N° RG 17/00815 - N° Portalis DBVM-V-B7B-I4RU
JB
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SCP X... I...
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 22 JANVIER 2019
Appel d'un jugement (N° R.G. 13/00040)
rendu par le Tribunal de Grande Instance de BOURGOIN-JALLIEU
en date du 08 décembre 2016
suivant déclaration d'appel du 14 Février 2017
APPELANTS :
Monsieur David Y...
né le [...] à PARIS
de nationalité Française
[...]
Madame Karine Z... épouse Y...
né le [...] à COURBEVOIE
de nationalité Française
[...]
Tous les deux représentés par Me Philippe X... de la SCP X... I..., avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
Monsieur Gérald A...
né le [...] à SAINT PRIEST
de nationalité Française
[...]
représenté par Me B... C... de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Hélène COMBES, Président de chambre,
Madame Dominique JACOB, Conseiller,
Madame Joëlle BLATRY, Conseiller,
Assistées lors des débats de Madame Anne BUREL, Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 Décembre 2018, Madame BLATRY a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Monsieur David Y... et son épouse, Madame Karine Z..., propriétaires sur la commune de Saint Victor de Morestel d'une maison d'habitation cadastrée section [...] ont, suivant exploit d'huissier du 9 janvier 2013, fait citer leur voisin, Monsieur Gérald A..., en constat de l'existence d'une servitude de passage au profit de leur fonds et en suppression de divers ouvrages.
Par jugement avant dire droit du 12 juin 2014, le tribunal de grande instance de Bourgoin Jallieu a ordonné une mesure d'expertise confiée à la société Juriconcil représentée par Monsieur Jean-Paul D..., géomètre-expert, à l'effet de déterminer l'éventuelle existence d'une servitude de passage grevant le fonds 347 et 467 de Monsieur A....
L'expert, ses opérations accomplies, a déposé son rapport le 10 décembre 2015.
Par jugement du 8 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu a:
- fixé l'assiette de la servitude de passage grevant les parcelles A... AE 467 et 469 au profit de la parcelle Y... AE 466, à une largeur de 0,91 mètre le long de la façade du bâtiment Y... avec accès par le portillon en place,
- ordonné l'exécution provisoire de cette disposition déterminant l'assiette du passage,
- rejeté les demandes des époux Y...,
- condamné in solidum les époux Y... à mettre en 'uvre un dispositif permettant l'évacuation des eaux de pluie de leur toiture sur leur fonds, dans le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision, sous astreinte de 100,00€ par jour et pour une durée de 6 mois,
- condamné in solidum les époux Y... à payer à Monsieur A... la somme de 15.000,00€ de dommages-intérêts en réparation de sa perte de chance de vendre son bien du fait de leur comportement,
- rejeté le surplus des demandes de Monsieur A...,
- condamné in solidum les époux Y... à payer à Monsieur A... une indemnité de procédure de 3.500,00€ et à supporter les dépens de l'instance qui comprennent les frais d'expertise.
Suivant déclaration en date du 14 février 2017, Monsieur et Madame Y... ont relevé appel de cette décision.
Par écritures récapitulatives du 28 Février 2018, Monsieur et Madame Y... demandent de :
- leur donner acte de ce qu'ils se satisfont de la solution n° 31 préconisée par l'expert,
- fixer la servitude de passage :
à titre principal, conventionnelle, de 4,50 mètres tant en ligne droite que dans le virage permettant l'accès à leur parcelle [...],
subsidiairement, légale en cas d'enclave, de 4,50 mètres tant en ligne droite que dans le virage permettant l'accès à leur parcelle [...],
- condamner Monsieur A..., sous astreinte de 500,00€ pour chaque infraction constatée, à laisser libre de toute occupation l'emplacement prévu devant le portail attenant à la servitude de passage,
- enjoindre à Monsieur A... de leur remettre, dans les 10 jours suivant la notification de la décision, la télécommande ou la clef permettant d'ouvrir le grand portail, sous astreinte de 100,00€ par jour de retard,
- rejeter l'ensemble des demandes de Monsieur A...,
- condamner Monsieur A... à leur payer une indemnité de procédure de 5.000,00€.
Ils font valoir que :
- dès leur acquisition, ils ont été confrontés au refus de Monsieur A... de respecter la servitude de passage conventionnelle grevant son fonds au bénéfice de leur propriété,
- l'expert D... relève l'existence d'une servitude de passage qui avait pour but, initialement, de desservir la grange et l'écurie,
- la servitude de passage a fait l'objet d'un usage continu depuis le 19ème siècle, hormis avec Monsieur E..., leur auteur direct,
- l'invocation du non usage et l'accord entre Monsieur E... et Monsieur A... leur sont inopposables,
- l'inutilité du passage n'est pas démontrée,
- le plan de bornage dressé par Monsieur J... annexé à l'acte de partage de l'indivision entre Monsieur A... et Monsieur F... du 3 juin 2009 fait apparaître une servitude de passage de 4,50 mètres,
- ce plan a été signé par les parties,
- ils demandent la reconnaissance d'une servitude de passage de 4,50 mètres pour accéder à l'arrière de leur propriété avec un véhicule,
- à défaut de servitude conventionnelle, il sera reconnu qu'ils sont enclavés pour accéder à l'arrière de leur propriété,
- l'accès n'est possible que par les parcelles [...] et [...],
- la télécommande remise par Monsieur A... pour ouvrir le portail est défectueuse,
- les demandes reconventionnelles de Monsieur A... doivent être rejetées, leur comportement n'ayant pas été à l'origine d'une perte de chance pour Monsieur A... de vendre son bien,
- aucune des pièces adverses produites ne le démontre,
- en revanche, ils démontrent l'excès des propos de Monsieur A...,
- la maison A... a finalement été vendue.
Suivant dernières conclusions du 25 octobre 2018, Monsieur A... demande de confirmer le jugement déféré sauf sur le rejet de sa demande de 1.826,00€ au titre de la réparation de son portail et sur le montant de son préjudice résultant de sa perte de chance de vendre son bien qu'il réclame à la somme de 66.933,55€ et, y ajoutant, de condamner Monsieur et Madame Y... à lui payer la somme de 5.000,00€ d'indemnité de procédure.
Il expose que :
- l'existence d'une servitude de passage conventionnelle n'a jamais été démontrée par titre,
- la demande adverse des époux Y... est tout à fait inutile puisque leur propriété borde la voie publique sur un hectare,
- la volonté d'accéder à leur terrain par sa propriété témoigne de leur esprit de nuisance,
- néanmoins, il ne conteste pas l'existence d'une servitude de passage,
- toutefois, compte tenu de l'assiette revendiquée par les époux Y..., ceux-ci souhaitent quasiment annexer ses parcelles [...] et [...],
- en l'absence de tout élément sur cette assiette, il accepte un accès de 0,91 mètre pour un accès à pied par le portillon, ce qui correspond à la volonté initiale des parties,
- il ressort du rapport Polyexpert qu'il a remis aux époux Y... la télécommande d'accès au portillon,
- la demande au titre de l'enclave formée pour la première fois en cause d'appel est irrecevable,
- il a été victime d'un véritable acharnement et harcèlement des époux Y...,
- son préjudice a été insuffisamment réparé.
La clôture de la procédure est intervenue le 30 octobre 2018.
SUR CE
Le litige porte désormais sur l'existence d'une servitude de passage, conventionnelle ou légale, au profit du fonds Y... et sur les demandes en dommages-intérêts de Monsieur A... à l'encontre des époux Y....
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
1/ sur les demandes des époux Y... au titre d'une servitude de passage
Par application de l'article 691 du code civil, la servitude conventionnelle de passage ne peut s'acquérir que par titre.
En outre, la création ou l'existence d'une servitude au profit d'un fonds dominant ne peut trouver son fondement que dans le titre du fonds servant.
La servitude n'est opposable à l'acquéreur que si elle est mentionnée dans son titre de propriété ou si elle a fait l'objet de la publicité foncière ou s'il en connaissait l'existence au moment de l'acquisition.
Aux termes d'un acte de partage de l'indivision A...elsol du 3 juin 2009, il a été attribué à Monsieur A... un terrain cadastré section [...], lieudit le Bourg, outre la moitié indivise de la parcelle [...].
Ainsi que l'a analysé l'expert, l'acte de Monsieur A... et ceux de ses auteurs indiquent, au chapitre «servitudes», qu'aux termes d'un acte reçu par maître Giraud le 21 juin 1893... la partie commune désignée sous le paragraphe c devra être entretenue à frais communs : elle sera constamment libre de tout entrepôt et de toute occupation... cette partie commune est grevée d'une servitude ou encore d'un chemin de desserte au profit de Trolliet (auteur des époux Y...).
Toutefois aucun des actes, tant du côté A... que du côté Y..., ne précise ni l'usage de cette servitude ni son assiette.
Un plan de bornage sur lequel serait matérialisée une servitude de passage ne vaut pas titre constitutif de servitude.
De surcroît, l'acte du 21 juin 1893 est introuvable.
Par application des articles 695 et 1337 du code civil, les titres récognitifs ne dispensent point de la représentation de l'acte conventionnel, à moins que sa teneur n'y soit spécialement relatée.
En l'espèce, en l'absence du titre du 21 juin 1893, supposé être l'acte constitutif de servitude, et aucun des actes dont l'expert a remonté les origines ne comportant de description suffisamment précise des fonds asservis et de l'assiette de passage revendiquée, les époux Y... échouent à démontrer l'existence de la servitude de passage revendiquée.
De façon contradictoire, tant Monsieur A... que le tribunal, tout en déniant l'existence d'une servitude conventionnelle de passage, reconnaissent l'existence d'un droit de passage avec la fixation de son assiette à une largeur de 0,91 mètre le long de la façade Y... et accès par le portillon en place.
Il ne peut s'agir que d'une tolérance, qui ne peut être consacrée judiciairement.
De surcroît, Monsieur A..., qui a vendu sa propriété, n'a pas qualité à octroyer le bénéfice d'une tolérance de passage alors que les nouveaux acquéreurs n'ont pas été appelés à la procédure.
Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement déféré et de débouter Monsieur et Madame Y... de leur demande en constat de l'existence d'une servitude de passage sur les fonds AE 467 et 469.
Par ailleurs, alors que la propriété Y... est située en bordure de la voie publique sur tout son côté ouest, il n'est nullement démontré qu'elle est enclavée.
Par voie de conséquence, il convient de débouter Monsieur et Madame Y... de leur demande en constat d'une servitude de passage tant conventionnelle que légale.
En l'absence de reconnaissance d'une servitude de passage, les demandes des époux Y... en constat d'infraction à leur droit de passage et en remise de la télécommande ou de la clef du grand portail sont devenues sans objet.
2/ sur les demandes en dommages-intérêts de Monsieur A...
Monsieur A... prétend que le comportement de Monsieur et Madame Y... lui a fait perdre la chance de vendre rapidement sa propriété.
Il leur reproche également la dégradation de son portail.
au titre de sa perte de chance de vendre sa propriété
Monsieur A... produit diverses attestations sur le comportement agressif de Monsieur Y... qui a conduit les époux G... à ne pas réitérer la vente et de Madame H... à ne pas passer de compromis de vente et de diverses autres personnes rendant visite à ses locataires.
Ainsi, Monsieur A... démontre que Monsieur Y... a eu, de façon régulière, une attitude conflictuelle qui a dissuadé deux acquéreurs de contracter avec lui et a retardé le succès de la vente envisagée.
Cette perte de chance de vendre rapidement, la cession ayant fini par se réaliser en juillet 2017, a été pertinemment indemnisée par l'allocation de dommages-intérêts de 15.000,00€.
Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
au titre de la réparation de son portail
En l'absence de démonstration que la détérioration du portail de Monsieur A... est imputable à Monsieur et Madame Y..., c'est à bon droit que le tribunal a rejeté cette demande.
Par voie de conséquence, le jugement déféré sera confirmé, hormis sur le droit de passage.
3/ sur les mesures accessoires
La cour estime devoir faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de l'intimé.
Enfin, Monsieur et Madame Y... seront condamnés aux dépens de la procédure d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- rejeté les demandes des époux Y...,
- condamné in solidum les époux Y... à mettre en 'uvre un dispositif permettant l'évacuation des eaux de pluie de leur toiture sur leur fonds, dans le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision, sous astreinte de 100,00€ par jour et pour une durée de 6 mois,
- condamné in solidum les époux Y... à payer à Monsieur A... la somme de 15.000,00€ de dommages-intérêts en réparation de sa perte de chance de vendre son bien du fait de leur comportement,
- rejeté le surplus des demandes de Monsieur A...,
- condamné in solidum les époux Y... à payer à Monsieur A... une indemnité de procédure de 3.500,00€ et à supporter les dépens de l'instance qui comprennent les frais d'expertise,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Déboute Monsieur David Y... et Madame Karine Z... épouse Y... de leur demande en servitude conventionnelle ou légale de passage au bénéfice de leur fonds,
Y ajoutant,
Constate que les demandes de Monsieur David Y... et Madame Karine Z... épouse Y... en constat d'infraction à leur droit de passage et en remise de la télécommande ou de la clef du grand portail sont devenues sans objet,
Condamne Monsieur David Y... et Madame Karine Z... épouse Y... à payer à Monsieur Gérald A... la somme de 1.000,00€ par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur David Y... et Madame Karine Z... épouse Y... aux dépens de la procédure d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, Président, et par Madame BUREL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT