RG N° 06/03933
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MERCREDI 19 DECEMBRE 2007
Appel d'une décision (N° RG 05/01110)
rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE
en date du 21 septembre 2006
suivant déclaration d'appel du 20 Octobre 2006
APPELANTE :
La S.A. SED prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
10 rue de l'Arcelle
ZAC des Plans
38600 FONTAINE
Représentée par Monsieur MATHIEU (Directeur Opérationnel) assisté par Me Yves BLOHORN (avocat au barreau de GRENOBLE)
INTIMEE :
Madame Laurence Y...
...
33000 BORDEAUX
Comparante et assistée par Me Céline MISSLIN (avocat au barreau de LYON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,
Madame Hélène COMBES, Conseiller,
Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 5 Décembre 2007,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 19 Décembre 2007.
L'arrêt a été rendu le 19 Décembre 2007.
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat à durée déterminée du 23 février 1998, Laurence Y... a été embauchée en qualité d'acheteur par la société Sport Europe Distribution (S.E.D.) qui a pour activité le référencement d'articles de sport pour le réseau Twinner "Les techniciens du sport".
Le 20 septembre 1999, un contrat à durée indéterminée a été signé entre les parties pour des fonctions de chargée d'animation.
Le 7 juin 2005, la société S.E.D. a notifié son licenciement économique à Laurence Y... qui l'a contesté devant le conseil de Prud'hommes de Grenoble.
Par jugement du 21 septembre 2006, le conseil de Prud'hommes a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société S.E.D. à payer à Laurence Y... la somme de 15.400 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de son obligation de reclassement et 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
La société S.E.D. a relevé appel le 20 octobre 2006.
Elle demande à la Cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner Laurence Y... à lui payer la somme de 2.700 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle expose que rencontrant d'importantes difficultés économiques, elle a notifié leur licenciement économique à 9 salariés dont 2 chargés d'animation le 7 juin 2005.
Elle fait successivement valoir :
- que la lettre de licenciement est suffisamment motivée.
- que les difficultés économiques sont établies : baisse d'activité et diminution du chiffre d'affaires en partie dues au départ de plusieurs adhérents, cessation des paiements de son principal actionnaire et factor, résultat déficitaire, difficultés de trésorerie.
- qu'il était indispensable de supprimer deux postes de chargés d'animation.
- qu'elle a respecté son obligation de reclassement en recherchant les possibilités de reclassement au sein du groupe qui connaissait lui-même de difficultés et que sa recherche est demeurée infructueuse.
Elle conteste avoir agi avec précipitation comme l'a retenu le conseil de Prud'hommes et soutient qu'elle a mené sa recherche entre le jour où le licenciement a été envisagé et le jour où il a été notifié.
Elle indique que les réponses négatives qu'elle a reçues des sociétés du groupe n'ont rien d'étonnant au regard du contexte de difficultés économiques qui concernaient tout le groupe.
Elle indique avoir également respecté les critères d'ordre des licenciements et rappelle qu'il existait au sein de l'entreprise treize catégories professionnelles dont les sept chargés d'animation, deux d'entre eux étant visés par le projet.
Elle précise quels ont été les critères retenus et justifie les points attribués à Laurence Y... au titre de ses qualités professionnelles : compétences techniques, polyvalence, capacité d'adaptation, autonomie, esprit d'initiative.
Laurence Y... conclut à la confirmation du jugement sur le principe de la méconnaissance de l'obligation de reclassement et à son infirmation pour le surplus.
Elle réclame 45.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement au paiement de la même somme en réparation du préjudice causé par la perte de son emploi.
Elle réclame 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle conteste en premier lieu la cause économique du licenciement et indique que l'entretien préalable n'a porté que sur ses difficultés relationnelles avec un collègue.
Elle fait valoir que les événements invoqués comme le départ de nombreux adhérents et la cessation des paiements du factor ne caractérisent pas des difficultés économiques structurelles mais constituent des problèmes conjoncturels.
Elle souligne que trois nouveaux animateurs ont d'ailleurs été embauchés trois mois avant son licenciement et que, trois mois après son licenciement, de nouveaux adhérents sont arrivés, de sorte que le chiffre d'affaires avait de nouveau augmenté.
Elle soutient en second lieu qu'aucune proposition de reclassement ne lui a été faite et qu'elle n'a pas bénéficié d'une recherche sérieuse et active de la part de son employeur.
Que c'est à bon droit que le conseil de Prud'hommes a relevé la précipitation avec laquelle la société S.E.D. a agi puisque les réponses à sa lettre circulaire impersonnelle ont pour certaines été envoyées après le licenciement.
Elle conteste en dernier lieu l'application des critères d'ordre et relève que la discussion a été orientée en première instance sur la qualité de son travail alors qu'il ressort qu'elle est la seule femme, la plus ancienne, la plus âgée, mère de famille, et que ses qualités professionnelles n'ont jamais été remises en cause.
DISCUSSION
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;
1 - Sur les difficultés économiques
Attendu que la lettre de licenciement qui est datée du 7 juin 2005 fait état de difficultés économiques se matérialisant par une baisse du chiffre d'affaires, invoque le dépôt de bilan de son factor et précise que le bilan arrêté au 31 décembre 2004 fait apparaître un résultat déficitaire de l'ordre de 980.000 euros, ce que confirme effectivement le compte de résultat de l'exercice ;
Attendu que trois mois après le licenciement, lors de l'assemblée générale du 12 septembre 2005, la société SED a fait état du redressement de sa situation en précisant que l'arrêté de sa situation comptable au 30 juin 2005, soit à mi-exercice, faisait ressortir un résultat net de + 341.000 euros ;
Que sur un document du 29 septembre 2005 intitulé "flash information", la société SED précise qu'il a été mis fin au mandat ad hoc en raison du redressement financier de l'entreprise ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que les difficultés économiques auxquelles la société SED a eu à faire face et qui étaient liées au dépôt de bilan de son factor n'ont été que passagères et qu'au mois de juin 2005 au cours duquel elle a licencié Laurence Y... sa situation financière était redressée ;
Attendu qu'en l'état de difficultés temporaires qui de surcroît étaient résolues au moment du licenciement, la société SED ne justifie pas d'un motif économique réel et sérieux ;
que le licenciement économique de Laurence Y... est manifestement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
2 - Sur le reclassement
Attendu que le projet de licenciement collectif a été présenté aux délégués du personnel lors de la réunion extraordinaire du 17 mai 2005 ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal de cette réunion que sur interrogation du délégué du personnel quant au mode de détermination des personnes licenciées, le directeur opérationnel a répondu que l'opération se déroulerait en trois phases : la détermination des postes à supprimer, la détermination des catégories professionnelles concernées et la détermination de l'ordre des licenciements ;
Attendu que dès le lendemain 18 mai 2005, Laurence Y... a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement fixé au 27 mai 2005, ce qui suppose un déroulement extrêmement rapide des trois phases définies la veille ;
Attendu qu'il résulte de l'article L. 321-1 alinéa 3 du code du travail que le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque le reclassement de l'intéressé est impossible ;
Attendu qu'il est de jurisprudence constante que l'obligation de reclassement pèse sur l'employeur et sur lui seul, que la recherche de reclassement doit être sérieuse, loyale et porter sur toutes les sociétés du groupe ;
Attendu que le premier paragraphe de la lettre de licenciement pour motif économique fait état de l'impossibilité de procéder au reclassement de Laurence Y... tant au sein de la société elle-même qu'au sein des entreprises du groupe qui sont énumérées : Twinner International, SED Expansion, Synergies Sport et Groupe SED ;
Attendu que la société SED, qui envisageait de licencier Laurence Y... au moins depuis le 18 mai, a attendu le 26 mai 2005, soit la veille de l'entretien préalable, pour adresser un courrier type aux différentes sociétés du groupe leur demandant communication des postes à pourvoir dans ces sociétés ;
Attendu que la société SED n'a pas attendu leurs réponses puisque certains courriers lui sont parvenus après le licenciement de Laurence Y... ;
Attendu que le conseil de Prud'hommes a justement retenu au vu de ces éléments que la société SED avait agi avec précipitation ;
Qu'il sera ajouté qu'elle n'a nullement effectué une recherche sérieuse et loyale de reclassement et qu'elle a procédé à un semblant de consultation pour la forme, étant observé :
- que le licenciement de Laurence Y... était décidé dès l'origine,
- que les réponses des sociétés SED Expansion, Twinner Groupe SED et Twinner International sont signées de la même main, deux n'étant pas datées, une étant datée du 2 juillet 2005,
- que la société SED ne justifie par aucune pièce que ces sociétés n'emploient pas de salariés.
Attendu que la société SED a manifestement manqué à son obligation de reclassement, ce qui prive de plus fort le licenciement de cause réelle et sérieuse.
3 - Sur les critères d'ordre
Attendu qu'il n'est pas inutile d'examiner à titre surabondant les conditions dans lesquelles la société SED a mis en oeuvre les critères d'ordre des licenciements ;
Qu'il sera tout d'abord observé qu'elle a donné une importance prépondérante aux critères subjectifs par rapports aux critères objectifs ;
Qu'ainsi le maximum des points qu'un salarié peut obtenir au titre de son ancienneté dans l'entreprise, de son âge, de ses charges de famille et des caractéristiques sociales s'élève à 10, tandis que le maximum des points qu'il peut obtenir au titre de ses qualités professionnelles s'élève à 21 ;
Attendu que s'il n'est pas interdit à l'employeur de privilégier les qualités professionnelles, il n'en demeure pas moins que la mise en oeuvre de critères d'ordre est destinée à protéger les salariés contre l'arbitraire ;
Attendu qu'en l'espèce l'échelle des points retenue par la société SED aboutit à ce que l'employeur puisse tout simplement choisir les salariés qu'il entend conserver au travers de l'évaluation des seules qualités professionnelles ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que Laurence Y..., qui était la plus ancienne des chargés d'animation, qui est à l'origine de la création du service d'animation, qui a mis au point les procédures et qui a ouvert 26 magasins, a obtenu la plus mauvaise note au titre de ses qualités professionnelles ;
Qu'elle a donc été licenciée alors que des salariés plus jeunes, ayant moins d'ancienneté et pas de charges de famille ont été conservés (Thierry A..., Rémi B..., David C...) ;
Attendu que dans ses conclusions la société SED, qui tente de justifier les points qu'elle a attribués à Laurence Y..., développe une argumentation contraire à ses propres évaluations annuelles dans lesquelles elle relève sa maîtrise des outils et des services et sa présence auprès des adhérents ;
Que les nombreuses attestations produites par Laurence Y... et émanant tant des personnes qui ont travaillé avec elle au sein du groupe que d'adhérents, mettent en évidence son professionnalisme, sa polyvalence, sa rigueur, son intégrité et ses qualités relationnelles (Christiane D..., Cathy E..., Céline F..., Françoise G..., Brigitte H..., Frédérique I...) ;
Attendu que la mauvaise foi de l'employeur dans la définition des critères et leur mise en oeuvre est établie ;
Qu'en attribuant à sa salariée 6 points sur 21 au titre de ses qualités professionnelles, la société SED ne lui a laissé aucune chance de conserver son emploi ;
Attendu que le préjudice lié à la perte de son emploi dans les circonstances ci-dessus décrites a causé à Laurence Y..., eu égard à son ancienneté et à son investissement, un préjudice qui sera réparé par la somme de 38.000 euros à titre de dommages-intérêts;
Attendu qu'il y a lieu en application de l'article L. 122-14-4 du code du travail d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par Laurence Y... ;
Qu'au vu des circonstances de la cause, le remboursement sera ordonné dans la limite de six mois ;
Attendu qu'il sera alloué à Laurence Y... la somme de 1.800 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Confirme le jugement rendu le 21 septembre 2006 par le conseil de Prud'hommes de Grenoble sauf en ses dispositions relatives au quantum des dommages-intérêts.
- Statuant à nouveau, condamne la société SED à payer à Laurence Y... la somme de 38.000 euros à titre de dommages-intérêts.
- Y ajoutant, ordonne en application de l'article L. 122-14-4 du code du travail le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par Laurence Y... dans la limite de six mois.
- Dit qu'à cette fin, une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée a l'UNEDIC, 80, rue de Reuilly 75012 PARIS.
- Condamne la société SED à payer à Laurence Y... la somme de 1.800 euros au titre des frais irrépétibles.
- Condamne la société SED aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Monsieur DELPEUCH, président, et par Madame VERDAN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.