N° RG 16/06041 - N° Portalis DBVM-V-B7A-I2KS
DJ
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
à :
la SCP Y... MOURONVALLE
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1èRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION
DU MARDI 04 DÉCEMBRE 2018
DÉCLARATION DE SAISINE du 26 Décembre 2016
sur un arrêt de cassation du 22 septembre 2016
Recours contre un Jugement (N° R.G. 09/02125)
rendu par le Tribunal de Grande Instance d'ANNECY
en date du 20 février 2014
ayant fait l'objet d'un arrêt rendu le 12 mars 2015
par la Cour d'Appel de CHAMBÉRY
APPELANTS :
Monsieur Michel F... Charles X...
né le [...] à ANNECY
de nationalité Française
[...]
Madame Hélène Marie Simone G... épouse X...
née le [...] à LYON (69)
de nationalité Française
[...]
Tous deux représentés par Me Christophe Y... de la SCP Y... MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Sébastien Z..., avocat au barreau d'ANNECY
INTIME :
Monsieur Jean-Louis A...
né le [...] à ANNECY
de nationalité Française
[...] de Blampey
74290 TALLOIRES
Représenté par Me B... C... de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Emmanuelle D..., avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:
Madame COMBES, Président de chambre
Madame JACOB, Conseiller
Madame BLATRY, Conseiller
Assistées lors des débats de Madame Anne BUREL, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique de renvoi de cassation tenue le 05 novembre 2018,
Madame JACOB a été entendue en son rapport, les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
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EXPOSE DU LITIGE
Michel X... et Hélène G... épouse X... sont propriétaires d'un tènement immobilier à Talloires (Haute-Savoie) cadastré [...], [...], [...], [...] et [...].
Sur la parcelle [...] est édifiée une maison d'habitation destinée à la villégiature. Les autres parcelles sont en nature de prairie.
Jean-Louis A..., propriétaire notamment de la parcelle cadastrée [...] contiguë à la parcelle [...] et située en amont de celle-ci, a procédé en 2007 à son exhaussement.
Considérant que la plate-forme ainsi créée portait atteinte à leurs droits, les époux X... ont, par acte du 22 octobre 2009, assigné Jean-Louis A... devant le tribunal de grande instance d'Annecy en suppression de l'ouvrage litigieux.
Par jugement du 14 décembre 2011, le tribunal a ordonné une mesure d'expertise en vue de vérifier les conséquences de l'exhaussement quant aux vues droites.
Le tribunal a par ailleurs débouté les époux X... de leur demande tendant à faire cesser l'activité forestière de Jean-Louis A... sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.
Après dépôt du rapport d'expertise judiciaire, le tribunal a, par jugement du 20 février 2014, débouté les époux X... de leurs demandes de démolition de l'ouvrage réalisé par Jean-Louis A... et de leur demande tendant à faire défense à Jean-Louis A... d'accueillir sur son fonds l'activité de bûcheronnage, dont le dépôt et le stockage de bois.
Le tribunal a, en revanche, condamné Jean-Louis A... à supprimer les empiétements des ouvrages réalisés sur la parcelle [...], propriété des époux X..., dans le délai de trois mois suivant la signification du jugement.
Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Chambéry, le 12 mars 2015.
Le 22 septembre 2016, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour de Chambéry et a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble.
Les époux X... ont saisi la cour de renvoi le 26 décembre 2016.
Dans leurs dernières conclusions du 13 mars 2017, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement et de :
- constater que l'ouvrage réalisé par époux X... empiète sur leur fonds,
- constater que l'exhaussement réalisé crée des vues droites sur leur propriété,
- dire que l'ouvrage réalisé contrevient aux dispositions du plan d'occupation des sols de la commune de Talloires,
- en conséquence, ordonner la suppression des ouvrages réalisés, enrochement et exhaussement de sol, le tout sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir,
- faire défense à Jean-Louis A... d'accueillir sur son fonds l'activité de bûcheronnage, dont le dépôt et le stockage de bois,
- condamner Jean-Louis A... à leur verser la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Ils invoquent, à l'appui de leur demande de démolition, les vues droites créées sur leur espace de vie ' habitation et jardin ' et l'irrespect des règles d'urbanisme en vigueur lors des travaux : absence d'autorisation de travaux, réalisation d'un enrochement interdit, irrespect de la destination de la zone NC ' Jean-Louis A... ne justifiant pas exercer une activité agricole au sens du règlement du plan d'occupation des sols de la commune ' et irrespect des distances d'implantation des constructions par rapport aux limites de propriété.
Ils soutiennent que l'ouvrage leur est préjudiciable en ce que, d'une part, les vues entraînent une perte d'intimité et, d'autre part, les travaux de réalisation de bois de chauffage sur la plate-forme leur causent un préjudice esthétique et auditif, et génèrent un trouble à la quiétude des lieux.
Dans ses dernières conclusions du 11 mai 2017, Jean-Louis A... demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner les époux X... à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Il expose que les travaux de terrassement de la plate-forme ont commencé avant que les époux X... achètent leur bien ; que ceux-ci avaient connaissance de la situation exacte des lieux et qu'ils sont de mauvaise foi, ayant attendu l'achèvement intégral des travaux pour en solliciter la démolition.
Il conteste l'existence de vues droites prohibées faisant valoir que :
- une vue réciproque existait déjà entre les parcelles contiguës 271 (plate-forme) et 1943 (parking des époux X...) avant l'exhaussement litigieux,
- la distance entre la parcelle [...] et la parcelle [...] (maison des époux X...) est supérieure à 1,90 mètre,
- aucune gêne n'est caractérisée,
- l'ouvrage est conforme à l'autorisation du 11 décembre 2007.
Il indique qu'il exerce une activité de bûcheron et que l'activité forestière a toujours appartenu à la catégorie des activités agricoles ; que son activité et le stockage de bois sont compatibles avec la destination de la zone NC du plan local d'urbanisme.
Il conteste les préjudices allégués.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
Sur l'empiétement
Jean-Louis A..., condamné par le tribunal à supprimer les empiétements sur la parcelle [...], ne remet pas en cause cette décision qui sera donc confirmée.
Sur les vues
Les époux X... sollicitent la démolition de l'enrochement et de l'exhaussement réalisés par Jean-Louis A..., en ce que ces ouvrages créent des vues droites prohibées sur leur fonds.
En application de l'article 678 du code civil, une vue droite ou une fenêtre n'est possible sur le fonds voisin que s'il y a 1,90 mètre de distance avec celui-ci, à moins que le fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.
Ces dispositions s'appliquent aux terrasses, plates-formes ou autres exhaussements de terrain d'où l'on peut exercer une servitude de vue sur le fonds voisin.
Il résulte de la configuration des lieux et des distances relevées par l'expert judiciaire par rapport à la limite de propriété, que la surélévation du terrain réalisée par Jean-Louis A... n'a créé une vue droite sur la parcelle [...], propriété des époux X..., qu'à partir d'une bande de 13 centimètres de largeur située à l'extrémité est de la plate-forme réalisée sur la parcelle [...], et non depuis toute la longueur du terrain.
Il n'est par ailleurs pas contesté que la parcelle [...] ne jouxte que la parcelle [...], laquelle est séparée du surplus de la propriété des époux X... par la parcelle [...] dont Jean-Luc E..., qui a vendu les parcelles [...], [...] et [...] aux époux X... le 18 décembre 2008, s'est réservé la propriété.
Il n'est pas plus contesté qu'ainsi que l'a relevé l'huissier de justice le 27 août 2009 à la requête des époux X..., la parcelle [...] est actuellement utilisée comme aire de stationnement et que sa vue est partiellement masquée par une haie d'ornement implantée au nord de la parcelle [...] ;
que la parcelleC 294 est à usage de prairie et que la maison des époux X..., édifiée sur la parcelle [...], se situe à l'est de cette prairie.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'existe aucune vue droite sur l'espace de vie des époux X..., habitation et jardin.
S'agissant de la seule vue droite prohibée, il s'avère qu'il peut y être remédié autrement que par la démolition de l'intégralité de la plate-forme, notamment par l'élargissement de 13 centimètres de l'enrochement dans sa partie supérieure ou, comme cela est déjà le cas, par la plantation de végétaux.
Les époux X... ne sont donc pas fondés en leur demande de démolition de l'exhaussement.
Sur le respect des règles d'urbanisme
Les époux X... sollicitent la démolition de la plate-forme en ce qu'elle contrevient aux dispositions du plan d'occupation des sols de la commune.
Il convient de rappeler qu'en matière de contentieux du permis de construire, le juge administratif est le juge naturel de la légalité de cet acte administratif, tandis que le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur les actions tendant à la démolition d'une construction irrégulièrement édifiée sur une propriété privée.
Ainsi, le juge judiciaire est compétent, en cas d'annulation par le juge administratif du permis de construire ou de l'autorisation de travaux, pour ordonner la démolition de l'ouvrage édifié en méconnaissance des règles d'urbanisme, lorsque le demandeur justifie d'un préjudice personnel directement causé par l'infraction.
En l'occurrence, Jean-Louis A... a sollicité le 13 août 2007 une autorisation de travaux à laquelle le maire a répondu favorablement, le 11 décembre 2007.
Les époux X... ont saisi le tribunal administratif d'une requête en annulation de cette autorisation. Leur requête a été rejetée par jugement définitif du 15 décembre 2011, au motif qu'elle avait été présentée tardivement.
Ils ne peuvent donc se prévaloir, au soutien de leur demande de démolition, de l'irrespect de règles d'urbanisme dont l'appréciation ne relève pas de la compétence de la cour.
Sur la demande de cessation de l'activité de bûcheronnage
Sous couvert de leur longue argumentation sur le non respect des normes administratives, les époux X... se plaignent en réalité des nuisances sonores et visuelles engendrées par l'activité de bûcheronnage exercée par Jean-Louis A... sur la plate-forme.
Or, cette demande, fondée sur les troubles anormaux de voisinage, a été examinée par le tribunal de grande instance d'Annecy qui l'a rejetée par jugement du 14 décembre 2011 dont les époux X... n'ont pas relevé appel et qui est, par conséquent, définitif.
Le jugement déféré doit donc être intégralement confirmé.
L'équité commande que les époux X... versent à Jean-Louis A... une indemnité de procédure pour les frais exposés en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- Condamne les époux X... à payer à Jean-Louis A... la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne les époux X... aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, Président, et par Madame BUREL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT