RG No 07/01119
No Minute :
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MERCREDI 16 JANVIER 2008
Appel d'une décision (No RG 06/00871)
rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE
en date du 15 mars 2007
suivant déclaration d'appel du 22 Mars 2007
APPELANT :
Monsieur Philippe X...
...
38220 VIZILLE
Représenté par Me Alfred DERRIDA (avocat au barreau de GRENOBLE)
INTIMEE :
La Société IEC AUDIO VIDEO prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
27-41 Boulevard Louis Michel
Zone Actiwest
92635 GENNEVILLIERS CEDEX
Représentée par Me Marie-Aimée PEYRON (avocat au barreau de PARIS) substituée par Me JOURNO (avocat au barreau de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller,
Madame Hélène COMBES, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 12 Décembre 2007,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 16 Janvier 2008.
L'arrêt a été rendu le 16 Janvier 2008.
Notifié le :
Grosse délivrée le :
RG No 07/1119 HC
EXPOSE DU LITIGE
Le 1er juillet 1999, Philippe X... a été embauché en qualité de chargé d'affaires par la société IEC qui commercialise des matériels audio-visuels.
Le 30 mars 2006, la société I.E.C. l'a convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.
L'entretien préalable a eu lieu le 6 avril 2006, le 10 avril la société I.E.C. lui a notifié une mise à pied conservatoire et le 12 avril 2006, elle l'a été licencié pour faute grave le motif étant d'avoir enfreint le règlement intérieur en utilisant les moyens de l'entreprise pour visiter des sites à caractère pornographique et d'avoir menti au cours de l'entretien préalable en accusant à tort un des prospects de l'entreprise puis en mettant en cause son propre fils.
Philippe X... a contesté son licenciement devant le conseil de Prud'hommes de Grenoble qui par jugement du 15 mars 2007 l'a débouté de toutes ses demandes.
Philippe X... a relevé appel le 22 mars 2007.
Il demande à la Cour de réformer le jugement et de condamner la société IEC à lui payer les sommes suivantes :
- 10.000 euros pour non déclaration à la CNIL
- 3.465,44 euros au titre de l'indemnité de préavis et 346,54 euros au titre des congés payés afférents
- 1.429,33 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement
- 36.754,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif
- 6.125,70 euros au titre du préjudice découlant des circonstances de la rupture
- 1.110,38 euros au titre de l'irrégularité de la procédure
- 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance
- 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Il expose que lorsqu'il a appris lors de l'entretien préalable qu'il lui était reproché de se connecter sur des sites pornographiques à partir de son ordinateur professionnel, il a perdu pied et a tenté de se justifier en mettant en cause un prospect puis son fils.
Sur le prétendu motif du licenciement, il fait essentiellement valoir que la liste des connexions et des sites consultés a été obtenue par le biais de modes de preuve illicites.
Il invoque l'obligation de loyauté qui impose à l'employeur de faire preuve d'une totale transparence vis à vis de ses salariés quant à l'utilisation des procédés de contrôle de l'usage d'Internet.
Il fait valoir qu'en l'espèce, la société IEC motive le licenciement en se fondant sur la violation d'une charte annexe du règlement intérieur qui ne lui est pas opposable :
1) pour n'avoir pas été soumise au comité d'entreprise,
2) pour n'avoir pas été portée à sa connaissance contre récépissé.
Il soutient subsidiairement qu'il n'a pas été en mesure de connaître précisément et préalablement les techniques de contrôle mises en place ainsi que les sanctions auquel il était exposé en cas de violation des normes édictées.
Il fait également valoir que les temps de connexion qui lui sont reprochés sont très minimes et que les connexions litigieuses ont été effectuées en dehors du temps de travail.
Il souligne que la société IEC a mis en place un véritable pistage de ses salariés et que la charte imprécise et générale porte une atteinte excessive et disproportionnée à leurs droits et libertés.
Il rappelle que selon la CNIL, le contrôle opéré par l'employeur ne doit pas porter sur une analyse individuelle des sites consultés ;
qu'en l'espèce, la société IEC a bien fait un contrôle nominatif et a instauré un mode de contrôle a posteriori des sites visités sans déclaration préalable à la CNIL.
Il conteste toute connexion sur des sites pédophiles ce qui rend l'argumentation du risque pénal de l'employeur totalement fantaisiste.
Il soutient que la société IEC ne parvient pas à établir en quoi la consultation sporadique de sites à caractère personnel en dehors du temps de travail et sans surcoût pour l'employeur serait constitutive d'une faute grave et invoque l'unicité des propos tenus pendant et après l'entretien préalable.
La société IEC conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, au rejet de toutes les demandes de Philippe X... et réclame 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle réplique que les fautes qui sont reprochées au salarié sont bien établies.
Elle rappelle que le 16 novembre 2005, elle lui a déjà infligé un avertissement en raison de l'utilisation démesurée de son téléphone portable professionnel à des fins personnelles et que sommé de s'expliquer, il a fini par reconnaître qu'il appelait un ami au Maroc.
Elle relève que le courrier d'avertissement précisait que le renouvellement d'un tel comportement conduirait l'employeur à envisager d'autres sanctions.
Elle expose encore que quelques mois plus tard, elle a constaté que Philippe X... utilisait le matériel informatique de l'entreprise pour consulter sur Internet des sites pornographiques;
que c'est dans ces conditions qu'il a été convoqué à un entretien préalable qui a eu lieu le 6 avril 2006 au cours duquel il a indiqué que ces consultations étaient le fait d'un prospect de l'agence à qui il laissait le libre accès à son ordinateur ;
que par courrier électronique du 7 avril 2006, il est revenu sur cette version des faits et a mis en cause son propre fils.
Elle réplique que chacun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement constitue à lui seul un motif de licenciement pour faute grave et fait valoir successivement :
- que l'utilisation à titre personnel du matériel de l'entreprise est encadrée par le règlement intérieur et la charte sur l'utilisation des moyens informatiques.
- que la charte prévoit expressément l'interdiction d'accéder, de consulter ou de télécharger des informations à partir de sites à caractère pédophile ou pornographique.
- que ces documents respectent parfaitement les dispositions de l'article L 120-2 du code du travail qui pose le principe de restrictions proportionnées et nécessaires des libertés du salarié par l'employeur, qu'ils ont été soumis à la consultation et à l'avis du comité d'entreprise et remis contre émargement à Philippe X....
- que l'utilisation de l'Internet à des fins non professionnelles doit s'entendre d'un usage raisonnable.
- qu'en l'espèce, l'utilisation à des fins personnelles du matériel de l'entreprise par un salarié préalablement sanctionné constitue une faute grave à fortiori en raison de la nature des sites consultés.
- que Philippe X... qui reconnaît lui-même s'être connecté à des sites pornographiques est de mauvaise foi lorsqu'il soutient qu'il n'a pas affiché d'informations obscènes sur son ordinateur.
- que selon la charte, l'employeur se réserve la possibilité de contrôler la bonne utilisation des moyens informatiques et que c'est en raison d'un usage démesuré du compte Internet de Philippe X... que celui-ci a été sélectionné pour un contrôle.
- que pour se disculper, Philippe X... a eu recours à des mensonges successifs en mettant en cause un prospect dont il n'a pas hésité à donner l'identité puis son fils avant de reconnaître qu'il était à l'origine des connexions litigieuses.
- que de tels mensonges constituent une faute grave et peuvent parfaitement être invoqués pour justifier le licenciement.
Elle précise que Philippe X... a retrouvé un emploi dès le 21 août 2006.
DISCUSSION
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;
Attendu que Philippe X... ne conteste pas qu'il s'est connecté sur des sites à caractère pornographique depuis l'ordinateur mis à sa disposition par son employeur et que lors de l'entretien préalable qui s'est déroulé le 6 avril 2005 il a nié son implication en mettant en cause une personne étrangère à l'entreprise dont il a donné le nom ;
Attendu que par courrier électronique du 7 avril 2006, Philippe X... est revenu sur la version qu'il avait donnée la veille à son employeur et a indiqué que l'auteur des connexions litigieuses était en réalité son propre fils ;
que dans un courrier du 21 avril 2006, il a finalement reconnu que pour se "déculpabiliser", il avait imaginé après l'entretien préalable que son fils soit l'auteur de ces connexions ;
Attendu que le règlement intérieur de l'entreprise prévoit en son article 7 que les locaux de l'entreprise sont réservés à un usage professionnel, et qu'il est interdit d'utiliser le matériel et les outils de l'entreprise à des fins personnelles ;
qu'il a été approuvé par le comité d'entreprise lors de sa réunion du 11 décembre 2001 ;
Attendu que la charte sur l'utilisation des moyens informatiques adoptée le même jour et également approuvée par le comité d'entreprise préconise que les utilisateurs bénéficiant d'un accès à l'Internet fassent preuve de jugement dans l'utilisation de cet accès et que les sites visités aient un rapport avec les activités du groupe et les fonctions de chaque utilisateur ;
que la charte prévoit que l'employeur se réserve la possibilité de consulter la liste des sites consultés et des durées de connexion en cas d'utilisation abusive et prévoit expressément l'interdiction d'accéder, de consulter et de télécharger des documents et informations à partir de sites à caractère pédophile ou pornographique, le non respect de cette règle étant passible de sanctions ;
Attendu qu'il résulte d'une liste d'émargement produite par la société I.E.C. qu'ainsi qu'il en avait été décidé le 11 décembre 2001, Philippe X... a eu communication du règlement intérieur et de la charte informatique dont les dispositions ne sont pas contraires à celles de l'article L 120-2 du code du travail ;
Attendu qu'en se connectant depuis son ordinateur professionnel sur des sites à caractère pornographique, Philippe X... savait parfaitement qu'il enfreignait les règles édictées dans l'entreprise pour l'utilisation des moyens informatiques, qu'il sortait des limites d'une utilisation raisonnable pour entrer dans le cadre d'une utilisation abusive et qu'il commettait ce faisant un manquement passible de sanction ;
que ce manquement justifiait à lui seul son licenciement, dès lors qu'un avertissement lui avait été infligé quelques mois plus tôt en raison d'une utilisation abusive de son téléphone portable ;
que peu importe à cet égard que les connexions aient été établies en dehors des heures de travail, ce qui s'explique au demeurant par la nature des sites consultés et par le souci de discrétion dont Philippe X... fait état dans sa lettre du 21 avril 2006 ;
Attendu qu'en l'état d'une utilisation pré-définie comme abusive des moyens informatiques de l'entreprise, la société I.E.C. n'a pas eu recours à un moyen de contrôle illicite, les salariés étant informés que l'employeur disposait d'un moyen de contrôle des sites consultés depuis les ordinateurs de l'entreprise ;
Attendu qu'il ressort de la chronologie des événements que l'employeur n'envisageait pas un licenciement pour faute grave au moment de la convocation à l'entretien préalable qui évoque uniquement une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement et n'est pas assortie d'une mise à pied conservatoire ;
Attendu que la mise à pied conservatoire a été prononcée le 10 avril 2006, après que Philippe X... ait reconnu qu'il avait impliqué à tort une tierce personne ;
Attendu qu'en mettant en cause et en donnant les noms de deux personnes totalement étrangères aux connexions litigieuses, dont l'une était en relation d'affaires avec l'entreprise pour étayer sa négation de faits qu'il savait répréhensibles au regard du règlement intérieur, Philippe X... a manifestement commis une faute grave incompatible avec son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis ;
Attendu que c'est à juste titre que le conseil de Prud'hommes a jugé que les agissements déloyaux de Philippe X... constituaient une faute grave et qu'il l'a débouté de ses demandes ;
que le jugement du 15 mars 2007 sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu qu'il sera alloué à la société I.E.C. la somme de 750 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 mars 2007 par le conseil de Prud'hommes de Grenoble.
- Y ajoutant, déboute Philippe X... de toutes ses demandes nouvelles en cause d'appel.
- Le condamne à payer à la société I.E.C. la somme de 750 euros au titre des frais irrépétibles.
- Le condamne aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Monsieur DELPEUCH, président, et par Madame VERDAN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.