N° RG 16/02312 - N° Portalis DBVM-V-B7A-IP4T
MPB
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
Me Chantal PILLET
la SCP GIRARD BRIANCON
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 05 SEPTEMBRE 2019
Appel d'un jugement (N° RG 13/00806)
rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE
en date du 02 mai 2016 suivant déclaration d'appel du 13 Mai 2016
APPELANTE :
SCI MARTI GRENOBLE
Société civile immobilière, immatriculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le n°378.098.289, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Chantal PILLET, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
SARL CAP DES ARTS COLOR'I
SARL au capital de 7 500 € immatriculée au registre de commerce et des sociétés de GRENOBLE sous le numéro 443 619 747,représentée par son gérant en exercice, domicilié de droit es qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Gisèle BRIANCON de la SCP GIRARD BRIANCON, avocat au barreau de GRENOBLE, substituée par Me Philippe LAURENT, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, Président de chambre,
Madame Fabienne PAGES, Conseiller,
Madame Marie Pascale BLANCHARD, Conseiller,
Assistées lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier.
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 Mai 2019
Madame BLANCHARD, conseiller, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience de ce jour, après prorogation du délibéré.
Suivant acte sous seing privé du 24 septembre 2002, la SCI MARTI GRENOBLE (SCI MARTI) a donné à bail à la SARL CAP DES ARTS - COLOR'I (société CAP DES ARTS), à compter du 1er octobre suivant, des locaux à usage commercial situé sur la commune de Saint Egrève moyennant un loyer mensuel de 4.954, 59 € hors taxes et hors charges.
A son terme, le 30 septembre 2011, le bail s'est poursuivi par tacite reconduction.
Par lettre recommandée du 8 février 2012, la société CAP DES ARTS a réclamé à sa bailleresse la justification et la régularisation des provisions pour charges et frais de gestion appelées avec les loyers.
Par acte d'huissier du 28 juin 2012, le preneur a sollicité le renouvellement du bail moyennant un loyer annuel de 51.300 €.
La SCI MARTI a accepté le principe du renouvellement, mais a contesté le prix offert.
Après échange de mémoires, la société CAP DES ARTS a fait assigner la SCI MARTI en fixation du loyer du bail renouvelé.
Par jugement du 30 septembre 2013, une mesure d'expertise préalable a été ordonnée et confiée à M [H] qui a déposé son rapport le 22 avril 2015 au terme duquel il a conclu qu'au 1er octobre 2012, la valeur locative annuelle était de 61.230 euros hors taxe, hors charges et hors complément de loyer.
Par jugement du 2 mai 2016, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grenoble s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande relative à la provision pour charges complémentaires et pour les gros travaux et a':
- fixé à la somme de 61.230 € hors taxes et hors charges et hors complément de loyer la valeur locative au 1er octobre 2012,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les frais d'expertise seront partagés par moitié entre les parties,
- condamné la SARL CAP DES ARTS COLOR'I aux dépens.
Par déclaration au greffe du 13 mai 2016, la SCI MARTI a relevé appel de cette décision.
Au terme de ses conclusions récapitulatives notifiées le 20 février 2019, la SCI MARTI demande à la cour de':
- déclarer irrecevable et mal fondé l'appel incident de la société CAP DES ARTS ;
- confirmer le jugement entrepris en ce que le juge des loyers commerciaux s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande relative à la provision pour charges et pour les gros travaux ;
- déclarer irrecevable les demandes de la société CAP DES ARTS tendant à voir écarter la provision contractuelle de 6 % à ce titre ;
- à titre infiniment subsidiaire ;
- déclarer mal fondées ces demandes ;
- débouter la société CAP DES ARTS de sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 52'800 € hors taxes et hors charges ;
- déclarer son appel recevable et bien fondé ;
- réformer partiellement le jugement ;
- dire et juger que la valeur locative au 1er octobre 2012 n'est pas inférieure au loyer plafonné ;
- fixer le prix du loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2012 en application des règles du plafonnement, à la somme annuelle de 84.027,11 € hors charges et hors taxes, tout autre clause, charge et conditions du bail expiré demeurant inchangées ;
- condamner la société CAP DES ARTS au paiement des intérêts au taux légal sur les loyers arriérés avec capitalisation ;
- condamner la même au paiement de la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à la charge de tous les frais et dépens, en ce compris les frais d'expertise.
La SCI MARTI soutient que la demande tendant à voir écarter les provisions pour charges et gros travaux ne relève pas de la compétence du juge des loyers commerciaux, que ce dernier n'a pas le pouvoir d'écarter l'application des dispositions contractuelles et que ces demandes ne présentent pas de lien suffisant avec la fixation du loyer.
La bailleresse conteste la surface pondérée des locaux retenue par l'expert, notamment en ce qu'il a appliqué un coefficient de pondération de 0,4 % à une partie de la surface du rez de chaussée alors que cette surface est modulable au gré du locataire et que subsidiairement, le coefficient retenu est excessif s'agissant notamment de réserves créées par le preneur qu'il aurait pu utiliser en surface de vente.
Elle demande à ce titre que soit retenue une surface totale utile de 518, 64 m2.
Elle met en avant le dynamisme de la zone commerciale (Cap des H) sur laquelle sont implantés les locaux, qui regroupe de nombreuses enseignes d'ameublement et de décoration, ainsi que leur bonne situation et leur visibilité.
Elle conteste les éléments de comparaison retenus par l'expert, certains des locaux étant moins bien situés et ayant été loués bruts alors que tel n'est pas le cas des locaux de la société CAP DES ARTS qui n'a pas supporté d'investissements lourds d'aménagement.
Elle revendique un prix de 168 euros/ m2.
Par conclusions n°3 notifiées le 15 mars 2019, la société CAP DES ARTS entend voir :
- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel principal de la SCI MARTI GRENOBLE ;
- l'en débouter';
- faire droit à son appel incident';
- fixer le montant du loyer annuel du bail renouvelé à la somme de 52.800 euros à compter du 28 juin 2012, date de la demande en renouvellement par voie d'huissier et à défaut, du 17 décembre 2012, date de la notification du mémoire préalable';
- rejeter purement et simplement le rapport d'expertise du cabinet BERTHIER versé aux débats par la SCI MARTI quelques jours avant la clôture';
- si la cour s'estimait compétente pour écarter la provision contractuelle de 6% au titre de la provision sur charges complémentaires, lesquelles ne sont jamais justifiées et la charge des gros travaux prévus par l'article 606 mais non listés,
- lui donner acte de son accord pour fixer le loyer annuel à 60.000 euros, à compter du 28 juin 2012, date de la demande en renouvellement par voie d'huissier et à défaut du 17 décembre 2012, date de la notification du mémoire préalable';
- condamner la SCI MARTI GRENOBLE à lui verser une somme de 8.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la SCI MARTI GRENOBLE en tous les dépens de première instance et d'appel, en ce inclus les frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SCP GIRARD & BRIANÇON, avocats associés, sur son affirmation de droit.
La société CAP DES ARTS estime que le loyer est surévalué au regard de la comparaison avec les prix pratiqués pour des locaux de même type et relève que depuis le rapport de l'expert, de nombreuses enseignes ont disparu dont les locaux n'ont pas retrouvé preneur.
Elle soutient que le local lui a été délivré à l'état brut et qu'elle a du procéder aux aménagements nécessaires à son exploitation, notamment des équipements de sécurité, travaux qui ont accru la valeur du local.
Elle conteste les références retenues par l'expert à titre de comparaison de prix des loyers, considérant que certains locaux concernés sont neufs et mieux situés, comme les éléments retenus par l'avis technique versé aux débats par la bailleresse juste avant la clôture.
Elle sollicite l'application d'un prix moyen annuel de 123 euros / m².
Elle estime que les frais de gestion acquittés à raison de 6 % du loyer constituent un supplément de loyer déguisé et qu'il doit être tenu compte des autres conditions du bail et notamment des clauses exorbitantes de droit commun mettant à sa charge les grosses réparations ainsi que la taxe foncière.
La procédure a été clôturée le 11 avril 2019.
MOTIFS DE LA DECISION':
1°) sur la compétence :
La demande formalisée en première instance et reprise en appel à l'identique par la société CAP DES ARTS, tend d'une part à ce que la provision contractuelle de 6 % au titre de provision sur charges complémentaires et la charge des gros travaux soient prises en compte dans la détermination du prix du loyer du bail renouvelé ; d'autre part, à titre subsidiaire, à voir écarter l'application de ces clauses.
Si conformément aux dispositions de l'article R. 145-23 du code de commerce, le juge des loyers commerciaux, seul compétent pour trancher les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, peut trancher celles portant sur des éléments de détermination du loyer, et à ce titre, prendre en compte des clauses exorbitantes de droit commun, il ne peut, sans excéder sa compétence d'attribution, statuer sur une demande visant à écarter l'application d'une clause contractuelle figurant dans le bail, laquelle relève de la compétence par ailleurs dévolue au tribunal de grande instance.
C'est donc à juste titre que le premier juge s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande relative à la provision pour charges complémentaires et pour les gros travaux, en ce qu'elle tend à écarter l'application de ces stipulations contractuelles.
2°) sur le prix du loyer du bail renouvelé :
Selon l'article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative qui, à défaut d'accord, est déterminée selon les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Par dérogation à ce principe et sauf à ce qu'il soit démontré une modification notable de ces éléments, l'article L.145-34 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, impose le plafonnement de la variation du
loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler dont la durée n'est pas supérieure à neuf ans, à celle de l'indice trimestriel du coût de la construction ou s'ils sont applicables de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou des loyers des activités tertiaires, publiés par l'INSEE.
Le bail à renouveler ayant été conclu en septembre 2002 et s'étant poursuivi par tacite reconduction à son terme en septembre 2011, mais sa durée ne dépassant pas douze années, le loyer applicable lors de la prise d'effet du nouveau bail est soumis à la règle du plafonnement, sauf à ce que soit démontré une modification notable des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties et des facteurs locaux de commercialité.
Il sera rappelé que la valeur du prix du bail renouvelé doit être fixée à la date du renouvellement et non sur des éléments postérieurs, ce qui conduira la cour à écarter les conclusions de l'expertise non contradictoire réalisée en janvier 2019 pour le compte de la bailleresse, l'expert missionné ayant indiqué avoir fixé la valeur locative à la date de la visite du bien effectuée le 3 janvier 2019. De la même manière, sont dépourvus de pertinence, le constat d'huissier en date du 9 novembre 2016 produit par la SCI MARTI et les éléments d'évolution de la zone de chalandise postérieurs au 1er octobre 2012.
Au terme d'un travail d'investigation très précis, documenté et argumenté, l'expert [H] a conclu qu'au 1er octobre 2012, la valeur locative des locaux s'établissait à la somme annuelle principale de 61.230 € hors taxes, hors charges et hors complément de loyer.
L'expert a repris et détaillé les caractéristiques du local concerné prenant en compte son emplacement au sein de la zone commerciale dite « Cap des H», la situation, la visibilité et les aménagements offerts par cette dernière, comme les différentes enseignes présentes sur ce site.
Il a notamment relevé que la zone de chalandise comprenait une quarantaine d'enseignes spécialisées dans l'aménagement et la décoration, qu'il s'agissait d'un environnement dynamique ayant peu évolué depuis la signature du bail.
La pondération pratiquée par l'expert sur un local mesuré à une surface utile brute de 518,64 m², en tenant compte de l'intérêt des différentes surfaces pour l'exploitation du local, se révèle parfaitement conforme aux usages appliqués en matière d'évaluation immobilière tels que notamment repris par la Charte de L'Expertise en Évaluations Immobilières.
À ce titre, il apparaît cohérent de considérer que des locaux techniques comme une réserve, un vestiaire, des sanitaires, des dégagements, n'offrent pas à l'exploitant la même utilité commerciale que les autres surfaces du magasin directement vouées à l'accueil de la clientèle et la présentation des produits. Compte tenu de la nature de l'activité commerciale exercée, de vente d'équipements de la maison, d'outils, de couleurs et méthodes pour la pratique des Beaux-Arts et des arts plastiques, d'encadrements, de librairie spécialisée et technique, de démonstrations et loisirs récréatifs, la bailleresse ne peut être admise à exiger que l'exploitant du local supprime toute surface de stockage de marchandises, à laquelle l'application d'un coefficient de pondération de 0,4 % n'apparaît pas excessif au regard des usages habituels en la matière.
C'est à juste titre que le premier juge a considéré que la surface utile pondérée retenue à hauteur de 492 m² par l'expert devait être validée.
Il ressort de la lecture de l'acte notarié de cession du droit au bail intervenu le 27 septembre 2002 au profit de la société CAP DES ARTS que l'exercice de l'activité de cette dernière a nécessité la réalisation de travaux d'aménagement des locaux, notamment relatifs à la sécurité.
Les parties critiquent les références de prix pratiqués dans le voisinage utilisées par l'expert alors que ce dernier a pu retenir cinq références différentes dans la même zone de chalandise, qu'il les a analysées avec précision en tenant compte des caractéristiques des locaux, des destinations contractuelles et des charges supportées par le preneur.
Il sera observé que conformément aux dispositions de l'article R. 145-2 du code de commerce, ces références peuvent être prises sur des locaux équivalents et non strictement identiques et qu'à défaut d'équivalence, elles peuvent être utilisées à titre indicatif pour la détermination des prix de base.
Dans ses conditions, c'est à bon escient que l'expert a pu retenir des prix de locaux bruts comme aménagés et la référence «'Cuisinella'», bien que s'agissant d'un local livré neuf en 2011 alors que les locaux de la société CAP des ARTS datent de 1990, puisque la détermination d'une moyenne a permis de corriger les différences relevées.
L'expert a par ailleurs tenu compte de la clause du bail exorbitante de droit commun transférant au preneur la charge des grosses réparations prévues par l'article 606 du code civil, comme le complément de loyer constitué par la prise en charge par ce dernier de la taxe foncière.
Le travail d'expertise de M [H] se révélant conforme aux dispositions combinées des articles L.145-33 et R.145-2 du code de commerce, il y a lieu, à l'instar du premier juge, de retenir à la date du 1er octobre 2012, une valeur locative du local de 61.230 € hors taxes, hors charges et hors complément de loyer.
Selon le contrat de bail initial, le loyer avait été fixé à 59'455 € hors taxes et hors charges par an et stipulé indexé chaque année à la variation du taux de l'indice trimestriel du coût de la construction.
Par l'effet de cette clause d'indexation, le montant du loyer s'élevait à la date de renouvellement du bail en 2012, à 82'950 € hors taxes et hors charges, calculé sur la base du dernier indice publié au 1er octobre 2012, lequel correspond au loyer plafonné résultant des dispositions de l'article L.145-34 du code de commerce.
La valeur locative résultant de l'expertise est inférieure au montant du loyer plafonné et doit être retenue pour fixer le prix du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2012.
Le jugement qui a fixé la valeur locative à compter du 1er octobre 2012 sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions, sauf à le compléter en fixant le prix du loyer du bail renouvelé à 61'230 € hors taxes, hors charges et hors complément de loyer.
PAR CES MOTIFS :
La Cour
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble en date du 2 mai 2016 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
FIXE le prix du loyer du bail renouvelé à la somme de 61.230 € hors taxes, hors charges et hors complément de loyer, à compter du 1er octobre 2012;
REJETTE les demandes réciproques fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCI MARTI GRENOBLE aux dépens de son appel.
SIGNE par Madame BLANCHARD, Conseiller, pour le Président empêché et par Monsieur STICKER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Président