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15/07/2024 | FRANCE | N°22/00548

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 15 juillet 2024, 22/00548


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE











ARRÊT DU 15 JUILLET 2024



N° RG 22/00548 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G6O3



S.A.R.L. [X] EXPANSION [Localité 5]

C/ [V] [C]





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 14 Février 2022, RG F 21/00056



Appelante



S.A.R.L. [X] EXPANSION [Localité 5], demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Jean-marie LAMOTTE de la SELARL LAMOTTE & AV

OCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS



Intimé



M. [V] [C]

né le 16 Novembre 1990 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Emilie BURNIER FRAMBORET de l'A...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 15 JUILLET 2024

N° RG 22/00548 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G6O3

S.A.R.L. [X] EXPANSION [Localité 5]

C/ [V] [C]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 14 Février 2022, RG F 21/00056

Appelante

S.A.R.L. [X] EXPANSION [Localité 5], demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Jean-marie LAMOTTE de la SELARL LAMOTTE & AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimé

M. [V] [C]

né le 16 Novembre 1990 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Emilie BURNIER FRAMBORET de l'ASSOCIATION CABINET RIBES ET ASSOCIES, avocat au barreau de BONNEVILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 6 juillet 2023 par Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Isabelle CHUILON, conseillère, assisté de Madame Sophie MESSA, greffier, à l'appel des causes, dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré.

Et lors du délibéré par :

Monsieur Cyril GUYAT, Président,

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

********

Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties

M. [V] [C] a été embauché par la Sarl [X] Expansion [Localité 5], exploitant sous couvert d'un contrat de franchise le magasin de l'enseigne Darty de [Localité 5], en qualité de vendeur, niveau 1, échelon 3, suivant un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 26 août 2015.

Selon un avenant n°1 en date du 31 juillet 2018, M. [V] [C] a été affecté à compter du 1er août 2018 au poste de conseiller de vente leader, niveau 1, échelon 3.

Par avenant n°2 en date du 30 avril 2019, M. [V] [C] a été nommé au poste de responsable des ventes, niveau IV- échelon 1 à compter du 1er mai 2019, moyennant une rémunération mensuelle brute fixée comme suit : une partie fixe de 1.799,95 € et une partie variable liée à la performance au cours du mois et non plafonnée, pour un horaire mensuel moyen de 151,67 heures.

A compter du 7 octobre 2019, le salarié a été placé en arrêt de travail.

Le 29 octobre 2019, M. [C] était vu par le médecin du travail.

Lors d'une seconde visite, le 8 novembre 2019, il était déclaré 'inapte à tout poste' par le médecin du travail.

En date du 14 novembre 2019, un second avis d'inaptitude était émis par le médecin du travail en ces termes : 'inapte définitif au poste'.

La Sarl [X] Expansion [Localité 5] a saisi le Conseil de prud'hommes de Bonneville, en la forme des référés, pour contester ces avis d'inaptitude et solliciter une expertise médicale.

Suivant une ordonnance en la forme des référés rendue le 18 décembre 2019, le Conseil de prud'hommes de Bonneville, considérant que M. [C] apportait la preuve de la nature médicale des avis d'inaptitude définitive à tout poste le concernant, a débouté la Sarl [X] Expansion [Localité 5] de sa demande d'expertise médicale, laquelle était, par ailleurs, condamnée à remettre au salarié ses bulletins de paie des mois de septembre et octobre 2019, ainsi que le règlement afférent pour le mois d'octobre 2019, sous astreinte de 30 € pour l'ensemble et par jour de retard, à compter du 8 ème jour suivant la notification de la décision.

Il en a été relevé appel par la Sarl [X] Expansion [Localité 5] par déclaration en date du 30 décembre 2019, laquelle s'en est finalement désistée (cf arrêt du 22 septembre 2020 de la chambre sociale de la Cour d'Appel de Chambéry).

Par lettre recommandée avec avis d'accusé de réception du 2 avril 2020, M. [V] [C] était convoqué à un entretien préalable à licenciement, la Sarl [X] Expansion [Localité 5] lui demandant de lui faire parvenir ses observations par écrit.

Par courriel, doublé d'un courrier recommandé, en date du 9 avril 2020, M. [C] adressait ses observations écrites à la Sarl [X] Expansion [Localité 5] et sollicitait que son inaptitude soit considérée comme d'origine professionnelle.

Par LRAR du 14 avril 2020, la Sarl [X] Expansion [Localité 5] a notifié à M. [V] [C] son licenciement pour inaptitude médicale constatée par le médecin du travail et impossibilité de reclassement.

Par requête parvenue au greffe le 6 avril 2021, M. [V] [C] a saisi le Conseil de prud'hommes de Bonneville aux fins de voir reconnaître l'origine professionnelle de son inaptitude et qu'il a été victime de harcèlement moral de la part des dirigeants de la société [X] Expansion [Localité 5], sollicitant la condamnation de celle-ci à des dommages-intérêts, ainsi qu'au paiement d'une indemnité spéciale de licenciement et d'une indemnité compensatrice égale à l'indemnité de préavis.

Par ailleurs, M. [V] [C] a saisi le juge de l'exécution par exploit en date du 28 mai 2021 afin de solliciter la liquidation de l'astreinte ordonnée par décision du 18 décembre 2019.

Par jugement en date du 16 novembre 2021, le juge de l'exécution du Tribunal judiciaire de Bonneville a liquidé cette astreinte et condamné la Sarl [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [C] [V] la somme de 4.128 €. Il en a été relevé appel le 7 décembre 2021 par la Sarl [X] Expansion [Localité 5], laquelle s'en est finalement désistée (cf ordonnance du 8 février 2022 du président de la 2ème chambre de la Cour d'appel de Chambéry).

Par jugement en date du 14 février 2022, le Conseil de prud'hommes de Bonneville a:

- Dit que l'inaptitude de M. [V] [C] déclarée par le médecin du travail est d'origine professionnelle ;

- Dit que M. [V] [C] a été victime de harcèlement de la part de son employeur ;

- Condamné la société [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] les sommes suivantes :

* 3.940,17 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

* 6.530 € au titre de l'indemnité compensatrice égale à l'indemnité de préavis ;

* 18.000 € au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, soit 6 mois de salaire ;

* 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté la société [X] Expansion [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné la société [X] Expansion [Localité 5] aux dépens;

- Dit que l'exécution provisoire est de droit sur les salaires et accessoires.

La Sarl [X] Expansion [Localité 5] a interjeté appel à l'encontre de cette décision par déclaration enregistrée le 1er avril 2022 au réseau privé virtuel des avocats. M. [V] [C] a formé appel incident par conclusions du 29 août 2022.

*

Par conclusions récapitulatives notifiées le 5 janvier 2023, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la Sarl [X] Expansion [Localité 5] demande à la Cour de :

- Réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- Débouter M. [V] [C] de sa demande au titre du harcèlement moral ;

- Débouter M. [V] [C] de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie ;

- Dire et juger que son licenciement prononcé pour inaptitude constatée par le médecin du travail repose sur une cause réelle et sérieuse ;

- Débouter M. [V] [C] de toutes demandes, fins et conclusions ;

- A titre subsidiaire, toujours en réformation du jugement entrepris, débouter M. [V] [C] de sa demande en paiement de son indemnité spéciale de licenciement ;

- Débouter M. [V] [C] de sa demande à titre d'indemnité compensatrice égale à son indemnité de préavis ;

-Débouter M. [V] [C] de son appel incident au titre des dommages et intérêts réclamés pour harcèlement moral ;

- Condamner M.[V] [C] à payer à la Sarl [X] Expansion [Localité 5] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société [X] Expansion [Localité 5] soutient en substance que:

Le déroulement du contrat de travail de M. [C] [V] ne révèle pas de difficultés particulières, en témoigne sa progression professionnelle.

Durant toute la période contractuelle, le salarié ne s'est jamais plaint d'un quelconque harcèlement, aussi bien auprès de son employeur que du médecin du travail ou de l'inspection du travail.

Un turn-over excessif ne peut pas constituer un agissement de harcèlement moral, d'autant plus que le salarié n'établit pas ce fait.

M. [C] se contente d'évoquer des considérations générales en procédant à des affirmations péremptoires.

Les attestations qu'il produit ne sont pas circonstanciées et ne se réfèrent à aucun fait précis et daté. Elles ne font pas état des reproches ou propos dénigrants qui auraient été tenus par l'employeur. De plus, elles s'inscrivent dans un schéma de représailles et d'entraide car elles ont été établies par des salariés qui, tous, ont été ou sont en litige avec les sociétés du groupe [X]. De plus, elles se limitent à mentionner un climat de pression ressenti par ces différents employés. Par conséquent, elles ne démontrent pas l'existence d'un harcèlement moral.

Des faits de harcèlement moral ne peuvent pas être confondus avec l'exercice, fut-il autoritaire, du pouvoir général d'organisation du chef dans l'entreprise. Toute activité professionnelle peut être à l'origine de contraintes, difficultés relationnelles ou de stress, sans qu'ils ne soient ipso facto rattachés à des situations de harcèlement moral.

Les arrêts-maladie du salarié ont tous évolué en régime maladie simple et sont muets de toute indication d'une quelconque pathologie, trouble dépressif, anxieté ou souffrance au travail.

Les certificats médicaux produits, notamment ceux émanant du médecin traitant et du médecin psychiatre de M. [V] [C], ne peuvent pas constituer la preuve de faits de harcèlement moral à défaut, pour ces professionnels, d'avoir assisté personnellement et directement aux faits dénoncés par le salarié et de les avoir constatés. En outre, ils sont centrés essentiellement sur son inaptitude et non sur l'exécution de son contrat de travail.

La teneur du courrier rédigé par le médecin du travail est pour le moins surprenante, d'autant plus qu'il n'est jamais venu dans les locaux de la société et n'a jamais rencontré ses représentants légaux. On ne sait pas à qui il est destiné. Cet écrit constitue un véritable réquisitoire qui ne repose sur aucun élément objectif et atteste de l'hostilité affichée du Docteur [Z] à l'encontre des dirigeants de la société [X] Expansion [Localité 5].

Aucune étude de poste et des conditions de travail du salarié n'a été effectuée sur place par le médecin du travail avant que l'inaptitude de M. [C] ne soit prononcée.

Le Conseil de prud'hommes n'est pas juridiquement compétent pour dire et juger que l'inaptitude prononcée par le médecin du travail a une origine professionnelle, cette constatation ressortant exclusivement du droit de la sécurité sociale.

Le salarié n'a entrepris aucune démarche aux fins de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, notamment auprès de la CPAM.

Elle n'a jamais été informée de la volonté du salarié de faire reconnaître sa maladie en régime maladie professionnelle avant son licenciement.

Le licenciement de M. [C] n'ayant pas été prononcé en régime inaptitude professionnelle mais en régime maladie simple, le salarié ne saurait prétendre à une indemnité spéciale de licenciement, pas plus qu'à une indemnité compensatrice de préavis, sachant qu'il n'a pas pu exécuter son préavis.

Le salarié ne réclame pas, dans le cadre de la présente instance, des dommages-intérêts pour licenciement nul.

M. [C] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice. Il ne peut, dès lors, prétendre à des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

*

Par conclusions notifiées le 29 août 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [V] [C] demande à la Cour de:

- Confirmer le jugement du 14 février 2022 en ce qu'il a :

- Jugé que l'inaptitude de M. [V] [C] a une origine professionnelle ;

- Jugé que M. [V] [C] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur ;

- Condamné la Sarl [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] les sommes suivantes :

* 3.949,97 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

* 6.530 € au titre de l'indemnité compensatrice égale à l'indemnité de préavis ;

* 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Réformer le jugement du 14 février 2022 en ce qu'il a condamné la Sarl [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] la somme de 18.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Statuant à nouveau,

- Condamner la Sarl [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] les sommes de:

* 40.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

M. [V] [C] fait valoir que :

Contrairement à ce que soutient la Sarl [X] Expansion [Localité 5], la constatation de l'origine professionnelle de l'inaptitude ne relève pas exclusivement du droit de la sécurité sociale et ne dépend pas d'une déclaration de maladie professionnelle et d'une confirmation de prise en charge, à ce titre, par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie.

Bien que les avis d'arrêt de travail ne fassent pas mention d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle reconnue par la CPAM, le salarié reste légitime à invoquer, dans ses rapports avec son employeur, l'origine professionnelle de sa maladie.

La protection prévue par l'article L.1226-14 du code du travail joue dès lors que l'inaptitude du salarié a, au moins partiellement, pour origine un accident ou une maladie professionnelle et que l'employeur en avait connaissance au moment du licenciement.

C'est le harcèlement moral, dont il a été victime, qui est à l'origine de sa maladie. Son employeur ne pouvait en ignorer l'existence, comme étant, précisément, l'auteur de celui-ci, et dans la mesure où il lui avait écrit, en ce sens, antérieurement au licenciement.

Il a, d'abord, été témoin d'une pression et d'un turn-over excessifs durant les trois années où il a occupé le poste de vendeur, avant d'être promu responsable des ventes et de devenir victime des pratiques managériales des cogérants.

Il a subi des pressions, des remarques désobligeantes, des intimidations et des propos humiliants, ce qui a dégradé ses conditions de travail et altéré sa santé physique et mentale.

Son employeur étant l'auteur du harcèlement moral, il était dans l'impossibilité absolue de s'en plaindre auprès de lui.

Le médecin traitant, le médecin psychiatre et le médecin du travail ont tous posé le même diagnostic : un syndrome d'épuisement au travail avec troubles anxiodépressifs graves, caractérisés notamment par des insomnies, une perte d'estime de soi, des ruminations, une grande anxiété et une décompensation psychique.

Si le Docteur [S] [Z] a été amenée à déclarer en inaptitude définitive 4 salariés de la Sarl [X] Expansion [Localité 5] courant 2019, c'est bien la preuve que les pratiques managériales de l'entreprise sont constitutives de harcèlement moral. Contrairement à ce que soutient l'employeur, le médecin du travail s'est rendu dans les locaux de la société à plusieurs reprises, mais aucun des deux dirigeants n'était là pour le recevoir.

La preuve du harcèlement moral peut être rapportée par le salarié par tout moyen. Les éléments médicaux qu'il produit sont parfaitement recevables.

L'ensemble des éléments médicaux et des témoignages fournis confirment l'existence d'un harcèlement et l'origine professionnelle de son inaptitude.

L'employeur ne rapporte pas la preuve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs de harcèlement et que son attitude était justifiée par des éléments objectifs.

La société avait une connaissance certaine de l'origine professionnelle de son inaptitude. Pour autant, il n'a pas bénéficié de l'indemnité spéciale de licenciement, ni de l'indemnité compensatrice égale à l'indemnité de préavis.

Les faits de harcèlement qu'il a subis lui ont causé un grave préjudice moral, outre la dégradation importante de son état de santé. Ils ont été à l'origine d'un syndrome d'épuisement au travail ayant entraîné une inaptitude et la perte de son emploi.

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 5 mai 2023.

L'audience de plaidoiries a été fixée au 6 juillet 2023.

L'affaire a été mise en délibéré au 28 septembre 2023, prorogé au 15 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la Cour observe que le salarié se contente de solliciter des dommages-intérêts pour harcèlement moral, sans en tirer de conséquences sur la validité du licenciement dont il a fait l'objet, puisqu'aucune requalification en licenciement nul (pour harcèlement moral) ou en licenciement sans cause réelle et sérieuse (pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité) n'est demandée. M. [C] [V], considérant, en revanche, que son inaptitude serait d'origine professionnelle du fait du harcèlement moral dont il se prétend victime, il revendique le droit à une indemnité spéciale de licenciement et à une indemnité compensatrice égale à l'indemnité de préavis.

D'autre part, la Cour relève que la Sarl [X] Expansion [Localité 5] ne saurait valablement lui demander de juger que le licenciement de M. [C], prononcé pour inaptitude constatée par le médecin du travail, repose sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'elle n'est pas saisie de cette question, le salarié, comme indiqué précédemment, ne contestant pas son licenciement.

I. Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail : 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'

En application de l'article L.1154-1 du code du travail, en cas de litige, il appartient, d'abord, au salarié de présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, l'employeur devant, ensuite, prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'intégralité des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits, à condition qu'ils soient matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (Cass. Soc., 8 juin 2016, n°14-13418).

Les règles de preuve, plus favorables au salarié, ne dispensent pas celui-ci d'établir la matérialité des éléments de faits, précis et concordants, qu'il présente au soutien de l'allégation selon laquelle il subirait un harcèlement moral au travail (Cons. const. déc. n° 2001-455 DC).

' Sur les éléments de faits présentés par le salarié laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral

La charge de la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié (Cass. Soc., 15 novembre 2011, n°10-30463).

Mais le salarié, demandeur à l'action, a la charge d'alléguer des faits de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement.

Les faits allégués doivent être matériellement établis par le demandeur et les juges doivent déterminer, fait par fait, s'ils le sont, ou non. Cette appréciation de la matérialité des faits par les juges du fond est souveraine.

Le juge doit examiner tous les faits invoqués par le salarié (Cass. Soc., 12 juillet 2022, n°20-23367), mais il n'est pas tenu de discuter chaque élément de preuve produit par le salarié, pour démontrer la réalité du fait invoqué (Cass. Soc., 17 octobre 2018, n°17-19.448).

Les éléments médicaux ne constituent pas des « faits matériellement établis » (Cass. Soc., 26 février 2020, n°18-17.804, n°19-10.172), mais doivent nécessairement être examinés pour déterminer si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble (en ce compris les éléments médicaux) laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral (Cass. Soc., 20 décembre 2023, n° 22-17.275).

Il s'agit d'une appréciation souveraine des juges du fond qui décident si les faits matériellement établis laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral ou non (Cass. Soc., 18 janvier 2023, n° 21-22.141 ; Cass. Soc., 16 mars 2022, n° 20-20.520).

En l'espèce, M. [C] [V] évoque plusieurs éléments et événements comme étant constitutifs, d'après lui, de faits de harcèlement moral, à savoir:

'Le fait que M. [A] [X] lui ait indiqué que le remboursement au client de la vente d'une coque de téléphone inadaptée serait déduit de son salaire; Or, ce fait n'est pas matériellement établi, aucune pièce produite par le salarié n'y faisant allusion;

'Le fait pour M. [A] [X] d'exiger, le 1er mars 2019 à 12h30, qu'il rédige une attestation à l'encontre du directeur de l'époque, M.[T] [U], sous peine de ne pas pouvoir prendre sa pause déjeuner; La Cour estime que ce fait est matériellement établi par l'attestation de M. [R] (cf infra);

'Le fait que M. [A] [X] se soit opposé, le 13 mars 2019, à ce qu'il quitte son travail à 18h30 au lieu de 19h00, alors qu'il était victime d'une très forte rage de dents et qu'il avait obtenu un rendez-vous en urgence chez son dentiste, son employeur l'ayant traité de fou, devant témoin, lorsqu'il a sollicité l'autorisation de partir une demi-heure plus tôt; Or, ce fait n'est pas matériellement établi, aucune pièce produite par le salarié n'y faisant référence;

'Le fait que son employeur ait fait obstacle à l'octroi d'un jour de congé pour assister à une sépulture le 21 mars 2019, ce dernier lui disant, à cette occasion, qu'il le prenait en otage; La Cour considère que ce fait est matériellement établi par l'attestation de M. [R] (cf infra);

'Un turn-over très important, indicateur d'une gestion et de pratiques managériales problématiques; La Cour juge que ce fait est matériellement établi par les attestations de Messieurs [R], [K] et [B], ainsi que par un article de presse et les lettres de licenciement pour inaptitude concernant d'autres salariés versés à la procédure (cf infra);

'Une charge et des horaires de travail excessifs, consécutifs, notamment, au turn-over très important précédemment évoqué, lequel l'obligeait à former les directeurs et autres membres de l'équipe qui n'avaient de cesse de se succéder; La Cour remarque que ce fait est matériellement établi par l'attestation de M. [R] (cf infra);

'Le fait qu'il était soumis à une forte pression, M. [A] [X] l'appelant plusieurs fois par jour pour connaître le chiffre d'affaires réalisé et lui demander d'en faire toujours plus, en formant, sans cesse, des reproches et réprimandes à son encontre; La Cour estime que ce fait est matériellement établi par les attestations de Messieurs [W], [R], [K], et [B] (cf infra);

'L'existence de remarques désobligeantes, d'intimidations, d'insultes et de propos humiliants/dégradants émanant de l'employeur; Or, ce fait n'est pas matériellement établi, les pièces produites par le salarié n'y faisant pas clairement référence en des termes précis et circonstanciés.

Pour justifier de la réalité de ses dires, M. [C] verse aux débats les pièces suivantes:

- une attestation de M. [E] [W], employé de la société [X] management (holding de la société [X] Expansion [Localité 5]), directeur multi-sites du 10 avril 2018 au 11 décembre 2018, date de son licenciement faisant suite à un 'arrêt maladie pour dépression liée à un burnout professionnel', lequel relate: '(...) En progrès constant, tant en savoir-faire qu'en savoir-être, M. [C] était devenu une référence dans l'équipe. Cependant, M.[X] n'avait de cesse d'émettre des critiques constantes, de remettre en cause ce qui pouvait être fait, sans tenir compte du contexte journalier (fréquentation, réception marchandises...), en appelant régulièrement les collaborateurs (et l'encadrement à qui il demandait souvent d'aller « en coller une » aux équipes) pour, selon ses dires «mettre une pression positive ». Ses propos visaient le chiffre d'affaires, le taux de concrétisation (ratio entre nombre de ventes et nombre d'entrées en magasin), le taux d'attachement en assurances et extensions de garantie etc...Ayant 20 ans de service au sein du groupe Darty avant de rejoindre [X] Management, j'atteste que le comportement et les propos de M. [X] envers ses collaborateurs (et même parfois sa propre femme) étaient anormaux, exagérés, destructeurs psychologiquement (plusieurs collègues et moi-même en avons fait les frais) et épuisants sur le long terme. M. [C] n'a pas échappé à cette pression et a malheureusement été arrêté lui aussi pour dépression';

- une attestation de M.[G] [R], embauché le 6 novembre 2017 par la société [X] Expansion [Localité 5] en tant que vendeur, puis responsable logistique, licencié le 15 avril 2020 'suite à une longue période en arrêt maladie pour dépression et burnout', lequel expose: " Deux ans de la progression à l'enfer. J'ai rencontré M. [C] dès mon premier jour de travail (...) Même si les premiers mois étaient intéressants, un cercle vicieux orchestré par M. et Mme [X] s'est installé. Des objectifs de vente incroyablement hauts (notre gagne-pain), des volumes horaires grandissant, des plannings qui changeaient tout le temps. D'ailleurs le 21 mars 2019 alors que M. [C] avait demandé deux jours pour se rendre à une sépulture M. [X] a hurlé en disant : 'vous êtes fou, c'est inconcevable, vous mettez l'entreprise en danger!' (...) Puis la manipulation est entrée en jeu, M. [C] a été obligé de réaliser des témoignages contre des anciens collègues comme M. [U], M. [W] ou M. [L]. Puis avec M.[C] nous avons subi un turnover incroyable au sein de la société avec plus de 100 collaborateurs qui sont passés. Nous avons eu 6 directeurs différents que nous devions former. L'année 2019 aura été celle de trop. Nous devions tenir le magasin de [Localité 5] à deux, souvent sans directeurs et en sous-effectif systématiquement. M.[C] faisait journée continue, déchargeant le camion de marchandises, devant vendre, former, gérer les problèmes clients et SAV. Un esclavage moderne qui l'a conduit au burnout. Pendant les 2 années que j'ai passées, j'aurais vu M. [X] dégrader ses employés, hurler sur les salariés avec des phrases comme : 'je vais lui en coller une', 'Mets le en pression', 'si ça va pas tu nous le dis et on le dégage'.

Il criait tout le temps afin de nous mettre sous une pression insoutenable. Il harcelait M. [C] par téléphone plusieurs fois par jour, il trouvait toujours quelque chose à redire. Mauvais chiffre (CA), mauvaise marge, mauvais produit vendu... Il nous espionnait avec les caméras du magasin, si on avait le malheur de se « reposer » 5 minutes on avait un coup de téléphone';

-une attestation de M. [D] [K], responsable des achats pour la holding [X] Management, qui rapporte les faits suivants: ' (...) je confirme que M.[V] [C] subissait de très fortes pressions et comme presque tous les employés des 3 magasins, recevait quotidiennement de multiples réprimandes que ce soit par téléphone ou de vive voix (...) il m'est arrivé de recevoir par M.[X] l'ordre de mettre moi aussi la pression à M. [C] et aux équipes des magasins afin, pensait M. [X], d'obtenir toujours plus de leur part (...) Tout était prétexte à réprimandes, critiques et pressions, voire même chantage (chantage aux vacances, chantage aux parties variables des salaires') au point qu'à plusieurs reprises M. [C] s'est ouvert à moi quant à son mal-être et sa souffrance au travail. Je tiens à préciser que de très nombreux employés sont passés par ce chemin et beaucoup ne sont restés que quelques jours ou semaines dans les établissements [X]. (...) j'ai bien vu que la situation devenait intenable pour lui et n'ai pas été surpris quand, après de très nombreux autres employés, il est tombé malade (...) j'ai reçu des informations au travers du prisme [X] qui m'ont permis toutefois de comprendre la situation psychique de M. [C]. Il avait visiblement craqué et je ne doute pas que ce soit directement lié à ce qu'il subissait au travail.

Durant la période que j'ai passée à travailler pour les entreprises de M.et Mme [X], ce type de situation est devenu tellement fréquent que je ne me suis même pas étonné de l'issue de cette histoire. De nombreux cas similaires s'étaient présentés avant et se sont présentés après que M. [C] soit tombé malade';

-une attestation de M. [M] [B], employé de la société [X] Management en qualité de directeur de magasin, puis responsable commercial, jusqu'en juillet 2019, lequel affirme: '(...) avoir reçu de la part de M. [X] un comportement managérial très excessif ce qui m'a conduit à une grande dépression qui m'a engendré une inaptitude professionnelle. Lors de ma période de travail au sein du magasin Darty [Localité 5], j'ai eu le plaisir de travailler avec M. [C] [V] qui faisait de l'excellent travail. Malgré cela M. [X] exerçait une pression importante sur la personne de M. [C]. D'après les dires de M. [X], il appelait cela une pression "positive" en ce qui me concerne cela s'appelle une pression destructrice. L'état de santé de M.[C] ne me surprend en aucun cas, puisque j'ai moi-même vécu ce même calvaire'. Par ailleurs, M.[B] précise que la 'pression excessive' dont ils faisaient l'objet avec M. [C], qui était à l'époque son collaborateur, se traduisait de la part de M. [X] [A] par 'des coups de téléphone à répétition pendant la journée de travail et hors du temps de travail', et il confirme l'existence d'un turnover très important pendant sa période d'activité.

La Sarl [X] Expansion [Localité 5] fait valoir et justifie, à travers, notamment, la transmission de conclusions, que les attestations sus-visées émanent d'anciens salariés de sociétés de son groupe, avec lesquels celles-ci sont, ou ont été, en litige, ce qui n'est, d'ailleurs, pas contesté par M. [C].

Or, le fait que ces anciens salariés, rédacteurs des attestations produites par M.[C], aient engagé des procédures judiciaires à l'encontre des sociétés du groupe [X], ne suffit pas, à lui seul, pour priver leurs témoignages de force probante, dès lors qu'ils font référence à des faits précis, auxquels ils ont personnellement et directement assisté, en des termes neutres et objectifs.

-l'avis d'inaptitude à tout poste en date du 27 juin 2019, ainsi que la lettre de licenciement du 16 juillet 2019 que M. [B] [M] a accepté de lui remettre;

-l'avis d'arrêt de travail initial en date du 28 février 2019 pour 'asthénie et stress' ainsi que l'avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise en date du 19 mars 2019 et la lettre de licenciement du 15 avril 2019 que M. [T] [U] lui a communiqués;

-un article de presse du 18 octobre 2015 relatif à un mouvement initié par des anciens employés du Darty de [Localité 5], accompagnés de plusieurs militants de la CGT, distribuant des tracts et faisant signer une pétition devant le commerce afin de dénoncer sa gestion sociale et pour alerter sur le très fort turnover des salariés.

D'autre part, M. [C], lequel expose avoir été épuisé, physiquement et moralement, à partir de la fin du mois de septembre 2019, produit plusieurs éléments médicaux pour justifier de la dégradation de son état de santé, notamment:

-un certificat médical du docteur [O] [J], psychiatre, en date du 30 octobre 2019, qui indique que M.[C] 'présente un syndrome d'épuisement au travail. On retrouve une anxiété importante avec irritabilité, insomnie, asthénie, ruminations centrées sur la sphère professionnelle, perte des intérêts avec un isolement social et quelques troubles cognitifs cela malgré un traitement associant Lexomil et Paroxétine et une mise à distance du milieu professionnel depuis un mois.

L'arrêt de travail est à maintenir, la reprise de l'activité professionnelle exposerait le patient à une grave décompensation anxiodépressive et sa mise en inaptitude est justifiée.";

-un courrier manuscrit du Docteur [S] [Z], du service interentreprises santé travail AMB (médecin du travail), écrivant à un confrère, le 14 novembre 2019:'Ce patient présente des troubles anxiodépressifs graves liés à sa situation de travail (ci-joint le certificat du psychiatre Mme le Docteur [J]). Ce cas n'est pas nouveau, dans cette entreprise. Trois autres salariés sont concernés dans cette même année.

Il y a eu des articles dans le Dauphiné à ce sujet, ainsi qu'une manifestation des salariés devant le magasin.

Le scénario est sensiblement le même pour tous. Les salariés sont, dans un premier temps, accueillis chaleureusement par leur employeur qui leur propose un salaire généreux et des primes ! Les salariés se mettent au travail sans compter leur peine, ni les heures réalisées...Puis, l'employeur change complètement d'attitude. Il devient agressif, les humilie devant les collègues et les clients... Le salarié découvre le mois suivant une diminution drastique de son salaire...

Généralement l'employeur obtient, de la part des nouveaux, des témoignages contre le salarié harcelé et le menace de licenciement pour faute.

Des salariés se sont trouvés, ainsi, dans la situation où ils avaient témoigné contre leur chef, puis, devenant chef, sont devenus victimes des témoignages des nouveaux venus... Je vous laisse imaginer l'aspect délétère de l'ambiance !...";

-un certificat du 27 novembre 2019 du Docteur [A] [I], médecin traitant de M.[C], qui atteste: "ce patient présente une décompensation psychique avec anxiété, pleurs, insomnie, perte d'estime de soi, ruminations. Ses préoccupations et plaintes étaient rapportées à un stress au travail qui semblait très déstabilisant. Le patient ne rapporte pas de vulnérabilité particulière ni d'antécédents psychiatriques. Le seul objet préoccupant en dehors du travail et du surinvestissement à son activité professionnelle était sa transplantation (venu de la région d'[Localité 3] depuis 4 ans).

J'ai donc proposé au patient un traitement à visée curative contre l'angoisse et la dépression. Orienté le patient vers la médecine du travail en vue d'investigations.Conseillé une consultation et prise en charge psychologique pour lutter contre le phénomène de victimisation lié au stress chronique et prescrit un arrêt de travail prolongé aux consultations ultérieures jusqu'à la mise en inaptitude. "

La société [X] Expansion [Localité 5] conteste le caractère probant de tels éléments médicaux, en laissant entendre, au regard des règles rappelées dans ses écritures, qu'il s'agirait de certificats de complaisance, ou de rapports tendancieux, de nature à procurer au patient un avantage injustifié. Or, la Cour relève que ces éléments procédent de trois médecins différents, notamment du médecin du travail, lesquels se sont contentés d'exposer, dans leurs écrits, les constatations médicales qu'ils ont été en mesure d'effectuer sur la personne de M. [C], en rapportant, par ailleurs, les propos de l'intéressé.

Sur ce point, pour soutenir que le médecin du travail ne pouvait pas établir de lien de causalité entre l'état de santé de M. [C] et ses conditions de travail, l'employeur produit une attestation de M. [D] [K], responsable achats chez la société [X] management, lequel mentionne qu''à aucun moment il n'a été réalisé d'étude de poste et de conditions de travail', lors des venues au magasin, sans rendez-vous et en l'absence de M.et Mme [X], du Docteur [Z], dont les passages n'ont, au surplus, duré que quelques minutes.

Or, la Cour relève que cette attestation ne saurait être revêtue d'une quelconque force probante dans la mesure où elle ne se rapporte pas à la situation de M. [C], mais est relative à l'inaptitude d'un autre salarié (M. [R]).

En outre, il ressort de l'avis d'inaptitude du 14 novembre 2019 du Docteur [Z], qu'un échange avec l'employeur a eu lieu en date du 8 novembre 2019 (ce qui n'est pas contesté), et qu'il a été procédé à une étude du poste et des conditions de travail de M. [C] en date du 13 novembre 2019 par le médecin du travail (ce qui est contesté par l'employeur, lequel ne rapporte, toutefois, pas la preuve du contraire), avant que celui-ci ne finisse par déclarer le salarié 'inapte définitif au poste'.

Par ailleurs, la société [X] Expansion [Localité 5] produit les attestations de:

-Mme [N] [P], conseillère de vente, qui expose :'(...)Il m'est arrivé de travailler à [Localité 5] en renfort. J'ai eu l'occasion de côtoyer de nombreuses fois M.[C] et M. [R]: deux jeunes hommes très dévoués et impliqués dans leur travail (...). Lorsque M. [B] [M] était encore présent dans l'entreprise, il apportait une pression extrêmement lourde et négative à l'équipe; ce qui a entraîné une perte de confiance en soi chez M. [C] (...). Lorsque M.[B] a quitté l'entreprise, M. [C] a trouvé un très grand plaisir à venir travailler (...)';

-M. [F] [H], qui indique : ' Ayant passé plusieurs journées durant plusieurs mois au sein du magasin de [Localité 5], je certifie que dans aucun cas je n'ai vu M. [R] [G] et M. [C] [V] dans un état de dépression ou de mal-être au sein du magasin'.

Or, aucune datation n'est mentionnée dans ces deux attestations, étant précisé que M. [C] indique avoir commencé à développer un syndrome dépressif à compter de fin septembre 2019 et qu'il a été placé en arrêt de travail début octobre 2019.

Par conséquent, les pièces produites par l'employeur sus-évoquées ne sont pas de nature à remettre en cause la dégradation de l'état de santé du salarié, constatée médicalement.

A ce stade, la Cour considère que les faits matériellement établis par le salarié, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail.

' Sur l'examen des justifications apportées par l'employeur

L'employeur défendeur à l'action doit démontrer, pour chacun des faits matériellement établis retenus au titre de la présomption de harcèlement, qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La demande pour harcèlement doit être accueillie lorsque les juges constatent que l'employeur n'apporte pas cette preuve (Cass. Soc., 12 janvier 2022, n° 20-19.073).

En revanche, le harcèlement ne doit pas être retenu si l'employeur apporte, pour la totalité des faits matériellement établis pris en compte au titre de la présomption de harcèlement, la preuve qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (Cass. Soc., 8 juin 2016, précité).

Sous réserve d'une motivation qui ne soit pas impropre et d'une absence de dénaturation des éléments de preuve, l'appréciation des juges sur ces justifications est souveraine (Cass. Soc., 10 février 2021, n° 19-13.454; Cass. Soc., 18 janvier 2023, n° 21-22.956).

En l'espèce, sauf à contester l'ensemble des agissements dénoncés par le salarié, et à soutenir que le chef d'entreprise dispose d'un pouvoir général d'organisation qu'il peut exercer de manière autoritaire, et que toute activité professionnelle est nécessairement à l'origine de contraintes, difficultés relationnelles et de stress, force est de constater que la Sarl [X] Expansion [Localité 5] ne fournit aucunement la preuve que les faits matériellement établis, pris en compte au titre de la présomption de harcèlement, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que M. [C] [V] a bien été victime de faits de harcèlement moral en provenance de son employeur et de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes sur ce point.

Quant à l'indemnisation du salarié, il convient de rappeler que'L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Le conseil de prud'hommes, qui a constaté que le salarié n'apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision' (Cass. soc., 13 avril 2016, n°14-28.293).

En l'espèce, compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences engendrées (burn-out, inaptitude, perte d'emploi), telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies par le salarié, le préjudice en résultant doit être réparé par l'allocation d'une somme de 7.500 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement du Conseil de prud'hommes est, par conséquent, infirmé quant au montant octroyé à M. [C], étant précisé que l'article L.1235-3-1 du code du travail, cité par le salarié dans ses écritures, relatif à l'indemnité pour licenciement nul, laquelle ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois, n'est pas applicable à sa présente demande qui, convient-il de le rappeler, se limite au versement de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

II. Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude et les demandes au titre de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice égale à l'indemnité de préavis

Il résulte de l'article L.1226-14 du code du travail que la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L.1226-12 (licenciement pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle avec impossibilité de reclassement) ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9.

Contrairement à ce que soutient la société [X] Expansion [Localité 5], le juge prud'homal peut se prononcer sur le caractère professionnel ou non de l'inaptitude et éventuellement accorder les indemnités prévues par l'article L.1226-14 du code du travail dues en cas d'inaptitude résultant d'une cause professionnelle (Cass. soc., 11 sept. 2019, n°17-31.321). Il n'est, d'ailleurs, pas lié par les décisions des organismes de sécurité sociale (CPAM) relatives à la reconnaissance du caractère professionnel, et à la prise en charge, des accidents ou des maladies (Cass. soc. 1er mars 2017, n°16-10.919).

Les règles particulières relatives à la protection des accidentés du travail doivent recevoir application dès lors que l'inaptitude du salarié a au moins partiellement pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement (Cass. soc., 10 juill. 2002, n°00-40.436 ; Cass. soc., 17 janv. 2006, n°04-41.754 : l'employeur connaissait la volonté du salarié de faire reconnaître le caractère professionnel de sa maladie ; voir aussi Cass. soc., 9 juin 2010, n°09-41.040).

En l'espèce, les éléments médicaux fournis par le salarié, à savoir les avis d'inaptitude et les certificats émanant des trois médecins l'ayant pris en charge (médecin traitant, médecin psychiatre et médecin du travail, cf supra), ne laissent planer aucun doute sur le fait que la détérioration de son état de santé, physique et mentale, ayant conduit à son inaptitude, ait un lien, ne serait-ce que partiellement, avec l'exercice de son activité professionnelle au sein de la société [X] Expansion [Localité 5].

Il apparait, par ailleurs, qu'antérieurement au licenciement dont il a fait l'objet par LRAR du 14 avril 2020, la Sarl [X] Expansion [Localité 5] avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude du salarié, à plusieurs égards:

-à travers la production, par M. [C], dans le cadre de la procédure prud'homale qu'elle avait initiée devant le CPH de Bonneville en contestation des avis d'inaptitude établis par le médecin du travail, de pièces, notamment des éléments médicaux sus-évoqués, faisant état d'un 'syndrome d'épuisement au travail', de ' troubles anxiodépressifs graves liés à sa situation de travail','d'un stress au travail' (cf e-mail adressé à Me Lamotte, avocat de la Sarl [X] Expansion [Localité 5], le 9 décembre 2019, par Me Burnier-Framboret, avocat de M. [C]);

-De plus, M.[C], à réception de sa lettre de convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour inaptitude, a fait part de ses observations écrites à son employeur, dénonçant, à cette occasion, un harcèlement moral et formulant une demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de son inaptitude, ainsi que cela ressort de son courrier en date du 9 avril 2020, rédigé en ces termes :"Je vous remercie de considérer qu'il s'agit d'une inaptitude d'origine professionnelle, ma dépression aiguë étant la conséquence de votre harcèlement moral et de vos pratiques managériales plus que discutables." ;

- Enfin, l'employeur indique, lui-même, dans la lettre de licenciement du 14 avril 2020: ' Par courriel en date du 9 avril 2020, doublé d'un envoi en lettre RAR, vous avez fait connaître vos observations dont nous prenons acte. Nous ne sommes pas d'accord avec la qualification que vous donnez à votre inaptitude que vous qualifiez d'origine professionnelle.'

Par conséquent, M. [C] ayant clairement exprimé auprès de la Sarl [X] Expansion [Localité 5], en amont de son licenciement, sa volonté/demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de son inaptitude, l'employeur aurait du lui faire bénéficier des dispositions de l'article L.1226-14 du code du travail, quand bien-même il en contestait le bien-fondé.

Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement (article L.1234-9 du code du travail).

Quel que soit le motif de licenciement, cette indemnité ne peut pas être inférieure à (C.'trav., art.'R.'1234-2)':

-1/4'de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à 10'ans d'ancienneté,

-1/3'de mois de salaire par année d'ancienneté à partir de 10'ans d'ancienneté.

L'indemnité légale de licenciement est calculée par année de service dans l'entreprise en tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets (C.'trav., art.'R.'1234-1).

L'article L.1234-1 3° du code du travail prévoit que lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

En l'espèce, M. [C] précise formuler ses réclamations sur la base d'un salaire brut moyen mensuel de 3.265 €, calculé sur la période d'avril à septembre 2019 inclus, soit avant son arrêt de travail. Ce calcul n'est pas remis en question par l'employeur.

Il apparaît, à la lecture du reçu pour solde de tout compte, que le salarié a perçu une 'indemnité de licenciement de 3.949,97 € pour inaptitude non professionnelle'.

Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Bonneville, en ce qu'il a:

- Dit que l'inaptitude de M. [V] [C] déclarée par le médecin du travail est d'origine professionnelle ;

- Condamné la société [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] les sommes suivantes :

* 3.940,17 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

* 6.530 € au titre de l'indemnité compensatrice égale à l'indemnité de préavis ;

III. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société [X] Expansion [Localité 5] succombant, elle devra assumer la charge des entiers dépens, tant en 1ère instance qu'en cause d'appel.

Par ailleurs, elle devra également payer à M. [V] [C], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 2.000 euros pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,

Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Bonneville du 14 février 2022, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] la somme de 18.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, soit 6 mois de salaire ;

Statuant à nouveau sur le seul chef d'infirmation,

-Condamne la société [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] la somme de 7.500 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral;

Et y ajoutant,

-Condamne la société [X] Expansion [Localité 5] à payer à M. [V] [C] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

-Condamne, en cause d'appel, la société [X] Expansion [Localité 5] aux entiers dépens;

-Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;

Ainsi prononcé publiquement le 15 Juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle CHUILON, Conseillère en remplacement du Président légalement empêché, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier P/Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Chbre sociale prud'hommes
Numéro d'arrêt : 22/00548
Date de la décision : 15/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-15;22.00548 ?
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