ordonnance de référé du 5 mai 2022 a':
donné acte à Me [G] de son intervention volontaire,
dit n'y avoir lieu à référé,
débouté ainsi les demanderesses de l'ensemble de leurs demandes,
dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné les demanderesses aux dépens.
La juridiction a retenu que':
Mmes [N] et [M] n'avaient pas la qualité d'héritières réservataires en raison des effets du testament et étaient donc des tiers à la succession du défunt,
elles ne démontraient pas avoir un intérêt légitime à obtenir une copie du testament, l'intérêt allégué n'étant pas légitime mais étant également sérieusement contestable, dans la mesure où la preuve d'une insanité d'esprit de M. [T] au moment de la signature du testament n'était pas rapportée, d'autant qu'étant sous curatelle simple, il pouvait tester librement, et que les demanderesses pourront connaître le contenu du testament dès que celui-ci aura été publié.
Mmes [N] et [M] ont relevé appel par déclaration du 24 juin 2022.
Dans leurs uniques conclusions déposées le 8 juillet 2022 sur le fondement des articles
737 et 1007 du code civil, 10, 145, 1378-1, 1435 et 1436 du code de procédure civile, 23 de la loi du 25 ventôse an XI, Mmes [N] et [M] demandent la réformation de l'ordonnance entreprise et que la cour, statuant à nouveau':
les disent bien fondées à agir, en leur qualité d'héritiers présomptifs de M. [T],
les autorisent à obtenir une copie du testament litigieux reçu par le greffe du tribunal judicaire de Vienne, lieu d'ouverture de la succession de M. [T],
condamne ensemble Me [F], notaire, Me [B], notaire et Me [G], notaire, à leur délivrer une copie de testament,
condamne Me [G], notaire, à délivrer une copie de l'acte authentique régularisé le 20 novembre 2020 et relatif au procès-verbal de dépôt et de description de testament,
condamne in solidum Me [F] et Me [B] à leur verser la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Dans leurs uniques conclusions déposées le 1er août 2022 au visa des articles 23 de la loi du 25 ventôse an XI, 3.4 et 20 du règlement national des notaires, Me [B] et Me [G] demandent à la cour de':
constater qu'ils sont tenus au secret professionnel le plus absolu dans le cadre de l'exercice de ses fonctions concernant le règlement de la succession de M. [T],
constater que Me [B] n'est pas le notaire ayant procédé à la régularisation de l'acte authentique du 20 novembre 2020 relatif au procès-verbal de dépôt et de description de testament,
constater que cet acte authentique a été régularisé par Me [G],
constater qu'en application des dispositions de l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, seule la communication d'un acte authentique est susceptible d'être ordonnée par le juge des référés s'il estime que les requérants justifient d'un intérêt légitime,
constater que la communication de l'acte authentique du 20 novembre 2020 sera de nature à préserver les intérêts des requérantes dès lors que celui-ci contient en annexe le testament olographe rédigé le 27 avril 2019 par M. [T],
constater que Mmes [N] et [M] seront en mesure de prendre connaissance du testament litigieux lorsque les formalités de publicité auront pu être accomplies une fois l'acte de notoriété régularisé,
constater que les pièces versées aux débats ne sont pas de nature à établir de l'insanité d'esprit de M.[T] lors de l'établissement du testament olographe du 27 avril 2019,
en conséquence,
juger Mmes [N] et [M] irrecevables en leurs prétentions dirigées à l'encontre de Me [B] dès lors qu'il n'a pas instrumenté l'acte authentique du 20 novembre 2020,
juger que Mmes [N] et [M] ne sont pas en mesure d'obtenir la communication du testament olographe dès lors qu'il ne s'agit pas d'un acte authentique,
confirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal Judiciaire de Vienne du 5 mai 2022 ayant débouté Mmes [N] et [M] de l'ensemble de leurs demandes tendant à obtenir la communication du testament de M. [T] et une copie de l'acte authentique régularisé le 20 novembre 2020 par Me [G],
en tout état de cause, si la cour pouvait juger que Mmes [N] et [M] justifient d'un intérêt légitime à obtenir la communication de l'acte authentique du 20 novembre 2020 contenant en annexe copie du testament olographe litigieux,
donner acte à Me [G] qu'elle procédera spontanément à la communication de l'acte authentique du 20 novembre 2020 régularisé relatif au procès-verbal de dépôt et de description de testament en exécution de l'arrêt,
débouter Mmes [N] et [M] de leurs prétentions financières dirigées à l'encontre tant de Me [B] que de Me [G],
condamner in solidum Mmes [N] et [M] aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions déposées le 20 juillet 2022 au visa de l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, la SELARL [Y] [F] notaire associé représentée par son représentant légal, Me [F], sollicite de la cour qu'elle':
déboute Mmes [N] et [M] de leur demande dirigée à l'encontre de la SELARL [Y] [F] notaire associé et tendant à la communication d'une copie du testament olographe de M. [T], l'acte de dépôt de celui-ci aux minutes n'ayant pas été reçu par elle,
condamne Mmes [N] et [M] aux entiers dépens,
condamne les mêmes in solidum à payer à la SELARL [Y] [F] notaire associé une indemnité de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 novembre 2022.
MOTIFS
Mmes [N] et [M] soutiennent avoir qualité à agir en faisant valoir qu'elles sont héritiers présomptifs et ne peuvent être considérées comme étant des tiers à la succession, et que dès lors conformément à l'article 1435 du code civil elles sont en droit d'obtenir la copie du testament.
Mme [M] est certes héritière présomptive, ou autrement dit héritière légale, de son frère M. [T] en tant que désignée d'avance par l'ordre de parenté pour lui succéder dès lors qu'il est décédé sans ascendants ni postérité, Mme [N] ne pouvant pas toutefois prétendre à ce jour user de cette qualité dès lors que sa mère n'est pas prédécédée (l'article 737 du code civil visant «'les frères et s'urs du défunt ou leurs descendants'»).
Pour autant, cette qualité d'héritier légal ou présomptif est sans incidence dans la mesure où Mme [M] et sa fille Mme [N] n'ont pas été visées comme bénéficiaires du testament ainsi qu'en atteste le fait constant qu'elles n'ont pas été invitées à comparaître devant Me [F], notaire en charge de la succession.
Par ailleurs, elles ne relèvent pas de la qualification d'héritières réservataires.
A ce double titre, elles sont donc des tiers à la succession.
Dès lors, elles ne peuvent pas se prévaloir des dispositions de l'article 1435 du code civil, en l'absence de leur qualité d'héritières effectives.
Subsidiairement, si elles devaient être considérées comme tiers à la succession, Mmes [N] et [M] défendent l'existence d'un intérêt légitime à obtenir copie du testament et de l'acte authentique de dépôt et description de ce testament régularisé le 20 novembre 2020 .
Lorsque le demandeur à la délivrance de la copie d'un acte n'est pas une partie, un héritier ou un ayant droit, il résulte de l'art. 23 de la loi du 25 ventôse an XI que le notaire peut être autorisé en vertu d'une ordonnance du président du tribunal judiciaire à donner copie aux tiers des actes par lui reçus, sous réserve pour ces tiers de justifier d'un intérêt légitime.
Ainsi, le secret professionnel, tel que rappelé aux articles 3.4 et 20 du règlement national du notariat, s'impose au notaire qui ne peut en être délié par l'autorité judiciaire que pour la délivrance des expéditions et la connaissance des actes qu'il a établis.
Mmes [N] et [M] plaident que M. [T] a été placé sous curatelle par jugement du 14 février 2019 et que le testament litigieux a été fait le 27 avril 2019 alors qu'il était déjà sous cette mesure de protection et qu'il souffrait de nombreux problèmes de santé'; Mme [N] ajoute que son oncle avait déjà été victime d'abus de confiance et qu'elle a découvert en prenant ses fonctions de curatrice qu'il avait émis trois chèques importants alors qu'il était dans un état de particulière vulnérabilité.
Elles considèrent en conséquence que leur «intérêt légitime à se faire communiquer le testament ne fait aucun doute, ne serait-ce que pour vérifier qu'il a bien été rédigé de la main de M. [T]'», expliquant avoir «'un doute sur la validité de ce testament et souhaitant en prendre connaissance afin de décider s'il est opportun ou non d'y former opposition'».
Pour autant, elles échouent à caractériser cet intérêt légitime en l'état d'un simple certificat d'un médecin daté du 24 mai 2019 attestant avoir suivi jusqu'au 11 octobre 2018 M. [T] qui était atteint de «'nombreux problèmes somatiques graves, d'une addiction difficilement contrôlable, d'une fragilité psychologique et avait une vie sociale presque inexistante'»'; en effet, ce certificat médical est insuffisant à faire la preuve d'une insanité d'esprit de M. [T] à la date de son testament, étant rappelé que l'intéressé n'a été placé que sous le régime de la curatelle simple à la date du 14 février 2019 ce qui ne lui interdisait pas de tester librement le 27 avril 2019.
De même, la plainte déposée le 4 mai 2021 par Mme [N] en sa qualité de curatrice de son oncle du chef d'abus de confiance au titre de quatre chèques émis par celui-ci les 28 mai 2018 n'est pas suffisante à caractériser cet intérêt légitime, aucune indication n'étant donnée sur la suite réservée à cette plainte déposée plusieurs années après le décès de M. [T] survenu le [Date décès 8] 2019.
Enfin, en tout état de cause, les appelantes pourront connaître le contenu du testament lorsque celui-ci sera publié.
Sans plus ample discussion, l'ordonnance déférée est confirmée en ce qu'elle a débouté par de justes et pertinents motifs Mmes [N] et [M] de leurs demandes après avoir relevé leur absence de qualité d'héritières réservataires et leur absence d'intérêt légitime en leur qualité de tiers à la succession pour lever le secret professionnel liant les notaires et se faire communiquer copie du testament et de l'acte authentique reçu le 20 novembre 2020.
Les appelantes étant déboutées de leurs prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur les protestations formulées par les intimés, notamment celles de Me [B] et Me [F] se disant non concernés par la demande de communication de l'acte authentique reçu le 20 novembre 2020 et / ou la copie du testament.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Parties succombantes, Mmes [N] et [M] sont condamnées aux dépens d'appel'; elles sont déboutées de leur réclamation de frais irrépétibles et dispensées en équité de verser une indemnité de procédure à Me [F].
Les dispositions de l'ordonnance déférée sont confirmées, s'agissant des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance déférée,
Ajoutant,
Déboute Mme [E] [M] épouse [N], Mme [C] [T] épouse [M] et Me [F] de la SELARL [Y] [F] notaire associé de leurs demandes présentées en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [E] [M] épouse [N] et Mme [C] [T] épouse [M] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame CLERC, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT