RG N° 10/03000
JLB
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
S.C.P. CALAS
S.C.P. GRIMAUD
Me RAMILLON
S.C.P. POUGNAND
S.E.LA.R.L. DAUPHIN
& MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET DU JEUDI 17 NOVEMBRE 2011
Appel d'une décision (N° RG 2009F1617)
rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 07 juin 2010
suivant déclaration d'appel du 02 Juillet 2010
APPELANT :
Monsieur [M] [X]
né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par la SCP CALAS Jean et Charles, avoués à la Cour
assisté de Me Marie-bénédicte PARA, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
Maître [U] [I] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la Société SEDNA SANTE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par la SCP POUGNAND Herve-Jean, avoués à la Cour
assisté de Me Philippe LAURENT, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Jean-Louis BERNAUD, Conseiller, faisant fonction de Président,
Mme Fabienne PAGES, Conseiller,
Mme Annick ISOLA, Vice-Président placé,
Assistés lors des débats de Mme Nadine LEICKNER, Greffier.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
DEBATS :
A l'audience publique du 06 Octobre 2011, Jean-Louis BERNAUD, Conseiller, a été entendu en son rapport
Les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu ce jour,
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La SAS SEDNA SANTE , spécialisée dans la création et la commercialisation de logiciels à destination du secteur médical, a été constituée le 1er avril 2004 par son associé unique, la société de droit luxembourgeois SEDNA Europe.
La société SEDNA Europe , dont M. [M] [X] était l'un des administrateurs, assurait la présidence de sa filiale à 100 %, SEDNA SANTE .
Sur la déclaration de cessation des paiements de Monsieur [M] [X] la société SEDNA SANTE a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 20 janvier 2006, lequel a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 11 janvier 2006.
La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 28 juillet 2006.
Par acte d'huissier du 6 mai 2009 remis le 9 juin 2009 Me [I] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SEDNA SANTE a fait assigner M. [M] [X] , domicilié au Luxembourg, en comblement partiel de l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 250 000 €.
Par jugement du 7 juin 2010 le tribunal de commerce de Grenoble, devant lequel M. [M] [X] a contesté la régularité de la procédure, sa qualité de dirigeant de droit ou de fait ainsi que l'existence des fautes de gestion alléguées, a condamné le dirigeant au paiement d'une somme de 100 000 € en comblement de l'insuffisance d'actif de la société SEDNA SANTE .
M. [M] [X] a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 2 juillet 2010.
Par ordonnance de référé du 13 octobre 2010 le premier président de cette cour a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 24 août 2011 par M. [M] [X] qui s'oppose, par voie de réformation du jugement, à l'ensemble des demandes formées par le liquidateur judiciaire de la société SEDNA SANTE , dont il sollicite reconventionnellement la condamnation à lui payer une somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de 4000 € pour frais
irrépétibles, aux motifs qu'en sa qualité de quatrième administrateur de la société SEDNA Europe et d'administrateur délégué à la gestion journalière de la société SEDNA SANTE il n'est pas le dirigeant de droit de cette dernière , dont la présidence est assurée par la société mère, que selon le droit luxembourgeois il n'a pas en effet le pouvoir d'engager seul la société SEDNA Europe, dont toutes les décisions importantes de gestion sont prises par le conseil d'administration, comme cela a été le cas pour les décisions de déclarer l'état de cessation des paiements et de demander la conversion de la procédure collective en liquidation judiciaire, que l'article L. 227 '7 du code de commerce ne fait pas obligation à la personne morale , qui exerce la présidence d'une société par actions simplifiée, de désigner un représentant permanent, qu'en l'espèce l'associé unique de la société SEDNA SANTE n'a pas désigné un tel représentant, puisque la seule délégation dont il disposait était limitée aux affaires courantes, que l'insuffisance d'actif n'est pas avérée dès lors que la société SEDNA SANTE a été victime de contrefaçons commises notamment par le centre hospitalier universitaire de [Localité 4], qui a été renvoyé devant le tribunal correctionnel et qui devra lui verser d'importants dommages et intérêts, que ne disposant d'aucun pouvoir de décision, qui n'appartenait qu'au conseil d'administration de la société SEDNA Europe, il n'a commis aucune faute en déposant le bilan dans les deux mois de la décision de cet organe de direction, que la société SEDNA SANTE n'était pas en état de cessation des paiements en avril 2005, que la gestion de l'entreprise n'a pas été fautive alors que les difficultés sont consécutives à des aléas économiques et aux actes de contrefaçon, étant observé qu'il a lui-même alerté dès le 15 avril 2005 la société SEDNA Europe sur l'existence de difficultés de trésorerie et sur les besoins en fonds de roulement de l'entreprise, que ni la personne morale dirigeante ni les trois autres administrateurs ne sont poursuivis alors pourtant qu'ils disposaient, contrairement à lui, du pouvoir de décision.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 20 juillet 2011 par Me [I] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SEDNA SANTE qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu le principe de la responsabilité de Monsieur [M] [X] et qui, par voie d'appel incident, demande la condamnation de ce dernier à lui payer une somme de 250 000 € en comblement partiel de l'insuffisance d'actif, outre une nouvelle indemnité de procédure de 2500 €, aux motifs que l'action est régulièrement dirigée contre M. [M] [X],qui a été désigné en qualité d'administrateur délégué de la société SEDNA Europe avec pouvoir d'engager valablement la société par signature individuelle et qui aux termes des statuts de la société SEDNA SANTE et de l'extrait du registre du commerce et des sociétés est désigné comme le représentant de la personne morale présidente, en sorte que les dispositions de l'article L. 227 '7 du code de commerce lui sont applicables, qu'en toute hypothèse Monsieur [M] [X], qui s'est toujours présenté à l'égard des tiers comme le dirigeant de la société investi des plus larges pouvoirs, doit être considéré comme le dirigeant de fait, que l'insuffisance d'actif est certaine à hauteur de plus de 600 000 € alors que la constitution de partie civile de la société
SEDNA SANTE est encore à ce jour hypothétique et qu'en toute hypothèse le préjudice allégué n'excède pas la somme de 177 259 €, que la société n'a pas été en mesure de faire face à ses charges courantes sociales et fiscales à compter du premier trimestre de l'année 2005, ce que le dirigeant reconnaît dans ses écritures lorsqu'il indique que la trésorerie était imputée en priorité aux urgences de développement, que le tribunal a réduit sensiblement sans motivation particulière la participation du dirigeant à l'insuffisance d'actif.
Vu les conclusions déposées le 30 août 2011 par Mme la PROCUREURE GENERALE qui sollicite la confirmation du jugement .
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la qualité de dirigeant de droit de Monsieur [M] [X]
La société par actions simplifiée SEDNA SANTE a été constituée le 1er avril 2004 par son associé unique, la société de droit luxembourgeois SEDNA Europe, anciennement dénommée MAXOP.
Aux termes de l'article 30 de ses statuts sa présidence a été confiée à la société SEDNA Europe « représentée par M. [M] [X] ».
Par délibération du 17 septembre 2004 l'assemblée générale extraordinaire de la société SEDNA Europe a décidé de porter à quatre le nombre de ses administrateurs et de désigner M. [M] [X] en qualité de nouvel administrateur avec effet rétroactif au 27 février 2004.
Le même jour le conseil d'administration de la société SEDNA Europe a décidé de nommer M. [M] [X] aux fonctions d'administrateur délégué de la société avec effet rétroactif au 27 février 2004, précision étant apportée que celui-ci « pourra valablement engager la société par sa signature individuelle ».
La société SEDNA SANTE a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés tenu au greffe du tribunal de commerce de Nanterre avec la mention que sa présidence est assurée par la société SEDNA Europe « représentée par M. [M] [X] ».
Au seul motif qu'il aurait été « délégué à la gestion journalière » de la société SEDNA Europe ( mention apparaissant sur le registre de commerce et des sociétés de Luxembourg) Monsieur [M] [X] ne peut sérieusement soutenir qu'il ne serait pas le représentant de droit de l'associé unique investi du mandat de président de sa filiale.
Selon l'article 60 de la loi luxembourgeoise du 10 août 1915 modifiée concernant les sociétés commerciales « la gestion journalière des affaires de la société ainsi que la représentation de la société en ce qui concerne cette gestion peuvent être
déléguées à un ou plusieurs administrateurs... sans que les restrictions apportées à leur pouvoir de représentation soient opposables aux tiers, même si elles sont publiées ».
L'administrateur délégué à la gestion journalière n'est donc pas, comme il est prétendu à tort, chargé exclusivement des affaires courantes et comme tel dépourvu du pouvoir d'engager la personne morale pour les actes de gestion importants qui relèveraient de la compétence du seul conseil d'administration. Le texte susvisé lui confère en effet un pouvoir général de représentation de la société à l'égard des tiers.
C'est d'ailleurs ce qui résulte des éléments de doctrine versés au dossier, dont il ressort qu'en droit luxembourgeois le délégué à la gestion journalière engage la société vis-à-vis des tiers même s'il dépasse les responsabilités confiées.
Au demeurant par sa résolution du 17 septembre 2004 le conseil d'administration de la société SEDNA Europe a confié à M. [M] [X] un mandat d'administrateur délégué emportant sans aucune restriction le pouvoir d'engager valablement la société par « sa signature individuelle ».
Ce dernier est par conséquent sans contestation possible le dirigeant de droit de la personne morale chargée de la présidence de la société SEDNA SANTE , ainsi qu'en a justement décidé le tribunal.
Aussi est-il personnellement responsable de sa gestion sur le fondement de l'article L. 227 '7 du code de commerce, reproduit à l'article 14 des statuts, selon lequel les dirigeants de la personne morale assurant la présidence d'une société par actions simplifiée « sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre », mais aussi sur celui de l'article L. 651 '1 du même code, rendant applicable le régime de la responsabilité pour insuffisance d'actif aux personnes physiques représentants permanents des dirigeants personnes morales.
Sur la responsabilité de M. [M] [X] pour fautes de gestion
Il est établi, et non contesté, que l'insuffisance d'actif s'élève comptablement à la somme de 601 645,19 € alors que le passif vérifié et admis s'élève à plus de 600 000 € et qu'il n'a été appréhendé qu'un actif de 76 485,82 €.
L'existence éventuelle d'une créance indemnitaire pour des faits de contrefaçon n'est nullement de nature à faire obstacle à l'action, alors d'une part qu'en l'état de la procédure pénale suivie devant le tribunal de grande instance de Bordeaux l'indemnisation sollicitée par la société SEDNA SANTE demeure hypothétique (il n'est pas même justifié du renvoi des personnes mises en examen devant le tribunal correctionnel), et d'autre part que le préjudice financier invoqué (177 259 €) ne couvre pas le passif, en sorte que l'insuffisance d'actif est certaine.
Les déclarations de créances de la caisse de retraite complémentaire ABELIO, de l'ASSEDIC des Alpes, du trésor public et de l'URSSAF de [Localité 5] établissent qu'à compter du premier
trimestre de l'année 2005 un important passif social et fiscal a progressivement été créé pour atteindre la somme de 420 000 € à l'ouverture de la procédure collective, dont 28 359 € de précompte URSSAF impayé.
Dans son rapport au tribunal du 24 juillet 2006 l'administrateur judiciaire, analysant la nature et l'origine des difficultés, a considéré qu'après la perte en octobre 2004 d'un client important (le CHU de [Localité 4]) la société a rapidement rencontré des difficultés pour payer ses charges courantes dès le début de l'année 2005.
Aux termes de son rapport annuel d'activité adressé le 22 mars 2005 à l'associé unique M. [M] [X] a insisté en conclusion sur la nécessité pour l'actionnaire de financer sa filiale, au moins pour 2005, afin de conforter et de stabiliser sa trésorerie, ce qui atteste de l'existence dès cette date de difficultés de paiement.
Dans un courrier du 15 avril 2005 le dirigeant a en outre insisté sur les tensions de trésorerie rencontrées par la société en ces termes « j'insiste de nouveau sur l'urgence que revêt ma démarche et la nécessité de rappeler au conseil d'administration de SEDNA Europe cette réalité, car dans le contexte actuel, sans apport significatif de trésorerie et autres solutions, au moins représentatif des paiements en suspens, SEDNA SANTE ne pourra qu'être immanquablement amenée à être rapidement en cessation des paiements ».
Il est dès lors certain que dès la fin du premier trimestre de l'année 2005 la société SEDNA SANTE ne pouvait plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible, ce que le dirigeant reconnaît explicitement dans ses conclusions d'appel lorsqu'il écrit que la trésorerie était affectée en priorité aux urgences de développement et que la situation de l'entreprise s'est dégradée durant l'été 2005.
M. [M] [X] a donc commis une faute de gestion en déclarant l'état de cessation des paiements le 10 janvier 2006, très au-delà du délai de 45 jours qui lui était imparti par l'article L. 631 '4 du code de commerce.
A cet effet la cour observe qu'il importe peu qu'il ait attendu la décision du conseil d'administration de la société SEDNA Europe, qui le 24 octobre 2005 lui a demandé de solliciter l'ouverture d'une procédure collective à défaut d'accord amiable avec le CHU de [Localité 4] et la société THALES dans un délai de deux mois, alors qu'en sa qualité de représentant de la personne morale exerçant la présidence de la société SEDNA SANTE il lui appartenait de se conformer aux prescriptions impératives de la loi, en interrogeant le conseil d'administration en temps utile s'il estimait devoir en référer préalablement à cet organe.
La poursuite fautive d'activité au-delà du mois de mars 2005 a généré un passif fiscal, social et fournisseurs de plus de 250 000€, ainsi qu'il résulte notamment des déclarations de créances et de la déclaration de l'état de cessation des paiements.
Le contexte économique particulier dans lequel la société SEDNA SANTE a démarré son activité (il résulte du rapport de l'administrateur judiciaire que la société a repris l'exploitation de logiciels de gestion des cliniques et hôpitaux après la liquidation judiciaire du repreneur de la société IDE9 PRIMA et a cédé pour un euro une partie de ses activités à la fin de l'année 2004), le litige l'ayant opposé à son principal client, le CHU de [Localité 4], mais aussi le soutien financier de l'associé unique, sur lequel M. [M] [X] a cru pouvoir compter jusqu'à la fin de l'été 2005, sont toutefois autant de circonstances de nature à atténuer la responsabilité du dirigeant.
Le jugement mérite par conséquent confirmation en ce qu'il a condamné M. [M] [X] au paiement d'une somme de 100 000 € en comblement partiel de l'insuffisance d'actif de la société SEDNA SANTE .
Succombant en son appel Monsieur [M] [X] ne saurait obtenir des dommages et intérêts pour procédure abusive.
L'équité commande enfin de faire à nouveau application en cause d'appel de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimé.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
'déboute M. [M] [X] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,
'condamne M. [M] [X] à payer à Me [I] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SEDNA SANTE une nouvelle indemnité de procédure de 2500 €,
Condamne M. [M] [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
SIGNE par Monsieur BERNAUD, Conseiller, faisant fonction de Président et par Madame LEICKNER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président