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05/11/2008 | FRANCE | N°07/00030

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 05 novembre 2008, 07/00030


RG No 08 / 00490



COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU MERCREDI 05 NOVEMBRE 2008



Appel d'une décision (No RG 07 / 00030)
rendue par le Conseil de Prud'hommes de BRIANCON
en date du 15 janvier 2008
suivant déclaration d'appel du 21 Janvier 2008



APPELANT :

Monsieur Jean-Pierre C...


...

38520 LE BOURG d'OISANS

Comparant et assisté par Me Dominique BRET (avocat au barreau de GRENOBLE)

INTIMÉE :

La S. A. TGM-TELEPHERIQUES DES GLACIERS DE LA MEIJE prise en l

a personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Gare du Téléphérique
05320 LA GRAVE

Représentée par Mons...

RG No 08 / 00490

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU MERCREDI 05 NOVEMBRE 2008

Appel d'une décision (No RG 07 / 00030)
rendue par le Conseil de Prud'hommes de BRIANCON
en date du 15 janvier 2008
suivant déclaration d'appel du 21 Janvier 2008

APPELANT :

Monsieur Jean-Pierre C...

...

38520 LE BOURG d'OISANS

Comparant et assisté par Me Dominique BRET (avocat au barreau de GRENOBLE)

INTIMÉE :

La S. A. TGM-TELEPHERIQUES DES GLACIERS DE LA MEIJE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Gare du Téléphérique
05320 LA GRAVE

Représentée par Monsieur B... (Président) assisté par Me Véronique SCHREIBER-FABBIAN (avocat au barreau des HAUTES-ALPES) substituée par Me VOLPATO (avocat au barreau des HAUTES-ALPES

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,
Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,
Madame Dominique JACOB, Conseiller,

Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.

DEBATS :

A l'audience publique du 02 Octobre 2008,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie (s).

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 05 Novembre 2008.

L'arrêt a été rendu le 05 Novembre 2008.

Jean-Pierre C... a été engagé à compter du 15 décembre 1992 par la société des téléphériques des glaciers de la Meije (société TGM) dont le siège est à La Grave (Hautes-Alpes) et dont le président-directeur général est Denis B....

Il a occupé successivement les postes de chef de secteur et d'agent de maîtrise employé sur téléski et téléphérique, dans le cadre de contrats saisonniers, puis de chef d'exploitation adjoint, par contrat à durée indéterminée à effet au 1er novembre 1993, puis a été nommé à compter du 1er décembre 1998 à l'emploi de directeur d'exploitation statut cadre 4ème position coefficient 410 de la convention collective nationale des téléphériques et engins de remontées mécaniques.

Il a été convoqué par lettre du 6 juillet 2006, assortie d'une mise à pied conservatoire, à un entretien fixé au 17 juillet 2006, préalable à un éventuel licenciement pour faute grave.

Il a été reconvoqué à un autre entretien préalable fixé au 27 juillet 2006 puis licencié pour faute lourde le 31 juillet 2006.

Jean-Pierre C... a contesté cette mesure devant le conseil de prud'hommes de Grenoble, saisi le 6 septembre 2006, qui s'est déclaré territorialement incompétent au profit de celui de Briançon.

Par jugement du 15 janvier 2008, le conseil de prud'hommes de Briançon a constaté que le licenciement reposait sur un motif réel et sérieux, a reconnu le caractère réel et sérieux de la faute grave mais a dit qu'il n'existait pas de faute lourde, a débouté Jean-Pierre C... de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à verser 150 euros à la société TGM par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Jean-Pierre C... a relevé appel de cette décision le 21 janvier 2008. Il demande à la cour de juger que son licenciement ne repose sur aucun motif réel ni sérieux, de condamner la société intimée à lui verser :
- salaires du 7 juillet au 1er août 2006 : 3 423, 99 euros,
- congés payés afférents : 342, 39 euros,
- indemnité compensatrice de préavis : 16 083, 39 euros,
- congés payés afférents : 1 608, 33 euros,
- prime d'intéressement 2005 / 2006 : 1 466, 71 euros,
- indemnité conventionnelle de licenciement : 42 888 euros,
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 96 498 euros (18 mois de salaire),
- dommages et intérêts en réparation d'un préjudice distinct (discrédit dans le milieu de la montagne) et d'un abus de droit : 42 888 euros,
- indemnité pour frais irrépétibles : 3 000 euros
le tout avec intérêts à compter du 7 septembre 2006.

Il prétend avoir été licencié en réalité pour motif économique et invoque en ce sens une lettre de son employeur de juin 2006 ainsi qu'une note interne du 25 janvier 2007. Il ajoute qu'il n'avait pas été remplacé.

Il conteste chaque motif de la lettre de licenciement et, en particulier, une volonté de chercher à se faire licencier, ce qui était contredit par son évolution et par son investissement personnel dans l'entreprise. Il conteste avoir pu concrètement affaiblir la société en faisant observer que ce n'était pas lui mais Denis B... qui la gérait et qui seul disposait de la signature bancaire.

Il conteste avoir eu l'intention de nuire à la société et explique qu'il était normal que le maire de La Grave s'inquiète des futures conditions de sécurité du domaine skiable, après son départ.

Il estime qu'il pouvait, sans commettre de faute, refuser d'assurer la gestion de la société, ce qui constituait une modification de son contrat de travail alors qu'il était investi seulement de missions commerciales, techniques et de sécurité, le délai de réflexion légal ne lui ayant d'ailleurs été accordé pour répondre à cette proposition.

Il s'oppose à l'ensemble des demandes dirigées contre lui par la partie intimée et y trouve au contraire une preuve d'un usage abusif du licenciement.

La société TGM abandonne à l'audience sa demande, formulée dans ses écritures déposées à l'appui de ses observations, de sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une procédure pénale pour vol concernant la note du 25 janvier 2007 communiquée par l'appelant.

Elle demande à la cour de confirmer le jugement et, y ajoutant, de condamner le salarié au paiement des sommes suivantes au titre des frais de sécurité qu'elle expose avoir dû désormais assurer :
- hiver 2006 / 2007 : 58 327 euros, hiver 2007 / 2008 : 58 327 euros,
-3 % loi montagne : 471 780 euros,
- facturation de la société Altitude Consulting : 11 425 euros,
- réparation du préjudice (honoraires de consultants) consécutif au coût de la réorganisation de la société TGM : 63 302 euros,

outre une somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle conclut subsidiairement au rejet des demandes indemnitaires formées par Jean-Pierre C..., en faisant valoir qu'il avait rapidement retrouvé une situation grace à la notoriété qu'il avait acquise dans ses fonctions dans l'entreprise.

La partie intimée répond que Jean-Pierre C... avait bien été remplacé, le 12 août 2008, après divers déboires et tentatives de reprise de ses attributions par la direction.

La société expose que les fonctions de Jean-Pierre C... comportaient trois aspects techniques, commerciaux et administratifs et lui reproche d'avoir délaissé le volet administratif au dépens du volet commercial.

Elle lui reproche un refus catégorique :
- d'exécuter une partie de ses fonctions et un refus de parer à ses carences de gestion, qui étaient pourtant de nature à menacer l'équilibre de l'exploitation (augmentation de 50 % de la masse salariale entre 2002 et 2005 sans rapport avec l'activité de l'entreprise, absence de concertation avec la direction pour des opérations commerciales et pour ses relations avec une société de certification qualité sécurité environnement lors de la mission confiée au cabinet Altitude Consulting),

- d'identifier, de définir et de recadrer ses fonctions sous l'égide du cabinet AXALP, ce qui constituait un acte d'insubordination et ce qui avait provoqué une situation de blocage.

Elle rappelle aussi qu'elle avait repris et modernisé en 1986 les actifs du sivom du Briançonnais, constructeur de ces remontées mécaniques, mais qu'elle avait prévu à cette occasion une clause d'exonération totale de responsabilité concernant la pratique du ski à partir de ses téléphériques (nécessairement du ski hors piste) et qu'elle n'était assurée que pour le risque du transport.

Dans ce contexte, s'agissant de l'intention de nuire, elle reproche à J. P. C... d'avoir mis à bas cette exonération de responsabilité alors que la société n'avait jamais eu une mission de sécurisation du domaine skiable.

Elle soutient que, par son attitude et son comportement, son ancien directeur d'exploitation avait exposé la société à un risque juridique et financier et s'était livré à un véritable chantage à son détriment, avec le soutien de la commune concédante qui faisait pression sur la société concessionnaire, en se faisant passer pour irremplaçable ou incontournable pour sécuriser le domaine skiable et en ayant retiré un avantage personnel.

Elle fait valoir que la concession avait été dénoncée, qu'elle n'avait pu renouer les liens contractuels qu'à grands frais (présence permanente d'un guide et d'un patrouilleur, prise en charge d'une contribution 3 % loi montagne) qu'elle s'était vu imposer une mission de sécurisation allant à l'encontre des conditions initiales de la concession, qu'elle qualifie d'" existentielles " et souligne que cela s'était poursuivi lorsque Jean-Pierre C... était devenu maire de la commune de La Grave, en mars 2008.

Sur quoi :

Attendu que les faits invoqués dans les écritures déposées par la société TGM au soutien de ses observations devant la cour, liés au recours par Jean-Pierre C... aux services du cabinet Altitude Consulting et aux honoraires de cette dernière, contactée prétendument sans concertation avec la société, dans le cadre d'un processus de certification qualité, ne sont pas énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige ;

Qu'au surplus, l'employeur verse lui-même aux débats une lettre rédigée le 17 octobre 2006 par H. A..., responsable de cette société Altitude Consulting et adressée à Denis B..., dans laquelle le cabinet de conseil indique que si Jean-Pierre C... était l'initiateur du projet, à l'issue d'une rencontre en 2003 M B... avait signifié qu'il déléguait le dossier au directeur d'exploitation ; que la société ne peut donc sérieusement prétendre qu'elle avait été tenue dans l'ignorance ;

Attendu que Jean-Pierre C... avait rendu compte à Denis B..., le 24 janvier 2006, de la mise en place de la carte " tribu " destinée à donner des avantages tarifaires à une catégorie particulière de clientèle ;

Attendu que dans la lettre de licenciement, employeur fait état du " comportement de plus en plus erratique " de Jean-Pierre C... dans les aspects commerciaux et administratifs de son poste, en indiquant que les sollicitations de l'employeur s'étaient " faites de plus en plus insistantes au regard d'une très nette dégradation de la situation économique " de la société " qui ne pouvait plus se satisfaire " de ce comportement " caractérisé soit par des initiatives totalement déconnectées de finalités économiques sérieusement étudiées, soit tout simplement par l'absence de mise en oeuvre d'actions validées et attendues " ;

Que l'employeur expose dans cette lettre de rupture que " devant les dysfonctionnements constatés nous sommes finalement convenus, à une époque où nous pensions encore que la situation était principalement due à une mauvaise interaction entre les attentes de Meylan (le siège de la holding financière) et les actions de La Grave, de redéfinir notre organisation en réaffirmant clairement les contours " du poste de Jean-Pierre C... ;

Que l'employeur rappelle qu'il avait confié à un cabinet de conseil aux entreprises, la société AXALP, la mission de " définir le poste de directeur d'exploitation intégrant notamment :
- le contrôle des heures supplémentaires (gestion de l'inquiétante inflation de la masse salariale ayant augmenté de 50 % entre 2002 et 2005, sans justification plus précise de la part de Jean-Pierre C... qu'une note succincte du 21 octobre 2005 et sans commune mesure avec le développement de l'activité),
- la mise en place d'une concertation réelle avec la direction générale avant tout engagement significatif de dépenses (non-renouvellement d'opérations telles que la mise en place de la carte tribu ou de la commercialisation de produits dérivés sans étude préalable d'impact économique),
- un reporting budgétaire précis et cadencé (obligeant à un suivi de l'exploitation intégrant une dimension économique totalement absente de la gestion jusque-là) " ;

Attendu qu'aucune définition contractuelle du poste de directeur d'exploitation n'avait été établie entre les parties lors de la promotion de Jean-Pierre C... le 1er décembre 1998, formalisée par simple avenant qui ne précisait aucunement ses missions exactes ;

Que dans ses conclusions déposées au soutien de ses observations orales, la société TGM indique que les fonctions de Jean-Pierre C... comprenaient la surveillance du bon fonctionnement technique des installations, la sécurité des usagers sur les remontées mécaniques, comprenaient des fonctions commerciales en vue de la promotion du développement économique et comprenaient aussi la gestion administrative ; mais que la société ne fait pas état de fonctions d'analyse économique ;

Attendu que si la société envisageait de définir les contours de ce poste, c'est bien que l'employeur avait conscience d'une difficulté sur le périmètre des attributions de Jean-Pierre C... ;

Attendu que dans une lettre du 1er juin 2006, Denis B... faisait le reproche à Jean-Pierre C... d'un déficit " quasi total " d'analyses, d'études et de réflexions économiques sur 8 points dont la masse salariale et le nombre d'heures travaillées, les tarifs 2007, la billetterie, les engins, l'activité de Meije-Tour (agence de voyage filiale dont Jean-Pierre C... était le gérant), les exploitations HDA / VRT (filiale de gestion d'appartements) et Chazelet (remontées), les frais généraux ;

Que l'employeur faisait aussi référence dans cette lettre à la mission d'organisation en cours pour les sociétés TGM et ses filiales et donnait à Jean-Pierre C... cette instruction : " comme il vous appartient dorénavant d'assurer la maîtrise totale des aspects économiques de la gestion sur place de nos sociétés je vous demande de me soumettre dans la semaine des réponses aux études ci-dessus énumérées selon l'urgence que vous leur voyez, de manière qu'en concertation soit établi un programme compatible avec les besoins de la société " ;

Attendu que si le dirigeant de la société TGM notifiait à son salarié le 1er juin 2006 que cette fonction appartenait " dorénavant " à Jean-Pierre C..., c'est donc qu'elle ne lui incombait pas précédemment ;

Que le salarié avait d'ailleurs répondu par écrit point par point à cette lettre dès le 15 juin 2006, en faisant observer, à propos de l'évolution de la masse salariale, que c'était l'employeur qui avait décidé l'augmentation du salaire des cadres et que l'embauche des salariés s'était effectuée en concertation avec le PDG, à propos de la concertation avec le dirigeant, que les chantiers importants avaient toujours été ouverts avec son accord et, à propos des exigences, que :

" un certain nombre de missions d'analyse financière citées... sont nouvelles et n'ont jusqu'à présent pas fait partie de ma mission de directeur d'exploitation. Si vous estimez que j'en ai les compétences (ce qui reste à discuter) elles ne peuvent à mon avis se faire qu'en possession d'éléments comptables analytiques à définir ensemble avec vous et Mireille D...... "

Que, relevant la phrase ci-dessus sur la maîtrise totale des aspects économiques de la gestion, Jean-Pierre C... avait fait observer à son supérieur que :

" cela correspond à une modification majeure de la mission qui fut la mienne pendant huit ans et demande un rapprochement indispensable avec la comptabilité basée à Meylan. Aucune analyse, projection, étude financière sérieuse ne peuvent être menées avec les seuls éléments récoltés à La Grave sans les outils indispensables que sont la comptabilité et la rigueur de Mireille à Meylan. La gestion financière de l'exploitation pourrait être mieux suivie à La Grave avec des éléments comptables analytiques (à définir) remontant régulièrement de Meylan.

Les termes de votre courrier me laissent peu d'espoir sur votre envie de collaborer encore avec moi.
Vous m'exposez la nouvelle charge de travail que vous me demandez d'assumer en supplément de celle qui est déjà la mienne depuis huit ans et vous savez qu'en saison je ne peux être au four et au moulin. La gestion quotidienne du téléphérique me prend l'ensemble de mon temps et vous me demandez en plus de refaire le travail de la comptabilité... " ;

Attendu que Jean-Pierre C... n'a pas été licencié en raison des dysfonctionnements constatés, visés à la page 2 de la lettre de la lettre de licenciement ; qu'au surplus, la société reconnaît dans cette même lettre que ces dysfonctionnements étaient imputables au moins pour partie à des problèmes d'organisation entre la holding et la filiale, ce qui ne peut être reproché au salarié et qu'une réorganisation, décidée par l'employeur, était en cours ;

Attendu que la suite de lettre de licenciement permet de comprendre qu'à l'origine, le licenciement pour faute grave de Jean-Pierre C... avait été envisagé non pas en raison de ces dysfonctionnements, mais uniquement en raison de la position adoptée par le salarié " dans la tentative d'approche de ses responsabilités ", position décrite en ces termes par le président-directeur général qui indique que cette attitude entraînait un blocage du fonctionnement de l'entreprise :

« Vous avez finalement pris une position radicale, déclarant à Jean-Paul E..., consultant du cabinet AXALP, en réponse à sa demande concernant la faisabilité de cette définition de poste : " il veut me formater, je ne veux pas être formaté et ne je n'accepterai jamais " marquant ainsi votre opposition à toute tentative d'identification de vos fonctions » ;

Mais attendu que le licenciement pour faute lourde a donc été fondé uniquement sur les motifs suivants :

" en premier lieu lors (du premier entretien préalable) nous avons été surpris du peu de véhémence avec lequel vous avez fait part de vos observations et tenté de justifier votre position, commençant à nous laisser penser que le but réellement poursuivi par votre démarche était en réalité de nous obliger à rompre votre contrat de travail.

En second lieu, nous avons reçu, immédiatement après cet entretien, des mises en garde formelles de la mairie sur les possibilités de TGM d'exploiter en dehors de votre présence personnelle au sein de note société.

Dès lors, il résulte de votre comportement non seulement que, de façon délibérée, vous nous avez placés dans une situation ne permettant pas d'envisager la poursuite du contrat de travail ne serait-ce que pour la durée limitée d'un préavis, mais de plus, que ce comportement s'est accompagné d'une véritable intention de nuire à la société qui vous emploie.

En effet, l'état d'affaiblissement dans lequel vous avez sciemment placé la société TGM du fait de votre attitude négative passée (refus de toute prospective économique, inflation irraisonnée de la masse salariale, etc.) et l'aggravation de la situation liée à un départ que vous avez rendu inéluctable par votre position de blocage, s'avère aujourd'hui de nature à servir vos intérêts personnels, en vous plaçant comme l'élément incontournable de l'exploitation des téléphériques de La Grave, ceci par qui et sous quelque forme que ce soit ",

la lettre se terminant par l'énoncé de la conviction de l'employeur à une " manoeuvre habilement orchestrée " du salarié ;

Attendu que la volonté pour l'employeur d'intégrer dans les fonctions du directeur d'exploitation la maîtrise totale des aspects économiques de la gestion sur place des sociétés du groupe, comprenant notamment des attributions en matière de contrôle des heures supplémentaires et de leur harmonisation avec le développement de l'activité de l'entreprise ainsi que des attributions en matière d'études sur la gestion économique de l'exploitation, aboutissait à entendre le périmètre des responsabilités contractuelles du salarié et à modifier son contrat de travail ;

Attendu que dès lors cette modification, notifiée au surplus en dehors toute forme légale ce que relève le salarié, ne pouvait lui être imposée mais était subordonnée à son accord exprès ;

Qu'en conséquence, le refus et l'opposition manifestée par Jean-Pierre C... soit directement auprès de l'employeur, soit indirectement lors des entretiens avec un membre du cabinet AXALP, n'avaient rien de fautifs, ne constituaient pas un acte d'insubordination ni un manquement à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, d'autant plus que cette opposition avait été motivée en détaillée dans la réponse du 15 juin 2006, le salarié invoquant des raisons tenant aux moyens dont il disposait sur place, qu'il considérait comme insuffisants ou inadaptés, invoquant son manque de disponibilité, compte tenu de ses autres attributions qui elles ne sont pas discutées et invoquant aussi un manque de compétences personnelles sur ce point ;

Attendu que, dès lors que Jean-Pierre C... n'était pas contractuellement chargé des fonctions de gestion au titre desquelles des carences ont été invoquées par l'employeur, il ne pouvait lui être reproché ni un refus de parer à ces mêmes carences, ni la situation de blocage alléguée ;

Attendu que par ailleurs, aucune preuve n'est rapportée par la société TGM des manoeuvres qu'elle attribue à son salarié par l'intermédiaire de menaces de la commune de La Grave d'interrompre ou de gêner la poursuite de l'exploitation de l'activité de la société hors la présence de Jean-Pierre C... ;

Que la société ne prouve pas, autrement que par ses seules affirmations et par des correspondances émanant de TGM mais pas de la commune, la réalité des mises en garde formelles de la mairie dont elle fait état dans la lettre de licenciement ;

Que la société TGM produit une lettre recommandée que son PDG a écrite le 26 septembre 2006 au maire de La Grave, pour faire état des propos d'un adjoint qui avait exigé, lors d'une réunion avec le dirigeant de la société, avoir comme interlocuteur unique et responsable Monsieur Jean-Pierre C... " actuellement irremplaçable " ; que cependant cette lettre fait référence à une réunion tenue le 11 septembre 2006, donc postérieurement au licenciement litigieux ;

Que plus généralement toutes les pièces produites sur ce point et sur les relations entre l'exploitant et la commune de La Grave sont postérieures au licenciement et même très largement puis qu'il est fait état d'un courrier du 1er septembre 2008 signé par Jean-Pierre C... en sa qualité de maire de la commune de La Grave ;

Que la société TGM affirme que Jean-Pierre C... avait, par son comportement, mis à bas l'exonération de responsabilité citée précédemment, avait exposé la société TGM à une responsabilité juridique et financière sans limite laissant croire au maire de La Grave qu'il pourrait se décharger de cette responsabilité, avait cherché à évincer son employeur des relations avec son concédant ;

Mais que ces griefs ne figurent pas dans la lettre de licenciement ;

Que nonobstant la clause de limite de responsabilité de la société (considérée comme celle d'un simple transporteur et qui s'arrête à la limite des installations à cabines fermées et de leurs gares), nonosbstant l'autre clause (selon laquelle en raison de leur caractère de haute montagne les itinéraires auxquels donnent accès les téléphériques ne constituent pas des pistes de ski ou des chemins de randonnée et selon laquelle l'exploitant n'est pas tenu de les aménager, jalonner, entretenir et surveiller) clauses invoquées par la société TGM et figurant dans le cahier des charges annexé à la convention d'exploitation du 15 juin 1987 entre la commune de La Grave, le SIVOM du Briançonnais et la société, l'inquiétude supposée des autorités communales en raison de la possibilité de la cessation par Jean-Pierre C... de ses fonctions au sein de la société TGM n'aurait rien d'illégitime en soi, dès lors que :

- mis à part le téléski de la Girose qui dessert des pistes, la société TGM exploite pour l'essentiel des remontées mécaniques permettant aux utilisateurs d'atteindre les altitudes 2400 et 3200 mètres sur le versant nord du massif de la Meije et donnant accès en saison à un domaine skiable de haute montagne non balisé, dont les pièces du dossier de l'intimé soulignent l'originalité par rapport aux prestations proposées par les stations de la région, cette particularité étant présentée comme un argument essentiel d'un point de vue économique pour le développement de la société,

- la société TGM est présentée dans ces mêmes pièces comme la principale entreprise de la commune,

- le maire est responsable de la sécurité sur le territoire de sa commune ainsi que la société TGM l'a rappelé elle-même dans sa lettre du 2 août 2006 adressée à la mairie de La Grave pour confirmer le départ du responsable d'exploitation, les pièces au dossier rappelant le risque inhérent à la pratique du ski hors piste, de surcroît en haute montage et l'étendue de la responsabilité encourue, y compris en matière pénale,

- Jean-Pierre C... était responsable de la sécurité des remontées mécaniques exploitées sur ce territoire et était également, en sa qualité de " responsable sécurité de TGM " expressément visée dans l'arrêté de désignation du 23 décembre 2004 du maire de La Grave, membre de la commission permanente de sécurité et membre de la commission restreinte de sécurité pour l'évaluation des risques dans les vallons de la Meije, l'article 1er de cet arrêté visant la possibilité de mesures urgentes à prendre pour le maire en ce qui concerne les actions de secours et de sécurité menées en son nom sur ce domaine skiable de haute montagne et cet arrêté disposant que cette commission restreinte était chargée de donner au maire tous avis ou directives pour la gestion immédiate de la sécurité et des secours, l'organisation des secours, l'évacuation sanitaire des victimes, la fermeture des pistes et des remontées mécaniques en cas de risques dus au climat ou à la qualité de la neige,

- Jean-Pierre C... avait donc, en raison de ses attributions professionnelles dans la société TGM, un rôle très important pour assurer les incontournables relations de partenariat entre l'exploitant des remontées mécaniques et l'autorité communale sur le territoire desquelles elles sont implantées,

- la société TGM était elle-même consciente de la légitimité des inquiétudes du maire ou des conseillers municipaux de La Grave et de la nécessité de cette collaboration puisqu'elle leur a écrit le 2 août 2006, dans la lettre déjà citée, qu'elle avait " tenu compte " dans sa décision de la mise en garde évoquée dans le début de la lettre et qu'elle avait fait référence au " travail tout à fait positif réalisé par monsieur C... en collaboration étroite avec l'organisation que vous avez mise en place, et sous votre responsabilité ", travail qui " devrait pouvoir être reconduit " ;

Attendu que ni la faute lourde ni même la faute grave ne sont constituées et qu'en réalité le licenciement litigieux est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ; que le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et la société TGM déboutée de sa demande de paiement ou de remboursement par le salarié de diverses sommes, qui ne trouveraient de fondement que dans une hypothétique faute lourde ;

Attendu que Jean-Pierre C... est en revanche fondé à obtenir le versement du salaire dont il a été privé au titre de sa mise à pied conservatoire (3 423, 99 euros au vu de la fiche de paye de juillet 2006 outre les congés payés afférents) ainsi que le versement des indemnités conventionnelles de rupture ;

Que le délai congé conventionnel est de trois mois soit, sur la base d'un salaire mensuel de référence de 4 903, 96 euros, une indemnité compensatrice de préavis de 14 711, 88 euros outre les congés payés afférents ;

Attendu que l'indemnité conventionnelle de licenciement est calculée par référence au salaire mensuel moyen des trois dernières années, primes comprises, soit effectivement 5 361, 13 euros ; que Jean-Pierre C... comptait 13 ans et 10 mois d'ancienneté ; qu'il est fondé à réclamer de ce chef une indemnité de 42 888 euros ;

Attendu que le tableau établi le 28 février 2007 par la société TGM fait apparaître une prime d'intéressement brut de 2 844, 85 euros pour le salarié Jean-Pierre C... pour l'exercice 2005 / 2006 sur la base d'un chiffre d'affaires de 1, 6 millions d'euros ; que dans les limites de la réclamation (1 466, 71 euros), il sera fait droit à ce chef de prétention ;

Attendu que Jean-Pierre C... fait état, au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour rupture de son contrat de travail, non seulement de son ancienneté, mais aussi de sa difficulté à retrouver un emploi équivalent à bref délai ; qu'il ne produit toutefois aucun document relatif à sa situation au regard de l'emploi autrement qu'au moyen d'un mail du 30 avril 2007 portant rejet de sa candidature comme directeur de site DS21 ; que la société TGM réplique sur ce point que Jean-Pierre C... a rapidement repris son métier de guide de haute montagne puis exercé une activité de consultant en matière de sécurité dans la pratique du ski ;

Qu'il sera tenu compte, pour indemniser l'ensemble des préjudices en cause, des circonstances de la rupture et aussi du caractère infondé de l'accusation d'intention de nuire à son employeur et du discrédit moral qu'elle provoque ;

Que les dommages et intérêts mis à la charge de la société TGM, tous chefs de préjudice confondus, seront fixés à 60 000 euros ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à Jean-Pierre C... ses frais irrépétibles d'instance et d'appel ; qu'à ce titre la société TGM lui versera une indemnité de 2 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 15 janvier 2008 par le conseil de prud'hommes de Briançon ;

Juge que le licenciement pour faute lourde de Jean-Pierre C... ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société des téléphériques des glaciers de la Meije à verser à Jean-Pierre C... :

avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2006, date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure, les sommes de :
- salaires du 7 juillet au 1er août 2006 : 3 423, 99 euros,
- congés payés afférents : 342, 39 euros,
- indemnité compensatrice de préavis : 14 711, 88 euros,
- congés payés afférents : 1 471, 18 euros,
- indemnité conventionnelle de licenciement : 42 888 euros,

avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt :
- prime d'intéressement 2005 / 2006 : 1 466, 71 euros,
- dommages et intérêts tous chefs de préjudice confondus : 60 000 euros,

Déboute la société des téléphériques des glaciers de la Meije de ses prétentions, la condamne aux dépens d'instance et d'appel et à verser à Jean-Pierre C... la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Signé par Monsieur DELPEUCH, Président, et par Madame VERDAN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Numéro d'arrêt : 07/00030
Date de la décision : 05/11/2008

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Briançon


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-11-05;07.00030 ?
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