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09/06/2022 | FRANCE | N°20/01717

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 09 juin 2022, 20/01717


N° RG 20/01717 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KOBU





C4



Minute N°





































































Copie exécutoire

délivrée le :







Me David HERPIN



la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY



Le Procureur Général



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS<

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COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE COMMERCIALE



ARRÊT DU JEUDI 09 JUIN 2022



Appel d'un Jugement (N° RG 2019F00685)

rendu par le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISERE

en date du 28 avril 2020

suivant déclaration d'appel du 11 Juin 2020



APPELANT :

Me [S] [J]

mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA SOFIB...

N° RG 20/01717 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KOBU

C4

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

Me David HERPIN

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

Le Procureur Général

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 09 JUIN 2022

Appel d'un Jugement (N° RG 2019F00685)

rendu par le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISERE

en date du 28 avril 2020

suivant déclaration d'appel du 11 Juin 2020

APPELANT :

Me [S] [J]

mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA SOFIBAT, fonction à laquelle il a été désigné par jugement du Tribunal de Commerce de Romans-sur-Isère du 28 juin 2017

de nationalité Française

350 avenue Victor Hugo

26000 VALENCE

représenté et plaidant par Me David HERPIN, avocat au barreau de la DROME,

INTIMÉ :

M. [B] [Z]

né le 07 Novembre 1971 à LYON (69003)

de nationalité Française

205 avenue Lacassagne

69003 LYON

représenté par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me Nicolas BES de la SCP BES SAUVAIGO & Associés, avocat au barreau de LYON, substitué par Me DERRIEN, avocat au barreau de LYON,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Président,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseiller,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Madame Sarah DJABLI, Greffier placé, et en présence de M. PAGES Gabriel, stagiaire,

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée et représenté lors des débats par Mme RATEL, avocat général, qui a fait connaître son avis,

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Avril 2022, M. BRUNO conseiller, a été entendu en son rapport,

Le ministère public est entendu en ses conclusions et réquisitions,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré

Faits et procédure :

1.La société Sofibat a exercé une activité de travaux publics et particuliers, et plus spécialement de plâtrerie, peinture et décoration. Lors de l'assemblée générale tenue le 16 décembre 2014, [B] [Z] a été nommé président du conseil d'administration.

2.Par jugement du 28 juin 2017, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a placé la société Sofibat en liquidation judiciaire. Estimant que [B] [Z] a commis des fautes de gestion, maître [J], ès-qualités de liquidateur, a engagé à son encontre une action en responsabilité pour insuffisance d'actif sur le fondement de l'article L.651-2 du code de commerce.

3.Par jugement du 28 avril 2020, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a':

- dit que les droits de la défense ont été préservés et que les erreurs de forme relevées au soutien de la demande de nullité de l'assignation n'ont causé aucun grief à [B] [Z].

- débouté [B] [Z] de sa demande de nullité de l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif diligentée à son encontre';

- déclaré maître [J] recevable dans son action en comblement de l'insuffisance d'actif à l'encontre de [B] [Z], dirigeant de droit de la société Sofibat';,

- dit qu'il n'est pas établi l'existence d'une faute de gestion imputable à [B] [Z] et ayant contribué à l'insuffisance d'actif constatée';

- débouté maître [J] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de [B] [Z]';

- rejeté les demandes de frais irrépétibles présentées par les parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- mis les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

4.maître [J] a interjeté appel de cette décision le 11 juin 2020, en ce qu'elle a':

- dit qu'il n'est pas établi l'existence d'une faute de gestion imputable à [B] [Z] et ayant contribué à l'insuffisance d'actif constatée';

- débouté l'appelant de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de [B] [Z]';

- rejeté les demandes des frais irrépétibles présentées par les parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 10 mars 2022.

Prétentions et moyens de maître [J], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Sofibat:

5.Selon ses conclusions n°3 remises le 23 août 2021, il demande à la cour, au visa de l'article L651-2 du code de commerce':

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau;

- de condamner [B] [Z] à payer au concluant ès-qualités, la somme de 80.000 euros au titre de la contribution à l'insuffisance d'actif;

- de condamner [B] [Z] à payer au concluant ès-qualités, la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner [B] [Z] aux dépens.

Il expose':

6.- que les créances admises au passif de la société Sofibat représentent un total de 854.053,81 euros, pour un actif de 192.788,04 euros, de sorte qu'il existe une insuffisance de 661.265,72 euros, ce qui n'est pas contesté par l'intimé, dirigeant de droit de cette société anonyme ;

7.- que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance, décider que le montant de cette insuffisance sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion'; que l'article L651-2 du code de commerce n'exige pas la preuve d'une intention frauduleuse'; que cette faute n'a pas à être à l'origine exclusive de la procédure de liquidation'; que la condamnation au paiement de l'insuffisance d'actif n'est pas subordonnée à la poursuite par le dirigeant d'un intérêt personnel';

8.- qu'ainsi, la poursuite d'une activité déficitaire sans raison objective constitue une telle faute'; qu'en l'espèce, l'exercice clos au 31 décembre 2016 indique un résultat d'exploitation négatif pour 63.449 euros et un déficit de 68.932 euros'; que si l'intimé, en cela repris par le tribunal de commerce, a indiqué que les capitaux propres étaient alors positifs pour 53.000 euros, ce qui ne permettrait pas de caractériser une situation irrémédiablement compromise, la société bénéficiait cependant d'un capital social de 170.000 euros, et de capitaux propres au 31 décembre 2015 pour 115.645 euros'; qu'en raison des pertes survenues en 2016, les capitaux propres au 31 décembre 2016 sont ainsi devenus inférieurs à la moitié du capital social'; qu'ainsi, le conseil d'administration aurait dû convoquer une assemblée générale extraordinaire afin de voter sur la dissolution de la société ou la poursuite de l'activité, conformément à l'article L225-248 du code de commerce'; qu'ainsi, la seule référence à l'existence de capitaux propres positifs ne peut permettre de remettre en cause cet exercice déficitaire';

9.- que le CIC Lyonnaise de Banque a rejeté, de façon presque systématique, les prélèvements présentés sur le compte de la société, à partir du 24 avril 2017, soit deux mois avant le dépôt du dossier de cessation des paiements le 23 juin 2017'; qu'au 20 avril 2017, le compte de la société était débiteur de 10.777,66 euros'; que la société ne réglait plus ses factures dès le milieu de l'année 2016'; que néanmoins, cela ne lui a pas procuré de trésorerie, ce qui indique une situation dégradée';

10.- que si l'intimée indique qu'il n'y a pas eu de demande de report de la date de la cessation des paiements, il n'y a cependant pas lieu de confondre la notion de poursuite d'une activité déficitaire avec celle de cessation des paiements, qui sont indépendantes'; que la faute de gestion consistant en la poursuite d'une activité déficitaire ne nécessite pas l'existence d'un état de cessation des paiements'; que le tribunal de commerce n'a ainsi pu s'arrêter à la date des incidents de règlement sur le compte bancaire de la société sans apprécier la situation globale, alors que c'est l'activité déficitaire sur l'année 2016 qui est à l'origine des incidents de paiement survenus au premier trimestre 2017';

11.- que si l'intimé soutient que la société clôturait ses comptes annuels au 31 décembre et qu'ainsi il ne pouvait connaître l'ampleur de la situation avant le 31 mars 2017, cependant, en sa qualité de représentant légal, il devait nécessairement avoir connaissance des difficultés de l'entreprise avant la fin de l'année comptable'; qu'une simple lecture des relevés bancaires lui permettait de connaître les difficultés de trésorerie'; qu'il avait ainsi connaissance des charges impayées'; que les déclarations de créances permettent en outre de constater que de très nombreuses créances n'étaient plus réglées depuis le milieu de l'année 2016';

12.- que la poursuite de l'activité déficitaire a été abusive, puisque la société Sofibat était détenue à 99,88'% par la holding Alain [F] Finances, dont 50'% du capital est détenu par l'intimé, également directeur général'; que le grand livre provisoire de la société Sofibat indique qu'elle a procédé à de nombreux virements au profit de la holding entre le 1er janvier et le 28 juin 2017, pour un total de 245.982,61 euros ; que ces mentions sur le grand livre ne sont pas contestées par l'intimé qui est incapable de les justifier, alors que ces virements ont été effectués à l'époque où la société ne payait plus ses créanciers et avait une activité déficitaire ; qu'à ce titre, si l'intimé produit des relevés bancaires de la holding pour nier l'existence de ces virements, cette société peut avoir d'autres comptes, alors que l'intimé ne produit pas le grand livre 2017 de cette société';

13.- que si l'intimé argue de l'existence d'un compte courant de la société holding de 250.035 euros au 31 décembre 2016, les documents comptables ne précisent pas l'existence de cette créance, alors que cette société n'a déclaré aucune créance au passif de la société Sofibat, et qu'il n'existe qu'une déclaration de l'intimé lors de la déclaration de cessation des paiements sur l'existence d'un compte courant pour un tel montant, mais au nom de monsieur [F] et non au nom de la société holding';

14.- que l'intimé était salarié de la holding, et a fait primer son intérêt personnel en multipliant les virements au profit de cette société, afin d'assurer sa rémunération, au détriment des créanciers et des salariés de la société Sofibat, en aggravant la situation de cette dernière'; qu'il est conscient de cette difficulté puisque tout en niant avoir reçu aucune rémunération, il a refusé de justifier de ses revenus, de sorte que le concluant a dû obtenir deux ordonnances juridictionnelles enjoignant la production des déclarations fiscales de l'intimé pour les années 2015 et 2016, faisant ressortir des revenus versés par la société holding pour plus de 40.000 euros pour chacune de ces années;

15.- que la société Alain Galiffet Finances a été placée en liquidation judiciaire le 22 février 2018, ce qui démontre qu'elle percevait ses ressources par les prélèvements opérés sur la trésorerie de la société Sofibat';

16.- concernant le montant de la contribution de l'intimé au passif de la société Sofibat, que ce dernier ne justifie pas de sa situation actuelle'; que la demande du concluant à hauteur de 80.000 euros est modérée au regard d'une absence d'actif pour 661.265,77 euros.

Prétentions et moyens de [B] [Z]':

17.Selon ses conclusions n°3 remises le 29 octobre 2021, il demande à la cour, au visa des articles 9 du code de procédure civile, L631-1, L631-8, L651-2 et L662-3 du code de commerce';

- de le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes';

- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions';

- de débouter maître [J] de l'ensemble de ses demandes';

- en toutes hypothèses, de dire n'y avoir lieu à condamnation au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif';

- en tout état de cause, de condamner l'appelant ès-qualités, à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, à employer en frais privilégiés de procédure.

Il soutient':

18.- que selon l'article L651-2 du code de commerce, la poursuite d'une activité déficitaire n'est pas en soi une faute de gestion, seul l'abus étant sanctionné, alors que la simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société ne peut engager sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif'; que la poursuite abusive d'une activité déficitaire n'est pas établie par le seul constat de pertes d'exploitation'; que seule la poursuite d'une activité déficitaire irrémédiablement compromise, qui contribuerait à l'aggravation de l'insuffisance d'actif, pourrait constituer une faute de gestion';

19.- qu'en l'espèce, le tribunal de commerce a fixé la date de la cessation des paiements au 23 juin 2017, soit à la date du dépôt de la déclaration au greffe'; que cette date est devenue définitive alors que l'appelant n'a pas demandé qu'elle soit reportée'; qu'il n'y a eu ainsi aucune faute pour retard dans la déclaration de cessation des paiements et ainsi aucune faute de gestion;

20.- que si l'appelant invoque une situation irrémédiablement compromise en juillet 2016, l'existence de dettes antérieures à la déclaration de cessation des paiements ne démontre pas que l'entreprise se trouvait dans cette situation avant le dépôt de bilan, ce qu'a retenu le tribunal'; que l'essentiel des factures impayées listées par l'appelant concerne des créances exigibles à partir du 31 décembre 2016 ou du début de l'année 2017'; qu'il n'est procédé à aucune comparaison avec l'actif disponible à l'époque, ni à la vérification d'éventuels moratoires'; que les capitaux propres étaient positifs pour 53.000 euros au 31 décembre 2016, de sorte qu'il n'était pas possible de caractériser une situation irrémédiablement compromise antérieurement'; qu'ainsi que retenu par le tribunal, la survenance d'incidents bancaires n'est intervenue qu'à partir du mois de mars 2017 ; que les comptes bancaires étaient créditeurs jusqu'au mois de juin 2017';

21.- que la société clôturait ses comptes annuels le 31 décembre, de sorte que le concluant ne pouvait connaître la situation financière plusieurs mois auparavant'; que les comptes de résultat et le bilan ont ainsi été établis le 31 mars 2017 pour l'année comptable 2016'; que la déclaration de cessation des paiements est intervenue trois mois plus tard et ainsi dans un délai raisonnable';

22.- qu'il appartient en outre à l'appelant de démontrer que la poursuite de l'activité déficitaire a été abusive'; que s'il invoque des versements effectués au profit de la société Alain [F] Finances, cette société a cependant effectué des apports en compte courant d'associé à hauteur de 250.035 euros'; qu'en outre, la réalité des flux financiers entre les deux sociétés n'est pas démontrée, puisque le relevé de compte de la société holding ne montre l'existence que d'un seul virement de 6.200 euros entre janvier et juin 2017'; que la somme visée par le liquidateur ne correspond pas ainsi à un véritable flux entre les deux sociétés sur cette période et que de simples écritures comptables ne permettent pas la condamnation du concluant;

23.- que rien n'établit que le concluant ait perçu une rémunération de la société holding entre janvier et juin 2017'; que les revenus perçus en 2015 et 2016 sont relativement faibles et sans mesure avec le montant des virements allégués par maître [J]';

24.- qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la faute alléguée et l'insuffisance d'actif.

Conclusions du ministère public':

25.Selon ses conclusions remises le 1er avril 2022, il conclut à l'infirmation du jugement déféré et à ce qu'il soit fait droit aux demandes du liquidateur judiciaire, maître [J] apportant la preuve qu'outre des rejets de prélèvements opposés par la banque à compter du mois d'avril 2017, de nombreuses factures, pour des montants très importants, sont demeurées impayées depuis le courant de l'année 2016, ce qui ne pouvait échapper au dirigeant.

26.Il énonce également que le caractère abusif de la poursuite de l'activité dans ces conditions est établi par les rémunérations versées à l'intimé par le biais de la société holding, qu'il savait être un élément déterminant à charge puisqu'il a menti sur ce point, avant d'être contraint à justifier de ses revenus suite aux incidents formés par l'appelant.

27.Il indique enfin que le lien de causalité entre la poursuite de l'activité déficitaire et l'insuffisance d'actif est établi par la nature même de la faute de gestion, laquelle entraîne mathématiquement l'augmentation du passif, alors que la demande de maître [J] est proportionnée.

*****

28.Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION':

29.A titre liminaire, la cour précise que lors de l'audience du 6 avril 2022 lors de laquelle l'affaire a été plaidée, l'appelant a posé la question de la recevabilité des conclusions du ministère public, déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture. La cour répond que selon l'article 431 alinéa 2 du code de procédure civile, le ministère public, partie jointe, peut déposer ses conclusions après une telle ordonnance, et même répondre oralement aux conclusions des parties principales. Elle observe en outre que l'appelant a été invité à exposer ses observations lors de l'audience. Il ne peut en conséquence être retiré aucune conséquence de la date de remise des conclusions du ministère public, contre lesquelles il n'est d'ailleurs pas formé de demande d'irrecevabilité.

30.Sur le fond, il résulte du jugement déféré que le tribunal a constaté que selon les mentions portées sur l'extrait K bis de la société Sofibat, [B] [Z], désigné comme président du conseil d'administration, a bien la qualité de dirigeant de droit de la société Sofibat, personne morale soumise à une procédure de liquidation judiciaire, ouverte par jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère du 28 juin 2017.

31.Le tribunal a énoncé que si, au soutien de son action, maître [J] reproche essentiellement à [B] [Z] d'avoir poursuivi abusivement une activité déficitaire, s'appuyant sur les documents comptables et financiers de la société Sofibat, ainsi que sur les déclarations de créances reçues, qui trahissent l'existence de créances impayées antérieures à la déclaration de cessation des paiements et ce dans le but de favoriser les intérêts de la société Alain [F] Finances, société holding de la société Sofibat ou encore les intérêts personnels de [B] [Z], du fait du maintien de sa rémunération, cependant, la procédure de liquidation judiciaire a été ouverte par le tribunal de commerce sur déclaration de cessation des paiements formalisée par [B] [Z], dirigeant de la société Sofibat, et dans le jugement d'ouverture du 28 juin 2017, le tribunal a fixé la date de cession des paiements au 23 juin 2017, soit la date exacte du dépôt de la déclaration de cession des paiements au greffe.

32.Sur ce point, le tribunal a retenu qu'il n'a pas été saisi d'une demande en report de la date de cessation des paiements sur le fondement des dispositions de l'article L631-8 du code de commerce et que dans le cadre de la présente instance, le tribunal est tenu par la date fixée dans le jugement d'ouverture et devenue définitive.

33.La cour indique que la sanction édictée par l'article L651-2 du code de commerce suppose la démonstration d'une faute de gestion, ayant contribué à l'insuffisance d'actifs mise en lumière par la procédure de liquidation judiciaire. A ce titre, la faute peut être antérieure à la date de la cessation des paiements, dès lors que le lien de causalité entre cette faute et l'insuffisance d'actif est établi. Il n'est pas d'ailleurs nécessaire que cette faute soit la cause exclusive de la totalité de l'insuffisance constatée, ainsi qu'indiqué par maître [J].

34.En conséquence, peu importe que le tribunal de commerce n'est pas reporté la date de la cessation des paiements de la société Sofibat, laquelle a été définitivement fixée à la date du dépôt de la requête afin d'ouvrir une procédure collective concernant cette société. D'ailleurs, le jugement déféré a constaté que le liquidateur judiciaire ne fait pas reproche à [B] [Z] de ne pas avoir procédé à la déclaration de cessation de paiement dans le délai de 45 jours à compter de la survenance de l'état de cessation des paiements, mais qu'il tente de démontrer que la société Sofibat se trouvait être dans une situation irrémédiablement compromise dès le mois de juillet 2016.

35.Concernant l'existence du passif, et de l'insuffisance d'actif, il n'est pas contesté que les créances admises au passif de la société Sofibat représentent un total de 854.053,81 euros, alors que l'actif n'est que de 192.788,04 euros. L'existence d'une insuffisance d'actif à hauteur de 661.265,72 euros est établie.

36.La sanction édictée par l'article L651-2 du code de commerce suppose la démonstration d'une faute véritable, la simple négligence du dirigeant de la personne morale dans la gestion de la société ne permettant pas d'engager sa responsabilité, ainsi que précisé par ce texte. Cependant, ainsi qu'énoncé par le liquidateur, la poursuite en toute connaissance d'une activité déficitaire sans raison objective constitue une telle faute.

37.En la cause, maître [J] produit les comptes annuels clos au 31 décembre 2016, faisant apparaître un résultat déficitaire avant impôt de 68.932 euros, au regard d'un chiffre d'affaires de 1.157.548 euros. Le résultat fiscal est négatif pour 83.099 euros. La cour note que les capitaux propres sont ainsi passés de 170.000 euros à 53.011 euros, en raison non seulement de cet exercice déficitaire, mais également d'un report à nouveau d'un déficit antérieur de 132.872 euros. Au regard du volume du chiffre d'affaires, cet insuffisance de capitaux propres devait attirer l'attention de monsieur [Z] sur la possibilité d'une poursuite de l'activité, et éventuellement sur le déclenchement d'une procédure de prévention, si l'état de cessation des paiements n'est pas alors apparente. Au même titre, ce bilan indique l'existence de dettes pour 753.551 euros en fin d'exercice, à comparer aux capitaux propres à la même date. Les disponibilités ne représentent que 21.918 euros. Ainsi qu'indiqué par le liquidateur, en raison de cette insuffisance de capitaux propres au regard du capital social de 256.067 euros, il appartenait à monsieur [Z], dès le mois de mars 2017, de provoquer une assemblée générale afin de mettre en 'uvre les dispositions de l'article L225-248 du code de commerce, la société Sofibat étant une société anonyme.

38.En outre, cet intimé est mal fondé à invoquer le fait qu'en raison de la clôture de cet exercice, et du temps nécessaire pour l'établissement de la comptabilité, il n'était pas alors en mesure de s'apercevoir du risque de défaillance de l'entreprise.

39.Il résulte en premier lieu de ses fonctions de président du conseil d'administration de la société Sofibat qu'il est tenu de mettre en place une structure lui permettant de vérifier en temps réel la situation de l'entreprise placée sous son contrôle et des outils de gestion fiables lui permettant d'appréhender la situation économique et financière de la société, afin de prendre, en temps utile, les mesures nécessaires. En raison de pertes antérieures

déjà importantes, telles que reprises dans le bilan 2016, monsieur [Z] se devait d'être particulièrement vigilant sur la situation économique de la société Sofibat.

40.L'inexécution de cette obligation de vérifier la situation financière de l'entreprise pendant l'exercice, et pas seulement lors de l'établissement des comptes annuels, se vérifie par la faiblesse des disponibilités, ainsi qu'énoncé plus haut, et par le fait qu'il est établi par les déclarations de créances que dès le mois d'avril 2016, la société ne réglait plus ses factures (dont celle du cabinet d'avocats au titre d'une assistance fiscale). Ce fait a été récurrent pour certains fournisseurs ou sous-traitants intervenant de façon habituelle. L'examen du compte bancaire ouvert auprès de la Lyonnaise de Banque confirme que dès le mois de mars 2017, la banque a commencé à facturer des frais d'intervention, alors que les prélèvements ont été rejetés à compter du mois d'avril 2017, concrétisant l'absence de disponibilités suffisantes.

41.Ainsi que soutenu par maître [J], il y a ainsi lieu de tenir compte de l'état global de la société Sofibat, et le tribunal de commerce n'a ainsi pu retenir que malgré un résultat déficitaire de 62.634 euros, les capitaux propres de la société Sofibat restaient positifs à hauteur de 53.000 euros, ce qui ne permettrait pas de caractériser une situation irrémédiablement compromise, ajoutant que la survenance d'incidents bancaires n'est relevée qu'à partir de mars et avril 2017, ce qui laisse présumer que jusque là, la société Sofibat était en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Il résulte au contraire des pièces produites que la société ne réglait plus ses créanciers de façon régulière depuis plusieurs mois, que ses disponibilités étaient insignifiantes au regard de son chiffre d'affaires, lequel connaissait une baisse significative, puisque selon la déclaration de cessation des paiements déposée par monsieur [Z], il était passé de 1.413.884 euros au 31/12/2015 à 1.157.648 euros au 31/12/2016, soit une diminution de l'activité de 18,12'% sur une année, fait ne pouvant échapper à l'attention du dirigeant. Contrairement à l'appréciation portée par le tribunal, la dégradation de la trésorerie a débuté avant la fin de l'année 2016.

42.Il résulte de ces éléments que monsieur [Z] n'a pas ainsi surveillé de façon suffisante la situation économique de la société Sofibat, malgré une diminution nette de l'activité pendant l'année 2016, la faiblesse des disponibilités et l'insuffisance des capitaux propres, le défaut de paiement de plusieurs créanciers dès le mois d'avril 2016, faits ne pouvant lui échapper. Il aurait ainsi dû mettre en place, avant la fin de l'année 2016, une procédure préventive. La poursuite de l'activité a été fautive, et a abouti à un passif représentant près des deux tiers d'une année de chiffre d'affaires, avec une insuffisance d'actif de 661.265,72 euros représentant plus de six mois du chiffre d'affaires réalisé sur l'année 2016, le capital social étant essentiellement composé de la valeur du fonds de commerce. Ce défaut de surveillance et d'action de cet intimé constitue une faute de gestion qui a concouru à l'insuffisance d'actif. Le jugement sera ainsi infirmé de ce chef en toutes ses dispositions.

43.En outre, la poursuite de l'activité aux conditions énoncées ci-dessus trouve son explication dans les versements effectués par la société Sofibat envers sa holding, la société Alain [F] Finances, détenue à 50'% par monsieur [Z]. Il est ainsi établi par le grand livre global de la société Sofibat qu'entre janvier et juin 2017, la société Alain [F] Finances a bénéficié de virements pour un montant de 245.982,16 euros (répertoriés dans les écritures comptables comme «'Virt AG FINANCES'»).

44.Ainsi qu'indiqué par le liquidateur judiciaire, ces virements ont été effectués à une époque lors de laquelle la société Sofibat ne réglait plus nombre de ses fournisseurs, pas plus que ses charges fiscales et sociales, et alors qu'elle venait de connaître une perte importante, outre une activité en forte diminution

pendant l'année écoulée. Si monsieur [Z] précise que la société holding détenait un compte courant d'associé créditeur de 250.035 euros, le bilan de la société Sofibat ne permet pas de caractériser ce fait, en raison de son imprécision sur ce point, cette somme étant comptabilisée au titre des dettes en général. Comme relevé par maître [J], la société holding n'a déclaré aucune créance et l'intimé ne produit aucune pièce accréditant des avances en compte courant effectuées par la société holding. Le tribunal n'a pu ainsi indiquer que la preuve de l'existence de flux réels entre les deux sociétés n'est pas rapportée et qu'il n'est pas démontré que l'enregistrement des écritures comptables à hauteur de 245.982,61 euros caractérise un détournement des fonds de la société Sofibat au profit de la société holding Alain [F] Finances.

45.Il a en outre fallu deux incidents de procédure devant le conseiller de la mise en état afin que monsieur [Z] produise ses déclarations de revenus, lesquelles ont fait ressortir des versements importants de la part de la holding, alors qu'il niait antérieurement de telles perceptions de revenus. Contrairement à l'appréciation portée par les premiers juges, il est ainsi attesté de sommes reçues par [B] [Z].

46.Il résulte de ces éléments que maître [J] est fondé à soutenir que la poursuite d'activité reprochée à [B] [Z] est abusive du fait de l'intérêt personnel tiré par le dirigeant de la société Sofibat de cette poursuite d'activité. Il ressort de ces faits que ce dirigeant, en connaissance de la dégradation de la situation et de l'activité de l'entreprise, a poursuivi une exploitation déficitaire qui a conduit à la cessation des paiements, afin de pouvoir continuer à percevoir des rémunérations de la société holding dans laquelle il était associé à hauteur de 50'%, cette situation ayant conduit à la cessation des paiements de la société Sofibat et à l'insuffisance d'actif. Le jugement déféré sera également infirmé de ce chef.

47.S'agissant du montant de la contribution de monsieur [Z] à l'insuffisance d'actif constatée, cet intimé ne justifie pas de sa situation financière actuelle. La demande formée par le liquidateur judiciaire est proportionnée au regard du montant de cette insuffisance. Il sera en conséquence fait droit à sa demande.

48.Monsieur [Z] succombant devant cet appel sera condamné à payer à maître [J] ès-qualités la somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l'article L651-2 du code de commerce';

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions';

statuant à nouveau';

Condamne [B] [Z] à payer à maître [J], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Sofibat, la somme de 80.000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif;

Condamne [B] [Z] à payer à maître [J], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Sofibat, la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne [B] [Z] aux dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel';

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/01717
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;20.01717 ?
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