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02/10/2018 | FRANCE | N°15/04817

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 1ere chambre, 02 octobre 2018, 15/04817


N° RG 15/04817 - N° Portalis DBVM-V-B67-IG6M


HC


N° Minute :































































































Copie exécutoire délivrée





le :


à :





La SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGN

AN





La SCP X... E...


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE GRENOBLE





1ERE CHAMBRE CIVILE





ARRÊT DU MARDI 02 OCTOBRE 2018








Appel d'un Jugement (N° R.G. 10/02754)


rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE


en date du 28 septembre 2015


suivant déclaration d'appel du 16 Novembre 2015





APPELANTS :





Monsieur Y... F...


né le [...] à ARGENTEUIL (95)


de ...

N° RG 15/04817 - N° Portalis DBVM-V-B67-IG6M

HC

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

La SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN

La SCP X... E...

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 02 OCTOBRE 2018

Appel d'un Jugement (N° R.G. 10/02754)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE

en date du 28 septembre 2015

suivant déclaration d'appel du 16 Novembre 2015

APPELANTS :

Monsieur Y... F...

né le [...] à ARGENTEUIL (95)

de nationalité Française

[...]

Madame D... Z... épouse F...

née le [...] à GRENOBLE (38)

de nationalité Française

[...]

Tous deux représentés par Me François-Xavier G... de la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et plaidant par Me Laure A..., avocat au barreau de PARIS

INTIME :

Le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD)

dont le siège social est situé [...] , immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 379 502 644, venant aux droits de la société BANQUE PATRIMOINE ET IMMOBILIER (BPI), à la suite de la fusion par absorption du 1er mai 2017.

représenté par Me Philippe X... de la SCP X... E..., avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me Céline B..., avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Hélène COMBES, Président de chambre,

Madame Dominique JACOB, Conseiller,

Madame Joëlle BLATRY, Conseiller,

Assistées lors des débats de Madame Anne BUREL, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 03 Septembre 2018, Madame COMBES a été entendue en son rapport.

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

Le 28 septembre 2006, les époux F... ont signé en qualité de réservataires trois contrats préliminaires de vente en l'état futur d'achèvement portant sur trois appartements de type T1 à usage locatif situés dans un ensemble immobilier à Toulon au prix de 99.000 euros chaque appartement.

Le 1er décembre 2006, ils ont accepté l'offre de prêt de la Banque Patrimoine et Immobilier d'un montant de 297.000 euros datée du6 novembre 2006.

L'acte de de vente et l'acte de prêt ont été reçus le14 mars 2007 par acte authentique de Maître C... notaire à Aix en Provence.

Cette opération s'inscrit dans le cadre des activités de la société Apollonia dont les agissements frauduleux sont invoqués par de nombreux emprunteurs et ont donné lieu à de multiples procédures.

Le 11 janvier 2010, la Banque Patrimoine et Immobilier a prononcé la déchéance du terme et par acte du 9 juin 2010, elle a assigné les époux F... devant le tribunal de grande instance de Grenoble pour obtenir le paiement du solde du prêt.

Par jugement du 28 septembre 2015, le tribunal a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par les époux F..., dit que l'action de la Banque Patrimoine Immobilier n'est pas prescrite, dit la demande recevable et condamné les époux F... à payer à la Banque Patrimoine et Immobilier la somme de 316.020,99 euros outre intérêts au taux de 3,85 % à compter du 11 janvier 2010.

Le tribunal a dit n'y avoir lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts et débouté les époux F... de leur demande de dommages-intérêts.

Les époux F... ont relevé appel le 16 novembre 2015.

Dans leurs dernières conclusions du 27 août 2018, ils demandent à la cour de :

-Faire injonction au Crédit Immobilier de France Développement d'avoir a produire euros et justifier:

Le traité de fusion ainsi que les annexes,

Le rapport du commissaire a la fusion,

Le rapport du commissaire aux apports,

Le décompte de la créance détenue par l'absorbée sur le débiteur, telle que retenue pour l'élaboration du traité de fusion, certifiée par le commissaire aux apports ou le commissaire à la fusion.

A défaut,

- Déclarer purement et simplement irrecevable la demande de la société CIFD pour défaut d'intérêt a agir,

- Déclarer Monsieur Y... F... et Madame D... F... recevables et bien fondés en Ieurs demandes,

- Réformer en toutes ses dispositions le Jugement rendu le 28 septembre 2015 par le Tribunal

de Grande instance de Grenoble,

-Dire et juger que la Banque Patrimoine et Immobilier et la société CIFD prétendant lui venir aux droits devra produire aux débats l'ensemble des historiques de comptes du prêt sur l'intégralité de la période concernée,

- Dire et juger que l'action de la Banque Patrimoine et Immobilier et de la société Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits est irrecevable, faute d'intérêt à agir,

- En conséquence, débouter la Banque Patrimoine et Immobilier et la société Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits de toutes ses demandes fins et conclusions,

A Titre Subsidiaire,

- Surseoir à statuer sur l'action de la Banque Patrimoine et Immobilier et la société Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits dans l'attente d'une décision définitive à intervenir au plan pénal ayant autorité de la chose jugée, et subsidiairement, dans l'attente de la décision pénale à rendre sur l'information judiciaire pendante devant le Tribunal de Grande Instance de Marseille.

Sur Le fond,

- Dire et juger que |'offre de crédit faite par Insuffisance d'actif Banque Patrimoine et Immobilier à Monsieur Y... F... et Madame D... F... n'est pas régulière en la forme,

- Dire et juger que la Banque Patrimoine et Immobilier et la société CIFD prétendant lui venir aux droits est déchue de son droit aux intérêts conventionnels,

- Inviter la Banque Patrimoine et Immobilier et le CIFD estimant lui venir aux droits à recalculer la prétendue créance en extournant les intérêts conventionnels,

- A défaut pour elle de le faire, rejeter sa demande de condamnation envers les époux F...,

- Dire n'y avoir lieu a capitalisation des intérêts,

- Condamner la Banque Patrimoine et Immobilier et le Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits à restituer à Monsieur Y... F... et Madame D... F... les sommes perçues au titre des intérêt conventionnels depuis la conclusion du crédit,

- Dire et juger que la Banque Patrimoine et Immobilier a commis une faute en ne procédant à aucune vérification sur la nature des projets qui lui étaient soumis et alors même qu'elle était saisie a la même époque de plusieurs dizaines de dossiers similaires par l'intermédiation de la société Apollonia et de tout autre courtier.

- Dire et juger qu'en ne procédant a aucune versification sur le prix d'acquisition des lots, la rentabilité du projet en termes de revenus locatifs et partant sur la capacité d'autofinancement

du projet, et au regard du nombre extrêmement important des projets immobiliers qui lui étaient transmis, la banque a manqué a son obligation de mise en garde a l'égard des emprunteurs,

- Dire et juger que la nature même de l'opération qui s'apparente à un projet d'investissement

obligeait la banque a une obligation de conseil,

- Dire et juger que la banque ne rapporte pas la preuve du respect de son obligation de conseil,

- Dire et juger qu'au contraire, en acceptant les demandes de prêt sans avoir eu un contact direct avec les emprunteurs ni vérifier avec eux l'exactitude des déclamations fournies par le

courtier, ni s'être assuré de la capacité réelle d'endettement, la banque a engagé sa responsabilité pour manquement au devoir de conseil et de prudence,

- Dire et juger que la Banque Patrimoine et Immobilier a manqué à son devoir de surveillance et de contrôle de son réseau de distribution des crédits,

- Dire et juger que la responsabilité de la Banque Patrimoine et Immobilier et celle de la société Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits, est engages du fait d'autrui en raison des agissements de la société Apollonia,

- Condamner la Banque Patrimoine et Immobilier et le Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits à payer a Monsieur Y... F... et Madame D... F... la somme de 297.000 euros en réparation de leur préjudice résultant de la perte d'une chance de ne pas contracter,

- Condamner la Banque Patrimoine et Immobilier et le Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits euros payer a Monsieur Y... F... et Madame D... F... la somme de 50.000 euros en réparation de leur préjudice moral,

- Dire et juger que Monsieur Y... F... et Madame D... F... n'ont pas agi de mauvaise foi,

- Débouter la Banque Patrimoine et Immobilier et le Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits de sa demande de dommages et intérêts,

- Ordonner la compensation entre les condamnations qui pourraient être prononcées à l'encontre de Monsieur Y... F... et Madame D... F... et celles prononcées à l'encontre de la Banque Patrimoine et Immobilier et du Crédit Immobilier de France Développement,

- Condamner la Banque Patrimoine et Immobilier et le Crédit Immobilier de France Développement prétendant lui venir aux droits, à payer à Monsieur Y... F... et Madame D... F... une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Ils exposent les circonstances dans lesquelles avec un discours rassurant et convaincant, le représentant de la société Apollonia leur a fait signer toute une série de documents dont des contrats de réservation, des actes de procuration sans leur faire prendre le temps de les lire, les écartant de tout le processus ;

que c'est ainsi qu'ils ont ainsi acquis, sans apport personnel, 10 biens immobiliers en l'état futur d'achèvement et se sont endettés auprès de six établissements bancaires pour 1.721.518 euros.

Ils indiquent que les crédits de TVA leur ont donné l'illusion de réaliser d'excellentes affaires, mais que lorsque les échéances des prêts ont commencé à être payées en totalité, ils se sont aperçus que les loyers des biens acquis (très largement surévalués) ne leur permettaient pas de rembourser tous les prêts. Ils indiquent s'être trouvés dans une impasse financière, leurs revenus annuels ne leur permettant pas de payer les échéances des prêts.

Ils développent l'argumentation suivante :

I - La demande du Crédit Immobilier de France Développement est irrecevable

- faute de démonstration de son intérêt à agir en l'absence de production des documents relatifs à la fusion-absorption du 1er mai 2017.

- en raison de la prescription de l'article L 137-2 du code de la consommation,

- faute d'intérêt à agir, la banque détenant avec l'acte notarié un titre exécutoire

II - Subsidiairement, il convient de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision pénale définitive dès lors :

- que le juge civil n'est pas en mesure de se prononcer tant que l'instruction pénale n'est pas close,

- que le sursis à statuer s'impose au nom d'une bonne administration de la justice puisque les fautes pénales qui pourraient être reprochées à la société Apollonia sont susceptibles d'avoir une incidence directe sur les conditions d'octroi du crédit,

- que la Banque Patrimoine Immobilier a donné mandat à la société Apollonia et qu'elle est responsable des agissements frauduleux de cette dernière sur le fondement de l'article L 519-1 du code monétaire et financier, qu'elle a mis en place avec elle un fonctionnement échappant aux investisseurs,

- que le sursis à statuer s'impose au nom du respect des droits de la défense, la Banque Patrimoine et Immobilier directement concernée par l'instruction ouverte contre X ayant été placée sous le statut de témoin assisté,

- que le sursis à statuer ne porte pas atteinte aux droits de la banque qui bénéficie de garanties, alors qu'une condamnation aurait des conséquences disproportionnées pour les époux F....

III - Sur le fond

La banque est déchue du droit aux intérêts en raison de la violation des dispositions impératives du code de la consommation sur : le délai de réflexion de 10 jours, la production des documents exigés,

La Banque Patrimoine Immobilier a engagé sa responsabilité en leur accordant un crédit de 297.000 euros sans les rencontrer, se fiant aux informations transmises par la société Apollonia. Elle a manqué à son devoir de conseil et de mise en garde.

Le devoir de mise en garde doit être analysé au regard de la nature particulière des opérations.

La banque a géré le prêt comme s'il s'agissait de l'acquisition d'un bien personnel, alors que toute l'économique du système repose sur la perception de loyers qui ajoutée à la défiscalisation, permet de financer le lot vendu.

- La banque a manqué à son devoir de contrôle et de surveillance de ses préposés et intermédiaires.

- La Banque Patrimoine Immobilier doit être tenue pour responsable des fautes de la société Apollonia qui a agi dans le cadre d'un mandat.

- Sa responsabilité est également engagée sur le fondement du pouvoir d'organisation, de surveillance et de contrôle de l'activité d'autrui.

Dans ses dernières conclusions du 22 février 2018, le CIFD qui vient aux droits de la Banque Patrimoine Immobilier conclut à la confirmation du jugement sur le principe et le montant de la condamnation des époux F... et à son infirmation sur le rejet de la demande de capitalisation qu'il demande à la cour de prononcer.

Il conclut au rejet des demandes des époux F... et réclame 40.000 euros à titre de dommages-intérêts et 20.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il développe en réplique l'argumentation suivante :

I - L'extrait K.bis est un acte authentique faisant foi des informations portées au Registre du commerce et des sociétés et la fusion absorption qui y est mentionnée ne peut être contestée.

II - La demande de sursis à statuer doit être rejetée pour les motifs suivants :

- le sursis à statuer, de nature facultative, relève du pouvoir discrétionnaire du juge,

- après sept années d'instruction, le juge d'instruction considère qu'il n'existe pas d'éléments établissant que la banque a commis une infraction pénale,

- l'objet des procédures pénale et civile est distinct et la procédure pénale, quelle que soit son issue ne peut remettre en cause la validité des contrats de prêt.

- Aucun mandat ne lie la société Apollonia à la Banque Patrimoine Immobilier. Dès lors, les manoeuvres de la société Apollonia ne sont pas de nature à influer sur la responsabilité de la banque.

La société Apollonia n'a jamais accompli le moindre acte juridique pour le compte de la Banque Patrimoine Immobilier. Les contrats de prêt ont été conclus entre la banque et les emprunteurs.

- Les époux F... peuvent parfaitement faire valoir leurs moyens de défense : en qualité de partie civile, ils ne sont pas soumis au secret de l'instruction et peuvent produire les éléments tirés de la procédure pénale, nécessaires à leur défense.

- Le sursis à statuer serait contraire à la bonne administration de la justice.

III - La demande est recevable

- aucune prescription n'est encourue : le premier impayé non régularisé date du mois de juin 2009 et l'assignation a été délivrée le 9 juin 2010, soit avant l'expiration du délai de 2 ans.

- la détention d'un acte notarié ne prive pas la banque de la possibilité d'obtenir un nouveau titre exécutoire. Son intérêt à agir est incontestable.

IV - La demande est bien fondée

- En vertu du contrat de prêt, les fonds ont été remis aux emprunteurs qui ont une obligation de remboursement.

- Toutes les dispositions du code de la consommation ont été respectées, aucune déchéance des intérêts n'est encourue.

V - La Banque Patrimoine Immobilier n'a commis aucune faute dans l'octroi du prêt et sa responsabilité n'est pas engagée :

En vertu du principe de non immixtion, le banquier dispensateur de crédit n'a pas de devoir de conseil.

Aucune violation du devoir de mise en garde ne peut lui être reprochée. En effet :

(1) La banque n'est pas tenue par un devoir de mise en garde si l'emprunteur est averti et si le prêt est proportionné aux capacités financières de l'emprunteur.

En l'espèce, elle a vérifié les capacités financières des époux F... au vu des éléments fournis par eux sur la fiche de renseignements. Ils se sont abstenus de mentionner la totalité de leur endettement et elle n'avait pas à procéder à des investigations.

(2) Les époux F... sont des emprunteurs avertis qui avaient déjà souscrit 6 emprunts. Ils étaient en mesure d'appréhender la portée de leur engagement et ont agi de manière réfléchie.

La Banque Patrimoine Immobilier n'encourt aucune responsabilité du fait de la société Apollonia :

- il n'existe aucun mandat entre la banque et la société Apollonia et en toute hypothèse, aucun texte du code civil n'institue de responsabilité du mandant du fait de son mandataire.

La responsabilité du mandant ne peut être engagée que s'il a lui-même commis une faute.

La Banque Patrimoine Immobilier n'avait aucun pouvoir de contrôle, d'organisation ou de surveillance de la société Apollonia et ne peut être tenue pour responsable de ses agissements.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 août 2018.

DISCUSSION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

I - Sur la demande en paiement du CIFD

1 - Sur la demande de sursis à statuer des époux F...

Les époux F... demandent à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision pénale définitive qui sera rendue sur l'instruction en cours devant le tribunal de grande instance de Marseille.

Ils invoquent la collusion frauduleuse entre la société Apollonia, les banques et les notaires.

Ils exposent que la responsabilité de la Banque Patrimoine et Immobilier doit nécessairement être analysée au regard de celle de son mandataire la société Apollonia.

Ils soutiennent que la décision de sursis s'impose au nom d'une bonne administration de la justice, au nom du respect des droits de la défense et font valoir qu'une décision de sursis à statuer ne portera pas atteinte aux droits du Crédit Immobilier de France Développement.

Le Crédit Immobilier de France Développement s'oppose à la demande, rappelant que le sursis à statuer qui est facultatif en l'espèce, relève du pouvoir discrétionnaire du juge.

Il valoir notamment que l'objet des procédures pénale et civile est distinct et que l'on voit mal en quoi la procédure pénale pourrait influer sur le résultat de la présente instance, alors qu'il n'est plus mise en examen.

Il ajoute que quelle que soit l'issue de la procédure pénale, elle ne saurait remettre en cause la validité des contrats de prêt.

Il conteste que la Banque Patrimoine et Immobilier ait donné mandat à la société Apollonia et indique que cette société n'avait pas pour mission de se substituer au banquier dans l'octroi des crédits ;

que les contrats de prêt ont d'ailleurs été conclus directement entre la banque et les emprunteurs, sans aucun intermédiaire.

En vertu de l'article 4 du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l'action publique n'impose le sursis que sur le seul jugement de l'action civile exercée devant la juridiction civile en réparation du dommage causé par l'infraction.

Les autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, ne sont pas soumises à l'obligation de suspendre l'instance, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

La décision de suspendre l'instance relève donc du pouvoir discrétionnaire conféré au juge en vue d'une bonne administration de la justice.

En l'espèce, la Banque Patrimoine et Immobilier a été démise en examen dans le cadre de l'information ouverte au tribunal de grande instance de Marseille le 13 septembre 2013.

A ce jour, aucun élément ne permet de retenir que cette situation pourrait évoluer sur le plan pénal dans un sens défavorable à la banque.

Quant à la responsabilité de la Banque Patrimoine et Immobilier du fait des agissements de la société Apollonia que les époux F... invoquent sur le fondement du mandat, les éléments produits aux débats ne permettent pas de conclure à ce stade de la procédure, qu'elle pourrait être engagée.

En effet si la Banque Patrimoine et Immobilier et la société Apollonia ont dans un document contractuel du 22 juillet 2008 fait référence à un 'précédent mandat donné le 5 mai 2004", cette seule reconnaissance qui n'est étayée par aucune autre pièce, est impropre à établir que la société Apollonia a en 2006, véritablement agi comme mandataire de la Banque Patrimoine et Immobilier c'est à dire en ses lieu et place dans la conclusion des contrats de prêt et non simplement comme un intermédiaire.

Ni les droits de la défense, ni le principe de la contradiction, ni les considérations liées à une bonne administration de la justice n'imposent de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision pénale qui interviendra dans un délai qu'il est impossible d'évaluer à ce jour et dont l'incidence sur la présente instance est totalement incertaine.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer.

2 - Sur la recevabilité

Les époux F... contestent l'intérêt à agir du Crédit Immobilier de France Développement au motif qu'il n'est pas justifié de l'existence et de la valeur de la créance inscrite dans les livres de la Banque Patrimoine et Immobilier transmise au Crédit Immobilier de France Développement.

Or l'existence et la valeur de la créance de la Banque Patrimoine et Immobilier sont justifiées par la remise des fonds consécutives au contrat de prêt dont l'offre a été acceptée par les époux F... le 1er décembre 2006 et par les divers documents produits: tableau d'amortissement, mise en demeure, courrier de déchéance du terme.

Par l'effet de l'apport du patrimoine de la Banque Patrimoine et Immobilier au Crédit Immobilier de France Développement dans le cadre d'une fusion par voie d'absorption intervenue le 1er mai 2017 - opération dont la réalité n'est pas contestée -, le Crédit Immobilier de France Développement a acquis tous les droits de la Banque Patrimoine et Immobilier dissoute de plein droit.

Son intérêt à agir ne peut être contesté à cet égard.

Les époux F... contestent également l'intérêt à agir du Crédit Immobilier de France Développement au motif qu'il détient déjà un titre exécutoire avec l'acte notarié du 14 mars 2007.

Mais bien que constituant un titre exécutoire, un acte notarié ne revêt pas les attributs d'un jugement et aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu'un créancier dispose de deux titres exécutoires pour la même créance.

Titulaire d'un acte notarié le Crédit Immobilier de France Développement n'est pas privé de son intérêt à agir aux fins de condamnation des époux F... au paiement des créances constatées dans l'acte notarié.

Les époux F... concluent également à la prescription des demandes de la banque sur le fondement de l'article L 137-2 du code de la consommation.

Ils ne contestent pas la mention du jugement déféré selon laquelle la première échéance de remboursement impayée et non régularisée est celle du 15 juin 2009.

Rien dans les pièces produites devant la cour ne permet de remettre en cause cette indication.

L'assignation ayant été délivrée le 9 juin 2010, aucune prescription n'est encourue.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit la demande recevable.

3 - Sur le fond

Les époux F... ne développent aucun moyen pour contester la demande principale du Crédit Immobilier de France Développement et concentrent leur argumentation sur la déchéance des intérêts conventionnels, invoquant divers manquements aux dispositions du code de la consommation.

Ils soutiennent qu'ils n'ont pas pu bénéficier du délai de réflexion de 10 jours prescrit par l'article L 312-10 du code de la consommation, les dates figurant sur l'offre de prêt ne correspondant pas à la réalité pour avoir été inscrites par la société Apollonia.

En l'espèce, si l'offre de prêt est datée du 6 novembre 2006, aucun élément ne permet de déterminer la date à laquelle elle a été expédiée et reçue par les époux F..., la mention de l'acceptation de l'offre indiquant uniquement qu'elle a été reçue par voie postale.

L'acceptation de l'offre étant datée du 1er décembre 2006, la cour n'est pas en mesure de vérifier que les emprunteurs ont effectivement disposé d'un délai de 10 jours entre la réception de l'offre et son acceptation.

Dès lors la déchéance des intérêts, seule sanction réclamée par les époux F..., est encourue et c'est à tort que le premier juge les a déboutés de leur demande de ce chef, alors de surcroît que l'offre qui se limite au visa du texte, ne rappelle pas les dispositions de l'article L 312-10 du code de la consommation.

Il convient de prononcer la déchéance du droit aux intérêts, de dire que l'intérêt au taux légal sera appliqué, le Crédit Immobilier de France Développement devant recalculer sa créance en expurgeant tous les intérêts conventionnels.

II - Sur la demande reconventionnelle des époux F...

Les époux F... reprochent à la Banque Patrimoine et Immobilier d'avoir manqué à son devoir de conseil et de mise en garde en leur consentant le prêt litigieux sans les rencontrer et sans s'assurer de leur situation financière.

En vertu du principe de non immixtion, le banquier dispensateur de crédit n'a pas de devoir de conseil envers son client.

Sa responsabilité de ce chef ne peut être engagée que dans les cas où il a joué un rôle actif dans l'élaboration du projet et fourni un conseil inadapté à la situation de son client, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

L'établissement bancaire qui consent un crédit est tenu envers un emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde au regard de ses capacités financières et du risque de l'endettement né de l'octroi du prêt.

L'obligation de mise en garde est ainsi subordonnée à deux conditions, la qualité d'emprunteur non averti et l'existence d'un risque d'endettement.

C'est au Crédit Immobilier de France Développement de rapporter la preuve que les époux F... sont des emprunteurs avertis, preuve qu'il ne rapporte pas.

En effet la circonstance qu'ils aient déjà contracté plusieurs emprunts, ne fait pas nécessairement d'eux des emprunteurs avertis et le Crédit Immobilier de France Développement ne produit aucun autre élément permettant des les considérer comme tels.

Il convient dès lors de rechercher si l'emprunt contracté était adapté aux capacités financières des appelants.

Il ressort de la fiche de renseignements bancaires établie le 28 septembre 2006 que les époux F... ont déclaré percevoir des revenus nets de 7.429 euros et supporter des charges mensuelles de 1.234,34 euros au titre du prêt immobilier contracté pour l'acquisition de la résidence principale et de deux prêts à la consommation.

Ils ont indiqué que leur patrimoine immobilier s'élevait à 426.857 euros.

Ils n'ont pas signalé les emprunts souscrits auprès d'autres établissements financiers dans le cadre d'investissements locatifs et s'ils indiquent que la fiche de renseignements a été remplie par la société Apollonia, ce dont ils ne rapportent pas la preuve, ils l'ont en toute hypothèse signée, validant les renseignements portés.

En l'état de ces éléments l'emprunt contracté, ne générait pas, au regard des revenus du couple et de son patrimoine immobilier, un risque d'endettement excessif et un risque de non remboursement.

La fiche de renseignements ne comportait pas d'anomalie apparente, dès lors que l'acquisition était faite sous le statut de loueur en meublé non professionnel, comme mentionné en page 3 de l'acte notarié, de sorte que la banque ne pouvait suspecter l'existence d'autres investissements locatifs.

Il ne peut donc être reproché à la banque de n'avoir pas mené des investigations pour s'assurer de la fiabilité des renseignements transmis.

En tant que dispensateur de crédit, la banque n'avait pas non plus l'obligation de s'assurer que les biens étaient acquis à un juste prix et que l'investissement locatif serait rentable.

Enfin, la preuve n'est pas rapportée que la société Apollonia a accompli des actes juridiques au nom et pour le compte de la Banque Patrimoine et Immobilier, de sorte que l'argumentation des époux F... sur la responsabilité de la banque au titre des fautes commises par son mandataire ne peut prospérer.

C'est à bon droit que le premier juge a débouté les époux F... de leur demande de dommages intérêts.

Le Crédit Immobilier de France Développement ne rapporte pas la preuve d'un préjudice justifiant l'allocation de dommages intérêts.

Il sera débouté de sa demande de ce chef.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en sa faveur.

***

*

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement

- Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a assorti la condamnation prononcée à l'encontre des époux F... des intérêts au taux conventionnel.

- L'infirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, dit que le Crédit Immobilier de France Développement est déchu du droit aux intérêts conventionnels prévus dans l'offre de prêt du 6 novembre 2006.

- Dit que l'intérêt au taux légal doit être appliqué et que la compensation doit être opérée entre les sommes dues par les époux F... au titre du prêt et par le Crédit Immobilier de France Développement au titre de la restitution des intérêts.

- Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

- Y ajoutant, déboute le Crédit Immobilier de France Développement de sa demande de dommages intérêts et de sa demande au titre des frais irrépétibles.

- Condamne les époux F... aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame COMBES, Président, et par Madame BUREL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 15/04817
Date de la décision : 02/10/2018

Références :

Cour d'appel de Grenoble 01, arrêt n°15/04817 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-02;15.04817 ?
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