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27/02/2020 | FRANCE | N°16/02718

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 27 février 2020, 16/02718


N° RG 16/02718 - N° Portalis DBVM-V-B7A-

IQ6O





MPB



Minute N°





































































Copie exécutoire

délivrée le :







Me Alain GONDOUIN



la SELARL CABINET PUPEL EZINGEARD MAGNAN



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APP

EL DE GRENOBLE



CHAMBRE COMMERCIALE



ARRÊT DU JEUDI 27 FEVRIER 2020







Appel d'un jugement (N° RG 13/02295)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE

en date du 03 mai 2016 suivant déclaration d'appel du 07 Juin 2016







APPELANTS :



Monsieur [T] [P]

né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 15]

...

N° RG 16/02718 - N° Portalis DBVM-V-B7A-

IQ6O

MPB

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Alain GONDOUIN

la SELARL CABINET PUPEL EZINGEARD MAGNAN

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 27 FEVRIER 2020

Appel d'un jugement (N° RG 13/02295)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE

en date du 03 mai 2016 suivant déclaration d'appel du 07 Juin 2016

APPELANTS :

Monsieur [T] [P]

né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 15]

[Localité 6]

SARL ETABLISSEMENTS [P] [T]

Représentée par son Gérant en exercice Mr [T] [P] domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 15]

[Localité 6]

SELARL AJ PARTENAIRES

ès qualités d'Administrateur judiciaire de la SARL ETABLISSEMENTS [P] [T] » désigné à ces fonctions par Jugement du Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISERE du 18/04/2016

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentés par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMES :

Monsieur [C] [N]

né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 12]

[Localité 10]

FIDUVAL,

S.A.R.L au capital de 150 000,00 €, immatriculée au RCS de AVIGNON sous le n° 382 473 148, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représentés par Me Gaëlle MAGNAN de la SELARL CABINET PUPEL EZINGEARD MAGNAN, avocat au barreau de VALENCE

Maître [D] [M]

ès qualités de Mandataire judiciaire de la société ETABLISSEMENTS [P] [T]

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 5]

Non représenté

SAS NEXT

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 15]

[Localité 6]

Représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE

AXA FRANCE

SA immatriculée au RCS de NANTERRE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 7]

[Localité 11]

Représentée par Me Laurent FAVET de la SELARL CABINET LAURENT FAVET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTERVENANT VOLONTAIRE :

Maître [D] [M]

ès qualités de liquidateur judiciaire de la société ETABLISSEMENTS [P] [T], à compter du 2 août 2017

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représenté par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Patricia GONZALEZ, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseiller,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Frédéric STICKER, Greffier.

DÉBATS :

A l'audience publique du 28 Novembre 2019

Mme BLANCHARD, conseiller, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré

La Sarl Ets [P] [T] (Ets [P]), dont [T] [P] est le gérant, exploitait un fonds de commerce de vente de matériel électroménager.

Elle avait confié une mission comptable et sociale à la Sarl Nyons Expertise Conseil, devenue la société Fiduval, ainsi qu'à la Sarl Fiduval 84, toutes gérées par [C] [N], et enfin à compter du'mois d'octobre 2008 à la société Next.

Par acte sous seing privé du 1er juillet 2007, M. [P] a cédé 49% des parts du capital social de la société Ets [P] à la Sarl Chris and Come, constituée entre deux de ses salariés, Mme [J] [A] et M. [O] [T].

La société Chris and Come a facturé diverses prestations à la société Ets [P] [T].

Le 24 décembre 2008, Mme [K] [V], également salariée de la société Ets [P] [T], est devenue associée au sein de la société Chris and Come.

En 2012, les trois associés de la société Chris and Come ont saisi le conseil de prud'hommes de Montélimar en revendiquant un statut de salarié à l'encontre de la société Ets [P] aux fins d'obtenir paiement de salaires sur les cinq dernières années.

Par jugements du 11 mars 2016, la société Ets [P] [T] a été condamnée à verser à Mme [A], Mme [V] et M. [T] des rappels de salaire, des indemnités de préavis et de licenciement ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement abusif et travail dissimulé.

Ces jugements ont été partiellement infirmés par arrêts de cette cour en date du 3 avril 2018 et un pourvoi en cassation a été formé.

Par ailleurs, la société Chris and Come a fait assigner M. [P] devant le tribunal de commerce de Romans sur Isère en nullité de l'acte de cession du 1er juillet 2007.

Se prévalant de fautes commises dans l'élaboration du montage juridique, la rédaction des actes de cession de parts et l'exécution des missions confiées aux experts comptables, la société Ets [P] et M. [P] ont saisi le tribunal de grande instance de Valence aux fins d'indemnisation.

Par jugement du 18 avril 2016, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a placé la société Ets [P] en redressement judiciaire, désignant Me [G] en qualité de mandataire judiciaire et Me Sapin en qualité d'administrateur.

Par jugement du 3 mai 2016, le tribunal de grande instance de Valence a :

- débouté M. [T] [P] et la société Ets [P] de leurs demandes à l'encontre de la Sas Next, de M. [C] [N] et de la Sarl Fiduval ;

- débouté la Sas Next, M [C] [N] et la Sarl Fiduval de leurs demandes de dommages-intérêts ;

- rejeté les demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné in solidum M [T] [P] et la société Ets [P] aux dépens.

Suivant déclaration au greffe du 7 juin 2016, la société Ets [P], M [T] [P] et la Selarl AJ Partenaires-Me Bruno Sapin ont relevé appel de la décision.

Par jugement du 2 août 2017, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a converti la procédure collective de la société Ets [P] en liquidation judiciaire et désignée Me [G] en qualité de liquidateur.

Au terme de leurs conclusions récapitulatives n°2 notifiées le 12 juin 2018 , la société Ets [P], M. [T] [P], la Selarl AJ Partenaires - Me Bruno Sapin et Me [D] [G], intervenant volontairement en sa qualité de liquidateur judiciaire, demandent à la cour de:

- statuer sur le principe de la responsabilité civile professionnelle des experts-comptables ;

- les déclarer responsables de leurs fautes et manquements contractuels ;

- condamner in solidum les intimés au paiement d'ores et déjà de la somme de 40.463,70 € ;

- surseoir à statuer uniquement sur le chef de préjudice lié au litige prud'homal pendant devant la Cour de cassation';

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

- avant-dire droit sur le quantum du préjudice subi :

- surseoir à statuer sur le quantum au titre des procédures judiciaires lancées par les trois anciens salariés devant les juridictions prud'homales dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Grenoble, chambre sociale, à intervenir dans chacun des trois dossiers [J] [A], [L] [V] et [O] [T] contre la Sarl Ets [P],

- surseoir à statuer sur le préjudice né de la perte du fonds de commerce, dans l'attente de l'issue des procédures judiciaires en cours,

- ordonner, au besoin, une expertise judiciaire pour déterminer la perte de valeur du fonds de commerce et l'ensemble du préjudice commercial subi par la Sarl Ets [P] [T]';

- surseoir à statuer sur le préjudice subi par M [T] [P] personnellement dans l'attente de l'issue des procédures devant le tribunal de commerce de Romans et dans l'attente de l'issue des procédures suivies devant la chambre sociale de la cour d'appel de Grenoble entre les anciens salariés et la Sarl Ets [P] [T]';

- condamner Fiduval, Next et Axa solidairement, et M. [N] personnellement in solidum, au paiement à Me [G] ès-qualité de liquidateur de la Sarl Ets [P] [T], des sommes de :

441.919,11 €, sauf à parfaire ou diminuer, en réparation du préjudice subi du fait des condamnations prud'homales ;

700.000 €, sauf à parfaire, en réparation de la perte de valeur du fonds de commerce de la Sarl Ets [P] [T]' et de la perte de valeur des parts sociales par M. [T] [P] ;

20.000 € au titre des frais de procédure, sauf à parfaire au titre des frais exposés dans le cadre des procédures prud'homales ;

5.000 €, sauf à parfaire, au titre des frais exposés pour les besoins de la procédure collective née des condamnations prud'homales prononcées contre la société Ets [P] [T]' ;

705.042 € au titre de l'ensemble des sommes versées à la société Chris and Come ;

- dire et juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2013 et que les intérêts seront capitalisés chaque année dans les conditions de l'article 1154 du code civil et condamner Fiduval, Next et Axa solidairement, M. [N] in solidum, au paiement de ces intérêts capitalisés ;

- condamner Fiduval, Next et Axa solidairement, et M [N] in solidum, au paiement à M [T] [P] de la somme de 788.005 € en réparation de son préjudice financier à hauteur de 700.000 € pour la perte de valeur de ses parts sociales dans la Sarl, sauf à parfaire, 38.005 € au titre de la plus-value sur la vente de ses parts sociales dont la validité est remise en cause et 50.000 € au titre de son préjudice moral ;

- dire que la condamnation portera intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2013 et que les intérêts seront capitalisés chaque année dans les conditions de l'article 1154 du code civil et condamner Fiduval, Next et Axa solidairement, M [N] in solidum, au paiement de ces intérêts capitalisés ;

- ordonner, si besoin, une expertise comptable pour vérifier le préjudice né des fautes de la société Next ;

- ordonner à la société Next de faire connaître, sous astreinte de 500€ par jour de retard, son assureur et ses références de contrat et de transmettre copie de ses contrats d'assurance - clauses particulières et générales - valables de 2008 à 2012 ;

- condamner la société Next au paiement à Me [G] ès-qualité de liquidateur de la Sarl Ets [P] [T], la somme de 200.000 €, sauf à parfaire, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à venir ;

- débouter les intimés de toutes leurs demandes contraires et reconventionnelles tant irrecevables que non fondées ;

- condamner Fiduval, Next et Axa et M [N] au paiement à Me [G] ès-qualité de liquidateur de la Sarl Ets [P] [T]' et à M [T] [P] de la somme de 15.000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel à Me Gondouin et pour ceux de première instance à Me Eudes.

Les appelants reprochent à M. [N] et à la société Fiduval 84 d'avoir, en leur qualité d'expert-comptable :

- manqué à leur obligation de conseil dans l'élaboration du montage juridique de cession progressive de l'entreprise à ses salariés et dans la rédaction des actes de cession de parts ;

- manqué à leur obligation d'information sur les risques et conséquences de l'opération ;

- commis une faute en omettant de formaliser la démission des salariés fondateurs de la société Chris and Come afin d'éviter toute revendication à titre salarial, ainsi que la convention de prestation de services entre les deux sociétés ;

- été défaillants à assurer la sécurité et l'efficacité juridique de l'acte de cession dont la validité est contestée par les anciens salariés et par la société Chris and Come.

Ils soutiennent que la société Nec, devenue Fiduval par changement de dénomination, ayant repris l'universalité du patrimoine de la société Fiduval 84, elle doit répondre des fautes de cette dernière.

Ils font valoir que leur préjudice est certain et direct, seul son quantum restant lié à l'issue des procédures en cours et que la chambre sociale de la cour d'appel de Grenoble a dit que le montage juridique proposé par l'expert-comptable s'analysait en une situation de travail clandestin.

Concernant la société Next, les appelants relèvent qu'au titre de sa mission sociale, en l'absence de démission formalisée des salariés, elle aurait dû continuer à établir leur fiche de paie, ce qu'elle n'a pas fait en contradiction avec l'état du registre du personnel ; qu'à défaut d'avoir identifié cette incohérence et de l'en avoir informée, elle a privé la société Ets [P] d'une chance de prendre conscience de la difficulté et d'éviter ainsi le litige prud'homal.

Ils lui reprochent également de ne pas avoir vérifié l'existence d'une convention de prestation de services entre les deux sociétés, cette faute dans la tenue et la présentation de la comptabilité ayant entraîné le paiement en pure perte des factures de la société Chris and Come.

Ils se prévalent également d'irrégularités comptables qui ont entraîné des demandes financières de la société Chris and Come au titre de dividendes dans le cadre de l'instance pendante devant le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère.

Ils soutiennent que le redressement judiciaire de la Sarl Ets [P] est la conséquence des erreurs comptables et des lourdes condamnations prud'homales subies du fait des fautes des experts comptables et que la procédure collective est de nature à entraîner la perte du fonds de commerce.

Ils estiment que les sommes versées à la société Chris and Come en sa qualité de prestataire de service du fait du montage, l'ont été en pure perte puisque les trois anciens salariés ont fait juger fictif ce montage.

Les appelants font valoir que M. [N] a commis des fautes détachables de ses fonctions de gérant de la société Fiduval 84, pour être à l'origine du montage juridique destiné à la transmission de l'entreprise

M. [P] se prévaut d'un préjudice personnel résultant de la remise en cause de la validité de la cession des parts sociales de son entreprise et de la perte de cette dernière dont il détient encore 51 % des parts.

Par conclusions récapitulatives n°2 notifiées le 7 octobre 2018, M. [N] et la société Fiduval entendent voir:

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] [P] et la Sarl Ets [P] de leurs prétentions à leur égard ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Sarl Fiduval et M [C] [N] de leurs demandes de dommages-intérêts à l'encontre de la société Ets [P] et M. [P]';

- statuant à nouveau de ce chef,

- condamner solidairement M. [T] [P] et Me [G], ès-qualités de liquidateur de la Sarl Ets [P] à payer à M. [C] [N] et à la Sarl Fiduval chacun la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts ;

- débouter les appelants de leurs demandes, fins et conclusions plus amples et contraires ;

- subsidiairement ;

- condamner la société Axa à relever et garantir la société Fiduval et M. [C] [N] de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre ;

- condamner M. [T] [P] et Me [G], ès-qualités de liquidateur de la Sarl Ets [P], solidairement à payer à la Sarl Fiduval 84 et à M [C] [N] chacun la somme de 8.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit du cabinet Pupel & Associés en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.

M. [N] et la société Fiduval considèrent qu'il n'est rapporté aucune preuve des fautes qui leur sont imputées, contestant être à l'origine de l'opération de cession de parts aux salariés, initiée par M. [P] lui-même.

La société Fiduval conteste être tenue des engagements et dettes de la société Fiduval 84, radiée depuis le 2 octobre 2012.

Ils considèrent que le dommage est inexistant en l'état des décisions rendues par la cour dans les litiges prud'homaux.

M. [N] fait valoir qu'il n'a commis aucune faute intentionnelle d'une gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions de gérant de la société Fiduval et que l'action en responsabilité à ce titre est prescrite.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 6 novembre 2018, la société Axa France entend voir :

- dire et juger irrecevables les demandes de la société Ets [P], de son liquidateur judiciaire et de M. [P] à l'encontre d'Axa France IARD ;

- confirmer le jugement dont il est fait appel en toutes ses dispositions ;

- à titre subsidiaire, en cas de réformation';

- dire que les sommes que la concluante sera condamnée à garantir ne pourront être supérieures à 1.000.000 € en application de dispositions contractuelles de la garantie souscrite, après application de la franchise contractuelle de 10% avec un minimum de 500 € et un maximum de 4.000 € ;

- en tout état de cause ;

- condamner tout succombant au paiement de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

La compagnie Axa fait valoir qu'il n'est pas démontré qu'elle était l'assureur de la société Fiduval 84 à la date des faits et qu'aucune faute n'est établie à l'encontre de cette dernière.

Elle conteste également l'existence d'un préjudice actuel et certain.

Suivant conclusions n°3 notifiées le 6 novembre 2018, la Sas Next demande à la cour de:

- dire irrecevable l'action dirigée contre la société Next';

- en tout état de cause ;

- débouter la société Ets [P] et M [T] [P] de toute demande dirigée contre la société Next';

- condamner solidairement la société Ets [P] et M [T] [P] à payer à la société Next la somme de 10.000 € pour procédure abusive, outre la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Next rappelle qu'elle n'a eu de liens contractuels avec la société Ets [P] qu'à partir d'octobre 2008 jusqu'au 4 décembre 2012, pour une mission de présentation des comptes, et non de tenue de comptabilité, d'approbation des comptes ainsi qu'une mission sociale d'établissement des bulletins de paie, de tenue du registre du personnel et de déclaration annuelle des salaires, dont aucune n'incluait une mission d'audit et n'impliquait d'analyser les modalités du montage juridique de reprise de l'entreprise auquel elle n'a pas participé.

Elle considère que la responsabilité de l'expert comptable est exclusive de toute responsabilité du fait d'autrui et/ou collective'; qu'elle n'a commis aucune faute dans l'accomplissement de ses missions, les opérations comptables étant enregistrées par la société Chris and Come et sa mission ne conduisant qu'à une assurance modérée de cohérence et de vraisemblance.

Elle fait valoir l'absence de dommage, le préjudice allégué reposant sur une condamnation hypothétique et le défaut de caractérisation de la faute relative au défaut de sincérité des comptes.

Elle considère que l'ouverture de la procédure collective de la société Ets [P] est sans lien de causalité avec les fautes invoquées.

La clôture de la procédure est intervenue le 16 mai 2019.

MOTIFS DE LA DECISION':

1°) sur la fin de non recevoir :

Le droit d'intimer en appel tous ceux qui ont été parties en première instance n'emporte pas celui de présenter des prétentions à l'encontre des parties contre lesquelles l'appelant n'avait pas conclu en première instance.

Il résulte de l'exposé des prétentions figurant dans le jugement de première instance que M. [P] et la société Ets [P] avaient demandé au tribunal de «dire que la faute professionnelle des experts-comptables doit être indemnisée par la compagnie Axa France ».

Si en appel, M. [P] et la société Ets [P] forment plus explicitement des demandes de condamnations chiffrées et solidaires entre la société Fiduval et la compagnie Axa, ces demandes ne peuvent s'analyser en des prétentions nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge.

La fin de non-recevoir soulevée par la société Axa sera écartée et les demandes formées à son encontre seront déclarées recevables.

2°) sur la responsabilité de la société Fiduval et de M [N] :

La responsabilité d'un expert-comptable au titre de son obligation de conseil ne peut s'apprécier que dans le cadre de la mission qui lui a été confiée.

Bien qu'aucune lettre de mission ne soit produite, il résulte d'une note d'honoraires de la société Fiduval 84 en date du 1er octobre 2007, que cette dernière a exécuté une prestation juridique relative à la cession de parts sociales.

Si la société Fiduval 84 n'existe plus pour avoir été radiée le 2 octobre 2012, sa dissolution sur décision du 10 août 2011 de son associé unique, la société Nyons Expertise Conseil (Nec), a entraîné la transmission universelle de son patrimoine à cette dernière.

Par suite de la décision de l'assemblée générale extraordinaire de ses associés du 1er janvier 2012, la dénomination de la société Nec est devenue Fiduval.

Par l'effet de la transmission du passif de la société Fiduval 84, la société Nec devenue Fiduval est tenue des conséquences financières des fautes commises par sa filiale.

Par ailleurs, en vertu de l'article 12 de l'ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945, le client de l'expert-comptable peut indifféremment diriger son action en responsabilité contre la société et contre l'associé concerné, dont la responsabilité personnelle subsiste à raison des travaux qu'il exécute lui-même.

Ainsi, les appelants sont bien fondés à agir en responsabilité à l'encontre tant de la société Fiduval que de M [N].

En application des dispositions de l'article 1147 du Code civil, l'expert-comptable qui procède, dans l'exercice de ses activités juridiques accessoires, à l'établissement d'un acte de cession de droits sociaux est tenu en sa qualité de rédacteur d'informer d'éclairer les parties à l'acte sur ses effets et sa portée, sans pouvoir être déchargé de ce devoir d'information et de conseil en raison des compétences personnelles de l'une des parties à l'acte.

L'acte de cession de parts sociales a été régularisé le 1er juillet 2007 entre M [T] [P] et la société Chris and Come, cette dernière ayant été constituée le 14 juin 2007 par deux salariés de la société Ets [P], Mme [A] et M. [T], rejoints par une troisième le 24 décembre 2008, Mme [V].

En acceptant de rédiger l'acte de cession des parts sociales au profit d'une société dont ils ne contestent pas avoir su qu'elle était constituée exclusivement de salariés de la société Ets [P], la société Fiduval 84 et M [N] avaient l'obligation d'informer cette dernière des effets de cette cession sur l'exécution des contrats de travail, obligation qu'ils ne justifient pas avoir remplie.

Il résulte des pièces que ces trois personnes ont saisies la juridiction prud'homale en se prévalant de la poursuite du contrat de travail pour réclamer paiement à la société Ets [P] de rappels de salaires et accessoires et de divers dommages-intérêts.

Si selon les termes du jugement du conseil des prud'hommes de Montélimar du 3 mars 2016 et de l'arrêt de cette cour du 3 avril 2018, la société Ets [P] a d'ores et déjà été condamnée au paiement d'une somme totale de 40.463,70 € principalement au titre de l'indemnisation d'une situation de travail dissimulé, ces décisions ne sont pas définitives, un pourvoi ayant été formé.

Cependant, l'existence d'un contrat de travail ne dépend pas de sa formalisation, mais essentiellement de la caractérisation d'un lien de subordination dans l'exécution de la prestation de travail.

Il s'en déduit que le conseil attendu de l'expert-comptable tenant à la formalisation de la rupture des contrats de travail qui liait la société Ets [P] aux associés de la société Chris and Come, cessionnaire des droits sociaux, aurait été sans incidence sur la qualification de la relation contractuelle, puisque comme l'ont développé Mme [A], Mme [V], et M [T] devant les juridictions prud'homales, ils ont exécuté les prestations facturées à la société Ets [P] en demeurant soumis au même lien de subordination à son égard.

Ainsi, il n'est démontré aucun lien de causalité entre le manquement au devoir d'information et de conseil invoqué et les conséquences financières des litiges prud'homaux en cours, y compris celles résultant de la procédure collective de la société Ets [P].

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M [T] [P] et la société Ets [P] de leurs prétentions à l'encontre de la société Fiduval et de M. [N].

3°) sur la responsabilité de la société Next :

La société Next a été constituée le 3 octobre 2008 entre les sociétés Nyons Expertise Conseil (Nec) et Financière des Baronnies, et cette dernière a racheté les parts sociales de son associée le 14 avril 2011.

Elle a repris l'exécution des missions initialement confiées par la société Ets [P] à la société Nec aux termes d'une lettre de mission du 1er octobre 1998 portant principalement sur la présentation de comptes annuels, ainsi que sur des missions annexes en matières fiscale et sociale.

À ce titre, elle était notamment chargée de l'établissement des bulletins de paie, de la tenue du registre unique du personnel et du livre de paie.

Les factures d'honoraires et les courriers produits démontrent que la société Next était également chargée de la présentation des comptes de la société Chris and Come et qu'elle avait ainsi une parfaite connaissance des flux financiers entre les deux sociétés.

Si M. [T] [P] et la société Ets [P] lui reprochent des irrégularités dans la tenue de la comptabilité, ils n'en rapportent aucune preuve.

Au titre de sa mission d'établissement des bulletins de paie, la société Next devait s'assurer de leur concordance avec le registre du personnel. Pour autant, cette mission ne lui imposait pas de vérifier la situation de tous les salariés inscrits au registre du personnel et il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir établi des bulletins de paie aux trois salariés en litige avec la société Ets [P] alors qu'elle n'en était pas requise par cette dernière.

Dans sa mission de présentation des comptes, elle devait s'assurer de la justification des paiements par la société Ets [P] des prestations facturées par son associée, la société Chris & Come, et de la régularité de la convention exécutée, s'agissant de surcroît d'une convention réglementée.

Les procès verbaux d'assemblée générale produits montrent que les conditions d'exécution de cette convention n'ont pas fait l'objet d'un rapport spécial de la gérance et n'ont pas été approuvées par les associés de la société Ets [P], alors qu'ils l'ont été par ceux de la société Chris and Come.

Si la société Next aurait dû exercer son devoir de conseil auprès de la société Ets [P] quant à la régularité de la convention de prestation de services entre les deux sociétés, la cour relèvera que contrairement aux affirmations des appelants, rien ne permet de considérer que les comptes présentés par la société Next sont entachés d'incohérence ou d'invraisemblance qui résulterait du défaut de vérification imputé à l'expert-comptable.

Au surplus, il n'est à nouveau pas établi que ce défaut de vérification et l'obligation d'information et de conseil s'y rapportant soit à l'origine du préjudice invoqué puisque ce dernier, constitué par le prix des prestations versées à la société Chris and Come, n'est pas la conséquence du défaut de formalisation de la rupture des contrats de travail de ses associés, mais des conditions d'exécution de ces prestations au bénéfice de la société Ets [P] et de la qualification de la relation contractuelle, sur lesquelles une rupture formelle des contrats de travail aurait été sans incidence.

En conséquence, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté M [T] [P] et la société Ets [P] de leurs prétentions à l'encontre de la société Next.

4°) sur les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts :

L'exercice d'une action en justice constitue un droit qui ne peut dégénérer en abus sanctionné par l'octroi de dommages-intérêts qu'en cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol, éléments que ni la société Next, ni la société Fiduval et M. [N] ne caractérisent alors que les circonstances dans lesquelles a été élaboré l'acte de cession de parts sociales ne sont pas établies.

Le jugement sera confirmé en ce que les demandes indemnitaires ont été rejetées.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE recevables les demandes présentées à l'encontre de la société Axa France ;

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Valence en date du 3 mai 2016 dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant ;

DEBOUTE la Sarl Fiduval, M. [C] [N], la société Axa France et la Sas Next de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [T] [P], la Sarl Etablissements [P] [T] et Me [D] [G] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl Etablissements [P] [T], aux dépens de leur appel et autorise le cabinet Pupel & Associés à recouvrer directement ceux dont il a été fait l'avance sans recevoir provision en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.

SIGNE par Mme GONZALEZ, Président et par Mme OLLIEROU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 16/02718
Date de la décision : 27/02/2020

Références :

Cour d'appel de Grenoble 07, arrêt n°16/02718 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-02-27;16.02718 ?
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