N° RG 18/03925 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JVYN
MPB
N° Minute :
Notifié aux parties par LRAR
le :
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE
Me Sophie ADRIAENS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 03 DECEMBRE 2020
Appel d'un Jugement (N° R.G. 2017J134)
rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 05 septembre 2018
suivant déclaration d'appel du 19 Septembre 2018
et assignation à jour fixe du 19 Septembre 2018
APPELANTE :
SA GROUPE CHARLES ANDRE TRANSPORTS
S.A au capital de 80 000,00 €, immatriculée au RCS de ROMANS sous le n°350 334 934, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me BARTHELEMY, avocat au barreau de VALENCE,
INTIMES :
Monsieur [E] [K]
né le [Date naissance 1] 1949 à
de nationalité TCHEQUE
[Adresse 6]
[Localité 4] RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
Société COTRA AUTOTRANSPORT AG
société de droit suisse immatriculée au registre du commerce du canton d'Argorvie sous le numéro CHE-105.846.430, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentées par Me Sophie ADRIAENS, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me DEFRIRE du cabinet WEIL & Associés, avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Patricia GONZALEZ, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseiller,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Alice RICHET, Greffier.
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Octobre 2020 fixée par ordonnance en date du 12 octobre 2018 de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel de céans
Madame Marie-Pascale BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
EXPOSE DU LITIGE':
Un projet de cession des titres de la société de droit tchèque Litra s.r.o, détenus à 70 % par la société de droit suisse Cotra Autotransport AG (société Cotra) et à 30 % par M [E] [K], au bénéfice de la Sa Groupe Charles André Transports (société Charles André) a donné lieu à un engagement de confidentialité le 26 mars 2015.
Le 21 janvier 2016, la société Charles André a présenté une offre de 7.800.000 € pour l'acquisition de 100 % du capital de la société Litra que la société Cotra a accepté le 26 janvier suivant.
Des désaccords sont néanmoins intervenus durant les négociations finales qui ont fait obstacle à la régularisation de la convention de cession prévue le 30 juin 2016 à l'aéroport de [Localité 8].
Par courriels des 17 juillet et 3 août 2016, la société Cotra, puis M [K] informaient la société Charles André qu'ils mettaient un terme aux pourparlers.
Après une tentative infructueuse de relancer les négociations pour parvenir à finaliser cette cession, la société Charles André a fait assigner la société Cotra et M [K] devant la juridiction commerciale, en exécution forcée.
Par jugement en date du 5 septembre 2018, le tribunal de commerce de Romans sur Isère s'est déclaré incompétent et a :
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- mis les dépens à la charge de la société Charles André.
Suivant déclaration au greffe du 19 septembre 2018, la société Charles André a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées le 19 septembre 2018, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé détaillé de ses moyens, la société Charles André demande la cour de :
- déclarer son appel recevable bien-fondé ;
- infirmer le jugement dont appel ;
- dire et juger que l'obligation de transfert des titres doit être exécutée dans le ressort du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère ;
- en conséquence ;
- dire et juger le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère compétent pour statuer sur ses demandes ;
- dire et juger que la loi française est applicable au litige ;
- condamner les sociétés intimées aux dépens de première instance et d'appel.
La société Charles André soutient que son action est fondée sur la responsabilité contractuelle'; que la compétence territoriale doit être déterminée, conformément aux dispositions du règlement européen n°44/2000 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I et de la convention de Lugano du 16 septembre 1988, en fonction du lieu d'exécution de l'obligation sur le fondement de laquelle est exercée cette action'; que l'obligation de délivrance des titres par les vendeurs doit s'exécuter au domicile de l'acquéreur, soit à son siège social à [Localité 5].
Concernant le droit applicable au litige, la société Charles André relève que la loi applicable au contrat n'a pas été désignée dans l'offre acceptée et qu'elle doit être déterminée par application de la convention de Rome du 19 juin 1980.
Elle considère que les vendeurs ont l'obligation de délivrer les titres cédés à leur acquéreur, obligation devant s'exécuter au siège social de la société Charles André, et que le droit français doit en conséquence être appliqué.
Au terme de leurs conclusions respectives notifiées le 21 janvier 2020, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé détaillé de leurs moyens, la société Cotra et M [E] [K] entendent voir :
- confirmer le jugement ;
- y ajoutant ;
- condamner la société Charles André à payer à M [K] et Cotra Autotransport AG la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Charles André aux entiers dépens de l'instance.
La société Cotra et M [K] rappellent que les obligations résultant de pourparlers sont susceptibles de relever de la matière contractuelle lorsqu'il existe, malgré l'absence de convention, un engagement librement assumé par une partie envers l'autre.
Ils conviennent qu'en application de l'article 7.1 du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012, dit «'Bruxelles I bis'», la juridiction compétente est celle du lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande'; que cette obligation est en l'espèce le transfert de la propriété des titres de la société Litra.
Ils soutiennent cependant que seules les juridictions tchèques sont compétentes pour connaître du litige aux motifs que':
- le lieu d'exécution de cette obligation ne peut être déterminé que par la loi désignée par la règle de conflit de la juridiction saisie';
- devant les juridictions françaises, cette règle résulte du règlement n°593/2008 du 17 juin 2008 dit «'Rome I'» dans son article 4.2 désignant la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle';
- le transfert de la propriété des titres d'une société tchèque devant être supportée en partie par M [K], le droit tchèque devrait être appliqué à la lettre d'intention du 21 janvier 2016';
- le contrat ne présente pas de liens plus étroits avec la France qui permettrait d'écarter cette présomption';
- selon le droit tchèque et le droit suisse, le lieu d'exécution d'une obligation non pécuniaire est le domicile ou siège social du débiteur de l'obligation.
MOTIFS DE LA DECISION':
L'action introduite par la société Charles André est fondée sur l'existence d'obligations contractuelles et il n'est pas discuté entre les parties que la détermination de la compétence juridictionnelle internationale doit suivre le régime applicable à la matière contractuelle, au titre de l'engagement librement consenti que revendique la société Charles André envers la société Cotra et M [K].
L'instance concernant d'une part une société immatriculée en France et un ressortissant de la République Tchèque, États membres de l'Union Européenne, d'autre part une société immatriculée en Suisse, État adhérent à l'Association Européenne de Libre Échange, il y a lieu de faire application des dispositions combinées du Règlement européen n°1215'/2012 du 12 décembre 2012 et de la convention de Lugano du 16 septembre 1988.
L'article 7.1 du Règlement dispose que': «'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande'».
L'article 5 § 1 de la convention de Lugano prévoit en des termes similaires que: « le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée'».
Si le critère de compétence ainsi énoncé est le lieu d'exécution de l'obligation de délivrance des titres dont la société Charles André recherche l'exécution forcée, il est de principe que sa détermination relève de la loi applicable au contrat désignée par les règles de conflit de la juridiction saisie.
Les règles de conflit résultant du Règlement européen n° 593/2008 du 17 juin 2008 posent le principe du choix par les parties de la loi applicable au contrat, mais au cas particulier, la lettre d'intention du 26 janvier 2016 ne comporte aucune stipulation à ce sujet et aucun des échanges intervenus entre les parties n'a expressément formulé un accord sur la désignation de la loi applicable aux relations établies entre elles.
A défaut, il convient de faire application des dispositions de l'article 4.1.a du Règlement du 17 juin 2008 qui prévoient que le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle.
L'article 4.2 précise en outre que si le contrat n'est pas couvert par les hypothèses énoncées par l'article 4.1, il est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle.
Ainsi, ces dispositions désignent la loi tchèque à l'égard de M [K] et la loi suisse à l'égard de la société Cotra pour déterminer le lieu d'exécution de leur obligation respective de délivrance des titres.
Il est versé aux débats':
- l'article 1955 du code civil tchèque qui dispose d'une part qu'une obligation en nature s'exécute au domicile ou au siège du débiteur et une obligation pécuniaire à celui du créancier, d'autre part qu'une obligation créée en lien avec l'exploitation d'une entreprise, est acquittée au siège de l'entreprise.
- l'article 74 du code suisse des obligations qui prescrit que le lieu d'exécution de l'obligation est déterminé par la volonté des parties et qu'à défaut de stipulation contraire, le paiement d'une somme d'argent s'opère dans le lieu où le créancier est domicilié à l'époque du paiement, que lorsque l'obligation porte sur une chose déterminée, elle est délivrée dans le lieu où elle se trouvait au temps de la conclusion du contrat et que toute autre obligation est exécutée dans le lieu où le débiteur était domicilié lorsqu'elle a pris naissance.
Les lois tchèque et suisse désignent donc le lieu de délivrance des titres, obligation dont la société Charles André réclame l'exécution, comme étant le domicile ou siège social du débiteur et non du créancier.
Il en résulte que selon la loi applicable au contrat, la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation n'est pas le tribunal de commerce Romans sur Isère, qui avec raison a décliné sa compétence et dont la décision devra être confirmée.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère en date du 5 septembre 2018,
Y ajoutant,
CONDAMNE la Sa Groupe Charles André Transports à payer à la société Cotra Autotransport AG et à M [E] [K] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Sa Groupe Charles André Transports aux dépens de son appel.
SIGNE par Mme GONZALEZ, Président et par Mme RICHET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Président