La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/11/2022 | FRANCE | N°20/04204

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 10 novembre 2022, 20/04204


N° RG 20/04204 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KVQA



C1



Minute :









































































Copie exécutoire

délivrée le :







la SELARL GUMUSCHIAN ROGUET BONZY



la SELARL CDMF AVOCATS



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE

GRENOBLE



CHAMBRE COMMERCIALE



ARRÊT DU JEUDI 10 NOVEMBRE 2022





Appel d'une décision (N° RG 19/02539)

rendue par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GRENOBLE

en date du 09 novembre 2020

suivant déclaration d'appel du 23 décembre 2020



APPELANTE :



S.A.S.U. ECTRA au capital de 267.264,00 euros, immatriculé au RCS de GRENOBLE sous le n° 321 5...

N° RG 20/04204 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KVQA

C1

Minute :

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL GUMUSCHIAN ROGUET BONZY

la SELARL CDMF AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 10 NOVEMBRE 2022

Appel d'une décision (N° RG 19/02539)

rendue par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GRENOBLE

en date du 09 novembre 2020

suivant déclaration d'appel du 23 décembre 2020

APPELANTE :

S.A.S.U. ECTRA au capital de 267.264,00 euros, immatriculé au RCS de GRENOBLE sous le n° 321 561 334, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ;

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée et plaidant par Me David ROGUET de la SELARL GUMUSCHIAN ROGUET BONZY, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIM ÉE :

S.C.I. LES ALPINS au capital de 46 000,00 € immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le n° 347 935 470, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ;

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée et plaidant par Me BANDOSZ de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente de Chambre,

Mme Marie Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 09 juin 2022, Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère qui a fait rapport assistée de Alice RICHET, Greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour, après prorogation du délibéré.

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte authentique des 24 et 27 mai 2009, la Sci Les Alpins a donné à bail commercial à la Sasu Ectra un bâtiment situé [Adresse 1], à usage d'activités de logistique, entreposage, stockage et gestion de stocks, moyennant un loyer annuel de 151.300 euros, hors taxes et hors charges.

Le 3 juillet 2017, la bailleresse a fait délivrer à la société Ectra un congé sans offre de renouvellement et avec offre d'indemnité d'éviction, à échéance du 31 mai 2018.

Sur la requête de la Sci Les Alpins, le juge des référés a ordonné une expertise aux fins de donner des éléments d'appréciation des indemnités d'éviction et d'occupation.

L'expert [J] a déposé son rapport le 4 février 2019 et la Sci Les Alpins a fait assigner la société Ectra en fixation des dites indemnités.

Par jugement en date du 9 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Grenoble a :

- débouté la Sasu Ectra de sa demande en nullité du rapport d'expertise,

- fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 218.500 euros,

- fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle hors taxes de 237.000 euros rétroactivement au 1er juin 2018,

- condamné la Sci Les Alpins à payer à la Sasu Ectra la somme de 218.500 euros au titre de l'indemnité d'éviction, outre intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2019 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chaque partie la charge de ses dépens.

Suivant déclaration au greffe du 23 décembre 2020, la société Ectra a relevé appel de cette décision, en ce qu'elle a :

- débouté la Sasu Ectra de sa demande en nullité du rapport d'expertise,

- fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 218.500 euros,

- fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle hors taxes de 237.000 euros rétroactivement au 1er juin 2018,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chaque partie la charge de ses dépens.

La société Ectra a restitué les locaux le 30 septembre 2021.

Prétentions et moyens de la société Ectra:

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 8 avril 2022, la société Ectra demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 218 500 euros,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle hors taxes de 237.000 euros,

- débouter la Sci Les Alpins de son appel incident,

- statuer de nouveau pour le surplus,

- à titre principal,

- juger que l'activité de la Sasu Ectra est non transférable,

- condamner par conséquent la Sci Les Alpins à payer à la Sasu Ectra la somme de 869.900 euros,

- à titre subsidiaire,

- si la cour considère l'activité de la Sasu Ectra transférable,

- condamner la Sci Les Alpins à payer à la Sasu Ectra la somme de 879 900 euros,

- en tout état de cause,

- dire que ces sommes produiront intérêts capitalisés à compter du 3 avril 2019,

- condamner la Sci Les Alpins à payer à la Sasu Ectra la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais d'expertise.

La société Ectra indique qu'elle abandonne en appel sa demande de nullité du rapport d'expertise et sa contestation du montant de l'indemnité d'occupation fixé par le tribunal.

Elle soutient que son activité n'est pas transférable, que la charge de la preuve du caractère transférable pèse sur la bailleresse qui ne fournit aucun élément en ce sens, alors qu'elle-même justifie de l'absence de bâtiment équivalent et adapté à son activité dans la même zone géographique, que les clients de son entrepôt de [Localité 7] sont basés dans le nord-Isère et ne maintiendront pas leur activité avec elle dans l'hypothèse de son transfert sur son site de [Localité 3].

Elle considère que le nouveau local de [Localité 3] ne peut constituer un local de transfert en raison de son lieu de situation, des axes et conditions de circulation le desservant, qu'il en est de même de son site de [Localité 8], qui n'offre pas de surfaces de stockage disponibles pour absorber l'activité de [Localité 7] et qu'il n'est donc pas démontré par la bailleresse que son fonds soit transférable et que son activité puisse être poursuivie sans perte significative de clientèle ou déplacement du fonds à proximité.

Elle en conclut que :

- l'indemnité d'éviction doit être une indemnité de remplacement qui implique la fixation de la valeur marchande du fonds de commerce, ce que l'expert a refusé de faire, mais qui peut être fixée à 460.000 euros suivant la méthode de rentabilité de l'activité de «transports routiers / déménagements».

- elle subit un trouble commercial du fait du transfert de son activité qu'elle estime devoir être évalué à trois mois de résultats d'exploitation, incluant la dotation aux amortissements,

- la durée de son déménagement peut être évaluée à un mois.

Elle fait valoir que depuis la date du congé et en raison de la précarité de son occupation, elle n'a pas pu prendre de nouveaux clients, que plusieurs d'entre eux ont dénoncé leur contrat, et qu'il en est résulté une diminution constante de son chiffre d'affaires, justifiant une majoration de l'abattement de précarité à 20 %.

Elle rappelle que si son activité est transférable, son préjudice ne peut être inférieur à la valeur du droit au bail fixée par la méthode du différentiel de loyers et relève que les premiers juges ont commis une erreur de calcul.

Sur l'appel incident de la bailleresse, la société Ectra estime avoir démontré que son indemnité d'éviction est très supérieure à celle proposée par la Sci Les Alpins et que l'article L.145-28 du code de commerce étant muet sur le point de départ des intérêts de retard dus sur l'indemnité, le juge était libre de le fixer à la date où la bailleresse a reconnu la devoir, s'agissant d'une obligation contractuelle.

Prétentions et moyens de la Sci Les Alpins:

Selon ses dernières conclusions notifiées le 23 mars 2022, la Sci Les Alpins entend voir :

- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle hors taxes de 237 000 euros rétroactivement au 1er juin 2018,

- réformer le jugement et faire droit à l'appel incident de la Sci  Les Alpins,

- fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 68.200 euros,

- donner acte à la Sci Les Alpins de son offre de régler cette somme et la déclarer satisfactoire,

- réformer le jugement en ce qu'il a appliqué un intérêt de retard capitalisé sur le montant de l'indemnité d'éviction en l'absence de déménagement de la société Ectra,

- débouter la société Ectra de sa demande d'indemnité d'éviction formée tant en principal qu'à titre subsidiaire,

- condamner la société Ectra à payer à la Sci Les Alpins la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.

La Sci Les Alpins soutient que la charge de la preuve du préjudice réparable au titre de l'indemnité d'éviction pèse sur le preneur et que cette indemnité doit être évaluée à la date où le juge statue et en tous cas à celle la plus proche de son paiement.

Elle fait valoir que :

- l'activité de la société Ectra est transférable compte tenu de sa nature et de l'existence d'un autre site de la locataire à [Localité 8], distant de 14 km seulement,

- le 14 juin 2019, la société Ectra a ouvert un nouvel entrepôt de 9.000 m² à [Localité 3], qu'elle disposait jusqu'alors de près de 20.000 m² d'entrepôt sur toute l'agglomération grenobloise, dont le site de [Localité 7] ne représentait que 20 % et dont la suppression ne met pas en péril son existence,

- il n'existe ni droit au bail, ni fonds de commerce pour une activité de logistique, à défaut de clientèle attachée au lieu,

- l'indemnité d'éviction doit se limiter principalement aux frais de remploi et de déménagement,

- les salariés sont réintégrables dans les autres sites d'exploitation, sans licenciement,

- l'activité est transférable sans perte totale de la clientèle.

Elle expose que la société Ectra a elle-même abandonné un site d'exploitation situé à [Localité 11] pour en transférer l'activité à [Localité 3], ce qui démontre l'inanité de son argumentation relative à l'éloignement de son nouvel entrepôt.

Elle considère que la locataire n'établit pas la preuve d'un préjudice qui résulterait de la perte d'un loyer plafonné et de l'obligation de payer un loyer correspondant à la valeur locative réelle, alors que le preneur qui s'acquitte de la valeur locative réelle ne peut subir de préjudice, que le coefficient retenu sur la base des activités de service auxiliaire des transports, pour le calcul de la valeur marchande du fonds de commerce est inapproprié à l'activité réelle d'entreposage et de stockage, que la société Ectra ne rapporte pas la preuve de son préjudice réel essentiellement constitué par la perte de clientèle, qu'elle n'a subi aucune précarité alors qu'elle a inauguré son nouveau site à [Localité 3] et qu'elle dispose encore de locaux à [Localité 8], que le licenciement d'un seul salarié est de pure convenance, tous les autres ayant été reclassés à [Localité 8].

Sur son appel incident, elle conteste :

- d'une part l'existence d'un droit au bail pour l'activité exercée par la société Ectra et l'emplacement en périphérie de locaux de stockage, estimant qu'il n'existe aucun lien entre valeur locative et droit au bail ;

- d'autre part, la fixation par le tribunal du point de départ des intérêts au 3 avril 2019, alors que l'indemnité d'éviction ne devient exigible qu'à compter de l'acceptation de son montant par les parties, ou lorsque le locataire peut quitter les lieux.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

La société Ectra ne soutenant pas son appel à l'encontre des dispositions du jugement ayant rejeté sa demande de nullité du rapport d'expertise et ayant fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle hors taxes de 237.000 euros rétroactivement au 1er juin 2018, ces dispositions devront être confirmées.

En application de l'article L.145-14 du code de commerce, le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit payer au locataire évincé une indemnité égale au préjudice causé et qui comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée des éventuels frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Il est de principe que cette indemnité d'éviction est évaluée en se plaçant au moment le plus proche de la réalisation du préjudice et de la date d'éviction.

Au cas particulier, la société Ectra ayant restitué les lieux, le 30 septembre 2021, c'est à cette date que son préjudice s'est réalisé.

Les parties ne contestent pas la description par l'expert des locaux loués constitués d'un entrepôt de 5040 m² construit en ossature métallique sur soubassement en béton.

Il s'agit de l'un des huit sites exploités par la société Ectra sur le bassin grenoblois et il se trouve au carrefour des grands axes de circulation que sont les autoroutes A48 reliant [Localité 4] à [Localité 6] et A49 reliant [Localité 4] à [Localité 12] et la vallée du Rhône, à proximité des échangeurs de [Localité 13] et de [Localité 5], situation qualifiée de convenable par le cabinet Amouroux, expert consulté par la bailleresse, et d'assez favorable par le cabinet Frérault, expert de la société Ectra.

1°) - sur l'indemnité d'éviction :

a ) - sur l'indemnité principale :

Les parties divergent sur la nature de remplacement ou de déplacement de l'indemnité, la société Ectra considérant que le refus de renouvellement a entraîné la perte de son fonds de commerce, alors que la bailleresse estime que l'activité exploitée ne constituait pas un fonds de commerce et qu'elle était transférable sans perte significative de clientèle.

Les dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce posant une présomption de perte du fonds, il appartient en conséquence au bailleur de démontrer que le préjudice peut être moindre, si l'activité est transférable.

Selon la destination des lieux figurant au bail, la société Ectra exploitait dans les locaux loués à [Localité 7] une activité de logistique sous toutes ses formes conformément à son objet social soit de :

- logistique, entreposage et stockage, gestion de stocks, prestation de services, commissionnaire en douane, sous-traitance industrielle, maintenance, montage et démontage

- emballage, conditionnement industriel, négoce de toutes marchandises, expédition, transports routiers, service de transports publics de marchandises, commissionnaire en transports, location de véhicules de transports de marchandises, garde-meuble, déménagement, transfert industriel ,

- négoce, courtage, transport et gestion de déchets et matières dangereuses.

L'expert [J] a retenu le caractère transférable de l'activité, tout comme l'avait considéré le cabinet Amouroux consulté par la bailleresse en janvier 2016.

Selon les mentions de l'extrait Kbis de la société Ectra, les locaux loués constituaient l'un de ses six établissements secondaires, son siège social et établissement principal étant situé à [Localité 9] à la date de l'éviction.

La cour relève qu'outre l'établissement principal, l'ensemble des activités exploitées sur le site de [Localité 7] étaient exploitées à l'identique sur les sites de [Localité 10] et de [Localité 8].

S'agissant d'une activité de prestation de services logistiques, la clientèle n'est pas attachée spécifiquement à un lieu d'exploitation et l'expert n'a relevé aucun élément permettant de caractériser une indivisibilité entre les différents sites.

La fermeture de l'un n'est, en conséquence, pas susceptible d'empêcher l'exploitation des autres et donc de l'intégralité du fonds de commerce.

De plus, il résulte de l'attestation de M. [B], ancien salarié de la société Ectra que l'activité et les clients du site de [Localité 7] ont été transférés sur ceux de [Localité 8] et de [Localité 3], d'autres pièces indiquant que ce dernier, dont la construction a débuté en avril 2018, a été inauguré en juin 2018, avant la restitution des locaux de [Localité 7].

Ces différents éléments sont de nature à établir le caractère transférable de l'activité exploitée dans les locaux loués et c'est avec raison que les premiers juges ont fait leurs les conclusions de l'expert et considéré que l'indemnité d'éviction devait indemniser le transfert et non la perte du fonds de commerce.

Il ne peut être contesté que la société Ectra, immatriculée au Rcs, exploite une activité de nature commerciale de services logistiques à l'endroit d'une clientèle qui lui est propre. Le fait que cette exploitation soit réalisée sur plusieurs sites n'enlève rien à l'existence d'un fonds de commerce constitué d'éléments corporels et incorporels dont notamment, outre la clientèle, le nom commercial, l'enseigne et le droit au bail.

L'expert [J] a néanmoins considéré qu'il n'existait aucun droit au bail pour les locaux tels que l'entrepôt en question, sans s'en expliquer, alors que la valeur économique de cette composante du fonds de commerce ne peut être réduite à néant et qu'il est de principe que l''indemnité d'éviction doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé.

L'indemnité de transfert de l'activité de la société Ectra doit en conséquence être basée sur la valeur du droit au bail perdu, habituellement déterminé par la méthode du " différentiel de loyer " consistant à retenir la différence entre le loyer tel qu'il aurait été fixé si le bail avait été renouvelé, et la valeur locative du marché.

L'expert [J] a fixé la valeur locative des locaux à 237.000 euros ht par an et le tribunal a fait sienne cette évaluation qu'aucune des deux parties ne conteste.

La société Ectra ne saurait se prévaloir d'une erreur de calcul commise par les premiers juges dans la détermination de la valeur du droit au bail, alors même que la valeur de 118.000 euros résultait de ses propres calculs du différentiel de loyers et se trouve conforme à ses demandes formulées tant dans son dire à l'expert judiciaire du 24 décembre 2018, que dans ses conclusions devant le tribunal judiciaire de Grenoble, qui a donc fait droit à sa demande.

L'évaluation dont elle se prévaut à présent résulte d'une nouvelle expertise privée, non contradictoire, réalisée en décembre 2021, postérieurement au jugement critiqué comme au départ du locataire, et qui ne se trouvant corroborée par aucun autre élément produit devant la cour, ne peut fonder, seule, la décision de la cour.

En conséquence, c'est avec raison que les premiers juges ont évalué l'indemnité principale de déplacement à la somme de 118.000 euros.

b) - sur les indemnités accessoires :

- sur les frais de déménagement :

La société Ectra en justifie à hauteur de 46.229 euros par la production de ses factures et d'une attestation de son commissaire aux comptes. Ces coûts ne sont pas contestée par la bailleresse.

L'expert a évalué la durée du déménagement à dix jours ce qui est de nature à imposer au preneur un cumul de loyers et c'est avec raison que les premiers juges ont alloué une indemnité de 6500 euros en l'absence de contestation sérieuse de la bailleresse.

- sur les frais de licenciement du personnel :

Il est établi par les attestations de M. [B] et du commissaire aux comptes qu'il a été mis un terme au contrat de travail du premier par rupture conventionnelle à la suite de la fermeture du site de [Localité 7], moyennant une indemnité conventionnelle de 5000 euros.

Le jugement qui a rejeté la demande formée sur ce chef d'indemnité devra être infirmé.

- sur les frais de réinstallation :

La valeur des agencements non amortis est justifiée par des pièces comptables et non contesté par la Sci Le Alpins. Elle doit être retenue pour la somme de 11.000 euros, ainsi que l'a fait le tribunal.

- sur les frais de remploi :

L'expert [J] a considéré qu'ils devaient être limités aux frais de recherche et de négociation d'un nouveau bail et les a évalués dans une fourchette de 11.000 à 24.000 euros ht.

La Sci Les Alpins ne conteste pas le principe de cette indemnité.

C'est donc à bon droit que prenant en compte les particularités de l'espèce, le tribunal a fixé l'indemnité de remploi à la somme de 24.000 euros

- sur le trouble commercial :

Le congé avec refus de renouvellement est de nature à perturber l'activité du locataire d'une part en le contraignant à consacrer du temps d'exploitation à la recherche d'un nouveau local et à la gestion de son départ, d'autre part en fragilisant l'exploitation de sa clientèle.

Ce trouble commercial doit être indemnisé.

Si la société Ectra propose un calcul basé sur son excédent brut d'exploitation de l'année 2018, ce dernier correspond à l'activité de l'ensemble des sites, alors même qu'aucun élément ne permet de retenir une indivisibilité entre eux et justifier une indemnisation sur la totalité du fonds de commerce.

A défaut d'élements comptables identifiant les résultats d'exploitation du seul site de [Localité 7] et considérant que selon le constat de l'expert [J], ce site représentait 20 % de la surface de stockage totale dont disposait la société Ectra sur l'agglomération grenobloise, le trouble commercial sera évalué à la somme de 30.600 euros, sur la base de trois mois de 20 % de l'EBE total.

En conséquence, l'indemnité d'éviction due par la Sci Les Alpins à sa locataire sera fixée à la somme de 241.329 euros et il y aura lieu de réformer le jugement en ce sens.

2°) sur l'abattement pour précarité :

La société Ectra ayant expressément conclu qu'elle n'entendait plus contester le montant de l'indemnité d'occupation fixée à la valeur locative des locaux soit 237.000 euros, elle ne peut revendiquer l'intégration dans l'indemnité d'éviction d'un abattement pour précarité qui ne porte que sur l'indemnité d'occupation et n'est pas un élément constitutif de l'indemnité d'éviction.

3°) sur le point de départ des intérêts moratoires :

Si le paiement de l'indemnité d'éviction ne devient exigible qu'après expiration du délai de repentir du bailleur, la restitution des locaux par la société Ectra le 30 septembre 2021 rend illusoire l'exercice de cette faculté.

C'est à cette date que se réalise l'éviction ainsi que ses conséquences dommageables pour le preneur et qu'il conviendra de se placer pour donner effet aux intérêts de retard.

La capitalisation réclamée par la locataire étant de droit, elle sera ordonnée.

4°) sur les dépens et les frais de l'article 700 du code de procédure civile :

Le bailleur qui fait obstacle au droit du preneur au renouvellement de son bail doit supporter les conséquences financières de son refus et notamment la charge des frais et dépens de l'instance en fixation de l'indemnité d'éviction.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Grenoble en date du 9 novembre 2020 sauf en ce qu'il a :

- fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 218.500 euros,

- condamné la Sci Les Alpins à payer à la Sasu Ectra la somme de 218.500 euros au titre de l'indemnité d'éviction, outre intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2019 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chaque partie la charge de ses dépens.

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la Sci Les Alpins à payer à la Sasu Ectra une indemnité d'éviction de 241.329 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2021,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,

CONDAMNE la Sci Les Alpins à payer à la Sasu Ectra une somme de 4500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sci Les Alpins aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire.

SIGNÉ par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/04204
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;20.04204 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award