RG No 06 / 04289
SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC
SCP GRIMAUD
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU MARDI 02 DECEMBRE 2008
Appel d'un Jugement (No R. G. 98 / 04624)
rendue par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE
en date du 28 septembre 2006
suivant déclaration d'appel du 23 Novembre 2006
APPELANTES :
Madame Gisèle X... épouse Y...
née le 28 Janvier 1935 à PARIS
...
84270 VEDENE
Madame Catherine Y... épouse Z...
née le 06 Janvier 1964 à ASNIERES
...
84310 MORIERES LES AVIGNON
Mademoiselle Marjorie Y...
née le 28 Mars 1972 à ASNIERES SUR SEINE
...
84270 VEDENE
représentées par la SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC, avoués à la Cour
assistées de Me RIVIERE, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIME :
Monsieur Marcel B...
...
47240 BON ENCONTRE
représenté par la SCP GRIMAUD, avoués à la Cour
assisté de Me Rudolf DUNNER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Madame Françoise LANDOZ, Président,
Madame Claude-Françoise KUENY, Conseiller,
Madame Véronique KLAJNBERG, Conseiller,
DEBATS :
A l'audience publique du 28 Octobre 2008, Madame KLAJNBERG a été entendue en son rapport.
Madame Claude Françoise KUENY, Conseiller faisant fonction de Président, chargée d'instruire l'affaire, en présence de Madame KLAJNBERG, Conseiller, assistée de Mme LAGIER, Greffier, a entendu les avoués en leurs conclusions et les plaidoiries des avocats, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 786 et 910 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE
Pierre Y... était propriétaire sur la commune de Nantes en Rattier lieudit les Bruyères des parcelles section A n° 23, 24, 686, 688 et 787, étant précisé que la parcelle n° 24 comprend notamment un chemin qui se prolonge au-delà du fond Y... pour traverser de part en part la propriété voisine appartenant à Marcel B....
Marcel B... propriétaire des parcelles cadastrées section A n° 16, 676 et 679 a bâti une clôture que Pierre Y... estimait être sur ses parcelles n° 23 et 24.
Pierre Y... a tout d'abord assigné Marcel B... en bornage devant le tribunal d'instance de La Mure, concernant toutes les parcelles contiguës lui appartenant.
Par jugement du 17 novembre 1997, le tribunal s'est déclaré compétent pour connaître du litige, estimant que l'action de Pierre Y... entamée le 14 mai 1997 ne tendait pas à la revendication d'une parcelle ou d'une bande de terrain déterminée par sa contenance.
Par arrêt infirmatif du 20 mai 1988 la cour a jugé que l'action constituait bien une revendication de propriété et a renvoyé la cause devant le tribunal de grande instance de Grenoble.
Le 24 septembre 1998, Pierre Y... a assigné Marcel B... aux fins d'être déclaré l'unique propriétaire du chemin cadastré section A n° 24.
Après s'être transporté sur les lieux en présence d'un consultant et avoir procédé à une comparution personnelle des parties, le tribunal a par jugement du 28 septembre 2006 et suite au décès de Pierre Y... :
" Donné acte aux consorts Y... de leur intervention volontaire à la présente instance ;
Dit que M. B... est propriétaire de la parcelle cadastrée n° 24, pour partie située après et en amont de la maison A..., à partir du portail d'entrée existant, pour l'avoir prescrit par une possession utile plus que centenaire (sic) ;
Dit que la propriété B... est enclavée ;
Dit que l'assiette de l'accès, représentée par le chemin décrit ci-avant, a été prescrite par Marcel B... ;
Dit que l'accès au fonds B... s'effectue par le chemin du PONCET, sur la parcelle n° 24, en passant devant la maison A..., jusqu'au portail B... ;
Débouté les parties du surplus de leur demande.
Fait masse des dépens, et dit que chacune des parties en supportera la moitié. "
Les consorts Y... ont relevé appel de cette décision et demandent par voie d'infirmation à la cour de :
" Vu les articles 544, 2229, 2232 et 682 du Code civil,
Débouter Marcel B... de toutes ses demandes,
Condamner Marcel B... à supprimer le portail créé sur la parcelle 241 leur appartenant, sous astreinte comminatoire de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
Condamner Marcel B... à leur payer la somme de 15. 000 € au titre du préjudice de jouissance,
Subsidiairement,
Faire application de l'article 683 du Code civil,
Dire que Marcel B... pourra bénéficier du chemin d'exploitation appartenant aux consorts Y..., à la condition que les frais d'aménagement soient à ses frais exclusifs et qu'il leur soit alloué à titre d'indemnité forfaitaire la somme de 10. 000 €,
Condamner Marcel B... à la somme de 10. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour frais irrépétibles. "
Au soutien de leur recours elles font valoir en substance que :
- Marcel B... bénéficiait simplement d'une tolérance de passage sur le chemin des Bruyères parcelle A n° 24 leur appartenant, en attendant que la route du dessus soit praticable,
- il n'a donc pu bénéficier d'une servitude de passage ni paisible ni continue et non équivoque laquelle ne peut dans ces conditions s'acquérir par prescription,
- la clôture et les portails édifiés par Marcel B... l'ont été au plus tôt en 1968 et le portail actuel a été incontestablement installé en 1969 au plus tôt pour protéger les végétaux du bétail appartenant à Monsieur D... et à Monsieur E...,
- la propriété B... n'est pas enclavée au sens de l'article 682 du Code civil puisque cette propriété jouxte le chemin communal les Bertrands et que Marcel B... a lui-même crée un portail lui permettant d'accéder à ce chemin,
- les matériaux nécessaires à la construction du chalet B... ont été transportés par le chemin communal n° 11 dit chemin des Bertrands à Comboursière,
- ce n'est qu'en 1968 que le chemin des Bruyères est élargi et empierré,
- dès l'acte d'acquisition de sa propriété en 1995, Pierre Y... a dénoncé la tolérance qui avait pu être accordée à Marcel B... par l'ancien propriétaire Yvon D...,
- Marcel B... a acquis d'Yvon D... les parcelles 16, 17 et 18 qui lui permettent d'accéder à la route communale.
Marcel B... sollicite la confirmation du jugement sauf à enjoindre les consorts Y... de laisser libre l'accès à sa propriété notamment en supprimant le portail situé en bas de leur propriété.
Ils demandent par ailleurs de condamner les consorts Y... à lui payer la somme de 5. 000 € en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il conclut pour l'essentiel que :
- il existe depuis 1965 une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire par Marcel B...,
- il a déposé une demande de permis de construire, dès le 9 octobre 1965, qui lui a été accordé le 16 novembre 1965,
- les travaux de construction de sa maison ont immédiatement été entrepris par l'entreprise MONTANER qui les a facturés le 8 décembre 1965,
- dès 1966, la propriété B... était entièrement clôturée et la parcelle n° 24, coupée par le portail d'entrée qui y figure encore,
- ni un courrier recommandé, ni une dénonce orale ne peuvent être considérés comme acte interruptif de prescription,
- l'assignation suivant acte du 14 mai 1997 constitue le premier acte interruptif de prescription,
- il est donc propriétaire de la parcelle cadastrée n° 24, pour la partie située après et en amont de la maison A..., à partir du portail d'entrée existant,
- sa propriété est enclavée.
MOTIFS ET DÉCISION
Sur la propriété du chemin cadastré section A 24
Attendu qu'à juste titre les premiers juges ont retenu que l'examen des titres respectifs des parties révélait que la parcelle cadastrée A n° 24 en ce qu'elle forme un chemin traversant la propriété B..., n'avait pas était vendue à Marcel B... et était donc restée d'après les titres, propriété d'Yvon D..., aujourd'hui des consorts Y... ;
Attendu sur l'usucapion de cette portion de la parcelle A 24 sise en amont de la propriété Y..., qu'il convient tout d'abord de constater que Marcel B... a installé tout d'abord un portail en limite des parcelles A 676 et 16 propriété B... qui clôture la parcelle A 24 et un second portail qualifié de " portail actuel " par les consorts Y..., jouxtant la maison A... et " cloturant la parcelle A 679 " propriété de Marcel B..., comme le précise les conclusions Y... (page 16) ;
Que Marcel B... prétend avoir possédé de façon continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, la portion de la parcelle A 24 traversant sa propriété ;
Attendu qu'il ressort des pièces produites que Marcel B... a obtenu le 16 novembre 1965 l'autorisation de construire son chalet et que le 8 décembre 1965 l'entreprise MONTANER lui a facturé le montant des travaux soit 5. 331 F ;
Qu'en dépit des attestations des consorts D... qui ont un intérêt certain à appuyer la thèse des consorts Y... et ne seront donc pas retenues, plusieurs attestations produites par Marcel B... établissent qu'il a bien utilisé le chemin des Bruyères qu'il a d'abord fait élargir pour acheminer les matériaux nécessaires à la construction de son chalet et ce depuis fin 1965 et au plus tard 1966, ce qui est d'ailleurs conforme à la configuration des lieux qui ne permettaient pas d'emprunter d'autres accès ;
Qu'il a par la suite sans contestation aucune d'Yvon D..., rendu ce chemin originellement de muletier, complètement carrossable ;
Que cela ne démontre pas pour autant qu'il se comportait en propriétaire et qu'Yvon D... avait alors renoncé à la propriété de ce passage ;
Que d'ailleurs la construction du premier portail sur la parcelle A 24 en limite des parcelles 676 et 16 a, d'après Marcel B..., été réalisée en même temps que les clôtures autour de ses parcelles 675, 676, 17, 18 et 16, pour empêcher les chèvres d'Yvon D... et de M. E... d'écimer les arbustes qu'il avait plantés ;
Or attendu que la facture MONTANER de décembre 1965 ne mentionne pas la construction d'un quelconque portail ;
Que les premières photographies de ce portail sont elles-mêmes datées de 1968 par Marcel B... ;
Attendu qu'il résulte enfin des propres écrits de Marcel B... que le second portail, jouxtant cette fois-ci la maison des consorts A... a été implanté en 1969 pour empêcher les chèvres qui détérioraient son talus en aval du chemin des Bruyères dans la parcelle non clôturée n° 679, ainsi que les plantations qu'il envisageait de réaliser ;
Attendu que ces éléments ne permettent donc pas d'établir que Marcel B... avait au 14 mai 1997 date de l'assignation devant le tribunal d'Instance de La Mure, prescrit depuis trente années la propriété de cette portion du chemin dépendant de la parcelle A 24 ;
Qu'il devra par conséquent laisser libre l'accès des consorts Y... à leur propriété et à tout le moins remettre aux consorts Y... la clef du ou des portails érigés sur la parcelle A 24 dans un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 200 € par jour de retard ;
Sur l'état d'enclave de la propriété de Marcel B... et l'accès à celle-ci :
Attendu que le Tribunal qui s'est rendu sur les lieux a constaté que le fonds B... était situé en montagne (1200 mètres d'altitude) dans un endroit très accidenté soumis au ravinement et parcouru par un torrent dont le débit peut être très fort en période de crue ;
Que par des motifs pertinents que la cour adopte, il a retenu d'une part que le fonds B... était enclavé au sens de l'article 682 du Code civil et que cet état d'enclave n'était pas volontaire, d'autre part que Marcel B... avait prescrit l'assiette du passage constitué par le chemin cadastré section A n° 24 qu'il a utilisé pendant trente ans au moins ;
Que le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef, sauf à ajouter que Marcel B... a également prescrit l'assiette du passage constitué par la portion du chemin traversant sa propriété dont il revendiquait la propriété par usucapion et qu'il a également emprunté pendant trente ans au moins, de façon continue, paisible, publique et non équivoque pour se rendre dans son chalet ;
Que le 28 août 1998 Me F... huissier a constaté que les consorts Y... avaient érigé un portail marquant la limite entre le chemin de Poncet et le chemin des Bruyères ;
Qu'ils devront par conséquent laisser libre l'accès de Marcel B... à sa propriété et à tout le moins lui remettre la clef du portail construit sur la parcelle A 24, dans un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 200 € par jour de retard ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement par arrêt contradictoire après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que Marcel B... était propriétaire de la parcelle cadastrée n° 24, pour partie située après et en amont de la maison A..., à partir du portail d'entrée existant, pour l'avoir prescrit par une possession utile plus que " centenaire ",
Statuant à nouveau,
Déboute Marcel B... de sa demande relative à la propriété de la parcelle cadastrée A n° 24, pour partie située après et en amont de la maison A..., à partir du portail d'entrée existant,
Dit que Marcel B... a prescrit l'assiette du passage constitué par cette portion de la parcelle A 24,
Confirme pour le surplus,
Et ajoutant,
Dit que Marcel B... devra laisser libre l'accès des consorts Y... à leur propriété et à tout le moins leur remettre la clef du ou des portails érigés sur la parcelle A 24 dans un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 200 € par jour de retard,
Dit que les consorts Y... devront laisser libre l'accès à la propriété B... et à tout le moins remettre à Marcel B... la clef du portail construit sur la parcelle A 24 en limite du chemin du Poncet dans un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte provisoire de 200 € par jour de retard,
Déboute en cause d'appel les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Fait masse des dépens de la procédure d'appel qui seront partagés par moitié entre Marcel B... et les consorts Y... avec application de l'article 699 au profit des avoués qui en ont demandé le bénéfice.
PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau code de procédure civile,
SIGNÉ par Madame LANDOZ, Président, et par Madame LAGIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.