RG N° 09/02968
FP
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SCP GRIMAUD
Me Marie-France RAMILLON
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET DU JEUDI 17 OCTOBRE 2013
Appel d'une décision (N° RG 08/00005)
rendue par le Tribunal de Grande Instance de GAP
en date du 03 juillet 2009
suivant déclaration d'appel du 10 Juillet 2009
APPELANTS :
SCI DU [Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par la SCP GRIMAUD, en qualité d'avoué jusqu'au 31 décembre 2011 et d'avocat au barreau de GRENOBLE à compter du 1er janvier 2012 et Me AOUDIANI, avocat au barreau de HAUTES-ALPES, plaidant
Monsieur [J] [O]
né le [Date naissance 2] 1962 à [Adresse 2]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par la SCP GRIMAUD, en qualité d'avoué jusqu'au 31 décembre 2011 et d'avocat au barreau de GRENOBLE à compter du 1er janvier 2012 et Me AOUDIANI, avocat au barreau de HAUTES-ALPES, plaidant
Madame [R] [P] épouse [O]
née le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 2]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par la SCP GRIMAUD, en qualité d'avoué jusqu'au 31 décembre 2011 et d'avocat au barreau de GRENOBLE à compter du 1er janvier 2012 et Me AOUDIANI, avocat au barreau de HAUTES-ALPES, plaidant
INTIME :
Monsieur [L] [H]
né le [Date naissance 1] 1931 à [Localité 3]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Marie-France RAMILLON, en qualité d'avoué jusqu'au 31 décembre 2011 et d'avocat au barreau de GRENOBLE à compter du 1er janvier 2012 et de Me HUARD substituant Me BALESTAS, avocats au barreau de GRENOBLE, plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Mme Dominique ROLIN, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis BERNAUD, Conseiller,
Mme Fabienne PAGES, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Nadine LEICKNER, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 18 Septembre 2013,
Madame PAGES a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
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Selon acte en date du 15 février 1999, Monsieur [H] [L] donne à bail un local commercial à Madame [R] [P] épouse [O] situé à [Localité 1] et pour l'exploitation d'une pharmacie.
Monsieur [J] [O] et madame [R] [P] épouse [O] constituent la SCI du [Adresse 3] ayant pour objet la construction et la rénovation d'immeubles, en particulier la création d'un local commercial destiné à l'exploitation de la pharmacie des époux [O], huit appartements et des garages.
Ils acquièrent une parcelle sur la commune de [Localité 1] appartenant aux époux [N] en vue de la réalisation de ce projet immobilier, cette parcelle est contigüe à celle appartenant à Monsieur [H] [L].
Le 26 octobre 2006 puis le 6 décembre 2006, le maire de la commune de [Localité 1] délivre à la SCI du [Adresse 3] deux permis de construire portant sur l'aménagement de quatre logements, d'une pharmacie et pour la construction d'un bâtiment et sur la parcelle cadastrée [Cadastre 1].
Monsieur [H] [L] présente deux recours gracieux auprès du maire de la commune aux fins de retrait de chaque arrêté municipal délivrant le permis de construire.
Suite au rejet de ces deux recours gracieux, Monsieur [H] [L] dépose en date des 7 mars et 16 avril 2007 deux requêtes devant le tribunal administratif de Marseille en annulation des deux permis de construire en cause.
Il se désiste de ces deux procédures respectivement les 19 juin et 31 mai 2007.
Par arrêt en date du 17 mars 2011, la cour administrative d'appel confirme le jugement du tribunal administratif rejetant la demande d'annulation du permis de construire et condamne Monsieur [H] [L] au paiement de la somme de 1.000euros.
Par arrêt du 5 octobre 2011, le conseil d'Etat déclare irrecevable le pourvoi à l'encontre de l'arrêt du 17 mars 2011.
Concernant le second permis de construire, Monsieur [H] [L] interjette appel à l'encontre du jugement du tribunal administratif rejetant sa demande d'annulation du permis de construire.
Monsieur [H] [L] a par ailleurs saisi le juge des référés contestant la réalisation des travaux de surélévation.
Par ordonnance du juge des référés du 27 septembre 2006, monsieur [S] [X] est désigné en qualité d'expert.
Monsieur [H] [L] saisit à nouveau le juge des référés pour demander l'arrêt des travaux.
Par ordonnance du juge des référés en date du 9 janvier 2008, Monsieur [H] [L] est débouté de l'ensemble de ses demandes.
Il forme une offre de renouvellement du bail commercial avec une augmentation substantielle des conditions financières.
Monsieur [J] [O] et madame [R] [P] épouse [O] saisissent le tribunal de grande instance de Gap en vue de la condamnation de Monsieur [H] [L] à réparer le préjudice subi par eux du fait de l'abus de droit d'agir en justice commis par ce dernier.
Par jugement du tribunal de grande instance de Gap en date du 3 juillet 209, la SCI du [Adresse 3], monsieur [J] [O] et madame [R] [P] épouse [O] sont déboutés de leurs demandes.
Par déclaration en date du 10 juillet 2009, la SCI du [Adresse 3], monsieur [J] [O] et madame [R] [P] épouse [O] interjettent appel à l'encontre de cette décision.
Par arrêt avant dire droit de cette cour en date du 8 décembre 2011, l'exception d'incompétence est rejetée, l'intervention volontaire de la SARL pharmacie du [Adresse 3] est déclarée recevable et le sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction administrative est ordonné.
Suite au rejet de la demande d'annulation du second permis confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel du 20 mai 2012 et l' arrêt du conseil d'Etat du 5 décembre 2012, il est mis fin au motif du sursis.
Au vu des dernières conclusions de la SCI du [Adresse 3], monsieur [J] [O] et madame [R] [P] épouse [O] et la SARL pharmacie du [Adresse 3] régulièrement signifiées en date du 25 avril 2013, ils demandent la réformation du jugement déféré.
Ils demandent de constater que les nombreuses procédures ont été diligentées à leur encontre au seul motif de retarder la réalisation de leur projet immobilier, constituant un abus fautif du droit d'agir.
Ils sollicitent par conséquent la condamnation de Monsieur [H] [L] à payer à la SCI du [Adresse 3], monsieur [J] [O] et madame [R] [P] épouse [O] la somme de 379 413euros pour les préjudices financiers et celle de 50.000euros pour le préjudice moral outre les intérêts de droit à compter du 28 décembre 2007, en tant que de besoin ordonner une expertise de façon à chiffrer le préjudice.
Ils demandent également sa condamnation au paiement de la somme de 20 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils expliquent que les nombreux recours introduits alors qu'aucun n'a abouti justifient l'abus de droit quant à l'exercice d'une action en justice constitutive d'une faute engageant la responsabilité de Monsieur [H] [L] et l'obligeant à réparer le préjudice financier consécutif au retard ainsi occasionné au projet immobilier.
Ils précisent à ce titre que des contrats de réservation ont été résiliés compte tenu du retard dans la réalisation du projet immobilier, la commercialisation de certains appartements retardée et le transfert de l'exploitation de la pharmacie dans un local plus grand retardé.
Ils produisent l'audit de SACATEC pour chiffrer le préjudice financier suite au retard de changement du local commercial.
Ils ajoutent que tous ces recours leur ont occasionné de nombreux frais mais aussi un important préjudice moral.
Au vu de ses dernières conclusions en date du 26 octobre 2011, faute de nouvelles conclusions après l'arrêt de cette cour ordonnant le sursis à statuer , Monsieur [H] [L] fait valoir l' incompétence de la juridiction saisie en raison de la matière administrative et demande le renvoi devant la juridiction administrative.
À titre subsidiaire, il fait valoir l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la SARL Pharmacie du [Adresse 3].
Au fond, il conteste le caractère abusif des procédures en cause comme étant fondées.
Il explique que le juge judiciaire ne peut apprécier le caractère abusif des procédures administratives diligentées et que les expertises ordonnées par le juge des référés justifient le bien fondé de ses prétentions.
Il fait valoir l'absence de lien de causalité entre le préjudice de la SCI et les différentes procédures puisque les travaux n'ont pas été retardés ou interrompus suite à ces procédures à l'encontre des permis de construire. Il ajoute qu'il n'est pas établi que la résiliation du contrat en cause soit imputable au retard dans le chantier allégué.
Il conteste l'existence d'un préjudice subi par madame [O] ainsi que le préjudice consécutif à l'augmentation du coût des travaux.
Il fait au contraire valoir le caractère abusif du présent appel et demande à ce titre la condamnation des appelants au paiement de la somme de 30 000euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 4 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Motifs de l'arrêt :
sur l'exception d'incompétence :
Il convient de constater qu'il a été statué sur cette exception de façon définitive par l'arrêt de cette cour en date du 8 décembre 2011 ordonnant le sursis à statuer.
Au fond sur l'abus de droit :
Monsieur [H] [L] a introduit à l'encontre des appelants devant le juge judiciaire les recours suivants :
- la saisine du juge des référés le 29 décembre 2006 en extension de l'expertise confiée à [S] [X] à la SCI du [Adresse 3] ayant pour objet de déterminer l'origine de déversement des eaux entre leurs parcelles voisines et ayant donné lieu à une ordonnance en date du 24 janvier 2007 faisant droit à cette demande d'extension.
- la saisine du juge des référés le 14 septembre 2007 pour ordonner une seconde expertise pour constater que le mur de séparation des deux propriétés a été endommagé par une pelle mécanique en raison des travaux entrepris par la SCI et ayant donné lieu à une ordonnance en date du 7 novembre 2007 et y faisant droit.
- la saisine du juge des référés le 14 novembre 2007 en suspension des travaux entrepris par la SCI sur la parcelle en cause et ayant donné lieu à l'ordonnance du 9 janvier 2008 par laquelle il est reproché à l'appelant de poursuivre une procédure tendant à l'arrêt des travaux sans justifier d'aucun élément sérieux tangible et le condamnant au paiement de la somme de 300euros à titre de dommages et intérêts compte tenu du caractère abusif de cette procédure.
Monsieur [H] [L] a introduit à l'encontre des appelants les recours à l'encontre des permis de construire suivants :
- deux recours gracieux devant le maire de la commune de [Localité 1] à l'encontre de chacun des deux permis de construire litigieux,
- les 7 mars et 16 avril 2007 deux requêtes devant le tribunal administratif de Marseille en annulation des deux mêmes permis de construire, dont il se désiste les 19 juin et 31 mai 2007,
- les 21 et 29 janvier 2008 deux nouvelles requêtes devant le tribunal administratif de Marseille à nouveau en annulation des deux mêmes permis de construire et sur le fondement de l'acte frauduleux,
- l'appel à l'encontre du jugement du tribunal administratif du 18 décembre 2008 rejetant le recours en annulation du permis de construire du 6 décembre 2006,
- l'appel à l'encontre du jugement du tribunal administratif du 5 février 2010 rejetant le recours en annulation du permis de construire du 26 octobre 2006,
- le pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour administrative d'appel en date du 17 mars 2011 par lequel la cour a rejeté la requête en annulation du jugement du 18 décembre 2008,
- le pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour administrative d'appel en date du 9 février 2012, par lequel la cour a rejeté la requête en annulation du jugement du 5 février 2010,
Monsieur [H] [L] à procéder à une mise en oeuvre de tous les recours possibles à l'encontre de chacun des permis de construire, soit à chaque fois jusque devant le conseil d'Etat et à deux reprises, soit une seconde fois également jusque devant la juridiction suprême et alors que les motifs identiques à nouveau allégués par la seconde procédure n'avaient pas été retenus et ce dont avait connaissance le plaideur notamment lors de l'introduction de son second recours devant le conseil d'Etat soit en date des 10 avril et 10 juillet 2012 soit après le 1er arrêt rendu comme étant en date du 5 octobre 2011 et n'admettant pas le pourvoi.
Il a au soutien de ces procédures fait entre autre valoir une surélévation du terrain, ce dont il ne justifie pas dans le cadre de la présente procédure ou de toute atteinte légitime à sa propriété en l'absence de production d'une quelconque pièce de nature à pouvoir en attester et alors qu'il avait déjà fait l'objet d'une condamnation pour procédure abusive par la décision en date du 9 janvier 2008.
La poursuite de ces nombreuses procédures devant la juridiction administrative dans les conditions susvisées et dont aucune n'a prospéré doit être qualifiée de particulièrement téméraire de la part de Monsieur [H] [L] et constitue un abus de droit engageant sa responsabilité.
Le jugement contesté rejetant la demande d'indemnisation au titre de l'abus de droit sera infirmé en toutes ses dispositions.
La présente procédure d'appel fondée puisqu'infirmant le jugement du tribunal de grande instance de Gap ne peut dès lors être considérée comme abusive.
La demande de Monsieur [H] [L] à ce titre sera nécessairement rejetée.
sur la réparation :
Aux termes des dispositions de l'article 954 al 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, soit en l'espèce concernant la demande de réparation du préjudice à hauteur de la somme de 379.413euros demandée au titre de la réparation des préjudices financiers et économiques.
Les appelants ne justifient par aucun élément la prétention selon laquelle les différentes procédures initiées par Monsieur [H] [L] auraient occasionné un éventuel retard quant à la réalisation du projet de la SCI du [Adresse 3].
Il est au contraire établi que ces travaux ont débuté avant l'achèvement des différentes procédures et notamment celles relatives à la régularité du permis de construire soit par l'arrêt du conseil d'Etat en date du 5 décembre 2012 puisqu' à cette date la construction de la pharmacie ainsi prévue avait non seulement débuté mais était achevée compte tenu du déménagement dans les nouveaux locaux soit en juillet 2008 comme mentionné par l'expertise comptable produite par les appelants.
Les différents préjudices financiers prétendus tous consécutifs au retard allégué quant à la réalisation des travaux ne peuvent non plus par conséquent être imputables à Monsieur [H] [L], soit les pertes liées au surcoût des travaux outre appartements invendus, la perte de marge de la pharmacie des époux [O], le préjudice locatif pour la pharmacie, les préjudices financiers intercalaires pharmacie, le préjudice locatif personnel pour les époux [O], les frais bancaires nécessaires à l'acquisition d'un crédit imprévu, les frais de dossier liés à l'établissement du crédit bancaire .
La demande de condamnation à ce titre à l'encontre de Monsieur [H] [L] sera dès lors rejetée en totalité.
Par contre, l'abus de droit établi à l'encontre de Monsieur [H] [L] a occasionné un préjudice moral mais uniquement au détriment de monsieur et madame [O], personnes physiques qu'il convient de chiffrer compte tenu à la fois du nombre et de la durée de procédures engagées à leur encontre à hauteur de la somme de 30 000euros, somme au paiement de laquelle sera condamné Monsieur [H] [L] à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2007, date de l'assignation.
L'équité commande de faire droit à l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des appelants.
PAR CES MOTIFS,
la Cour
Statuant par décision contradictoire prononcée publiquement et par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après avoir délibéré conformément à la loi,
Constate qu'il a été statué sur l' exception d'incompétence par l'arrêt de cette cour en date du 8 décembre 2011.
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Gap en date du 3 juillet 2009 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Condamne Monsieur [H] [L] à payer à monsieur et madame [O] la somme de 30 000euros, outre intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2007 à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral.
Rejette la demande au titre du préjudice économique.
Y ajoutant,
Rejette la demande en dommages et intérêts de Monsieur [H] [L].
Condamne Monsieur [H] [L] à payer à monsieur et madame [O], la SCI du [Adresse 3] et la SARL la pharmacie du [Adresse 3] la somme de 8 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Monsieur [H] [L] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel et autorise la SCP Grimaud à les recouvrer directement.
SIGNE par Madame ROLIN, Président, et par Madame LEICKNER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Président