N° RG 18/03994 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JV7K
HC
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jean-Paul CALLOUD
Me Christian BROCHARD
Me Laurent CLEMENT-CUZIN
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 17 NOVEMBRE 2020
Appel d'une décision
rendue par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de GRENOBLE
en date du 27 août 2018
suivant déclaration d'appel du 22 Septembre 2018
APPELANT :
M. [G] [W]
né le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 6] (Algérie)
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté et plaidant par Me Jean-Paul CALLOUD, avocat au barreau de CHAMBÉRY
INTIMÉE :
LA SOCIÉTÉ CDMF AVOCATS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me Christian BROCHARD, avocat au barreau de LYON et par Me Laurent CLEMENT-CUZIN, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Hélène COMBES Président de chambre,
Madame Véronique LAMOINE, Conseiller,
Monsieur Frédéric DUMAS, Vice président placé, suivant ordonnance de madame la première présidente en date du 17 juillet 2020 ,
Assistés lors des débats de Anne BUREL , Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 octobre 2020, Madame COMBES a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs plaidoiries.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSE DU LITIGE
Selon acte sous seing privé du 27 février 2016, la SCP [G] [W] représentée par son gérant et seul associé [G] [W], a signé avec la Selarl CDMF-Avocats une convention de cession de clientèle.
Parallèlement, [G] [W] et la Selarl CDMF-Avocats ont conclu un contrat de travail à durée indéterminée, à effet au 1er janvier 2016.
Ce contrat conclu par référence à la convention collective des avocats salariés prévoyait qu'[G] [W] exercerait les fonctions d'avocat salarié à concurrence de 218 jours de travail dans l'année et moyennant un salaire mensuel brut de 4.743,07 euros sur 12 mois.
[G] [W] a démissionné de son emploi d'avocat salarié par courrier du 27 septembre 2017 avec effet au 31 décembre 2017.
Par lettre recommandée du 23 janvier 2018, [G] [W] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de Grenoble sur le fondement de l'article 142 du décret du 27 novembre 1991 pour obtenir la condamnation de la Selarl CDMF-Avocats à lui payer diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des rappels de salaires et de RTT, des frais de déplacement, de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Il formait une demande subsidiaire de dommages intérêts.
Après échec de la conciliation, le bâtonnier a par décision du 27 août 2018 débouté [G] [W] de toutes ses demandes après avoir retenu :
- que la convention de forfait conclue entre les parties est sans effet,
- qu'[G] [W] échoue dans l'administration de la preuve et ne fournit pas d'éléments objectifs de nature à étayer sa demande,
- que les décomptes qu'il produit sont invérifiables,
- que le temps passé ne se confond pas avec le travail commandé,
- que la violation de l'article L 3121-60 du contrat de travail n'est pas démontrée
Par courrier du 22 septembre 2018 reçu à la cour le 25 septembre 2018, [G] [W] a formé un recours contre la décision du bâtonnier.
Les parties ont été convoquées par lettre recommandée à l'audience du 10 décembre 2018.
A cette date, l'affaire a été renvoyée. Après plusieurs renvois, elle a été retenue à l'audience du 12 octobre 2020.
Dans ses dernières conclusions, [G] [W] demande à la cour de confirmer la décision du bâtonnier sur l'annulation de la convention de forfait jours et l'infirmant pour le surplus de condamner la Selarl CDMF-Avocats à lui payer la somme de 115.593,18 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et celle de 11.559,31 euros au titre des congés payés afférents.
Il sollicite encore la remise des bulletins de salaire correspondants et réclame 25.458 euros au titre du travail dissimulé.
Subsidiairement, il réclame 4.699,48 euros au titre des jousr de RTT et 469,94 euros au titre des congés payés afférents ainsi que 100.000 euros à titre de dommages intérêts en application de l'article L 3121-61 du code du travail.
Il expose que dans le cadre de la conclusion du contrat de travail, la volonté des parties était d'assurer la transmission effective de la clientèle et non de rentabiliser au maximum sa force de travail ; que la réalité de l'exécution du contrat de travail s'est rapidement avérée bien différente.
Il reproche à la Selarl CDMF-Avocats d'avoir fait le choix de privilégier une baisse des charges afin d'optimiser financièrement l'opération de cession et précise que ses collaborateurs n'étant pas remplacés, il a dû assumer seul le suivi des dossiers cédés.
Il invoque une pression constante avec un rappel systématique de son chiffre d'affaires hebdomadaire et précise que pendant deux ans, il n'a jamais eu accès aux comptes de la Selarl CDMF-Avocats pour vérifier les chiffres de sa propre activité.
Il invoque un horaire hebdomadaire de plus de 65 heures et développe l'argumentation suivante :
La convention en forfait jours est nulle :
- en raison de l'absence d'entretien individuel alors que la convention collective nationale des cabinets d'avocat prévoit un entretien annuel donnant lieu à un compte-rendu remis au salarié,
- en l'absence d'analyse des jours travaillés,
- en raison de la non prise en compte par la Selarl CDMF-Avocats de ses multiples alertes sur sa charge de travail,
- en raison du non bénéfice des jours de RTT, de sorte qu'il a travaillé au minimum 228 jours en 2016 et 2017.
La nullité de la convention l'autorise à réclamer le paiement de ses heures supplémentaires.
Il rappelle que de jurisprudence constante, il appartient au salarié de fournir un décompte à charge pour l'employeur d'apporter une réponse.
Il établit sa réclamation pour les années 2016 et 2017 sur la base de 65 heures par semaine en 2016 et au premier semestre 2017 et de 55 heures pour le second semestre 2017, ce qui représente 2.590 heures supplémentaires pour un montant de 115.593,18 euros.
Sur le travail dissimulé, il fait valoir que les gérants de la Selarl CDMF-Avocats ne pouvaient ignorer le volume de son horaire effectif.
La Selarl CDMF-Avocats conclut à la confirmation de la décision du bâtonnier et au rejet des demandes de [G] [W] .
Elle réclame 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle sollicite subsidiairement la fixation des dommages intérêts à de plus justes proportions.
Elle développe l'argumentation suivante :
La convention de forfait en jours librement acceptée lors de l'embauche d'[G] [W] est valable.
- pendant toute l'exécution de son contrat de travail, [G] [W] ne l'a jamais remise en cause.
- les modalités de contrôle et de suivi de la convention de forfait ont été strictement respectées et ont même permis de constater qu'il travaillait moins que ce que la convention de forfait prévoyait,
- il ne peut tirer argument d'une prétendue absence de suivi pour 2017 alors qu'il s'est lui-même soustrait à la procédure,
- un entretien a bien été organisé chaque année, même si aucun compte-rendu n'a été rédigé,
- l'analyse de sa charge de travail a été constante,
La demande au titre des heures supplémentaires doit être rejetée.
- Il appartient à [G] [W] de fournir des éléments pertinents de nature à étayer ses demandes,
- aucun objectif ne lui a été fixé,
- les documents produits émanent d'[G] [W] uniquement,
- aucun décompte hebdomadaire précis et objectif n'est produit,
- les pièces sont inexploitables et font apparaître des incohérences,
- il demande même des heures supplémentaires au mois d'août,
- tous les témoignages produits évoquent sa démobilisation,
- il ne faut pas confondre temps de travail et amplitude,
- la qualification d'heures supplémentaires implique qu'elles aient été réalisées à la demande de l'employeur ou avec son accord implicite,
- l'agenda révèle une activité faible,
- en l'absence de caractère intentionnel, la demande d'indemnité pour travail dissimulé doit être rejetée.
DISCUSSION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
1 - Sur la convention de forfait
Le contrat de travail liant les parties a été conclu le 1er janvier 2016 sur la base d'un forfait annuel de 218 jours, conformément à la convention collective du 17 février 1995.
[G] [W] conclut à la nullité de la convention de forfait en raison du non respect des dispositions de l'article L 3121-46 du contrat de travail dans sa version en vigueur le 1er janvier 2016 qui dispose :
'Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.'
Il invoque également la méconnaissance par la Selarl CDMF-Avocats des dispositions de la convention collective nationale des cabinets d'avocats qui prévoit que l'avocat salarié bénéficie annuellement d'un entretien avec sa hiérarchie au cours duquel sont notamment évoquées la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité, un compte-rendu de l'entretien étant établi et remis à l'avocat salarié.
Il est acquis en jurisprudence qu'à défaut d'entretien annuel portant sur les points ci-dessus rappelés, la convention est privée d'effet.
En l'espèce, la Selarl CDMF-Avocats ne prouve par aucune pièce qu'au cours des deux années d'exécution du contrat de travail, elle a organisé un entretien annuel individuel avec [G] [W].
Ne saurait établir qu'elle a respecté ses obligations sur ce point, l'attestation de [X] [F], assistante juridique, qui mentionne la tenue d'entretiens auxquels elle n'a pas assisté, ce qui est manifestement insuffisant, et qui n'ont de surcroît donné lieu à l'établissement d'aucun compte-rendu.
C'est à bon droit que le bâtonnier a dit que la convention de forfait liant les parties est sans effet, ce qui autorise [G] [W] à solliciter le paiement d'heures supplémentaires.
2 - Sur les heures supplémentaires
L'article L 3171-4 du contrat de travail dispose :
'En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
[G] [W] soutient avoir été contraint d'effectuer de nombreuses heures de travail en dépassement de l'horaire contractuel, heures de travail qui ne lui ont pas été rémunérées.
Il produit au soutien de sa demande 209 pièces qui sont pour l'essentiel les longs courriers électroniques, qu'il a adressés aux associés de la Selarl CDMF-Avocats tout au long de la relation contractuelle, et les réponses qui lui étaient apportées.
Les 100 premières pièces qui sont antérieures au 31 décembre 2017, date de la rupture du contrat de travail, concentrent les critiques qu'[G] [W] a, dès le début de la relation contractuelle, formulées sur l'organisation interne de la Selarl CDMF-Avocats qui manifestement ne lui convenait pas.
Elles rendent amplement compte de ses difficultés à intégrer une structure qui fonctionnait de façon fort différente de celle qu'il avait mise en place a sein de sa propre SCP.
S'il affirme à longueur de mails son investissement total et évoque l'ampleur de sa charge de travail, il demeure en revanche totalement évasif sur les horaires accomplis.
Quant aux pièces postérieures au 1er janvier 2017 qu'il verse aux débats, les pièces 153 et 154 sont supposées rendre compte de ses horaires de travail compris entre son arrivée au cabinet et son départ.
Mais elle ne mentionnent en réalité que les heures auxquelles il a envoyé des courriers électroniques.
Le contenu des tableaux récapitulatifs ainsi produits n'est pas suffisamment détaillé et précis pour constituer des éléments préalables susceptibles d'être discutés par l'employeur.
C'est exactement que le bâtonnier a relevé que l'envoi de mails n'établit pas la réalité d'un travail de fond et que l'amplitude horaire ne saurait être assimilée à du temps de travail.
[G] [W] échouant à présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées, c'est exactement que le bâtonnier l'a débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires et du travail dissimulé.
3 - Sur les demandes subsidiaires
[G] [W] sollicite le paiement des 18 jours de RTT qu'il affirme n'avoir jamais été mis en mesure de prendre.
La Selarl CDMF-Avocats s'y oppose, répliquant qu'[G] [W] travaillait bien moins que ce que prévoyait la convention de forfait jours et qu'à compter de 2017, il a délibérément refusé de tenir informée de sa situation la comptable du cabinet.
La Selarl CDMF-Avocats verse aux débats une attestation de [V] [S], comptable, qui indique que pour 2016, [G] [W] avait au mois d'octobre dépassé son quota de jours et que les associés lui ont demandé de 'lui offrir' le jour qui avait été retenu sur sa fiche de paie.
Elle ajoute que par la suite, [G] [W] ne lui a plus communiqué ses jours de congés, de sorte qu'elle n'était plus en mesure de vérifier le respect des jours travaillés.
[G] [W] conteste la valeur probante de cette attestation en ce qu'elle émane d'une salariée du cabinet, mais il est produit aux débats par la Selarl CDMF-Avocats (pièce 17), un mail du 4 novembre 2016 dans lequel [G] [W] écrit : 'Suite au mail de [V], je pense qu'il serait souhaitable de ne pas signaler ni donc a fortiori mentionner mes futures absences de jours ouvrables ni donc de les compter en 'jours CP excédant le quota.'
Ce courrier électronique qui va dans le même sens que l'attestation de [V] [S], en confirme la sincérité et conduit à retenir qu'[G] [W] a bien bénéficié de tous les jours de RTT auxquels il avait droit.
Il sera débouté de sa demande de ce chef.
[G] [W] sollicite également le paiement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'article L3121-61 du code du travail qui dispose :
'Lorsqu'un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause conventionnelle ou contractuelle contraire, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à sa qualification.'
Mais les éléments produits par [G] [W] sont insuffisants à établir que sa rémunération était manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui étaient imposées.
C'est par une motivation pertinente que le bâtonnier a débouté [G] [W] de sa demande de ce chef.
La décision du bâtonnier sera confirmée en toutes ses dispositions.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la Selarl CDMF-Avocats.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement
- Confirme la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Grenoble en toutes ses dispositions.
- Y ajoutant, déboute [G] [W] de sa demande au titre des jours de RTT.
- Déboute la Selarl CDMF-Avocats de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne [G] [W] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT