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04/06/2008 | FRANCE | N°08/01604

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 04 juin 2008, 08/01604


RG N° 08 / 01779

Grosse délivrée à :

S. C. P. CALAS

S. C. P. GRIMAUD

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE DES URGENCES

ARRET DU MERCREDI 04 JUIN 2008

Appel d'une décision (No RG 08 / 01604)
rendue par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE
en date du 02 mai 2008
suivant déclaration d'appel du 05 Mai 2008

APPELANTE :

Madame Francesca X...

née le 04 Juillet 1973 à SAINT MARTIN D'HERES (38400)
de nationalité Française et Italienne

...

38170 SEYSSINET-PARISET

présente Ã

  l'audience,
représentée par la SCP GRIMAUD, avoués à la Cour,
assistée de Me Véronique LUISET, avocat au barreau de GRENOBLE.

INTIMES :

Monsi...

RG N° 08 / 01779

Grosse délivrée à :

S. C. P. CALAS

S. C. P. GRIMAUD

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE DES URGENCES

ARRET DU MERCREDI 04 JUIN 2008

Appel d'une décision (No RG 08 / 01604)
rendue par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE
en date du 02 mai 2008
suivant déclaration d'appel du 05 Mai 2008

APPELANTE :

Madame Francesca X...

née le 04 Juillet 1973 à SAINT MARTIN D'HERES (38400)
de nationalité Française et Italienne

...

38170 SEYSSINET-PARISET

présente à l'audience,
représentée par la SCP GRIMAUD, avoués à la Cour,
assistée de Me Véronique LUISET, avocat au barreau de GRENOBLE.

INTIMES :

Monsieur Gianmaria Y...

né le 26 Septembre 1970 à PARME (ITALIE)
de nationalité Italienne

...

SALSOMAGGIORE TERME (ITALIE)

présent à l'audience,
représenté par la SCP Jean & Charles CALAS, avoués à la Cour,
assisté de Me Florence MANIERI, avocat au barreau de GRENOBLE et de Me Francesco TORRE, avocat au barreau de PIACENZA (ITALIE).

MADAME LA PROCUREURE GENERALE
Près la COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Palais de Justice-Place Firmin Gautier
38000 GRENOBLE

représentée par Madame Françoise PICCOT, avocat général.

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur André ROGIER, Président,
Madame Brigitte DEMARCHE, Conseiller,
Madame Françoise ROBIN, Conseiller déléguée à la Protection de l'Enfance, membre de la formation en application de l'article L. 312-6 du Code de l'Organisation Judiciaire

Assistés lors des débats de Madame Hélène LAGIER, Greffier.

DEBATS :

A l'audience non publique du 28 Mai 2008, Madame DEMARCHE a été entendue en son rapport, Maître LUISET, avocat de Madame X..., a été entendue en sa plaidoirie, Madame PICCOT, avocat général, a été entendue en ses réquisitions, Maître MANIERI, avocat de Monsieur Y..., a été entendue en sa plaidoirie.

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience de ce jour, conformément aux dispositions de l'article 11-3 du règlement (CE) no 2201 / 2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (délai de six semaines à compter de la saisine par appel du lundi 5 mai 2008).

------0------

Exposé du litige.

Mme Francesca X... et M. Gianmaria Y... se sont mariés le 16 septembre 2000 à Salsomaggiore Terme (Italie).
De leur union sont issus deux enfants :
- Florian Y..., né le 14 novembre 2001 à Parme (Italie), Maxime Y..., né le 28 octobre 2003 à Parme (Italie).

M. Y... est de nationalité italienne, et Mme X... et les enfants ont la double nationalité française et italienne.

Les époux se sont séparés une première fois en avril 2005, date à laquelle Mme X... s'est rendue avec ses enfants en Isère chez ses parents.

Le juge aux affaires familiales de Grenoble (France), saisi sur sa requête d'une procédure de séparation de corps, a, le 14 octobre 2005 rendu une ordonnance de non conciliation aux termes de laquelle il a fixé la résidence habituelle des enfants au domicile de la mère en France.

Saisi parallèlement d'une procédure de divorce par M. Y..., le juge de Parme (Italie) a, par décision du 31 janvier 2006, autorisé les époux à vivre séparément, et a attribué la garde des enfants mineurs aux deux parents avec domiciliation des enfants chez leur mère.

Les époux ont repris la vie commune en 2006 à Salsomaggiore Terme (Italie).

Le 19 octobre 2006, le juge de Parme a déclaré éteinte la procédure diligentée devant lui.

Par ordonnance du 14 septembre 2007, le juge aux affaires familiales de Grenoble a constaté le désistement et l'extinction de l'instance en séparation de corps.

Le 3 septembre 2007, Mme X... a quitté Salsomaggiore Terme pour la France avec ses deux enfants.

Le 11 octobre 2007, M. Y... a saisi le Ministère de la Justice italien, autorité centrale au sens de l'article 6 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspect civils de l'enlèvement international d'enfants, d'une requête aux fins de voir ordonner le retour des enfants à son domicile.

L'Autorité centrale italienne a à son tour alerté le Ministère de la Justice français.

Une enquête a été diligentée pour enlèvement international d'enfants par la brigade de gendarmerie de Seyssinet-Pariset (Isère) à la demande du Procureur de la République de Grenoble, porte-parole de l'Autorité centrale française, et a confirmé la présence de la mère et des enfants à Seyssinet-Pariset, au....

Par acte du 25 mars 2008, le Procureur de la République de Grenoble a fait assigner à jour fixe Mme Francesca X..., qui refusait le retour des enfants en Italie, devant le juge aux affaires familiales de Grenoble, lui demandant :

- de constater que les enfants avaient été déplacés illicitement par leur mère de leur résidence habituelle en Italie au sens de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 et du Règlement européen du 27 novembre 2003 dit " Bruxelles II bis ",
- et d'ordonner le retour des enfants mineurs chez leur père en Italie.

M. Y..., intervenant volontaire à la procédure, considérait lui aussi qu'il y avait eu déplacement illicite des enfants, et sollicitait leur retour en Italie.

Mme X... s'opposait au retour des enfants, à titre principal parce qu'elle estimait qu'il n'y avait pas eu de déplacement illicite, et à titre subsidiaire parce qu'il existait selon elle un risque grave pour les enfants s'ils retournaient en Italie.

Le 2 mai 2008, le juge aux affaires familiales de Grenoble a rendu une ordonnance en la forme des référés, aux termes de laquelle il a :
au vu de la Convention de la Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants du 25 octobre 1980 et du Règlement européen 2201 / 2003 du 27 novembre 2003 dit " Bruxelles II bis ",
au vu des articles 484 à 492, et 1210-4 et 1210-5 du code de procédure civile,
et au vu des articles 140 et 316 du code civil italien :

- constaté le déplacement illicite des enfants Florian et Maxime Y..., nés le 14 novembre 2001 et le 28 octobre 2003 à Parme en Italie,

- dit n'y avoir lieu à audition des enfants,

- ordonné le retour des enfants mineurs en la résidence familiale, située..., Terme, Italie,

- condamné Mme X... aux dépens de l'instance, et débouté M. Y... de sa demande relative aux frais de représentation judiciaire.

Le juge aux affaires familiales motivait sa décision en retenant :

- en premier lieu, que les mesures provisoires prises quant à la résidence des enfants tant par le juge français le 14 octobre 2005 que par le juge italien le 31 janvier 2006 étaient caduques du fait de l'extinction des instances en séparation de corps et de divorce, et que la mère ne pouvait donc pas se prévaloir d'une autorisation judiciaire de résidence avec les enfants mineurs,

- en second lieu, que depuis la reprise de la vie commune des époux en 2006 à Salsomaggiore Terme, la résidence habituelle de la famille se situait en ce lieu, et que c'est en fraude des droits d'autorité parentale du père que Mme X... était partie en France avec les enfants en septembre 2007,

- en troisième lieu, que la preuve de la situation de danger pour les enfants invoquée par la mère pour s'opposer à leur retour n'était pas rapportée.

Par déclaration du 5 mai 2008, Mme X... a interjeté appel de cette décision.

Sur assignation de l'épouse, qui sollicitait la suspension de l'exécution provisoire, le Premier Président de la Cour d'Appel de Grenoble a, par ordonnance de référé du 14 mai 2008 :

- déclaré sans objet la demande, au motif que l'ordonnance du 2 mai 2008 n'était pas exécutoire de droit par provision (l'article 1074-1 du code de procédure civile n'étant pas applicable dans la mesure où la décision de retour ne statuait pas sur l'exercice de l'autorité parentale et ne prenait pas une mesure portant sur l'exercice de l'autorité parentale),

- renvoyé l'affaire à l'audience de la Chambre des Urgences du 28 mai 2008 à 11 heures spécialement composée à cet effet, le Conseiller délégué à la protection de l'enfance siégeant dans la formation de la chambre en application des dispositions de l'article L. 312-6 du Code de l'Organisation Judiciaire.

Concernant le fond de l'affaire, et parallèlement à l'instance sur le déplacement illicite des enfants, les deux tribunaux italien et français ont été à nouveau saisis :

- le 5 novembre 2007, Mme X... a déposé une requête en divorce auprès du juge aux affaires familiales de Grenoble (France),

- le 22 novembre 2007, M. Y... a déposé une requête en divorce auprès du Tribunal de Parme, en Italie.

Mme X..., appelante, a conclu devant la Chambre des Urgences les 19 mai et 27 mai 2008.

Dans ses dernières conclusions du 27 mai 2008, elle demande à titre principal à la Cour, au vu des articles 3, 5 et 14 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, et de l'article 11 paragraphe 6 du règlement européen du 27 novembre 2006 dit " Bruxelles II bis " de :

- déclarer son appel recevable et bien-fondé,

- constater que Florian et Maxime Y... n'ont pas été déplacés illicitement d'Italie en France, puisque la décision du 31 janvier 2006 du tribunal de Parme a autorisé les époux à résider séparément et confié les enfants à leur mère, en France, chez laquelle ils étaient domiciliés,

- constater qu'elle a fixé depuis plus de huit mois sa résidence habituelle en France avec ses enfants,

- constater qu'elle a saisi le juge français d'une demande en divorce avant que M. Y... n'ait saisi le juge italien, et qu'en conséquence selon les règles de compétence interne, en application de l'article 14 du code civil et de la jurisprudence de la Cour de Cassation, le juge français, saisi le premier, est compétent,

- juger en conséquence qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le retour des enfants, et débouter Mme la Procureure Générale et M. Y... de l'intégralité de leur demandes.

À titre subsidiaire, elle demande à la Cour, au vu de l'article 13 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, de :

- constater que, compte tenu du comportement violent du père et des violences conjugales et menaces de mort dont elle a été victime de sa part et dont les enfants ont été témoins, il existe incontestablement un risque grave que leur retour en Italie ne les expose à un danger physique ou psychique, ou de tout autre manière ne les place dans une situation intolérable,

- ordonner en tant que de besoin l'audition des mineurs ou leur examen psychologique,

- constater que le père manifeste un désintérêt certain à l'égard des enfants puisque depuis leur arrivée en France il ne leur a pas rendu visite, et il ne leur a pas non plus écrit ou téléphoné,

- constater que les enfants sont parfaitement intégrés en France depuis huit mois et vont beaucoup mieux car ils évoluent dans un milieu familial serein,

- juger par conséquent qu'il n'y a pas lieu d'ordonner leur retour en Italie.

Enfin, elle demande qu'en tout état de cause la décision de non retour soit notifiée au Ministère de la Justice italien, et que les frais engagés par M. Y... soient laissés à la charge de ce dernier.

Mme X... fait valoir à l'appui de sa demande principale :

- que le déplacement des enfants n'était pas illicite, le jugement du Tribunal de Parme du 31 janvier 2006 lui ayant confié les enfants à une époque où elle vivait avec eux en France, et la procédure diligentée devant ce tribunal n'ayant été déclarée abrogée pour cause de désistement qu'après la seule intervention de l'avocat de M. Y...,

- que le juge français a été saisi, le 5 novembre 2007, de sa requête en divorce avant que le juge italien ne soit saisi par M. Y..., et qu'il est dès lors compétent selon les règles de compétence interne,

Elle fait valoir à l'appui de sa demande subsidiaire :

- qu'il existe un risque grave que le retour des enfants ne les expose à un danger physique ou psychique ou ne les place de toute autre manière dans une situation intolérable,

- qu'en effet, elle a été contrainte de quitter l'Italie pour échapper à son mari, qui multipliait les violences et menaces de mort à son égard devant les enfants (plaintes déposées en France, attestations diverses),

- que les enfants étaient traumatisés par ces violences, et qu'ils vont beaucoup mieux depuis quelques mois, ainsi qu'en atteste notamment leur médecin traitant,

- que leur père, qui est très pris par son travail, n'est pas capable de s'occuper de ses enfants au quotidien, et que les mesures qu'il a prises en engageant une " baby-sitter " sans compétence particulière ne sont pas suffisantes,

- que les enfants, encore très jeunes, se sont particulièrement bien adaptés en France avec leur mère, et qu'une séparation d'avec elle et un départ de la France où ils sont heureux et ont de multiples activités, seraient pour eux particulièrement traumatisants.

M. Y... a conclu le 22 mai 2008.

Il demande à la Cour, au vu des dispositions des articles 3 et 12 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, de l'article 11 du Règlement CE 2201 / 03, et de l'article 7 de la Convention européenne du 25 janvier 1996, de :

- débouter Mme X... de son appel, et confirmer la décision prononcée le 2 mai 2008 par le Tribunal de Grande Instance de Grenoble,

- confirmer l'illicéité de la soustraction des mineurs Maxime et Florian Y... accomplie par la mère le 4 septembre 2007 en violation de l'article 3 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 et de l'article 11 du règlement CE 2201 / 03,

- en conséquence, en considération de l'instance en restitution des enfants présentée immédiatement par le père auprès des autorités italiennes et françaises le 11 octobre 2007, soit dans le délai d'un an à compter de la soustraction illicite, d'ordonner le retour immédiat des mineurs Florian et Maxime Y... en Italie dans leur lieu de résidence habituelle à Salsomaggiore Terme, au..., sur le fondement de l'article 12 de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 et de l'article 11 du Règlement CE 2201 / 03,

- ordonner l'exécution immédiate de la décision de retour des mineurs en Italie, y compris sur le fondement de l'article 7 de la Convention Européenne sur l'exercice des droits de l'enfant signée à Strasbourg le 25 janvier 1996,

- condamner Mme X... aux entiers dépens sur le fondement de l'article 26 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980,

- réformer la décision attaquée en ce qu'elle a débouté M. Y... de sa demande relative aux frais de représentation judiciaire, et condamner Mme X... à lui payer une indemnité de 13. 500 € au titre des honoraires d'avocats et d'avoués sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. Y... indique :

- que la famille Y... a toujours vécu en Italie dans la résidence habituelle située à Salsomaggiore Terme, où les deux garçons étaient scolarisés et parfaitement intégrés socialement, que les procédures aux fins de séparation engagées en 2005 et 2006 à Grenoble et à Parme se sont retrouvés éteintes du fait de la réconciliation des époux, qui demeurent de ce fait mariés et ont tous deux le droit de garde, et qu'en application de l'article 3 de la Convention de La Haye, il y a donc bien eu un déplacement illicite de Florian et Maxime,

- qu'en application de l'article 12 de cette même Convention, et dans la mesure où un délai de moins d'un an s'est écoulé depuis le déplacement des enfants, la Cour n'a pas d'autre choix que d'ordonner le retour immédiat des enfants en Italie,

- que si les enfants sont en danger, c'est parce qu'ils sont totalement privés de la présence paternelle, ce qui représente pour eux un grave préjudice pour leur développement psychique,
et qu'il est donc urgent de mettre fin à la voie de fait dont ils ont été victimes,

- que le retour des enfants prévu par la Convention de La Haye n'a pas d'autre but que de faire cesser l'illicéïté de leur départ, et n'a rien à voir avec la décision qui sera prise sur le droit de garde des enfants,

- que les accusations de violences dirigées contre lui ne sont pas corroborées par les éléments du dossier, et qu'il n'a jamais fait l'objet de la moindre procédure pénale et de la moindre condamnation,

- qu'il s'est organisé pour s'occuper de ses enfants, notamment en leur trouvant une assistante maternelle,

- et que, même si le sujet ne concerne pas la présente instance, il rappelle que c'est le tribunal italien qui est compétent pour statuer sur le divorce.

Mme la Procureure Générale a déposé ses conclusions le 26 mai 2008.

Elle demande à la Cour :

- de constater que les enfants Maxime et Florian Y..., nés respectivement le 28 octobre 2003 et le 14 novembre 2001 à Parme, ont été déplacés illicitement de leur résidence habituelle en Italie par leur mère au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 et du Règlement du Conseil du 27 novembre 2003 dit " Bruxelles II bis ",

- d'ordonner le retour des mineurs Maxime et Florian Y..., nés le 28 octobre 2003 et le 14 novembre 2001 à Parme, chez leur père Gianmaria Y..., demeurant..., Terme (Italie),

- de condamner Mme Francesca X... à payer les frais engagés par M. Y... en application de l'article 26 de la Convention de la Haye.

Elle fait valoir à l'appui de ses demandes :

- que le déplacement des enfants était illicite :

* la famille vivait à Salsomaggiore Terme, les deux parents exerçant l'autorité parentale, et la résidence habituelle des enfants étant située en ce lieu,

* s'il y avait eu séparation et saisine des juges français et italien en 2005, les époux s'étaient réconciliés en 2006, et le juge aux affaires familiales de Grenoble et le Tribunal de Parme avaient constaté l'extinction des instances en séparation de corps et en divorce pour cause de désistement ;

- qu'en l'absence de danger avéré pour les enfants, l'article 13 de la Convention de La Haye n'est pas applicable, et le retour de Florian et Maxime en Italie doit être ordonné en application de l'article 12 de cette même Convention :

* Mme X... ne justifie d'aucune plainte et suite pénale en Italie,

* s'il existe un grave conflit entre les époux, aucun élément ne vient établir un danger pour les enfants,

* la parfaite adaptation des enfants à leur vie en France ne saurait être un argument, le véritable traumatisme n'étant pas constitué par le retour en Italie, mais ayant été la conséquence de la situation créée par la mère lorsqu'elle leur a fait quitter l'Italie.

Les débats ont eu lieu à l'audience du mercredi 28 mai 2008 à 11 heures.

Motifs.

La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants précise :

- dans son article 1a) qu'elle a pour objet d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant,

- dans son article 16, que les autorités judiciaires ou administratives de l'État contractant où l'enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu'à ce qu'il soit établi que les conditions de la Convention pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies,

- dans son article 19, qu'une décision sur le retour de l'enfant rendue dans le cadre de la Convention n'affecte pas le fond du droit de garde.

Le but de ce texte n'est donc pas de se prononcer sur le droit de garde, mais uniquement de mettre fin à la voie de fait d'un parent qui, en fraude des droits de l'autre parent, a éloigné ses enfants de la résidence habituelle qui était la leur au moment du déplacement en les amenant dans un autre pays.

Il s'agit d'apporter une solution en urgence en vue d'éviter la consolidation juridique d'une situation initialement illicite.

Sur le déplacement illicite.

La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 dispose en ses articles 3 et 4 que le déplacement d'un enfant est illicite lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde attribué à une personne par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement.

Elle précise en son article 5 a) que le « droit de garde » comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence.

Les articles 144 et 316 du code civil italien prévoient que l'autorité des parents sur les enfants est exercée d'un commun accord entre eux, et que les époux conviennent entre eux du lieu de la vie familiale et de la résidence de la famille.

Chacun des deux parents a donc un droit de garde sur les enfants.

En l'espèce, la famille résidait au... à Salsomaggiore Terme (Italie) avant que Mme X... ne se rende en France le 3 septembre 2007 avec les deux enfants.

Il s'agissait là de la résidence habituelle de la famille et des enfants choisie d'un commun accord par les deux parents.

Un changement de la résidence habituelle des enfants impliquait par conséquent une décision commune des parents.

Or, Mme X... a quitté cette résidence avec Florian et Maxime Y... sans la moindre concertation avec le père de ses enfants, qui non seulement n'avait pas acquiescé à ce déplacement, mais encore a été mis devant le fait accompli, n'ayant pas été avisé du départ en France de ses enfants.

Le déplacement des enfants était donc illicite au sens de l'article 3 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980.

Le moyen invoqué par Mme X... quant à la compétence de la juridiction française pour statuer sur le divorce n'a pas à être examiné par la Cour, le litige dont elle est saisie n'ayant pas trait au fond du droit de garde.

Son moyen tenant à l'existence des deux décisions judiciaires intervenues après la première séparation des époux en 2005 n'est quant à lui pas fondé, les deux instances étant éteintes et les mesures provisoires prises tant par le juge français que par le juge italien étant de ce fait devenues caduques :

- le juge aux affaires familiales de Grenoble qui, le 14 octobre 2005, avait rendu une ordonnance de non conciliation prévoyant la fixation de la résidence habituelle des enfants au domicile de la mère a, par ordonnance du 14 septembre 2007, constaté le désistement et l'extinction de l'instance,

- le Tribunal de Parme qui, le 31 janvier 2006, avait attribué la garde des enfants mineurs aux deux parents avec domiciliation des enfants chez leur mère a, le 23 octobre 2006, déclaré la procédure « abrogée pour cause de désistement ».

Les époux s'étaient réconciliés et avaient repris la vie commune en 2006 à Salsomaggiore Terme (Italie), et s'étaient désistés de leurs instances respectives en séparation de corps et divorce.

C'est en fraude des droits d'autorité parentale du père que Mme X... a quitté ce lieu et la résidence habituelle de la famille, et est partie en France avec les enfants.

Le déplacement illicite des enfants étant caractérisé, la Cour doit se prononcer sur leur retour en Italie.

Sur le retour des enfants en Italie.

La juridiction française a été saisie le 25 mars 2008, soit 6 mois après le déplacement des enfants en France.

En application des dispositions de l'article 11 du Règlement européen du 27 novembre 2006 dit " Bruxelles II bis " et de l'article 12 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 de la Convention et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non retour au moment de l'introduction de la demande devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'État contractant où se trouve l'enfant, l'autorité saisie ordonne son retour immédiat.

L'autorité judiciaire n'a par conséquent pas à apprécier si le retour est ou non justifié, et doit l'ordonner dès lors qu'elle a retenu le caractère illicite du déplacement de l'enfant.

Toutefois, outre la possibilité de refuser le retour prévue par l'article 20 de la Convention pour des principes tenant à la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 13 prévoit des exceptions permettant à l'autorité judiciaire de ne pas ordonner le retour.

Une première exception, qui tient au non-exercice effectif du droit de garde par l'autre parent ou à son consentement ou son aquiescement au déplacement ne concerne pas la présente espèce, le père n'ayant à aucun moment manifesté son accord.

Une deuxième exception est constituée par la constatation que l'enfant s'oppose à son retour et qu'il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.
Elle rejoint les dispositions de l'article 11 alinéa 2 du Règlement n° 2201 / 2003 du Conseil de l'Union Européenne, dit « Bruxelles II bis » qui stipule que lors de l'application des articles 12 et 13 de la Convention de la Haye de 1980, il y a lieu de veiller à ce que l'enfant ait la possibilité d'être entendu au cours de la procédure, à moins que cela n'apparaisse inapproprié eu égard à son âge et à son degré de maturité.

En l'espèce, eu égard à l'âge et la maturité des enfants, âgés de 6 et 4 ans, et à leur absence de discernement, il n'y a pas lieu de procéder à leur audition.
L'expertise psychologique sollicitée par la mère n'est pas non plus justifiée, une telle mesure n'ayant éventuellement un intérêt que pour le magistrat qui sera amené à statuer sur le fond du droit de garde.

La troisième exception prévue par l'article 13 de la Convention est l'existence d'un « risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable ».

S'agissant d'une exception au principe clairement affirmé par l'article 12 du retour de l'enfant, le danger ou le caractère intolérable de la situation doivent être réels, et il ne suffit pas de constater la bonne adaptation de l'enfant à sa nouvelle vie.
Il convient en effet de ne pas oublier que la situation est avant tout la conséquence d'une voie de fait commise par le parent auteur du déplacement de l'enfant.

Mme X... affirme que son époux était un homme violent qui la battait régulièrement devant ses enfants.

Elle produit à l'appui de ses allégations un certain nombre d'attestations, et deux certificats médicaux établis les 13 septembre 2004 et 8 avril 2005, et ayant constaté, le premier des lésions, des hématomes et des marques rouges sur le visage, et le deuxième une ecchymose au bras gauche.

Mais aucun des témoins n'a assisté aux coups portés, et la plupart des attestations restent vagues quant à la date et aux circonstances exactes des faits relatés.

Il est simplement établi que M. Y... s'est énervé lorsqu'il s'est rendu en France chez son épouse pour voir ses enfants, mais les témoignages concernant ces faits ont trait à un épisode intervenu lors de la première séparation des époux et à des disputes du couple déjà anciennes.

Les certificats médicaux qui, en l'absence de plaintes concomitantes de l'épouse, ne permettent pas de connaître l'origine des lésions, ont par ailleurs été établis à une époque antérieure à la réconciliation des époux intervenue en 2006, et ne sauraient de ce fait être invoqués pour justifier les actes de la mère depuis septembre 2007.

Mme X... ne produit pas de documents émanant des services de police ou du parquet en Italie de nature à démontrer que des suites pénales auraient été données à des faits de violences ou de menaces.

Le 11 juin 2005, elle a déposé une plainte au commissariat de police de Grenoble pour des faits commis en Italie le 6 avril, et cette plainte a été classée sans suite par le Procureur de la République.

Le 21 octobre 2007 elle a porté plainte à la gendarmerie de Seyssinet-Pariset pour des faits qui se seraient produits le 21 novembre 2006, et qui constituaient de graves accusations contre son époux.
Elle affirmait en effet qu'à la suite de coups qu'il lui aurait portés, elle aurait avorté.
Outre le fait que l'on ne comprend pas pourquoi elle aurait attendu un mois et demi après son retour en France pour saisir les services de gendarmerie, l'attestation d'hospitalisation rédigée le 8 avril 2008 par le Dr B..., directeur de l'unité d'obstétrique de l'hôpital de Fidenza, permet d'écarter l'hypothèse d'une origine traumatique de l'avortement.

Ce médecin indique en effet que Mme X... a été hospitalisée le 23 novembre 2006 pour une « métrorrhagie à la suite d'avortement spontané à la 8e semaine de grossesse », que la documentation sanitaire ne fait pas état de lésions ou de traces de coups et blessures relevées sur la patiente, et que cette dernière n'a effectué aucune déclaration auprès du personnel soignant évoquant ce genre de faits.

Il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus exposés que non seulement la preuve n'est pas rapportée que le départ de Mme X... avec ses enfants aurait été consécutif à des violences réitérées commises sur elle par son époux, mais encore qu'elle a menti sur l'origine de son interruption de grossesse.

En tout état de cause, M. Y... n'a jamais exercé une quelconque violence contre ses enfants, et aucun des éléments du dossier ne permet de dire qu'ils auraient à un moment donné couru un quelconque danger physique ou psychique en sa présence.

Le fait que leur médecin traitant en France, le Dr C..., ait constaté qu'ils étaient très angoissés à leur arrivée et qu'ils vont désormais très bien peut s'expliquer parfaitement par leur départ précipité de leur lieu de vie en Italie et par le fait qu'ils se sont trouvés pris au milieu d'un conflit parental aigu, et ne démontre pas qu'ils auraient été malheureux du fait de la présence paternelle.

Le traumatisme invoqué par la mère en cas de départ des enfants en Italie n'est par ailleurs pas justifié.
Même s'ils se sont parfaitement adaptés en France, la preuve n'est pas rapportée que leurs conditions de vie en Italie auraient été contraires à leur bien-être et à leur intérêt.
La Cour doit apprécier si des circonstances précises contre-indiquent leur retour en Italie, mais n'a pas à se prononcer sur le meilleur intérêt des enfants concernant la résidence habituelle.

M. Y... s'est préoccupé de leur accueil en cas de retour en Italie :

- il est prévu que le contrat de travail en bonne et due forme soit conclu avec Melle Daniela D... en vue de la garde des enfants pendant les heures de travail du père,
- la belle-soeur de ce dernier, Mme Simona E..., est par ailleurs prête à les accueillir lorsque ni le père ni Mlle D... ne pourra les garder.

Ils ont par ailleurs eu, dans un passé récent, l'habitude de vivre à Salsomaggiore Terme, et de parler italien.

Même si le retour dans leur pays d'origine exigera d'eux des efforts de réadaptation, il n'existe pas pour autant un risque grave que ce retour n'expose les deux enfants à un danger psychique ou ne le place dans une situation intolérable.

En l'absence d'un tel risque, Mme X... est d'autant moins fondée à s'opposer à ce retour que le départ de Maxime et Florian Y... de leur résidence habituelle en Italie pour la France, et la coupure brutale et durable des relations avec leur père qui en est résultée, étaient contraires à leur intérêt et les a malgré eux mêlés au conflit parental.

En l'absence de l'un des éléments qui, en application de l'article 13 de la Convention de La Haye, serait de nature à justifier le non-retour en Italie de Florian et Maxime Y..., l'ordonnance du 2 mai 2008 sera confirmée en toutes ses dispositions.

Mme X..., qui succombe en ses demandes, supportera les dépens de première instance et d'appel.

Par Ces Motifs,

La Cour,

Statuant après débats en chambre du conseil, et par arrêt rendu contradictoirement hors la présence du public,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare l'appel recevable, mais non fondé ;

En conséquence,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 2 mai 2008 en la forme des référés par le juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de Grenoble ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à audition des deux enfants devant la Cour ;

Dit n'y avoir lieu à l'institution d'une mesure d'expertise psychologique.

Vu l'article 26 dernier alinéa de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, et l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme Francesca X... à payer à M. Gianmaria Y... une indemnité de 2. 000 € pour les frais non compris dans les dépens qu'il a engagés ;

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par Mme X....

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

Signé par Monsieur André ROGIER, Président, et par Madame Nadine LEICKNER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Numéro d'arrêt : 08/01604
Date de la décision : 04/06/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Grenoble


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-06-04;08.01604 ?
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