RG N° 09/02080
J.L. B.
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
S.C.P. CALAS
S.C.P. GRIMAUD
Me RAMILLON
S.C.P. POUGNAND
S.E.LA.R.L. DAUPHIN
& MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET DU JEUDI 23 JUIN 2011
Appel d'une décision (N° RG 07/00207)
rendue par le Tribunal de Grande Instance de BOURGOIN-JALLIEU
en date du 04 septembre 2008
suivant déclaration d'appel du 13 Mai 2009
APPELANTS :
Maître [I] [Y]
né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 17]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Madame [V] [O] épouse [Y]
née le [Date naissance 6] 1954 à [Localité 16]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Monsieur [S] [Y]
né le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 15]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Monsieur [I] [Y]
né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 14]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Tous représentés par la SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC, avoués à la Cour
Tous assistés de Me Jean-Yves BALESTAS substitué par Me HUARD, avocats au barreau de GRENOBLE
INTIME :
Monsieur [T]
né le [Date naissance 7] 1934 à [Localité 13]
[Adresse 8]
[Localité 11]
représenté par la SCP CALAS Jean et Charles, avoués à la Cour
assisté de Me BORDET, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Daniel MULLER, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis BERNAUD, Conseiller,
Mme Fabienne PAGES, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Nadine LEICKNER, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 11 Mai 2011, Monsieur MULLER, Président a été entendu en son rapport
Les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu ce jour,
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Au cours des années 1993/ 1994 les époux [Y] ont fait construire à [Localité 12] une maison d'habitation comprenant une piscine intérieure.
Se plaignant d'un défaut d'étanchéité de la piscine ils ont obtenu, par ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu du 3 octobre 2005, la désignation de l'expert judiciaire [H] [C].
Celui-ci a déposé le 6 février 1997 un rapport préconisant la reprise de l'étanchéité de la piscine depuis l'intérieur avec dépose du revêtement de faïence pour un coût de 103 355 F TTC (15 756,37 €).
Les époux [Y] ont perçu cette somme de l'assureur du constructeur et ont fait réaliser des travaux de réfection par M. [B] pour un coût moindre de 7 361,49 € TTC. Ces travaux ont consisté en la reprise de l'étanchéité de la fissure et en la réfection des joints.
Les fuites ont néanmoins perduré et par ordonnance de référé du 6 juin 2000 les époux [Y] ont obtenu la désignation de l'expert [T], qui au contradictoire de Monsieur [B] et de son assureur, la compagnie l'auxiliaire, a déposé le 10 mai 2001 un rapport prescrivant les mêmes travaux que ceux initialement préconisés par l'expert [C] avec en complément la réalisation d'une paroi en agglos béton située à 80 cm de la paroi de la piscine.
L'expert a pris soin de préciser qu'en l'absence d'un véritable cuvelage extrêmement onéreux de légères infiltrations persisteront inéluctablement.
A la suite de ce rapport les époux [Y] ont fait assigner Monsieur [B] en réparation de leur préjudice.
Par jugement du 19 novembre 2003 le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu les a toutefois déboutés de toutes leurs demandes.
Sans avoir fait réaliser les travaux préconisés par l'expert [T] les époux [Y] ont vendu leur villa aux époux [E] par acte notarié du 18 avril 2002 .
Se plaignant de ne pas avoir été informés du défaut d'étanchéité de la piscine, les acquéreurs ont obtenu, par ordonnance de référé du 11 mars 2003, une nouvelle désignation de l'expert [T], qui a déposé le 16 février 2004 un second rapport dont il résulte en substance que pour remédier définitivement aux fuites il est nécessaire de mettre en 'uvre un nouveau revêtement étanche totalement indépendant de son support après dépose de celui existant, de supprimer le petit bassin à remous, siège des principaux désordres, ainsi que le hublot subaquatique et d'abandonner toutes les canalisations actuellement défaillantes et irrécupérables d'amenée et de départ des eaux filtrées, le tout pour un coût estimé de 50 000€.
Sur l'assignation au fond des époux [G] [E] le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, par jugement du 12 mai 2005, retenant le dol commis au préjudice des acquéreurs, a condamné les époux [Y] au paiement de la somme de 95 144,27€ TTC au titre de la réfection de la piscine.
Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d'appel de [Localité 12] en date du 30 janvier 2007.
Par acte d'huissier du 30 mai 2007 les consorts [I], [V], [S] et [I] [Y] , estimant que l'expert judiciaire [I] [T] avait commis une faute en ne préconisant pas dès sa première saisine les remèdes adéquats, l'ont fait assigner en paiement de la somme de 500 000 € à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 4 septembre 2008 le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu les a toutefois déboutés de toutes leurs demandes et condamnés in solidum au paiement d'une indemnité de procédure de 3000 €.
Les consorts [Y] ont relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 13 mai 2009.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 3 février 2010 par les consorts [I], [V], [S] et [I] [Y] qui demandent à la cour, par voie de réformation du jugement, de condamner M. [I] [T] sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à leur payer la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts et subsidiairement celle de 87 958,55 €, outre intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et indemnité de procédure de 3000 €, aux motifs que bien qu'ayant reçu une mission identique l'expert judiciaire a préconisé dans ses deux rapports
successifs des solutions contradictoires pour des coûts très différents, que dès sa première désignation l'expert aurait dû prescrire les travaux propres à remédier définitivement aux désordres plutôt que de prévoir la mise en place d'une cloison destinée à contenir les infiltrations, que les secondes opérations d'expertise se sont déroulées dans des conditions irrégulières alors qu'ils n'ont pas été convoqués et que l'expert n'a pas personnellement accompli sa mission puisqu'il a demandé aux acquéreurs de l'immeuble de consulter des entreprises spécialisées, qu'ils n'ont eux-mêmes commis aucune faute alors qu'ils n'ont pas pu dissimuler à leurs acquéreurs l'importance des désordres dont ils n'ont été informés que deux ans plus tard avec le dépôt du second rapport d'expertise, qu'il ne peut leur être reproché de ne pas avoir réalisé les travaux insuffisants et inadaptés prescrits par l'expert [C] et par l'expert [T] dans son premier rapport et que toute mise en cause de la responsabilité du constructeur et de son assureur était vouée à l'échec, qu'en leur dissimulant en 2001 la solution technique permettant de remédier définitivement aux désordres l'expert les a privés de la possibilité de demander à l'assureur du constructeur le paiement de l'indemnité qui a finalement été allouée aux époux [E], d'où une perte nette de 78 374,87 €, qu'au moyen de cette somme ils auraient pu désintéresser leur créancier et renoncer à la vente de leur propriété qui faisait l'objet d'une procédure de saisie immobilière, que compte tenu de l'évolution du marché immobilier depuis la vente de 2002 ils ont subi une perte de 568 897,80 € qui justifie le paiement d'une indemnité de 300 000 € en réparation de leur préjudice matériel et moral, qu'à titre subsidiaire ils sont fondés à réclamer le paiement de la somme de 78 374,87 € majorée de l'ensemble des frais exposés dans le cadre des procédures qui les ont opposés aux acquéreurs de l'immeuble (9 583,68 €).
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 21 décembre 2009 par M. [I] [T] qui sollicite la confirmation du jugement et la condamnation des appelants au paiement d'une nouvelle indemnité de 4000 € pour frais irrépétibles aux motifs qu'en sa qualité d'expert judiciaire chargé d'éclairer le tribunal au plan technique il n'était pas tenu à une obligation de conseil à l'égard des parties et n'était pas plus maître d''uvre, que dans le cadre de sa première mission dans le litige opposant les époux [Y] à l'entreprise PORTE il était chargé de dire si les travaux exécutés par cette dernière étaient efficaces et n'avait donc pas à se prononcer sur la conception et la réalisation initiale de la piscine, qu'il a sans-faute préconisé la réalisation des travaux prescrits par son prédécesseur [C],que les propriétaires avaient choisi de ne pas mettre en 'uvre par souci d'économie, et a clairement expliqué que ces travaux ne permettaient pas d'assurer l'étanchéité complète du bassin en l'absence d'un véritable cuvelage, que dans le cadre juridique distinct de sa seconde expertise il était chargé de trouver une solution mettant un terme définitif aux désordres, ce qui l'a conduit à préconiser avec l'accord des acquéreurs la mise en place d'une étanchéité indépendante de type revêtement PVC qui présentait toutefois l'inconvénient de masquer les carreaux en pâte de verre, qu'il n'y a donc aucune
contradiction entre ses deux rapports, que les époux [Y] ont été régulièrement convoqués aux opérations d'expertise tandis qu'aucune irrégularité ne résulte de la production de devis par les parties; étant observé que la nullité du rapport n'a pas été demandée devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, que ce sont les époux [Y] qui ont commis une faute en n'utilisant pas la totalité de l'indemnité reçue de l'assureur et en commettant un dol au préjudice de leurs acquéreurs, que la faute alléguée n'est donc pas en relation causale avec le préjudice invoqué, qu'en toute hypothèse le prétendu préjudice consécutif à la vente à perte de la maison ne serait pas indemnisable alors d'une part que la décision de vendre,qui est antérieure au dépôt du premier rapport, est fondée sur le défaut de paiement d'une dette bancaire, et d'autre part que la villa a été vendue au prix de marché.
MOTIFS DE L'ARRET
A l'issue de ses premières investigations l'expert [T] a estimé que les infiltrations provenaient d'un défaut d'étanchéité des parois des deux bassins, particulièrement au droit des pénétrations des diverses canalisations d'amenée et de départ de l'eau filtrée.
Pour remédier à ces désordres il a prescrit les mêmes travaux que ceux initialement préconisés par l'expert [C] , mais non réalisés, à savoir la reprise totale de l'étanchéité des parois pour un montant estimé à ce jour de 110 000 F TTC.
Il a toutefois considéré qu'il était également nécessaire que fût construite une paroi complémentaire en agglos béton à 80 cm du mur de la piscine afin d'éviter que les infiltrations ne se propagent au local mitoyen.
Il a expliqué que malgré ces remèdes de « légères infiltrations persisteront inéluctablement, comme l'a signalé l'APAVE dans son rapport du 26 juillet 1999, du fait de l'absence d'un véritable cuvelage extrêmement onéreux ».
Répondant aux dires de M. [Y] du 26 février 2001 il a enfin précisé qu'il persistait à considérer que, hors construction d'un véritable cuvelage, il n'était pas possible d'éliminer toute possibilité de légères infiltrations à travers une paroi béton seulement protégée par un revêtement intérieur tel que celui mis en 'uvre en l'espèce et qu'il lui semblait donc nécessaire de créer un espace tampon entre la salle de jeux et la paroi de la piscine afin d'éliminer la propagation de l'humidité provenant du local technique.
Dès le dépôt de ce premier rapport le 10 mai 2001 les époux [Y] étaient pleinement informés du fait que le remède technique proposé, même amélioré par rapport aux prescriptions de l'expert [C], ne permettrait pas de mettre fin définitivement aux infiltrations et que seul un cuvelage très onéreux, nécessitant une reprise complète de l'ouvrage qu'ils ne souhaitaient pas, aurait été de nature à supprimer la cause des désordres provenant d'un défaut d'étanchéité des parois des deux bassins.
Aucune faute n'a donc été commise par l'expert judiciaire, qui a su dès ses premières investigations déceler l'origine des fuites et éclairer le maître d'ouvrage sur leur importance et sur leur évolution dans le temps, et qui n'a pas caché que le remède proposé n'était qu'un pis- aller permettant pour un coût modéré de contenir les fuites et d'en limiter les conséquences dommageables dans la salle de jeux attenante.
Il ne peut pas plus être fait grief à l'expert de ne pas avoir préconisé dès le 10 mai 2001 la pose d'un revêtement de type PVC, alors que les époux [Y], contrairement par la suite aux époux [E], s'étaient opposés à toute modification des prestations initiales, souhaitant notamment conserver le revêtement en pâte de verre.
Comme les premiers juges la cour estime par conséquent qu'à l'occasion de l'accomplissement de sa première mission l'expert a parfaitement analysé les désordres dans leurs causes et dans leurs conséquences et su proposer des remèdes techniques adaptés compte tenu du souhait des maîtres d'ouvrage de conserver l'aspect des deux bassins, tout en mettant clairement en garde ces derniers sur les limites de la solution préconisée.
Comme le tribunal la cour considère également que les deux rapports successifs déposés par l'expert [T] ne sont nullement contradictoires, alors que si le technicien commis a proposé le 16 février 2004 avec l'accord des nouveaux propriétaires la pose d'une étanchéité indépendante de type membrane PVC, il n'est nullement revenu sur sa première analyse, puisqu'il a expressément indiqué que seul un véritable cuvelage, qui n'avait pas été initialement mis en 'uvre, aurait pu assurer une étanchéité totale entre les parois et le radier des bassins.
Quant à l'irrégularité prétendue des secondes opérations d'expertise, qui n'a pas été soulevée dans l'instance engagée par les époux [E] devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, elle n'est nullement établie, alors d'une part qu'il résulte du rapport déposé le 16 février 2004 que les époux [Y] ont été régulièrement convoqués aux réunions organisées par l'expert qui a répondu à leur dire du 15 janvier 2004,ce qui permet d'exclure toute atteinte au principe du contradictoire, et d'autre part qu'en demandant aux parties la fourniture de devis, qu'il a vérifiés et appréciés, l'expert n'a nullement méconnu son obligation légale de remplir personnellement sa mission.
Au demeurant la nullité éventuelle du second rapport ne pourrait être source d'aucun préjudice pour les appelants qui ont été condamnés sur le fondement du dol commis au préjudice des époux [E].
En toute hypothèse, à supposer même que le reproche puisse être fait à l'expert de n'avoir pas préconisé avec plus de fermeté dès ses premières conclusions une solution technique propre à empêcher toute nouvelle infiltration par suppression de leur cause, un tel manquement aux règles de l'art ne saurait être en rapport causal avec le préjudice invoqué (condamnations prononcées au profit des acquéreurs et vente à perte de l'immeuble).
D'une part en effet les époux [Y] ont sciemment renoncé par souci d'économie à la réalisation des travaux de réparation initialement préconisés par l'expert [C] sans ignorer que l'intervention de l'entreprise PORTE n'était pas de nature à mettre fin aux désordres; étant observé qu'ils n'ont pas plus fait réaliser la cloison le doublage imaginée par l'expert [T] afin de contenir les fuites jugées dès cette époque inéluctables en l'absence de cuvelage.
D'autre part seule la rétention dolosive dont ils ont été déclarés coupables à l'égard des acquéreurs est directement à l'origine de la condamnation prononcée le 12 mai 2005 par le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse ; étant observé que leur décision de vendre pour éviter la saisie de l'immeuble est bien antérieure au dépôt du premier rapport de l'expert [T] ( ils avaient consenti un mandat de vente dès le 19 juin 2000).
Le jugement déféré mérite par conséquent confirmation en ce qu'il a débouté les consorts [Y] de l'ensemble de leurs demandes et alloué au défendeur une indemnité de procédure de 3000 €.
L''équité commande enfin de faire à nouveau application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimé.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
'condamne In solidum les consorts [I], [V], [S] et [I] [Y] à payer à M. [I] [T] une nouvelle indemnité de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne In solidum les consorts [I], [V], [S] et [I] [Y] aux entiers dépens.
SIGNE par Monsieur MULLER, Président et par Madame LEICKNER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président