N° RG 20/04182 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KVOP
C2
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
Me Dominique FLEURIOT
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 06 DECEMBRE 2022
Appel d'une décision (N° RG 19/00542)
rendue par le Tribunal judiciaire de Valence
en date du 29 octobre 2020
suivant déclaration d'appel du 22 décembre 2020
APPELANTS :
M. [N] [V]
né le 9 novembre 1949 à Montoison
[Adresse 6]
[Localité 7]
Mme [Z] [K]
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentés par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMES :
M. [N] [E]
[Adresse 3]
[Localité 7]
LE [Adresse 9] représenté par Monsieur [N] [E] et Madame [S] [R] en qualité de syndics
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentés par Me Dominique FLEURIOT, avocat au barreau de VALENCE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
M. Laurent Desgouis, vice-président placé
DÉBATS :
A l'audience publique du 31 octobre 2022 Mme Blatry, conseiller chargé du rapport en présence de Mme Clerc, président de chambre, assistées de Madame Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Mme [Z] [K] et M. [N] [V] sont respectivement propriétaires, sur la commune de [Localité 7] (26) lieudit [Adresse 8], des parcelles cadastrées section AX n° [Cadastre 5] et [Cadastre 2] en nature de jardins situées à proximité' du canal des Fondeaux dans lequel ils puisent de l'eau.
Le dit canal a été creusé en 1825 pour alimenter en eau les usines de la ville à partir du ruisseau de la Meyrosse et est géré par un [Adresse 9] (le Syndicat) créé par délibération syndicale du 4 septembre 1825.
Actuellement, M. [N] [E] se charge de la gestion de la partie haute du canal des Fondeaux en actionnant les vannes qui régulent le débit d'eau.
Déplorant le défaut d'alimentation du canal en eau durant la période estivale, les consorts [K]/ [V] ont, suivant exploit d'huissier du 20 février 2019, fait citer le Syndicat et M. [E] aux fins de constater l'extinction du premier, de juger que le second n'a pas la qualité de syndic ni la capacité de gérer le canal, de confirmer leur droit d'arrosage et de faire injonction à leurs adversaires de ne plus couper l'alimentation en eau du canal.
Par jugement du 29 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Valence a :
constaté que le le Syndicat est un syndicat de copropriété légal dont la personnalité juridique est certaine et que M. [E] est l'un des deux syndics se chargeant de la partie haute du canal des Fondeaux,
débouté les consorts [K]/ [V] de leur demande tendant à constater l'extinction du Syndicat et de dire que M. [E] n'a pas la capacité légale de gérer et faire fonctionner le canal,
débouté les consorts [K]/ [V] de leurs prétentions à l'encontre de M. [E], en interdiction au Syndicat de gestion du canal et en interdiction de coupure d'eau,
condamné les consorts [K]/ [V] à payer à M. [E] et au Syndicat une indemnité de procédure de 2.000€ et à supporter les dépens.
Suivant déclaration du 22 décembre 2020, Mme [K] et M. [V] ont relevé appel de cette décision.
Au dernier état de leurs écritures en date du 25 mars 2022, Mme [K] et M. [V] demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
dire que le Syndicat n'a pas la capacité légale de gérer et de faire fonctionner le canal des Fondeaux,
juger l'extinction du Syndicat,
dire que M. [E] n'a pas la qualité de syndic du canal,
dire, qu'en son nom personnel, M. [E] n'a pas la capacité légale de gérer et faire fonctionner le canal,
débouter le Syndicat et M. [E] de l'ensemble de leurs prétentions,
dire qu'il existe un droit d'arrosage pour les jardiniers du canal des Fondeaux toute l'année sans interruption,
interdire au Syndicat et à M. [E] toute gestion du canal et toutes interventions sur les vannes,
enjoindre, au besoin, au Syndicat et à M. [E] de ne plus couper l'eau du canal sous astreinte de 200€ par jour de retard à compter du 8eme jour suivant la signification du «'jugement à intervenir'»,
condamner le Syndicat et M. [E] à leur payer une indemnité de procédure de 4.000€.
Ils font valoir que :
sur l'existence légale du Syndicat
le Syndicat a perdu toute existence légale en raison de la disparition de son objet social,
l'objet de la création du Syndicat en 1825 était de regrouper les propriétaires des usines et des moulins de la commune de [Localité 7],
ce Syndicat était un regroupement de professionnels, à savoir des usiniers,
depuis la fin du siècle dernier, toutes les usines ont été démantelées, de sorte qu'il n'existe plus aucun usinier,
le Syndicat n'a donc plus de raison d'exister et il importe peu que ses membres aient ou non décidé de le dissoudre,
l'inscription du Syndicat sous forme de copropriété auprès de l'INSEE ne constitue pas une preuve puisqu'il s'agit d'un simple acte déclaratif sous la seule responsabilité du Syndicat,
le statut de la copropriété est totalement inapplicable en l'espèce,
les anciens usiniers étaient propriétaires chacun d'une partie du canal au droit de leur fonds et la délibération du 4 septembre 1825 ne fait pas état d'un système de copropriété,
sur la transmission des droits à M. [E]
ils dénient à M. [E] la qualité d'ayant droit et de syndic,
le tribunal a, à tort, considéré que M. [E], qui n'est propriétaire ni d'une usine ni d'un moulin, serait l'ayant droit de son père, M. [C] [E],
M. [C] [E] était viticulteur et n'a jamais exploité ni usine ni moulin,
dans l'acte de vente des 16 octobre et 3 novembre 1965, il n'est nullement fait mention de l'acquisition d'un droit de propriété sur le canal,
dès lors, M. [C] [E] ne peut avoir transmis à son fils des droits qu'il ne détenait pas,
la transmission dans l'acte de donation-partage du 27 mai 1978 d'une chute d'eau, sans autre précision, est inopérante,
sur la qualité de syndic de M. [E]
la situation de fait selon laquelle M. [E] est l'interlocuteur de la préfecture depuis 2013 ne caractérise pas la qualité de syndic,
les pièces produites par les intimés sont inopérantes puisqu'il n'existe plus d'usiniers,
M. [E] n'a jamais été désigné comme syndic et, en tout état de cause, une désignation en qualité de syndic serait irrégulière en l'absence d'usiniers pour élire les syndics,
les deux comptes rendus des 29 septembre 2017 et 2 mars 2015 sont sans portée puisque M. [E] n'a pas été élu à l'assemblée du 29 septembre 2017 et ne pouvait être reconduit par l'assemblée du 2 mars 2018,
sur leur droit d'usage de l'eau
ils demandent la reconnaissance de leur droit d'eau par application de la délibération du 4 septembre 1825,
l'article 11 prévoit la faculté d'arroser pour les propriétaires du [Adresse 8] depuis le samedi à midi jusqu'au lundi à midi de chaque semaine,
l'article 5 prévoit que les syndics détermineront et feront exécuter les mesures et ouvrages les plus convenables pour éviter et empêcher l'interruption du cours d'eau,
le tribunal leur a reconnu le droit d'usage de l'eau et leurs adversaires ne leur dénient pas,
le tribunal s'est à tort appuyé sur un projet de décision de la sous-préfète de Die du 29 avril 2016 sur la modulation du débit d'eau réservé selon les périodes de l'année pour les débouter de leur demande tendant à voir rétablir l'usage de l'eau pour les mois de juillet et d'août,
le tribunal a également opéré une confusion entre débit réservé et absence de débit total,
puisqu'il n'y a aucun assèchement du ruisseau La Meyrose pendant la période estivale, il n'y a aucune raison de couper l'eau en juillet et août,
M. [V] peut également se prévaloir du jugement du tribunal d'instance de Die du 25 août 1989 qui a dit qu'il «'devait être maintenu en possession de la servitude d'irrigation sur le fonds des défendeurs laquelle s'exerce par la rigole située entre les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 1] appartenant à ceux-ci et par le passage longeant cette rigole'».
Par conclusions récapitulatives du 9 mai 2022, le [Adresse 9] et M. [E] demandent à la cour de confirmer le jugement déféré, de débouter les appelants de l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner à leur payer une indemnité de procédure de 5.000€.
Ils exposent que :
sur l'existence légale du Syndicat
le Syndicat a été constitué par une délibération du 4 septembre 1825 approuvée par arrêté du 28 octobre 1825,
depuis sa constitution en 1825, l'arrêté préfectoral susvisé a accordé au Syndicat la gestion du canal,
depuis cette date, aucune décision ni aucun arrêté n'est revenu mettre en cause l'existence et la légalité du Syndicat,
sa personnalité juridique est incontestable,
le canal existe toujours et l'objet du Syndicat ainsi que son utilité perdurent également,
rien n'est venu interrompre son fonctionnement,
l'existence même de la présente procédure démontre son utilité,
sur la qualité de syndic de M. [E]
M. [E] vient aux droits de son père qui a acquis des consorts [U] le 3 novembre 1965 des bâtiments d'exploitation, outre deux petits logements, cour, dépendances, canal d'amenée et de fuite, chute d'eau, turbines et dépendances et tous immeubles par destination,
M. [E] continue de produire son électricité en utilisant la force motrice de sa chute d'eau,
la qualité de syndic de M. [E] résulte des pièces versées aux débats dont il ressort qu'il a toujours été l'interlocuteur de la préfecture,
il n'a jamais été contesté dans cette fonction jusqu'à l'introduction de la présente procédure,
les comptes rendus des réunions des 29 septembre 2017 et 2 mars 2018 indiquent de façon très claire que M. [E] est le syndic en exercice,
en outre, les appelants n'ont aucune qualité pour contester la qualité de syndic de M. [E] puisqu'ils ne sont pas membres du Syndicat,
sur le droit d'usage de l'eau du canal
ils ne contestent pas le droit d'usage des appelants,
pour autant, ceux-ci n'ont pas le droit de s'affranchir des textes régissant la matière, soit l'application de l'article L. 125-1 du code de l'environnement,
par courrier du 27 septembre 2013, le préfet de la Drôme a ordonné à tous les propriétaires ou gestionnaires d'ouvrage de respecter le débit réservé de 124 l/s en utilisant une vanne conforme aux critères fixés par l'administration,
le courrier du 4 juin 2013 du service de la police de l'eau du département de la Drôme constitue clairement des instructions préfectorales à mettre en 'uvre par le syndic,
le maintien du débit réservé est une des principales causes du manque d'eau du canal,
ainsi, le droit d'arrosage des appelants est limité par la loi,
le respect des règlements prime sur le droit d'usage de l'eau du canal.
La clôture de la procédure est intervenue le 27 septembre 2022.
MOTIFS
1/ sur le [Adresse 9] et sur son syndic
Le syndicat a été constitué par une délibération du 4 septembre 1825 approuvée par arrêté du 28 octobre 1825.
Le syndicat a pour objet la gestion et l'entretien du canal qui était, à l'époque, alimenté par huit chutes d'eau destinées à faire tourner les usines et moulins. A ce jour, seules perdurent deux chutes d'eau. La délibération prévoyait la création de deux syndics chargés de faire exécuter le règlement et il était prévu que l'un au moins de ces syndics serait propriétaire ou fils de propriétaire d'une chute d'eau.
Le fait qu'il n'y ait plus d'usines ni de moulins et donc plus d'usiniers est sans conséquence dans la mesure où le canal existe toujours, ce qui justifie la poursuite de son entretien et de sa gestion qui restent toujours confiés au Syndicat en l'absence de toutes dispositions ou décisions visant à mettre fin à son existence.
M. [E] est propriétaire, suivant acte de donation-partage du 27 mai 1978, du bien acquis par son père les 16 octobre et 3 novembre 1965 désignés comme «'des bâtiments d'exploitation, outre deux petits logements, cour, dépendances, canal d'amenée et de fuite, chute d'eau, turbines et dépendances et tous immeubles par destination'». Ainsi, M. [E] est bien propriétaire d'une chute d'eau, condition pour être désigné en qualité de syndic.
En outre, les consorts [K]/ [V], qui ne sont pas membres du Syndicat, n'ont aucune qualité pour contester la qualité de syndic de M. [E] qui est reconnu comme tel par le Syndicat lui-même et par les autorités administratives dont il est l'interlocuteur.
Au regard de ces seuls éléments, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes des consorts [K]/ [V] en constat de l'extinction du Syndicat et du défaut de capacité légale de M. [E] à gérer et faire fonctionner le canal des Fondeaux.
2/ sur le droit d'usage d'eau
Il n'est pas contesté que par application de la délibération du 4 septembre 1825 en son article 11, il est prévu «' la faculté d'arroser pour les propriétaires du [Adresse 8] depuis le samedi à midi jusqu'au lundi à midi de chaque semaine'».
L'article 5 de la délibération prévoit que «'les syndics détermineront et feront exécuter les mesures et ouvrages les plus convenables pour éviter et empêcher l'interruption du cours d'eau'».
Il s'ensuit de cette disposition que les syndics sont tenus d'une obligation de moyen pour assurer la continuité de l'alimentation en eau.
Les syndics, pas plus que les utilisateurs, ne sont pas dispensés de respecter les règlements particuliers et locaux sur le cours et l'usage des eaux conformément à l'article 645 du code civil.
De même, les consorts [K]/ [V] sont tenus de respecter les dispositions de l'article L. 215-1 du code de l'environnement qui prescrit que les riverains n'ont droit d'user de l'eau courante qui borde ou traverse leurs héritages que dans les limites déterminées par la loi et qu'ils sont tenus de se conformer, dans l'exercice de ce droit, aux dispositions, règlements et autorisations émanant de l'administration.
En l'espèce, par courrier du 4 décembre 2013, le service départemental de la police de l'eau a demandé au Syndicat de maintenir dans le ruisseau de Meyrosse un débit minimal estimé au 1er janvier 2014 à 123,4 l/s, garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux et de mettre en place un dispositif permettant le contrôle visuel du respect du débit minimal à faire valider par la police de l'eau. Des dispositions d'application ont ultérieurement été prises par la sous-préfète de [Localité 7] à la suite d'une réunion organisée le 29 avril 2016.
Cette seule injonction démontre l'impossibilité de satisfaire la demande des consorts [K]/ [V] de maintenir en permanence l'alimentation en eau du canal des Fondeaux alors que la priorité est donnée au ruisseau de Meyrosse. Les consorts [K]/ [V], ne démontrant pas période par période que le Syndicat n'a pas alimenté le canal en eau alors que le débit était suffisant, ne peuvent qu'être déboutés de leurs prétentions.
Par voie de conséquence, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
3/ sur les mesures accessoires
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice du Syndicat et de M. [E].
Enfin, les consorts [K]/ [V] supporteront les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [Z] [K] et M. [N] [V] à payer à M. [N] [E] et au [Adresse 9], unis d'intérêt, la somme de 2.000€ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute Mme [Z] [K] et M. [N] [V] de leur demande fondée en appel sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [Z] [K] et M. [N] [V] aux dépens de la procédure d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame CLERC, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT