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10/09/2019 | FRANCE | N°17/01084

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 10 septembre 2019, 17/01084


JD


No RG 17/01084 - No Portalis DBVM-V-B7B-I5FQ


No Minute :








































































Notifié le :


Copie exécutoire délivrée le :






Me Alain GONDOUIN




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE GRENOBLE


CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION S

OCIALE
ARRÊT DU MARDI 10 SEPTEMBRE 2019
Ch.secu-fiva-cdas


Appel d'une décision (No RG 20130137)
rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VIENNE
en date du 11 janvier 2017
suivant déclaration d'appel du 27 Février 2017


APPELANTS :


Madame Y... V...
née le [...] à SAINT MARTIN D'HERES (38400)
de nationalité Française
[...]


repr...

JD

No RG 17/01084 - No Portalis DBVM-V-B7B-I5FQ

No Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Alain GONDOUIN

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU MARDI 10 SEPTEMBRE 2019
Ch.secu-fiva-cdas

Appel d'une décision (No RG 20130137)
rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VIENNE
en date du 11 janvier 2017
suivant déclaration d'appel du 27 Février 2017

APPELANTS :

Madame Y... V...
née le [...] à SAINT MARTIN D'HERES (38400)
de nationalité Française
[...]

représentée par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE

Monsieur E... T...
né le [...] à ECHIROLLES (38130)
de nationalité Française
[...]

représenté par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE

Monsieur O... T...
né le [...] à ECHIROLLES (38130)
de nationalité Française
[...]

représenté par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE

Madame C... T... Représentée par sa représentante légale Madame Y... V...
née le [...] à ECHIROLLES (38130)
de nationalité Française
[...]

représentée par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMES :

Me A... R... (SCP A... & Associés) - Co-Administrateur judiciaire de SARL MJM
[...]
représenté par Me Sandra CARTIER-MILLON de la SELARL SELARL DAVID-COLLET CARTIER-MILLON REVEL-MOUROZ, avocat au barreau de GRENOBLE

Me K... J... (SCP J.P K... et A. P...) - Co-Mandataire judiciaire de SARL MJM
[...]
représenté par Me Sandra CARTIER-MILLON de la SELARL SELARL DAVID-COLLET CARTIER-MILLON REVEL-MOUROZ, avocat au barreau de GRENOBLE

Me I... Q... (SELARL AJA) - Co- administrateur judiciaire de SARL MJM
[...]
représenté par Me Sandra CARTIER-MILLON de la SELARL SELARL DAVID-COLLET CARTIER-MILLON REVEL-MOUROZ, avocat au barreau de GRENOBLE

Me F... L... (SCP B.T.S.G.) - Co-Mandataire judiciaire de SARL MJM
[...]
représenté par Me Sandra CARTIER-MILLON de la SELARL SELARL DAVID-COLLET CARTIER-MILLON REVEL-MOUROZ, avocat au barreau de GRENOBLE

SARL MJM, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège (Jugement de Redressement Judiciaire prononcé le 22 Novembre 2017 par le Tribunal de Commerce de Marseille)
[...]

représentée par Me Sandra CARTIER-MILLON de la SELARL SELARL DAVID-COLLET CARTIER-MILLON REVEL-MOUROZ, avocat au barreau de GRENOBLE

CPAM DE L'ISERE - Site de l'Isère, représentée par son représentant légal en exercice domicilié [...]

comparant en la personne de Mme Z... H... régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Philippe SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président,
Monsieur Frédéric BLANC, Conseiller,
M. Jérôme DIE, Magistrat honoraire,

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 Mai 2019

Monsieur Jérôme DIE, chargé du rapport, et Monsieur Frédéric BLANC, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie, assistés de Mme Chrystel ROHRER, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 10 Septembre 2019, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 10 Septembre 2019.

Exposé du litige :

W... T... était le gérant et l'unique associé de la société MJM qui exploite une entreprise du bâtiment et dont le siège social était alors fixé à [...] (Isère).

Le 22 juin 2010, il céda la totalité de ses parts sociales à la société Marathana par un acte stipulant qu'il démissionnait aussitôt de ses fonctions de gérant et qu'il s'engageait en qualité de salarié pour une période minimale de deux ans, à défaut de quoi, il devrait payer à la cessionnaire une somme de 200.000 € à titre de dédommagement.

Le 1er juillet 2010, il souscrivait un contrat de travail à durée indéterminée pour devenir responsable de chantier au service de la société MJM.

Le 28 février 2012 à Vernègues (Bouches-du-Rhône), il fut victime d'un infarctus et décéda le lendemain à l'hôpital d'Aix-en- Provence. Une déclaration d'accident de travail fut établie par la société MJM dans les termes suivants :

«Après avoir déjeuné au restaurant La Maison de Cazan, le salarié est sorti pour récupérer sa voiture afin de retourner travailler puis est retourné dans le restaurant se plaignant d'une douleur intense au bras et au ventre».

Le 4 juin 2012, après enquête, la CPAM de l'Isère notifia à la société MJM et Mme Y... V..., concubine du défunt, une décision de refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle en se référant à l'avis de son médecin-conseil.

Sur réclamation de Mme Y... V..., une expertise sur protocole fut confiée au Dr S....

Le 27 novembre 2012, la CPAM de l'Isère notifia à Mme Y... V... le maintien de la décision de refus au vu des conclusions de l'expertise selon lesquelles il n'existait pas de relation de causalité entre les conditions de travail et le décès, et qu'il y avait eu une manifestation spontanée d'un état pathologique préexistant.

Le 28 janvier 2013, la concubine et les trois enfants du défunt saisirent la commission de recours amiable pour faire reconnaître l'existence d'un accident de travail et d'une faute inexcusable de l'employeur.

Le 8 avril 2013, la commission de recours amiable de la CPAM de l'Isère maintint la décision de refus de prise en charge au motif que la Caisse était liée par les conclusions de l'expertise médicale.

Le 6 juin 2013, Mme Y... V... et ses enfants alors mineurs C..., E... et O... T... introduisirent un recours contentieux en reconnaissance d'un accident du travail et d'une faute inexcusable. Ils dirigèrent leurs prétentions contre la CPAM de l'Isère et contre la société Maranatha, puis contre la société MJM qui contesta la compétence matérielle de la juridiction de sécurité sociale.

Par jugement du 11 janvier 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Vienne considéra que Mme Y... V... justifiait de sa qualité d'ayant droit comme ayant été la concubine du défunt, que le défunt était en rapport de subordination à l'égard de la société MJM, que le défunt avait été victime d'un accident au temps et au lieu du travail, mais que la présomption d'imputabilité était renversée en ce que le médecin expert avait conclu que cet accident était en lien avec un état pathologique préexistant dont la manifestation ne résultait pas du travail. En conséquence le tribunal :
- se déclara compétent ;
- constata le désistement des demandeurs de leur action engagée contre la société Maranatha, ce que cette dernière acceptait ;
- débouta les demandeurs de leurs prétentions.

Le 27 février 2017, les demandeurs Y... V... et C..., E... et O... T... interjetèrent régulièrement appel en intimant la CPAM de l'Isère et la société MJM.

A l'audience, les consorts Y... V... et C..., E... et O... T... font oralement développer leurs dernières conclusions d'appel, transmises par voie électronique le 20 septembre 2017 en soutenant :
- que la concubine survivante a les mêmes droits qu'un conjoint ;
- que le défunt était lié par un contrat de travail ;
- que l'accident est survenu au cours d'une mission professionnelle, peu important qu'il se produise à l'occasion d'un acte professionnel ou d'un acte de la vie courante ;
- que la présomption d'imputabilité n'est pas renversée en ce que le défunt se trouvait stressé par la perspective d'une réunion fixée le lendemain avec l'employeur et qu'il y a un doute sur le rôle des conditions climatiques ;
- que l'employeur a commis une faute inexcusable en ne soumettant pas le défunt à une visite médicale d'embauche.

Ils demandent à la Cour de réformer le jugement entrepris pour :

«Dire et juger que le décès de Monsieur T... est imputable au travail et résulte d'un accident à caractère professionnel ;
Dire et juger que la législation sur les accidents du travail est applicable ;
En conséquence, dire et juger que la veuve et les enfants de la victime, ayants-droits, doivent bénéficier des prestations afférentes conformément aux dispositions des articles L.434-7 et suivants du Code de la sécurité sociale ;
Ordonner à la Caisse de liquider la rente viagère et verser les sommes dues aux ayants droits et la condamner à liquider l'ensemble des sommes dues aux ayants-droits ensuite de l'accident imputable au travail de Monsieur T... ;
Dire et juger que l'accident du travail dont a été victime Monsieur T... est dû à la faute inexcusable de l'employeur ;
En conséquence, ordonner la majoration des rentes versées aux ayants-droits au maximum dans la limite du montant du salaire annuel de Monsieur T... ;
Condamner la société MJM au versement d'une somme de 25.000 € à Madame V..., ainsi qu'un montant identique à E... T..., O... T... et à C... T..., outre intérêts au taux légal à compter du jour de la demande de saisine en première instance, outre la capitalisation des intérêts par anatocisme ;
Dire et juger que la Caisse fera l'avance de toutes les sommes dues et pourra se retourner contre l'employeur conformément aux dispositions des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ;
Condamner la société MJM et la CPAM DE L'ISERE au paiement d'une somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître GONDOUIN conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile».

La société MJM fait oralement reprendre ses dernières conclusions en réponse, transmises par voie électronique le 21 juillet 2017. Elle conteste :
- la compétence matérielle de la juridiction de sécurité sociale en ce que Mme Y... V... n'est pas héritière du défunt, et que le défunt n'était pas en rapport de subordination ;
- l'existence d'un accident de travail en ce que le défunt était atteint d'une pathologie préexistante, que l'accident s'est produit lors d'un temps de pause hors de l'itinéraire que le défunt aurait dû emprunter, et qu'il n'a pas été soudain en ce qu'il n'a entraîné le décès que le lendemain ;
- l'existence d'une faute inexcusable en ce que J... T... a été soumis à une visite médicale, que le risque était inconnu de la société MJM et qu'il n'y a pas de rapport de causalité.

Elle demande à la Courde :

«In limine litis
Se déclarer incompétent au profit du Tribunal de Grande Instance de Carpentras à l'encontre de la demande de Mme V... qui ne justifie pas de sa qualité d'ayant droit,
Se déclarer incompétent au profit du Tribunal de Grande Instance de Carpentras à l'encontre de tous les demandeurs qui ne justifient pas de la qualité de salarié de M. T....
Si, par extraordinaire, la Cour retient sa compétence :
A titre principal
I – Constater l'absence d'accident du travail
II – Constater l'absence de faute inexcusable de l'employeur
A titre subsidiaire
Ramener les prétentions des demandeurs à la juste proportion de leurs préjudices prouvés,
En toutes hypothèses
Condamner les demandeurs à la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile».

La CPAM de l'Isère se réfère oralement à ses conclusions parvenues le 29 décembre 2017 pour demander la confirmation du jugement, subsidiairement de condamner l'employeur à rembourser les sommes qu'elle serait contrainte à avancer.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

SUR CE

1. Sur les exceptions d'incompétence :

Selon l'article L142-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction en vigueur au temps de l'introduction de la présente procédure, le tribunal des affaires de sécurité sociale connaissait en première instance des litiges relevant du contentieux général de sécurité sociale.

En l'espèce, la société intimée MJM soulève une première exception d'incompétence du tribunal des affaires de sécurité sociale de Vienne, que les parties demanderesses ont initialement saisi, en affirmant que Mme V... ne justifie pas de sa qualité d'ayant droit de l'assuré défunt.

Elle fait valoir que dans l'acte de cession de parts sociales à la société Marathana en date du 22 juin 2010, feu W... T... s'est déclaré célibataire, et que Mme Y... V... n'est pas son héritière.

Mais l'article R434-10 du code de la sécurité sociale, auquel la société intimée MJM se réfère expressément, ne limite aux seuls héritiers les ayants droit d'un assuré décédé par suite d'un accident de travail.

Il fixe les droits non seulement du conjoint de l'assuré décédé, mais aussi du partenaire lié par un pacte de solidarité ou du concubin.

Or Mme Y... V... justifie de 23 ans de vie maritale avec feu W... T.... Non seulement sa qualité de concubine a été admise par la CPAM de l'Isère, mais trois enfants sont nés de son union de fait avec le défunt.

Il s'ensuit que Mme Y... V... doit être regardée comme un ayant droit du défunt au titre de l'accident de travail dont elle réclame la reconnaissance, ce qui relève du contentieux général de la sécurité sociale.

La société intimée présente une seconde exception d'incompétence du tribunal des affaires de sécurité sociale de Vienne en contestant l'existence d'un contrat de travail.

Si la preuve d'un contrat de travail incombe à la partie qui s'en prévaut, l'établissement d'un écrit ou la délivrance de bulletins de paie fait présumer l'existence d'un contrat de travail.

Or la société intimée MJM produit elle-même aux débats non seulement le contrat de travail à durée indéterminée qu'elle a établi par écrit et souscrit le 1er juillet 2010 avec W... T..., mais aussi plusieurs des bulletins de salaire qu'elle lui a délivrés en le rémunérant en qualité de responsable de chantier.

L'existence d'un contrat de travail est donc présumée dans les relations entre feu W... T... et la société MJM, et il appartient à cette dernière d'apporter des éléments susceptibles de renverser la présomption.

La société MJM se limite cependant à prétendre que le défunt n'était pas en rapport de subordination en ce qu'il était contraint par l'acte de cession de ses parts sociales de rester dans l'entreprise pendant deux ans à défaut de quoi, il aurait dû payer une indemnité de deux cent mille euros, et que l'origine de la relation contractuelle postérieure à la vente résulte d'une obligation contenue dans l'acte de vente lui-même.

Si la relation de travail a pour origine l'engagement dans l'acte de cession de parts sociales souscrit par feu W... T... de rester encore deux ans au service de la société MJM, il ne peut être tiré de ce constat un défaut du rapport de subordination qui caractérise un contrat de travail.

Faute pour la société intimée de parvenir à renverser la présomption, doit être retenue l'existence d'un contrat de travail, ce qui ouvre à la victime d'un accident le bénéfice de la législation sur les risques professionnels que réclame les parties appelantes et demanderesses dont les prétentions relèvent dès lors du contentieux général de sécurité sociale.

Par conséquent, doivent être écartées les exceptions d'incompétence matérielle soulevées par la société intimée MJM.

2. Sur la demande de reconnaissance d'un accident de travail :

Si un salarié bénéficie, en application de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, d'une présomption d'accident de travail pour tout accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, quelle qu'en soit la cause, il lui incombe néanmoins d'apporter la preuve d'un événement ou d'une série d'événements survenus à des dates certaines au temps ou au lieu du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

En l'espèce, sur la survenance d'un événement à date certaine au temps ou au lieu du travail, les parties appelantes font valoir que n'est pas contesté le malaise dont a été victime W... T... le 28 février 2012 à Vernègues (Bouches-du-Rhône) alors qu'il sortait du restaurant La Maison de Cazan vers 13 heures 20. L'enquêteur de la CPAM de l'Isère a confirmé dans son rapport les circonstances matérielles de ce malaise.

En premier lieu, la société MJM fait néanmoins observer que le malaise est survenu durant un temps de pause, comme l'a déclaré sa gérante à l'enquêteur de la CPAM.

Mais en application des articles L3121-1 et L3121-2 du code du travail, le temps nécessaire à la restauration est considéré comme du temps de travail effectif dès lors que le salarié reste à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.

Or, à l'enquêteur de la CPAM de l'Isère, la gérante de la société MJM a déclaré que W... T... se déplaçait sur les chantiers du lundi au vendredi, et que le 28 février 2012, il avait pris sa pause-déjeuner après une réunion tenue le matin même.

Dès lors qu'il est rapporté que le salarié se trouvait en déplacement pour l'exécution de son contrat de travail conformément aux directives auxquelles il restait soumis et que, nonobstant les considérations de son employeur, il se trouvait éloigné de son domicile [...] , il ne pouvait vaquer à des occupations personnelles, le temps de restauration correspond à un temps de travail effectif.

En deuxième lieu, la société MJM invoque une soustraction au rapport de subordination en ce que W... T... se serait détourné de sa mission pour prendre le temps de s'arrêter dans un restaurant qui n'était pas situé sur le parcours normal qu'il aurait dû emprunter, et qu'il aurait déjeuné à Vernègues pour des raisons personnelles inconnues.

Mais la société MJM se limite à produire un plan (sa pièce 16) sans démontrer le détour qu'elle allègue.

En tout cas, dans sa déclaration à l'enquêteur de la CPAM, la gérante de la société MJM a précisé que le 28 février 2012, W... T... était parti de l'hôtel Le Moulin de Vernègues situé à Mallemort et qu'il devait se rendre à un autre hôtel à Aubagne, ce qui n'établit aucunement le détour imputé au défunt.

En troisième lieu, la société intimée conteste la soudaineté du décès de W... T.... Elle souligne qu'à l'opposé d'un accident, la maladie se caractérise par une évolution lente et progressive, et que le décès de son salarié n'est intervenu que le lendemain du malaise à Vernègues.

Mais le médecin expert X... S... a relevé que le décès était dû à un infarctus du myocarde, rapidement diagnostiqué à la prise en charge de la victime, compliqué de défaillances cardiaques répétées. Le décès ne peut être détaché du malaise soudainement apparu.

Il s'ensuit que sont réunies toutes les conditions de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, et que les parties appelantes et demanderesses sont fondées à se prévaloir de la présomption d'accident du travail.

Pour renverser cette présomption, il incombe aux parties défenderesses d'apporter la preuve que l'accident mortel découle d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans aucune relation avec le travail (cass civ 2, 6 avril 2004, no 02-31182), ou d'une cause totalement étrangère au travail (cass soc, 12 octobre 1995, no 93-18295).

Les parties défenderesses et intimées se réfèrent aux conclusions du médecin expert X... S... selon lesquelles le décès est dû à la maladie athéromateuse qui s'était développée en raison des facteurs de risques que présentait la victime, que le travail n'a pas joué de rôle dans la survenue du décès, qu'il n'existe pas de relation de causalité entre les conditions de travail et le décès, et qu'il s'est agi d'une manifestation spontanée d'un état pathologique préexistant.

Mais ces conclusions sont en contradiction sur deux points avec les considérations que le médecin expert a développées dans le corps de son rapport.

D'une part, le médecin expert a présenté les conditions climatiques comme un facteur à risque et a regretté que rien n'en fît état.

Il ne peut dès lors être exclu que les conditions climatiques hivernales que le défunt a connues lors de l'exécution de sa mission le 28 février 2012 aient joué un rôle quelconque, fût-il secondaire, dans la survenance de son accident cardiaque.

D'autre part et surtout, le médecin expert a rapporté que le stress était un facteur connu de risque d'infarctus du myocarde.

Or les parties appelantes soulignent que lors de l'enquête de la CPAM, la concubine Y... V... a indiqué que J... T... était stressé par l'entretien qu'il devait avoir le lendemain 29 février 2012 avec son employeur et qu'il «avait été énervé d'apprendre qu'on lui avait reproché d'avoir pris ses congés ou de n'avoir averti son employeur suffisamment à l'avance»

Au vu de cette déclaration de la concubine, la gérante de la société MJM a écrit ce qui suit à l'enquêteur de la CPAM :

« Il est vrai que nous devions aborder le fait que nous avions peu apprécié son départ en congés car aucune demande n'avait été formulée au préalable et que malgré sa grande autonomie, il devait nous prévenir de ses absences ; d'autant que cette absence sans aucune prévenance avait perturbé une réception de chantier».

Il est dès lors établi qu'au temps de son malaise du 28 février 2012, W... T... ne pouvait manquer d'être inquiet de la teneur et de l'issue de l'entretien que son employeur lui avait fixé pour le lendemain, et qu'il savait que lui serait reproché un départ en congé sans avoir sollicité d'autorisation ni même prévenu de son absence. Son stress était nécessairement aggravé par la crainte d'une procédure disciplinaire pouvant aboutir à son éviction de la société MJM et à la mise en œuvre de la clause de dédommagement stipulé à hauteur de 200.000 € dans le contrat de cession de parts sociales du 22 juin 2010.

Le médecin expert a certes précisé que «face aux autres facteurs de risque, le stress, même s'il est établi, n'a pas joué un rôle significatif». Mais il n'a pas exclu tout rôle causal, même minime, du stress qu'éprouvait W... T..., qui était lié à son exécution du contrat de travail, et qui est désormais établi.

Il en résulte en définitive qu'en se référant à l'expertise diligentée par le Dr X... S... qui a mis le décès principalement en relation avec une maladie athéromateuse préexistante, les parties intimées n'apportent la preuve ni que cet état pathologique préexistant évoluait pour son propre compte sans aucune relation avec le travail, ni d'une cause totalement étrangère au travail.

Faute pour les parties intimées d'entièrement satisfaire à leur obligation probatoire, la présomption d'accident de travail doit emporter tous ses effets.

En conséquence, les ayants droit de l'assuré victime, à savoir sa concubine et ses trois enfants, sont fondés à obtenir les prestations prévues par les dispositions des articles L434-7 et suivants du code de la sécurité sociale, à charge pour la CPAM intimée de liquider la rente viagère et verser les sommes dues aux ayants droit.

3. Sur la demande de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur :

Alors qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, un employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents dont son salarié est victime, il commet une faute inexcusable, au sens de l'article L452-1 du code de la sécurité sociale, lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il incombe à la partie qui réclame le bénéfice du régime d'indemnisation complémentaire attaché à la reconnaissance d'une faute inexcusable, d'en apporter la preuve.

En l'espèce, les parties appelantes reprochent en premier lieu à la société MJM de n'avoir pas soumis W... T... à une visite médicale d'embauche, laquelle aurait permis de diagnostiquer les risques ou une pathologie préexistante.

Mais si la société MJM a manqué à son obligation de soumettre le salarié à une visite médicale d'embauche, elle produit la fiche de visite établie le 9 janvier 2012, soit moins de deux mois avant le malaise mortel de W... T.... Le médecin du travail a alors émis un avis d'aptitude sans formuler ni réserves ni restrictions, et sans mentionner l'existence d'une pathologie pour laquelle l'employeur aurait dû prendre des dispositions. Le défaut de visite médicale d'embauche est donc sans relation de causalité avec l'accident mortel.

En deuxième lieu, les parties appelantes reprochent à la société MJM la surcharge de travail à laquelle elles affirment que W... T... a été soumis. Elles prétendent qu'une personne a été embauchée pour gérer les plans de travail et que W... T... se consacre plus aux chantiers. Mais elles n'apportent aucun élément au soutien de leur assertion.

En troisième et dernier lieu, les parties appelantes font grief à la société MJM du stress auquel était exposé W... T.... Mais elles n'établissent pas d'autre stress que celui que le défunt éprouvait, comme il a été dit plus haut, de devoir s'expliquer sur des manquements par lui commis et qui n'est pas imputable à l'employeur.

En définitive, dès lors que les parties appelantes ne satisfont pas à leur obligation probatoire, aucune faute inexcusable de l'employeur ne peut être retenue comme étant à l'origine de l'accident mortel du travail, et elles doivent être déboutées de leurs prétentions subséquentes.

4. Sur les dispositions accessoires :

En application de l'article 700 du code de procédure civile, il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du même code, il échet de mettre les entiers dépens à la charge de la CPAM qui succombe.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare recevable l'appel interjeté ;

Infirme le jugement entrepris ;

Ecarte les exceptions d'incompétence ;

Déclare que le malaise de W... T... survenu le 28 février 2012 et son décès le [...] résultent d'un accident de travail ;

Dit que la CPAM de l'Isère liquidera la rente viagère et servira aux ayants droit Y... V..., C..., E... et O... T... les prestations afférentes conformément aux dispositions des articles L434-7 et suivants du code de la sécurité sociale ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Dit n'y avoir lieu à contribution aux frais irrépétibles des parties ;

Condamne la CPAM de l'Isère à supporter les dépens;

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur SILVAN, conseiller faisant fonction de président et par Monsieur OEUVRAY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Numéro d'arrêt : 17/01084
Date de la décision : 10/09/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-09-10;17.01084 ?
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