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09/06/2020 | FRANCE | N°19/02862

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 1ere chambre, 09 juin 2020, 19/02862


N° RG 19/02862 - N° Portalis DBVM-V-B7D-KCR2

HC

N° Minute :

















































































Copie exécutoire délivrée



le :

à :



la SCP CLEMENT-CUZIN

LEYRAUD DESCHEEMAKER



la SELARL CABINET BALESTAS



- LR AR aux

parties le



- Procureur Général le





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 9 JUIN 2020









Appel d'une décision rendue le 3 juin 2019 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de GRENOBLE, suivant déclaration d'appel du 28 Juin 2019



APPELANT :



Monsieur [P] [R], Avocat au barreau de Grenoble

né le [...

N° RG 19/02862 - N° Portalis DBVM-V-B7D-KCR2

HC

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SCP CLEMENT-CUZIN

LEYRAUD DESCHEEMAKER

la SELARL CABINET BALESTAS

- LR AR aux parties le

- Procureur Général le

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 9 JUIN 2020

Appel d'une décision rendue le 3 juin 2019 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de GRENOBLE, suivant déclaration d'appel du 28 Juin 2019

APPELANT :

Monsieur [P] [R], Avocat au barreau de Grenoble

né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 7]

de nationalité italienne

[Adresse 1]

[Localité 3]

assisté par Me Laurent CLEMENT-CUZIN de la SCP CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

LA SELAS FIDAL, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 4]

[Localité 5]

assistée par Me Olivier FONTIBUS, avocat au barreau de VERSAILLES et Maître Jean-Yves BALESTAS, avocat au barreau de Grenoble.

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ   :

Mme Hélène COMBES, Président de chambre,

Mme Dominique JACOB, Conseiller,

M Frédéric BLANC, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Anne BUREL, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 09 Mars 2020, Madame COMBES a été entendue en son rapport.

Les avocats ont été entendus en leurs plaidoiries.

l'affaire a été mise en délibéré au 7 avril 2020, puis le délibéré a été prorogé à la date de ce jour en raison de l'état d'urgence sanitaire.

EXPOSE DU LITIGE

Embauché en qualité de juriste confirmé par la société Fidal à compter du 1er mars 2013, [P] [R] a été inscrit au barreau de Grenoble et un nouveau contrat de travail a été régularisé le 2 janvier 2014 pour un exercice en qualité d'avocat salarié confirmé.

Sa rémunération annuelle a été fixée à 42.000 euros bruts outre un bonus pouvant atteindre 3 mois de salaire, le salarié étant soumis au forfait annuel en jours.

Le 11 juin 2018, [P] [R] a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a saisi le bâtonnier du différend l'opposant à la société Fidal le 20 juin 2018.

La tentative préalable de conciliation n'ayant pas abouti, [P] [R] a formulé diverses demandes.

Par décision du 3 juin 2019, le bâtonnier a :

- Dit nul et de nul effet les dispositions du contrat de travail relatives au forfait jour,

- Pris acte de la proposition de la société Fidal de procéder au règlement du solde des salaires 2017/208 à hauteur de 5.814 euros

- Condamné la société Fidal à payer à [P] [R] les sommes suivantes :

42.183 euros et 4.218,30 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires outre congés payés afférents,

19.386 euros à titre de dommages intérêts pour travail dissimulé,

25.000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

8.275 euros à titre d'indemnité de licenciement,

20.000 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 28 juin 2019, [P] [R] a formé un recours à l'encontre de la décision du bâtonnier.

L'affaire a été fixée à l'audience du 9 mars 2020.

[P] [R] demande à la cour de débouter la société Fidal de son appel incident, de confirmer la décision du bâtonnier sur la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le travail dissimulé, sur l'exécution déloyale du contrat de travail et sur la nullité du forfait jour et la condamnation au rappel de salaires au titre des heures supplémentaires.

Sollicitant l'infirmation de la décision du bâtonnier sur le rejet de ses demande au titre du bonus contractuel et du principe 'à travail égal, salaire égal' ainsi que sur le quantum des sommes allouées, il réclame la condamnation de la société Fidal à lui payer :

- 11.963,46 euros à titre de rappel de salaire et 1.196,30 euros au titre des congés payés afférents ,

- 140.400 eurosà titre de rappel de salaire en vertu du principe 'à travail égal, salaire égal' et 14.040 euros au titre des congés payés afférents, et subsidiairement 70.632,75 euros et 7.063,27 euros,

- 88.800 euros au titre du bonus contractuel et 8.800 euros au titre des congés payés afférents, subsidiairement 65.644 euros et 6.544 euros et très subsidiairement 42.000 euros et 4.200 euros,

- 44.400 euros et subsidiairement 32.772 euros pour travail dissimulé,

- 55.500 euros et subsidiairement 40.965 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,

- 14.453,12 euros et subsidiairement 9.806,70 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 70.277 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 2.500 euros au titre des frais irrépétibles

Il sollicite la remise de bulletins de salaire rectifiés.

Il expose que ses fonctions au sein de la société Fidal se sont exercées dans un contexte de crise permanente en raison de départs et remplacements mais soutient que son chiffre d'affaires a été en constante augmentation ;

qu'en dépit de bons résultats, la réduction de sa rémunération a été envisagée au mois de décembre 2015 par un avenant qu'il n'a pas signé.

que Maître [C] spécialisé en droit social est décédé au mois de [Date décès 6] 2016 et a été remplacé par Maître [A] [Z], senior manager ;

qu'au mois de novembre 2016, le directeur régional lui a annoncé qu'aucun bonus ne lui serait octroyé pour 2016 et que sa rémunération fixe annuelle subirait la réduction décidée en 2015 ;

que pour 2017, sa rémunération fixe a été de 37.333 euros, puis de 36.000 euros pour 2018.

Il développe devant la cour l'argumentation suivante :

I - Sur la prise d'acte de la rupture et sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse

S'agissant des violations du contrat de travail par son employeur, il invoque le non respect de la rémunération fixe de 2014 à 2017 la rémunération fixe et le non respect des obligations pour le versement du bonus.

II - Sur le travail dissimulé

Il rappelle qu'étant soumis au forfait annuel en jours, la rémunération est censée compenser la charge de travail.

Il fait valoir qu'en décidant de baisser unilatéralement sa rémunération de 2015 à 2018, la société Fidal dissimule la somme totale de 12.924 euros soit une mensualité de salaire chaque année, sur laquelle elle ne paie pas les cotisations sociales obligatoires et la cotisation au régime complémentaire d'assurance vieillesse.

Il observe que la société Fidal reconnaît bien le principe de la dissimulation puisqu'elle se reconnaît redevable de la somme de 5.814 euros

III - Sur le paiement de la rémunération variable contractuelle

Il soutient que si l'employeur ne précise pas les objectifs à réaliser, le salarié droit au versement intégral de la part variable de la rémunération concernée.

Il conteste l'appréciation du bâtonnier sur le bonus discrétionnaire.

IV - Sur le statut réel et le principe 'à travail égal, salaire égal'

Il décrit l'ensemble de ses attributions et soutient qu'il faisait le même travail que [A] [Z], avocat senior responsable de mission, embauchée en 2016 et dont il a assuré le remplacement pendant plus de six mois.

V - Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Il invoque son préjudice financier ainsi que l'atteinte à son équilibre mental et physique.

VI - Sur la nullité du forfait jours et le paiement des heures supplémentaires

Il soutient que les dispositions conventionnelles de l'accord d'entreprise Fidal sont insuffisantes pour s'assurer que la charge de travail de l'avocat est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire.

Faisant appel incident, la société Fidal demande à la cour de confirmer la décision du bâtonnier uniquement en ce qu'elle a offert de payer au salarié un rappel de salaire de 5.814 euros et l'infirmant pour le surplus, de débouter [P] [R] de toutes ses demandes.

Elle réclame 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle réplique que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'une démission et conteste les moyens développés par [P] [R] faisant valoir l'argumentation suivante :

I - Sur la rémunération fixe annuelle

Selon l'accord des parties, elle était versée par mensualités de 3.231 euros bruts, le solde devant être versé le premier mois de l'année suivante. Tel a été le cas aux mois de janvier 2015, 2016 et 2017.

A la date de la prise d'acte, seule la rémunération de l'année 2017 n'avait pas été réglée entièrement pour un solde de 3.231 euros. Ce seul manquement ne peut en aucune façon justifier une prise d'acte.

II - Sur l'absence de notification des objectifs annuels

Elle observe que dès lors que les parties ont prévu un bonus discrétionnaire et non une clause de rémunération variable fondée sur des objectifs fixés par l'employeur, l'absence de notification d'objectif annuels ne peut en aucun cas justifier une prise d'acte de la rupture.

Elle ajoute que l'employeur n'a pas à justifier de la baisse ou de la suppression du bonus.

III - Sur l'inégalité salariale

Elle fait valoir qu'il appartient à [P] [R] de démontrer qu'à travail égal ou valeur égale, il a été victime d'une inégalité de rémunération.

Elle insiste sur la différences des rôles et responsabilités d'[P] [R] et de deux avocates du cabinet et conteste toute inégalité de salaire.

IV - Sur le forfait jours

Elle fait valoir que le dispositif est conforme aux dispositions contractuelles et qu'il est régulier ; qu'à supposer qu'il ne soit pas applicable, [P] [R] ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires qu'il dit avoir accomplies.

Elle conclut qu'aucune indemnité pour travail dissimulé ne peut être due.

DISCUSSION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

Par courrier du 11 juin 2018, remis en mains propres à [E] [V], directeur du bureau Fidal de Grenoble, [P] [R] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, reprochant à son employeur la non régularisation de son salaire contractuel, la remise d'une fiche d'objectifs erronée et une inégalité de traitement.

Il est acquis en jurisprudence que la prise d'acte de la rupture, modalité de rupture du contrat de travail réservée au seul salarié, produit les effets d'un licenciement aux torts de l'employeur lorsque les griefs invoqués par le salarié sont réels et suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

Dans le cas contraire, elle produit les effets d'une démission.

Il convient dès lors de rechercher dans un premier temps si les griefs invoqués par [P] [R] à l'encontre de la société Fidal sont réels et dans un second temps s'ils présentent une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

I - Sur les griefs

1 - Sur le non paiement de la rémunération contractuelle

Selon les conditions particulières du contrat de travail d'avocat salarié signé le 2 janvier 2014 entre les parties, la rémunération annuelle est fixée à 42.000 euros bruts, indemnité de congés payés incluse. Elle est liquidée mensuellement par douzième, soit 3.231 euros, une liquidation devant intervenir 'en décembre et/ou janvier, à la convenance de l'avocat'.

Le contrat prévoit également qu'il peut être attribué à l'avocat un bonus 'dont le montant, déterminé en fonction d'une évaluation globale, peut atteindre un maximum de trois mois de salaire, indemnité de congés payés incluse.'

Il en ressort sans aucune ambiguïté que la rémunération contractuelle qui doit être de 42.000 euros bruts et qui doit être versée au plus tard au mois de janvier de l'année N+1 ne se confond pas avec le bonus, ou avec tout autre versement décidé par l'employeur.

Les bulletins de salaire produits par [P] [R] pour toute la durée de la relation contractuelle révèlent qu'il n'a pas perçu la rémunération contractuelle prévue de 42.000 euros, puisque le salaire brut apparaissant sur les bulletins de salaire du mois de décembre de chaque année, intègre soit un bonus (3.228 euros au mois de janvier 2015) soit une prime exceptionnelle (3.228 euros au mois de janvier 2016 et 2.228 euros au mois de décembre 2017).

Ainsi, déduction faite de ces sommes qui ne se rattachent pas à la rémunération contractuelle, la rémunération brute perçue par [P] [R] s'établit à :

- 37.984 euros en 2014,

- 39.166 euros en 2015,

- 39.166 euros en 2016

- 39.009 euros en 2017

- 26.096 euros du 1er janvier au 31 août 2018.

Le non versement de la rémunération contractuelle de [P] [R] est confirmée par les propres pièces 4 à 7 de la société Fidal qui révèlent que la rémunération contractuelle n'a jamais été versée, puisqu'elle a été complétée par des primes exceptionnelles.

Or de par leur caractère exceptionnel, ces primes ne peuvent être assimilées à la rémunération prévue au contrat.

Il en résulte que sur toute la durée de la relation contractuelle, c'est la somme de 12.467 euros que la société Fidal s'est abstenue de payer à [P] [R] en méconnaissance des termes du contrat.

Ce point a d'ailleurs été admis par le bâtonnier au point F de sa décision, mais il n'a pas tiré les conséquences de ses constatations en limitant le rappel de salaire au titre de la rémunération contractuelle à la somme de 5.814 euros reconnue par la société Fidal.

Le manquement de la société Fidal à son obligation contractuelle est établi.

[P] [R] limitant sa demande de rappel de salaire à la somme de 11.963,46 euros outre les congés payés afférents, il sera fait droit à sa demande de ce chef.

2 - Sur la nullité de la convention de forfait en jours

Devant la cour, la demande d'[P] [R] au titre de la nullité du forfait jours n'est plus formulée à titre subsidiaire et il sollicite la confirmation de la décision du bâtonnier, tant sur la nullité de la convention que sur le paiement de la somme de 42.183 euros au titre des heures supplémentaires.

L'application d'un forfait en jours à un avocat salarié est conforme aux dispositions de l'article L 3121-58 du code du travail et il est admis par les deux parties que tant la convention collective des cabinets d'avocat que l'accord d'entreprise signé au sein de la société Fidal - que les parties s'abstiennent de produire aux débats - prévoient l'organisation du travail sous forme de forfait en jours.

Pour juger que les dispositions du contrat de travail relatives au forfait jour sont nulles et de nul effet, le bâtonnier a notamment retenu que les dispositions du contrat de travail sur le contrôle du temps de travail du salarié n'ont pas été respectées, qu'il n'y a pas eu d'entretien en 2015, que le suivi de la charge de travail était fait de manière très irrégulière sur des fiches en décalage de plusieurs mois par rapport aux périodes contrôlées.

La société Fidal qui conteste l'appréciation du bâtonnier, réplique que le dispositif mis en place s'agissant du temps de travail, assurait le plein respect des dispositions contractuelles relatives à la régularité du forfait jours.

Mais dans les pièces qu'elle verse aux débats, la société Fidal ne justifie pas que tout au long de la relation contractuelle elle a satisfait aux exigences de l'article L 3121-65 du code du travail.

Ainsi, il n'apparaît pas qu'elle s'est régulièrement assurée que la charge de travail du salarié était compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires et qu'elle a organisé une fois par an, un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail.

Le seul entretien dont il est justifié figure en pièce 8 de la société Fidal et concerne les années 2016 et 2017.

La pièce 111 produite par [P] [R] atteste de l'irrégularité et du décalage des fiches 'tempo' correspondant au relevé mensuel des jours d'activité.

C'est exactement que le bâtonnier a dit nulles et de nul effet les dispositions du contrat de travail relatives au forfait jour, ce qui autorise [P] [R] à solliciter le paiement des heures supplémentaires au delà de la durée légale de 35 heures hebdomadaires.

3 - Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Le bâtonnier a fait droit à la demande de [P] [R] au titre des heures supplémentaires à hauteur de 42.183 euros, sans expliciter sa décision.

[P] [R] sollicite la confirmation de la décision du bâtonnier sur ce point.

Il est de jurisprudence constante que la preuve des heures de travail n'incombe spécialement à aucune des parties.

[P] [R] étaye sa demande par la description de ses horaires de travail en page 59 de ses conclusions (9 h / 12 h30 - 14 h /19h30).

Quant à la société Fidal, elle ne produit aucune pièce contredisant les éléments fournis par [P] [R] .

Sur la base d'un horaire de travail moyen de 40 heures par semaine et dans la limite de la prescription prévue par l'article L 3245-1 du code du travail, la société Fidal sera condamnée à payer à [P] [R] la somme de 30.000 euros au titre des heures supplémentaires outre 3.000 euros au titre des congés payés afférents.

4 - Sur l'inégalité salariale

[P] [R] soutient que son statut est celui d'avocat senior responsable de mission et que rien ne justifie la différence de salaire entre [A] [Z] et lui.

Il réclame à titre principal un rappel de salaire sur la base de la rémunération de [A] [Z] et subsidiairement sur la base du salaire moyen des avocats et juristes du bureau Fidal de Grenoble.

Ainsi qu'il a été rappelé précédemment, [P] [R] a été embauché en qualité d'avocat confirmé au mois de janvier 2014 et il est devenu avocat senior en 2017.

Bien qu'elle n'en justifie par aucune pièce, la société Fidal indique en page 10 de ses conclusions les différents statuts des avocats au sein de sa structure, qui révèlent la gradation suivante : avocat junior, avocat II, avocat confirmé, avocat senior, avocat manager, avocat senior manager, avocat directeur associé.

[P] [R] décrit tout au long de ses écritures les conditions dans lesquelles il a exercé son activité au sein de la société, conditions qui ne sont pas contredites par la société Fidal et dont il résulte :

- que lors de son embauche, le cabinet grenoblois de la société Fidal avait connu de grandes difficultés après le départ de Maître [B],

- que le seul avocat spécialiste en droit social, [H] [C], était en mi temps thérapeutique en raison d'une grave maladie dont il est décédé au mois de [Date décès 6] 2016,

- que [I] [N] a pris la direction du bureau de [Localité 3] de fin 2012 à janvier 2014, date à laquelle la direction a été assurée par Maître [E] [V], spécialiste en droit fiscal,

- que [P] [R] a pendant un temps été le seul avocat permanent en droit social et qu'il était le seul interlocuteur du cabinet dans le domaine du droit social. (Pièce 121),

- que [A] [Z] a été embauchée au mois d'avril 2016 en qualité de senior manager et qu'au cours de son congé de maternité, c'est [P] [R] qui a assuré son remplacement.

Il ressort des propres pièces et conclusions de la société Fidal que dès l'origine, [P] [R] a exercé comme avocat senior et non comme avocat confirmé.

Ainsi, dans l'attestation qu'il a établie le 4 mars 2020, [E] [V] écrit :

' En tant que directeur du bureau de [Localité 3] du cabinet Fidal depuis début 2014, j'ai managé Monsieur [P] [R] jusqu'à son départ courant 2018.

A ce titre, j'ai constaté que Monsieur [P] [R] mettait en oeuvre des compétences qui correspondaient précisément à celles requises par son statut d'avocat senior telles qu'elles sont détaillées dans la classification interne du cabinet Fidal (....)'

En outre, la société Fidal écrit en page 12 de ses conclusions : 'La reconnaissance du statut d'avocat senior à partir du mois d'octobre 2017, ne devait aucunement changer les attributions de Maître [P] [R] '.

Ces deux pièces sont la reconnaissance expresse de l'employeur que le statut d'avocat confirmé n'était pas adapté à [P] [R] qui depuis 2014 était livré à lui-même dans le domaine du droit social, ce dont atteste [S] [W], juriste, (pièce 93) selon lequel [P] [R] remplaçait régulièrement [H] [C] pendant les mois de sa maladie et après son décès et qu'il travaillait en totale autonomie.

Au regard du contexte du bureau de [Localité 3], la reconnaissance du statut d'avocat senior au mois d'octobre 2017 est pour le moins tardive.

[P] [R] soutient qu'à compter de son embauche en qualité d'avocat manager responsable de mission, [A] [Z] a exercé les mêmes fonctions que lui.

Les nombreuses pièces qu'il verse aux débats corroborent cette affirmation. Ainsi :

- [S] [W] précise que [P] [R] et [A] [Z] travaillaient chacun leurs propres dossiers en totale autonomie,

- aucune des pièces produites ne révèle une relation hiérarchique entre [A] [Z] et [P] [R] ,

- [P] [R] assurait de nombreuses formations au même titre que [A] [Z], (64, 65, 85, 86, 88, 95...)

- [P] [R] et [A] [Z] étaient l'un comme l'autre sous la supervision de [E] [V], avocat fiscaliste (94), qui s'adressait à eux de la même façon, dans les mêmes messages (96), de même que d'autres membres du cabinet (98),

- le directeur régional considérait [P] [R] et [A] [Z] comme une équipe, (102)

- [P] [R] a remplacé [A] [Z] pendant son congé de maternité,

- [T] [K] qui a été avocat manager responsable de mission au sein du bureau de [Localité 3] à compter du mois de septembre 2016, atteste que [P] [R] gérait son portefeuille au même titre que [A] [Z] et que leurs fonctions étaient identiques, [P] [R] ayant en outre assuré un certain nombre de missions de [A] [Z] pendant son congé maternité, (122)

- [M] [U], qui a travaillé comme avocat fiscaliste senior, indique que [P] [R] et [A] [Z] assuraient des tâches identiques pour une même responsabilité.

Pour s'opposer à la demande d'[P] [R] , la société Fidal invoque les différences concernant leurs formations et expériences antérieures.

Il n'est pas contesté que [A] [Z] a prêté serment en 2007 (pièce 33), de sorte qu'elle avait dans le métier d'avocat une ancienneté bien supérieure à celle d'[P] [R], ce qui interdit à celui-ci d'invoquer une identité de situation.

En revanche rien ne justifie que la rémunération d'[P] [R] qui s'est impliqué dans son travail en parfaite autonomie et dont les efforts ont été soulignés par le directeur régional (pièce 35) soit fixée en dessous de la moyenne des salaires annuels des avocats seniors du cabinet, qu'il évalue à 65.544 euros, somme que la société Fidal ne conteste pas.

Sur la base de cette rémunération, [P] [R] peut prétendre dans la limite de la prescription à un rappel de salaire de (65.544 euros - 42.000 euros = 23.544 euros x 3) 70.632 euros outre 7.063 euros au titre des congés payés afférents.

5- Sur le travail dissimulé

Retenant le non paiement des heures supplémentaires, le bâtonnier a retenu l'existence d'un travail dissimulé et fait droit à la demande d'[P] [R] de ce chef à hauteur de 19.384,61 euros.

Mais le prononcé de la sanction prévue par l'article L 8223-1 du code du travail est subordonné à la constatation que c'est de manière intentionnelle que l'employeur a omis de procéder aux déclarations légales.

En l'espèce, le paiement des heures supplémentaires est la conséquence de l'insuffisance de la société Fidal dans l'élaboration et le suivi de la convention de forfait jours, de sorte que le caractère intentionnel de l'omission n'est pas établi.

[P] [R] sera débouté de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

6 - Sur le bonus contractuel

Les bulletins de salaire révèlent qu'[P] [R] a perçu le bonus prévu par le contrat de travail à la discrétion de l'employeur soit sous l'intitulé 'bonus' soit sous l'intitulé 'prime exceptionnelle'.

Sa demande de ce chef sera rejetée.

7 - Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

En ne versant pas à [P] [R] la somme contractuellement convenue, en dépit des nombreuses demandes formulées, (voir par exemple pièces 34, 43, 44, 50) et en lui versant une rémunération en totale inadéquation avec son engagement professionnel, la société Fidal qui a refusé d'entendre son salarié (pièce 52) n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail.

Sa mauvaise foi est d'autant plus évidente, qu'alors qu'elle a toujours reconnu devoir la somme de 5.814 euros, ainsi que le bâtonnier le mentionne dans sa décision, elle n'a toujours pas versé cette somme à [P] [R] près de deux années après la rupture du contrat de travail.

C'est par une motivation pertinente que le bâtonnier a sanctionné l'exécution déloyale du contrat de travail.

Le préjudice subi de ce chef par [P] [R] sera fixé à 5.000 euros.

II - Sur la rupture du contrat de travail

Les nombreux manquements de la société Fidal à ses obligations et la mauvaise foi dont elle a fait preuve dans l'exécution du contrat de travail, rendant sa poursuite impossible, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En vertu des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, il sera alloué à [P] [R] la somme de 16.386 euros de ce chef, ainsi que 9.103 euros au titre de l'indemnité de licenciement sur la base d'une ancienneté de 4 ans et 8 mois.

La société Fidal sera condamnée à remettre à [P] [R] des documents rectifiés dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement

- Confirme la décision du bâtonnier en ce qu'elle a dit nulles et de nul effet les dispositions du contrat de travail relatives au forfait jours.

- Confirme la décision du bâtonnier en ce qu'elle a dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par [P] [R] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, condamne la société Fidal à payer à [P] [R] les sommes suivantes :

11.963 euros outre 1.196,30 euros au titre des congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur le fondement de la rémunération contractuelle.

30.000 euros au titre des heures supplémentaires outre 3.000 euros au titre des congés payés afférents.

70.632 euros outre 7.063 euros au titre des congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur le fondement de l'inégalité salariale.

5.000 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

16.386 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

9.103 euros à titre d'indemnité de licenciement

- Condamne la société Fidal à remettre à [P] [R] des documents rectifiés dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

- Déboute [P] [R] de ses autres demandes.

- Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamne la société Fidal aux dépens d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame COMBES, président, et par Madame PELLEGRINO, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 19/02862
Date de la décision : 09/06/2020

Références :

Cour d'appel de Grenoble 01, arrêt n°19/02862 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-09;19.02862 ?
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