N° RG 21/02569 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K5EK
C2
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
Me Julie BRUYERE
la SCP LACHAT MOURONVALLE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 08 NOVEMBRE 2022
Appel d'une décision (N° RG 19/00055)
rendue par le Tribunal judiciaire de GAP
en date du 23 mars 2021
suivant déclaration d'appel du 08 juin 2021
APPELANT :
M. [P] [I]
né le [Date naissance 1] 1953
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Julie BRUYERE, avocat au barreau de GRENOBLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/6043 du 16/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)
INTIMES :
M. [U] [G]
de nationalité française
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Christophe LACHAT de la SCP LACHAT MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Maïlys FERRANDA, avocat au barreau de LYON
LA CAISSE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTES ALPES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
M. Laurent Desgouis, vice- président placé
DÉBATS :
A l'audience publique du 26 septembre 2022 Mme Blatry , conseiller chargé du rapport en présence de Mme Clerc, président de chambre, assistées de Madame Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Le 15 mai 2014, M. [P] [I] a subi l'exérèse d'une tumeur située sur sa lèvre inférieure, réalisée par le docteur [U] [G].
Les suites opératoires ont été compliquées par une fistule salivaire mentonnière due à une désunion cicatricielle et un orostome au niveau de la joue droite entraînant une fuite alimentaire lors des repas.
M. [I] a obtenu, suivant ordonnance de référé du 17 février 2015, l'instauration d'une mesure d'expertise judiciaire, outre la condamnation du docteur [G] à lui payer une provision de 15.000€.Par arrêt du 28 septembre 2015, cette décision a été infirmée sur l'allocation de la provision.L'expert, le professeur [C] [Y], a déposé son rapport le 2 septembre 2015.
Suivant exploits d'huissier du 31 décembre 2018, M. [I] a fait citer M. [G] et la CPAM des Hautes Alpes en réparation de son préjudice corporel.
Par jugement du 23 mars 2021, le tribunal judiciaire de Gap a débouté M. [I] de l'ensemble de ses prétentions, dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure et l'a condamné à supporter les dépens de l'instance.
Suivant déclaration du 8 juin 2021, M. [I] a relevé appel de cette décision.
Par uniques conclusions du 3 septembre 2021, M. [I] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
1) à titre principal, condamner le docteur [G] à lui payer les sommes de :
80.000€ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et perte de chance de ne pas subir une infection grave,
10.000€ au titre des souffrances endurées,
60.000€ au titre du préjudice esthétique,
80.000€ pour le déficit fonctionnel permanent,
10.000€ pour le préjudice d'agrément,
2) subsidiairement, ordonner une expertise médicale,
3) en tout état de cause, condamner le docteur [G] à lui payer une indemnité de procédure de 4.000€.
Il expose que :
sur l'obligation d'information
le médecin doit éclairer son patient sur les risques encourus normalement prévisibles, ceci afin que le patient puisse faire valoir un consentement éclairé à l'acte médical,
le médecin ne saurait se contenter de renvoyer le patient à une note écrite sans lui expliquer oralement le contenu du document,
le docteur [G] ne l'a pas normalement informé des conséquences de l'acte médical, voire de ses effets secondaires,
le docteur [G] ne lui a délivré aucune explication complémentaire à la note écrite remise ni ne lui a expliqué les alternatives médicales,
il lui a été impossible d'accepter une deuxième intervention chirurgicale non prévue lors de l'entretien du 7 mai 2004 lorsqu'il a eu subi les conséquences de la première intervention,
il justifie de ses perturbations psychologiques suite à la chirurgie,
sur le défaut de suivi post-opératoire
suite à l'opération, le docteur [G] l'a abandonné pour partir en vacances,
l'infection grave qu'il a présentée a dégénéré du fait de l'absence de prise en charge normale, ce qui constitue une perte de chance de ne pas subir une grave infection post-opératoire et, à tout le moins, une dégénérescence de celle-ci.
Au dernier état de ses conclusions en date du 25 octobre 2021, le docteur [G] demande à la cour de :
1) à titre principal, confirmer le jugement déféré et débouter M. [I] de sa demande d'expertise complémentaire,
2) subsidiairement, si une faute était retenue à son encontre, déduire des montants qui seraient par extraordinaire alloués à M. [I] la provision de 15.000,00€ non encore restituée en suite de l'arrêt infirmatif du 29 septembre 2015,
3) en tout état de cause, condamner M. [I] à lui payer une indemnité de procédure de 4.000€.
Il fait valoir que :
sur l'obligation d'information
le diagnostic de carcinome a été posé indiscutablement avant l'intervention chirurgicale après 2 biopsies, un scanner et après avoir recueilli l'avis d'une réunion de concertation pluridisciplinaire,
l'examen de la pièce d'exérèse a conclu à la persistance de zone de carcinome malhingien in situ,
l'expert a confirmé l'existence d'un cancer et a validé l'indication opératoire posée par lui après concertation pluridisciplinaire,
un traitement chirurgical s'imposait au regard de l'état de santé du patient,
l'expert a validé la technique chirurgicale qui est classique dans ce type de traitement,
les préjudices évoqués par M. [I] sont la conséquence de sa décision de ne pas faire réaliser la deuxième intervention,
il a vu M. [I] à de nombreuses reprises en consultation avant de réaliser le geste opératoire, notamment après la réunion pluridisciplinaire,
il a adressé un compte rendu de la consultation du 7 mai 2014 au docteur [K], cancérologue suivant M. [I], en indiquant la chirurgie envisagée et sur le fait qu'elle se déroule en deux temps,
ce courrier porte la mention que le patient a compris l'intervention et ses risques opératoires et qu'il désire se faire opérer à [Localité 3],
M. [I] a signé le même jour un consentement éclairé,
l'expert, qui a recueilli les doléances de M. [I] lequel a indiqué ne pas avoir compris l'intervention proposée, a souligné qu'il n'était pas toujours évident pour un patient, dans un contexte de maladie grave, de comprendre les explications parfois techniques données,
sur le suivi post-opératoire
il a confié son patient au docteur [L], médecin ORL à [Localité 3], qui a pris en charge M. [I] à partir du 28 mai 2014,
M. [I] a été vu par le docteur [L] le 16 juin 2014 et depuis, n'a plus donné de nouvelles,
la fistule s'est spontanément guérie après quelques semaines et l'orostome est la conséquence du défaut de réalisation du deuxième temps opératoire.
La CPAM des Hautes Alpes, citée le 5 août 2021 à personne habilitée, n'a pas constitué avocat. La décision sera réputée contradictoire.
La clôture de la procédure est intervenue le 6 septembre 2022.
MOTIFS
1/ sur la responsabilité du docteur [G]
M. [I] reproche au docteur [G] un défaut d'information et un suivi post-opératoire défaillant.
Il n'impute au docteur [G] aucun geste chirurgical fautif.
Il est établi que M. [I] a été adressé au docteur [G] pour une lésion suspecte à la lèvre inférieure droite.
Après 2 biopsies, un scanner et à l'issue d'une réunion de concertation pluridisciplinaire, un diagnostic de carcinome malhingien a été posé avec indication d'exérèse dans les plus brefs délais.
sur l'obligation d'information
Selon l'article L.1111-2 du code de la santé publique, toute personne a le droit d'être informée de son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de préventions qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, leurs risques fréquents ou graves normalement prévisibles, les autres solutions possibles et les conséquences prévisibles en cas de refus. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Le non respect du devoir d'information cause à celui auquel il est dû un préjudice ouvrant droit à réparation.
Le docteur [G] a reçu, le 7 mai 2014, M. [I] à l'issue de la réunion pluridisciplinaire pour lui expliquer l'intervention et ses risques.Il ressort du compte rendu de cette consultation adressé le même jour au docteur [K], oncologue du patient, que le docteur [G] a préconisé d'enlever 2/5 de la lèvre inférieure de M. [I] avec dans un deuxième temps, à 6 semaines d'intervalle de la première chirurgie, la mise en 'uvre d'un procédé de reconstruction par lambeau hétérolabial. Le courrier précise que M. [I] a bien compris l'intervention et ses risques.
Cette information de M. [I] est corroborée par la signature le même jour du formulaire de consentement éclairé à l'intervention chirurgicale devant se réalisée le 15 mai 2014 dans lequel M. [I] atteste avoir été informé de sa maladie, de ses risques évolutifs, des bénéfices qu'il pouvait attendre de la chirurgie, des alternatives à celle-ci, de leurs risques propres et avoir reçu les réponses satisfaisantes à ses interrogations.
L'expert a conclu que l'attitude du docteur [G] est conforme aux bonnes pratiques avec la nécessité d'obtenir un diagnostic de certitude anatomopathologique et, qu'à l'occasion de la consultation d'annonce du 7 mai 2014, le docteur [G] a informé M. [I] conformément aux obligations déterminées par le plan Cancer formulé en 2004 comportant un bilan d'extension (clinique et paraclinique), une consultation pluridisciplinaire et une consultation d'annonce. L'expert retient que le docteur [G] a bien délivré une information à M. [I] sur la chirurgie en deux temps.
Ainsi, le docteur [G] ayant satisfait à l'obligation d'information lui incombant, le jugement déféré, qui déboute M. [I] de ses prétentions sur ce premier point, sera confirmé.
sur le suivi post-opératoire
Par application de l'article L.1142 du code de la santé publique, hors les cas où leur responsabilité est encourue à raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de la santé mentionnés à la 4ème partie du code, ne sont responsables des conséquences d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins, qu'en cas de faute.
Dès lors, il appartient à M. [I] de démontrer à l'encontre du docteur [G] une faute en lien de causalité certain et direct avec son préjudice. M. [I] prétend que le docteur [G] l'a abandonné pour partir en vacances sans se soucier du suivi post-opératoire.
Il est établi que, dans un premier temps, une fistule salivaire mentonnière due à une désunion cicatricielle est apparue suite à la chirurgie.
Il est justifié que le docteur [G] a tenté sans succès, le 23 mai 2014, une reprise sous anesthésie locale mais que la fistule a fini, suite à des soins locaux, par se refermer au bout de 4 semaines.
Le docteur [G] démontre qu'il a confié le suivi post-opératoire de M. [I] au docteur [L] et que le patient a été reçu le 28 mai 2014, soit 5 jours après la dernière consultation avec le docteur [G], puis les 3 et 10 juin 2014.
Concernant la deuxième complication tenant à l'apparition d'un orostome, l'expert a conclu que celle-ci était provisoire et devait disparaître à la suite de la deuxième chirurgie de réparation qui n'a pas été réalisée au regard du refus de M. [I].
Dès lors, aucun manquement ne peut être imputé au docteur [G] dans le suivi post-opératoire de M. [I].
Par voie de conséquence, c'est à bon droit que le tribunal a débouté M. [I] de l'ensemble de ses prétentions, y compris au titre de sa demande subsidiaire en deuxième expertise judiciaire pour laquelle M. [I] ne développe pas la moindre argumentation et ne produit aucun élément.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
2/ sur les mesures accessoires
L'équité justifie de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice du docteur [G].
Enfin, les dépens de la procédure d'appel seront supportés par M. [I] avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [P] [I] à payer à Monsieur [U] [G] une indemnité de procédure de 2.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [P] [I] aux dépens de la procédure d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame CLERC, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT