COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 09 JUILLET 2024
N° RG 22/00815 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G7PS
[J] [S]
C/ S.A.S.U. HOTPIXEL
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ALBERTVILLE en date du 23 Mars 2022, RG F 20/00159
Appelant
M. [J] [S], demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Clélia PIATON, avocat au barreau de CHAMBERY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C73065-2022-001557 du 27/06/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CHAMBERY)
Intimée
S.A.S.U. HOTPIXEL, demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Frédérique FROIDEFOND de la SELARL ACTMIS, avocat au barreau de BRIVE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 15 juin 2023 par Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Isabelle CHUILON, conseillère, assisté de Madame Sophie MESSA, greffier, à l'appel des causes, dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré.
Et lors du délibéré par :
Monsieur Cyril GUYAT, Président,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
********
Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties
M. [J] [S], entrepreneur individuel (micro-entreprise) depuis le 1er janvier 2013 dans le domaine de la programmation informatique, a travaillé avec la Sarl Hotpixel, exploitant une activité de solutions de jeux vidéos via un site internet 'supersoluce.fr', de septembre 2013 à octobre 2019.
Par requête réceptionnée par le greffe le 28 octobre 2020, M. [J] [S], après une mise en demeure du 6 octobre 2020 demeurée infructueuse, a saisi le Conseil de prud'hommes d'Albertville aux fins de solliciter la requalification de sa relation de travail avec la société HotPixel, en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, et de la rupture, de celui-ci, en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que la condamnation de la société HotPixel au paiement de diverses sommes.
Par jugement en date du 23 mars 2022, le Conseil de prud'hommes d'Albertville a :
- Dit qu'il n'existe pas de lien de subordination entre la Sarl Hotpixel et M. [J] [S] ;
- Débouté M. [J] [S] de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamné M. [J] [S] et la Sarl Hotpixel aux dépens qui seront partagés par moitié entre les parties ;
- Débouté la Sarl Hotpixel de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [J] [S] a interjeté appel à l'encontre de cette décision par déclaration enregistrée le 9 mai 2022 au réseau privé virtuel des avocats.
*
Par dernières conclusions notifiées le 28 juillet 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [J] [S] demande à la Cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Albertville en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- Ordonner la requalification de la relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ;
- Condamner la société Hotpixel à payer à M. [J] [S] les sommes suivantes : * 12.500 € nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
* 51.523 € bruts à titre de rappels de salaires ;
* 5.252,3 € bruts au titre des congés payés afférents ;
- Dire et juger que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamner la société Hotpixel à payer à M. [J] [S] les sommes suivantes : * 6.249,99 € nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 3.296,86 € nets à titre d'indemnité légale de licenciement ;
* 4.166,61 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 416,6 € au titre des congés payés afférents ;
* 7.500 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
- Ordonner la remise des fiches de salaire ainsi que des documents de fin de contrat (certificat de travail, solde de tout compte et attestation Pôle Emploi) sous astreinte de 100 € par jour de retard courant dans les 15 jours de l'arrêt ;
- Dire que la Cour se réservera la faculté de liquider l'astreinte ;
- Condamner la société Hotpixel à payer à Maître Clélia Piaton la somme de 2.500 € au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1990 relative à l'aide juridictionnelle ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
M. [J] [S] soutient en substance que:
La relation de travail avec la société Hotpixel s'analyse en un contrat de travail, du fait de l'existence d'un lien de subordination et, la rupture de celui-ci, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il peut, dès lors, prétendre à un rappel de salaires sur les trois dernières années et à des indemnités de rupture.
Ses missions au profit de la société Hotpixel ont débuté dès le mois de septembre 2013. Il exerçait les fonctions de pigiste pour le site 'Supersoluce' et réalisait des solutions pour jeux vidéos. Il devait également faire la promotion des contenus créés en les postant sur divers sites et forums et la société Hotpixel lui demandait, en outre, de créer des fiches d'information pour la base de données, de faire des essais de création de nouveaux contenus et de gérer la partie du site internet dédiée aux succès et trophées.
Lors de son embauche, la société Hotpixel lui a demandé, comme aux autres pigistes, de se placer sous le statut d'auto-entrepreneur afin de ne pas l'engager en qualité de salarié. Il était toutefois convenu, dès l'origine, que cette situation n'était que temporaire, afin d'effectuer un essai, lequel devait se nover rapidement en contrat de travail à durée indéterminée. Il a, d'ailleurs, alerté plusieurs fois la direction de la société en sollicitant la signature du CDI qui lui avait été promis depuis son recrutement.
Il exerçait une prestation de travail moyennant une rémunération. Les tarifs lui étaient imposés par la société Hotpixel. Il effectuait les mêmes prestations que les salariés engagés en qualité de rédacteurs en vertu d'un contrat de travail.
Il devait rendre un rapport d'activités chaque semaine, puis chaque jour, et communiquer les horaires de travail qu'il effectuait.
Il ne travaillait aucunement en indépendance et recevait de nombreuses instructions de la société Hotpixel qui choisissait les jeux qu'il devait solutionner ainsi que le format à adopter. Il n'avait aucune autonomie sur l'accomplissement de sa prestation de travail qui dépendait d'un planning communiqué par cette dernière. Il ne saurait se déduire de ses 'absences' pour cause de maladie qu'il gérait ses heures et jours de travail à sa convenance.
En dehors de son ordinateur, il ne possédait pas son propre matériel. C'est la société Hotpixel qui lui fournissait ses outils de travail dans la mesure où il achetait les jeux vidéos qu'il devait solutionner et où elle procédait, par la suite, à un remboursement, hors facturation mensuelle. Elle lui procurait également des appareils spécifiques à son activité.
De septembre 2013 à octobre 2019, en dehors de deux réparations effectuées pour des connaissances, d'un faible montant, il n'a perçu que la seule rémunération de la société Hotpixel, pour laquelle il travaillait exclusivement.
Il n'a pas eu d'autre choix que de pourvoir un CDD du 16 octobre 2017 au 31 mars 2018 afin de vivre dignement.
Il n'a fait l'objet d'aucune déclaration préalable à l'embauche et ne s'est vu remettre aucun bulletin de salaire, de sorte que le délit de dissimulation d'emploi salarié est constitué.
*
Par dernières conclusions notifiées le 13 octobre 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la Sarl Hotpixel demande à la Cour de:
- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Albertville le 23 mars 2022;
- Déclarer M. [J] [S] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes et l'en débouter;
-Condamner M. [J] [S] à payer à la société Hotpixel la somme de 2.500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
La société Hotpixel fait valoir que :
N'étant pas journaliste professionnel, M. [S] ne peut bénéficier de la présomption de salariat issue de l'article L.7112-1 du code du travail.
M. [J] [S] était un travailleur indépendant. Il avait le statut d'auto-entrepreneur et agissait comme tel dans l'organisation de son travail, de sorte que la présomption de non-salariat attachée à ce statut s'applique et il est, par ailleurs, dans l'incapacité de la renverser.
Etant la cliente de M. [S], elle ne s'est jamais engagée à lui proposer un contrat de travail à durée indéterminée.
Il n'existait pas de lien de subordination entre eux.
M. [S] a créé son entreprise plusieurs mois avant qu'il ne lui propose ses services en qualité de pigiste. Son entreprise est, d'ailleurs, toujours en activité. Il disposait, en outre, d'un établissement secondaire pour de la réparation d'ordinateurs et d'équipements périphériques. Il travaillait depuis son domicile et avait des projets de développement.
Il n'avait pas les mêmes contraintes qu'un salarié. Il n'a jamais reçu la moindre directive de sa part.
M. [S] se laissait la possibilité d'accepter ou non les missions confiées. Il ne lui a jamais été reproché d'en refuser. Il a fait le choix de limiter ses prestations pour ne pas dépasser un certain niveau de revenus.
Il établissait des factures dont les montants variaient en fonction des prestations effectuées et non du temps passé. Il renégociait le coût de ses prestations et supportait ses charges.
Elle lui a communiqué les jeux sur lesquels il devait effectuer ses prestations, à charge pour lui de les retourner une fois les missions accomplies.
M. [S] organisait son temps de travail comme il l'entendait, avec une très grande liberté, selon son rythme, ses contraintes, ce qui lui permettait de travailler pour d'autres personnes, étant précisé qu'il disposait d'une clientèle propre.
M. [S] est d'une particulière mauvaise foi en soutenant avoir été placé dans une situation de salariat alors même qu'il était indépendant, connaissait parfaitement son statut, et travaillait à ses autres activités, ce dernier ayant, d'ailleurs, caché le fait qu'il avait obtenu un emploi en CDD auprès de la Poste, ce qui témoigne d'une absence de lien de subordination avec la société Hotpixel et du fait qu'il pouvait organiser son emploi du temps d'auto-entrepreneur à sa guise.
Elle n'a jamais émis de sanction ou de reproches à son encontre même lorsqu'il faisait des erreurs dans la rédaction ou ne rendait pas une prestation complète.
Les comptes-rendus qui lui étaient demandés avaient seulement pour but de connaitre les prestations effectuées, l'avancement des missions et de fixer leur facturation.
C'est M. [S] qui a décidé de ne plus travailler avec elle. Celui-ci n'a, d'ailleurs, effectué aucune mission pour elle en 2020.
M. [S] n'apporte pas la preuve de l'élément intentionnel permettant de caractériser le délit de travail dissimulé.
*
La procédure a été clôturée le 14 avril 2023,
L'audience de plaidoiries a été fixée au 15 juin 2023,
L'affaire a été mise en délibéré au 7 septembre 2023, prorogé au 9 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
I. Sur la requalification de la relation de travail entre M. [J] [S] et la société Hotpixel en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet
Le code du travail ne donne pas de définition du salariat, ni même du contrat de travail.
Depuis un arrêt du 22 juillet 1954 (Bull. civ. IV, n°576), la Cour de cassation considère que « le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération ».
Le lien de subordination est l'élément déterminant du contrat de travail puisqu'il s'agit là du seul critère permettant de le différencier d'autres contrats comportant l'exécution d'une prestation rémunérée.
Une présomption de salariat a été reconnue à certaines catégories de professions, au titre desquelles les journalistes, ce qui inclut, aussi, les pigistes (Cass. soc., 17 oct. 2012, n°11-14.302, article L.7112-1 du code du travail).
A l'inverse, la loi instaure une présomption de non-salariat pour les personnes physiques inscrites aux différents registres et répertoires professionnels (C. trav., art. L. 8221-6, I), au titre desquelles les auto-entrepreneurs.
Il ne s'agit, toutefois, que d'une présomption simple qui peut être renversée dès lors qu'il est démontré que les auto-entrepreneurs fournissent, directement ou par personne interposée, des prestations au donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci (C. trav., art. L.8221-6, II; Cass. 2ème civ. 7 juill. 2016, n°15-16.110).
'Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné' (Cass. soc., 13 nov. 1996, n°94-13.187).
'L'existence d'une relation de travail salariée dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle' (Cass. soc., 9 mai 2001, n°98-46.158).
Se dégagent, ainsi, du travail subordonné deux grandes catégories d'éléments :
-l'autorité, le contrôle de l'employeur et le pouvoir de sanctionner ;
-les conditions matérielles d'exercice de l'activité.
Comme tout critère, ces conditions ne sont pas déterminantes à elles seules, mais se conjuguent avec d'autres indices venant conforter l'état de dépendance.
Les juges chargés de trancher un conflit relatif à l'existence d'un contrat de travail doivent rechercher le lien de subordination à partir des conditions réelles d'exercice de l'activité litigieuse. Cette nécessaire recherche exclut que les juges se fondent uniquement sur la nature de la profession exercée (Cass. soc., 12 mai 1965, n°62-13.574) ainsi que sur la qualification donnée par les parties à leurs relations de travail.
La notion de subordination réside dans le fait que les salariés exécutent leur travail en se conformant aux directives et contraintes de l'employeur, lequel dispose d'un pouvoir de direction et de contrôle. Ces éléments caractérisent, la plupart du temps, l'existence d'un contrat de travail (Cass. soc., 29 janv. 2002, n°99-42.697; Cass. soc., 3 juin 2009, n°08-40.981).
De plus, le travail subordonné se trouve, normalement, accompli au lieu et suivant l'horaire prescrits, par un salarié travaillant seul, sans qu'aucun auxiliaire ne soit rémunéré par lui, avec un matériel et des matières premières ou produits fournis par l'employeur. Ainsi, l'horaire de travail constitue un indice important du lien de subordination, comme la fourniture par l'entreprise du matériel et des outils nécessaires à l'accomplissement du travail, qui reste l'une des caractéristiques de l'emploi salarié.
À l'inverse, à une époque où les situations de télétravail se multiplient, le lieu de travail devient de plus en plus secondaire parmi les éléments permettant d'établir l'existence d'un lien de subordination. La notion de lieu de travail ne doit plus s'entendre dans le sens étroit de locaux de l'entreprise, mais dans ce qu'elle peut révéler de contrainte, de restriction à la liberté d'exercice de l'activité. Ainsi, pour les travailleurs mobiles, la Cour de cassation tient compte, notamment, de l'obligation d'établir un compte-rendu précis de l'activité.
Par ailleurs, pour certaines catégories de professionnels (médecins, conseils, professeurs...) jouissant dans l'exercice de leur activité d'une large indépendance technique difficilement compatible avec l'idée de contrôle et de directives propre à la relation employeur-salarié, la Cour de cassation retient la notion plus globale d'intégration à un « service organisé » (Cass. soc., 21 oct. 1999, n°97-43.851). Il y a intégration à un service organisé lorsque l'activité s'exerce au sein d'une structure organisée mettant à la disposition de l'intéressé une infrastructure matérielle (mise à disposition de locaux, secrétariat, fournitures diverses) et impliquant pour lui de se soumettre à un minimum de contraintes (détermination des horaires et gestion administrative de la clientèle par l'établissement...).Selon une jurisprudence désormais constante, l'intégration à un service organisé n'est qu'un indice de la subordination juridique, il ne se suffit pas à lui-même.
L'article L.1221-2 du code du travail dispose que : ' le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail'. Un contrat de travail peut être verbal. Toutefois, à défaut d'écrit, la Cour de cassation considère que le contrat est nécessairement à durée indéterminée et à temps complet.
En l'espèce, la société Hotpixel fait valoir que la présomption de non-salariat s'applique puisque M. [S] avait le statut d'auto-entrepreneur, avant et après la relation contractuelle, ce dont l'intéressé avait pleinement conscience, et disposait, par ailleurs, d'un établissement secondaire (Rep'info Savoie ayant pour activité la réparation d'ordinateurs et d'équipements périphériques). Elle ajoute qu'il n'a, au surplus, jamais été question entre eux d'une embauche en CDI.
Au soutien de ses dires, la société Hotpixel se prévaut, notamment:
-des fiches INSEE et extraits de société.com relatifs à l'entreprise individuelle de M. [S] et à son établissement secondaire;
-d'un mail du 7 avril 2015, dans lequel M. [S] écrit: ' Je suis allé chez le médecin ce matin pour me faire soigner et il a voulu me faire un arrêt de travail, mais étant donné que je ne suis pas salarié, il m'aurait été inutile du coup il m'a rédigé une note';
-d'un mail du 20 juin 2017, où M. [S] expose: ' merci les incapables qui ont fait n'importe quoi avec mon entreprise';
-des propos que [J] [S] a tenus au sujet de son projet de création d'une seconde société de développement de jeux vidéos: 'je suis en train de créer une nouvelle auto-entreprise pour mon activité de développeur de JV car je n'ai pas pu le faire en gardant également mon activité de rédacteur web vu qu'il s'agit de deux activités dépendantes de deux organismes différents (l'un chambre du commerce et l'autre profession libérale). J'ai donc été contraint de faire cessation de mon activité sur mon AE (auto-entreprise) actuelle et en créer une nouvelle dont j'attends toujours l'immatriculation ». (cf mail du 27 juin 2018 d'[K] [W] à [I] [C]);
- de ce que M. [S] reconnaissait sur son blog avoir été 'rédacteur free-lance' pour plusieurs sites de jeux vidéos depuis 10 ans.
Au surplus, la Sarl Hotpixel considère que M. [S] ne renverse pas la présomption de non-salariat attachée à son statut d'auto-entrepreneur dans la mesure, notamment, où :
-Il pratiquait une facturation variable, en fonction de la prestation effectuée, et supportait lui-même ses charges;
Sont versées aux débats les factures pour prestations de services établies mensuellement à compter de septembre 2013 jusqu'en octobre 2019, où M. [S] est désigné en qualité 'd'auto entrepreneur' avec ses numéros SIREN et SIRET et son adresse personnelle, et où la société Hotpixel (antérieurement 'Presse Manette') apparait sous la dénomination de 'client';
- Il avait d'autres clients, ainsi qu'en témoignent les mails suivants:
*mail du 11 janvier 2014 à [I] [C] (directeur éditorial): ' j'étais un peu speed hier ayant deux clients à voir dans la journée. (...) Ben j'ai mon auto entreprise de dépannage/vente/formation informatique mais j'ai peu de clients et pour une fois j'en ai eu deux coup sur coup.';
*mail du 15 janvier 2014: 'pour info j'ai quatre dépannages de PC qui sont tombés coup sur coup en fin de semaine dernière, hier et aujourd'hui, du coup c'est un peu la course et je n'ai pas eu le temps de finir de modifier les fiches dont tu m'avais parlé';
*mail du 20 janvier 2014: ' ayant eu un peu de taf pour mon auto entreprise les deux dernières semaines, je n'avais pas envoyé de compte-rendu lundi dernier du travail effectué la semaine précédente.';
- Il ne recevait aucune directive ni sanction de sa part;
- Il organisait son temps de travail librement depuis son domicile, distant de plusieurs centaines de kilomètres du siège social;
Ainsi, la société Hotpixel prétend que M. [S] se laissait la possibilité d'accepter ou non les missions confiées, que son refus d'en exécuter certaines ne lui a jamais été reproché, et que, par ailleurs, il travaillait à son rythme, suivant ses contraintes personnelles et ses convenances, aux jours et heures qu'il souhaitait. Elle ne lui a jamais tenu rigueur de son impossibilité de pouvoir honorer ses prestations pour cause d'imprévu ou de maladie.
Ainsi, elle indique qu'il a refusé des prestations sur des jeux vidéos (cf mail du 13 octobre 2016), notamment de s'occuper des jeux sur Smartphone, la conduisant à augmenter son tarif afin qu'il accepte (cf mails du 4 octobre 2016).
Elle produit certains mails dans lesquels M. [S] lui demandait de connaître à l'avance le tarif proposé avant d'accepter la mission et où il renégociait le coût de sa prestation (cf mail du 6 mai 2014: 'pour la rémunération je pensais à 700 € au total', réponse de [I] [C]: 'Allez vendu!' + mail du 19 juin 2017 dans lequel il indique à M. [C] à propos du guide de mobile strike qu'il 'aimerait connaître le tarif de rémunération à l'avance pour ce type de tâche afin de savoir si c'est viable pour moi. Car selon le temps que je vais passer dessus (temps de jeu +rédaction/mise en ligne) et la somme reçue en échange, il faut que je rentre dans mes frais, sinon je préfère arrêter là parce que je vais droit dans le mur au rythme où j'en suis').
La Sarl Hotpixel ajoute que M. [S] a, lui-même, reconnu sur un forum qu'il organisait son temps comme il le désirait: ' je suis comme toi et vu que je bosse à distance depuis chez moi, je sais aussi organiser mon temps de travail sans problème' (cf conversation du 10 avril 2017), en faisant part, en outre, de sa volonté de développer des jeux vidéos sur Smartphone pour son propre compte (cf conversation du 9 avril 2017).
Ainsi, fan de 'Zelda', M. [S] a demandé à la société Hotpixel de pouvoir profiter du jeu et à le solucer à son rythme sans avoir forcément besoin de le rusher en deux semaines pour ne pas gâcher son expérience de jeu (cf mail du 28 février 2017).
[J] [S] a, d'autre part, écrit les messages suivants, témoignant de sa liberté d'organisation dans son travail:
-31 mars 2015: 'comme je l'ai signalé à [I] ce matin, j'ai été malade toute la nuit dernière et n'ai pas pu fermer l''il de la nuit. Du coup j'ai préféré prendre la journée pour me soigner, histoire de me remettre de cette nuit et être en forme demain pour finir la solution de FF15. Désolé pour ce contretemps, fallait que ça m'arrive en plein rush';
-22 juillet 2015:' du coup je passe mes après-midis dehors au lac pour éviter la fournaise de mon appartement et je travaille la nuit quand les températures sont plus supportables d'où ma baisse de régime des derniers jours';
-29 février 2016: ' par contre pour info je vais prendre 3 jours de repos, de demain à jeudi afin d'aller voir mes parents pour discuter d'un projet en commun et cela me permettra de rattraper les jours de repos que j'ai à récupérer sur le mois de février';
-18 juillet 2016 :' salut [I], désolé mais je ne suis pas disponible (travaux en famille pendant un mois (...))',
-12 septembre 2016:' je me permets de te déranger pour t'informer des impératifs que je vais avoir de mon côté cette semaine et le mois prochain. Comme tu le sais, cela fait environ 5 mois que j'aide mes parents à faire une extension de leur maison (...) Mon premier impératif aura lieu cette semaine et je vais devoir prendre le vendredi 16 et le lundi 19" (...), 'le second tombera au cours du mois d'octobre pour effectuer le déménagement que je ferai le week-end du 22 et 23, si on est dans les temps. Dans les deux cas, je récupérerai les heures sur les week-ends précédents (j'ai bossé tout le week-end sur Paper Mario) ou suivants pour ne pas perdre des heures de travail que je dois faire dans le mois (..)';
Ce à quoi il était répondu par mail de [I] [C] (directeur éditorial): ' tu fais ce que tu veux et au mieux que tu peux, mais j'insiste sur le fait que tes missions principales comme le guide de Mario ou bien la couverture des succès et trophées doivent impérativement être menées à bien si tu me donnes ton engagement';
Etant précisé que [N].[L] (co-rédacteur en chef adjoint) lui avait indiqué par mail du 2 mai 2016: 'aucun souci concernant le fait que tu es eu un imprévu. On te le répète souvent mais en tant qu'auto entrepreneur c'est toi qui gère tes horaires';
De nouveau, par mail du 7 avril 2017 [N].[L] lui rappelait son statut d'indépendant et qu'il organisait son temps à sa guise: 'Pour le reste, sache qu'en tant qu'auto entrepreneur c'est toi qui gères ton calendrier et ton temps. En fait c'est toi le chef de ta boîte, supersoluce ne fait que payer les services dont tu t'occupes comme tu veux, nous avons aucun droit à ce niveau-là';
-21 janvier 2017 :'(...) je suis rentré dimanche j'ai dû me rendre à l'hôpital lundi matin à cause de mon état de santé. Je suis sortie hier et je dois encore prendre du repos et suivre un traitement pour me rétablir complètement'. Réponse de [I] [C]: 'Fais le max pour l'article, on s'adaptera. C'est pas non plus la mort si on ne fait rien vu les circonstances';
-2 mars 2017:' N'ayant pris presque aucun jour de repos le mois dernier, même les week-ends, je me suis permis de me mettre en repos la semaine prochaine pour profiter de Zelda et réaliser quelques projets personnels en cours.';
-7 avril 2017: 'Comme je te l'avais dit je me mettrai en stand-by la semaine prochaine en attendant l'arrivée de Syberia 3", ' c'est mieux pour moi de limiter mon travail effectué sur le site, afin d'avoir une certaine stabilité entre entrées et sorties d'argent pour ne pas dépasser certains plafonds';
Pour autant, malgré ces éléments, plusieurs indices militent en faveur de l'existence d'un lien de subordination et d'une relation salariale entre M. [S] et la société Hotpixel.
' Sur les conditions du 'recrutement' de M. [S] par la société Hotpixel et la perspective de signer un CDI
La société Hotpixel reconnait qu'elle recherchait un 'pigiste' pour le site web 'supersoluce' lui appartenant et qu'elle a diffusé, à cette fin, une annonce sur ledit site.
Il apparait, à la lecture des pièces transmises, que M. [J] [S] lui a, alors, adressé une lettre de motivation contenant ' ses références', par mail du 22 juin 2013, pour 'proposer ses services' et ' postuler à cette offre d'emploi', ce dernier se disant intéressé par le poste concernant la partie rédaction de solutions et faisait part de ses 'différentes motivations quant à l'énorme envie de vous rejoindre'. Il y joignait un CV et ses réponses à un questionnaire et un test, exigés de l'entreprise.
Suivant un courriel du 31 juillet 2013, la société Hotpixel a répondu à M. [S] en ces termes: 'Salut [J], j'ai le plaisir de t'informer que ta candidature a retenu pleinement notre attention. Nous serions ravis de faire un essai plus poussé avec toi sur le site et de t'intégrer à l'équipe en place si tout se passe bien (...) Passe me voir pour que nous puissions voir en détail comment goupiler la suite'.
Sur ce point, M. [S] soutient qu'ils avaient convenu, avec la société Hotpixel, lors de son recrutement, qu'il exerce, dans un premier temps, au titre d'une période d'essai, sous le statut d'auto-entrepreneur, avec la perspective, s'il donnait satisfaction, de signer rapidement un CDI, ce qui est contesté adversairement.
Pour justifier de ses dires, M. [S] produit plusieurs mails dans lesquels il 'relançait' la direction de Hotpixel à propos de la signature d'un CDI, en ces termes:
-courriel du 30 mars 2015 adressé à [N]. [L] (co-rédacteur en chef adjoint): ' (...) Je voulais d'ailleurs attendre le mois d'août pour parler du CDI qu'avait mentionné [I] lors de notre recrutement et dont on aurait dû avoir des nouvelles l'année dernière déjà. Mais je comprends aussi qu'il fallait que je fasse mes preuves (...) . Le souci c'est que depuis le début de l'année je paie un maximum de charges dû à mon statut d'auto-entrepreneur, ce qui me prend à la gorge depuis trois mois (...), si je n'arrive pas à maintenir un salaire entre 900 € et 1.000 € ça va être compliqué de continuer alors que j'adore ce que je fais';
Ce à quoi [N].[L] lui répondait, le jour même, par mail: 'Je le comprends bien, dis-moi le prix que tu souhaiterais. En ce qui me concerne depuis janvier j'ai un CDI donc je ne suis plus dans ce tourbillon infernal. Et je te comprends parfaitement. Pendant deux ans j'ai dû vivre chez mes parents en gagnant 500 € par mois (en comptant ce que je donnais à l'URSSAF) et jusqu'à l'année dernière j'ai eu de plus en plus de dettes où j'ai dû emprunter plus de 1.000 €, je comptais quitter supersoluce en novembre pour trouver un 'vrai' boulot et puis j'ai accepté le CDI arrivé au bon moment en décembre';
-courriel du 3 avril 2015 envoyé à [I] [C] (directeur éditorial):' Je sais pertinemment que nous sommes tous dans le même cas, j'essayais simplement de te faire comprendre ma situation et qu'après un an et demi passé dans l'équipe, je n'ai pas vraiment vu d'évolution au niveau des rémunérations et n'ai pas non plus eu de nouvelles quant au CDI dont tu nous avais parlé lors de notre recrutement. Je ne t'en ai jamais reparlé puisque pour moi j'avais encore beaucoup de chemin à faire pour m'améliorer, mais après le rush des fêtes de fin d'année 2014, je pensais que j'avais réussi à atteindre le niveau requis pour être au même niveau que mes collègues. Je suis prêt à faire encore tous les efforts nécessaires pour avoir ma place parmi vous, j'espère simplement que ces sacrifices ne seront pas faits en vain';
Ce à quoi [I] [C] a répondu, par mail, le même jour:'Tu fais partie des éléments forts de Supersoluce donc quoi qu'il arrive tu seras impliqué tant que j'aurai mon mot à dire. Je peux pas rentrer dans les détails sur toutes tes questions. Les CDI à distance c'est assez flippant pour moi j'avoue';
'en toute transparence, j'ai signé les premiers CDI il y a moins d'un an (mai 2014 pour [A], décembre 2014 pour [N] et janvier 2015 pour [E]) (...). on fonctionne avec un noyau rédactionnel que tu connais (toi, [Z], [B], [O], [A], [N],[V]). Au total une vingtaine de personnes';
'Si vraiment ton problème peut se résoudre par le fait d'augmenter tes revenus il me paraît évident que tu dois chercher ailleurs';
'Est-ce que tu peux envisager de déménager pour travailler sur place' Les CDI je les réserve aux personnes que j'ai sous le coude. Seul [E] fait exception';
-mail envoyé le 4 octobre 2016 à [I] [C]: 'ce n'est pas évident de te donner une durée moyenne pour réaliser un guide de 45/55 succès, car la difficulté et le temps pour rédiger le guide complet peut extrêmement varier d'un jeu à l'autre. Je te laisse donc réfléchir à ça de ton côté pour que nous soyons tous les deux gagnants dans l'histoire, à moins que tu puisses enfin me rémunérer par forfait/CDD/CDI comme c'était prévu lors de mon recrutement il y a trois ans et demi maintenant.';
-mail envoyé à [N]. [L] le 7 avril 2017:' Ben tu sais à l'origine quand on avait été embauché, on nous avait parlé d'avoir un CDI l'année suivante, donc au final tu peux comprendre que l'on soit déçu. Surtout qu'entre-temps j'ai refusé d'aller bosser pour JV.com pour continuer l'aventure avec vous en pensant que l'on finirait par m'intégrer entièrement dans la team'.
-courriel transmis à [K] [W] ([E]: rédacteur en chef) le 20 juin 2017: 'je me dis que j'aurais peut-être dû partir à ce moment-là au lieu de croire que vous pourriez me trouver un poste dans l'équipe comme on nous l'avait fait miroiter lors de notre recrutement'.
'Sur la fourniture par la société Hotpixel des outils de travail à M. [S]
M. [S] prétend, qu'à l'exception de son ordinateur personnel, il n'avait pas de matériel propre, et que celui nécessaire à l'exécution de ses missions lui était fourni par la société Hotpixel, notamment des appareils destinés à faire des captures vidéo, ainsi que les jeux vidéos, précisant que lorsqu'il était amené à en acheter, la société les lui remboursait, sans que cela n'apparaisse sur les facturations mensuelles.
Au soutien de ses allégations, M [S] produit:
-un courriel du 9 avril 2014, dans lequel il demande où en est le virement pour le remboursement du HDPVR,
-un courriel du 3 novembre 2016, dans lequel il demande où en est le remboursement pour l'achat de Battlefield 1 et Dragon Ball Xenoverse 2 et pour un colis qu'il a envoyé,
-un courriel du 15 septembre 2017, dans lequel il sollicite le remboursement de la facture d'achat d'un clavier/souris et que la société Hoptixel fasse une demande de retour et de remboursement d'un appareil de captures vidéos, défectueux, commandé sur Amazon,
-un courriel du 19 juin 2017, dans lequel M. [C] lui demande d'acheter un câble HDMI qu'il lui remboursera,
-un courriel du 20 juin 2014 de [N]. [L] adressé à l'ensemble des rédacteurs : «Bonjour Messieurs, petit mail afin de récupérer les jeux que vous avez reçus en boîte et achetés par Supersoluce. Ce qui veut dire que nous ne prenons bien évidemment pas en compte les jeux dématérialisés ni les jeux que vous vous êtes achetés (et non remboursés par la société)'.
La société Hotpixel fait valoir que, M. [S] devant établir des articles sur les jeux vidéos qu'elle désignait, il n'était pas anormal qu'elle les lui communique, à charge pour ce dernier de les retourner une fois la mission effectuée, étant précisé que les jeux dématérialisés ou achetés à sa propre initiative restaient à sa charge. Par ailleurs, elle souligne qu'il avait, lui-même, acheté une nouvelle configuration PC pour ses montages vidéos qu'il réalisait dans le cadre de ses missions, mais également pour son propre compte, sans toutefois lui en demander le remboursement (cf mail du 7 juin 2016).
'Sur l'intégration de M. [S] à une équipe organisée, soumise à un planning, des instructions et une évaluation, devant rendre compte de son activité à la Sarl Hotpixel
Plusieurs documents, transmis par M. [S], font ressortir qu'il était intégré à une équipe, en l'occurrence celle de 'supersoluce'.
Ainsi, sur le site internet de Supersoluce, [J] [S] ('[U] 73") est mentionné comme faisant partie de 'l'équipe de Supersoluce', en qualité de rédacteur.
D'autre part, à l'époque de son recrutement, dans un mail du 5 septembre 2013 ayant pour objet 'réunion Skype avec toute l'équipe Soluce', il était indiqué aux destinataires que M. [S] serait présenté, au même titre que d'autres, aux anciens et au rédacteur en chef.
En outre, dans un mail du 17 octobre 2014, [J] [S] écrivait à [I] [C]: 'je suis content d'apprendre que le guide a du succès, ça fait plaisir de savoir que notre travail sert à de nombreux joueurs, ce qui est bénéfique pour notre site (je me permets de dire notre). Réponse de [I] [C] (directeur éditorial): 'ben oui, supersoluce c'est un collectif !'
Par ailleurs, M. [S] produit plusieurs mails donnant à penser que les membres de son équipe étaient soumis à un planning défini par la Sarl Hotpixel:
-mail du 20 juin 2014 de [N]. [L] (co-rédacteur en chef adjoint):'Malheureusement je n'ai pas beaucoup d'informations sur le planning avant décembre mais je compte sur vous pour que vous vous soyez organisé';
-mail du 1er décembre 2014 de [N] [L]: ' (...) je termine de rédiger le calendrier de décembre et que normalement vous devriez pouvoir souffler un peu durant la dernière semaine du mois'.
La société Hotpixel indique que les plannings sus-évoqués portaient uniquement sur la sortie des jeux vidéos, non sur l'emploi du temps des membres de l'équipe et que, par ailleurs, il arrivait que M. [S] propose, lui-même, de traiter les jeux vidéos selon leur calendrier de sortie (cf mail du 31 août 2016).
D'autre part, de nombreux échanges de courriels, produits aux débats, démontrent que la société Hotpixel donnait aux membres de l'équipe 'Supersoluce' des instructions sur la rédaction, les délais à respecter, les comptes-rendus à effectuer et exigeait, encore, leur présence en réunion, au titre desquels:
-mail du 8 octobre 2013 de [I] [C] à l'ensemble de l'équipe: '(...) j'ai décidé de tester 2 nouveaux formats de rubriques vidéos (...) [J] se chargera du Walkthrough vidéo et du guide des trophées de Beyond two souls (...) 'Voici une description attendue pour chacun des formats';
-mail du 15 septembre 2014 de [I] [C] à M. [S]: 'Salut [J], comme convenu je reprends contact avec toi pour quelques directives supplémentaires concernant ton guide de Destiny. Il s'agit de deux points que nous allons plus ou moins aborder avec toute l'équipe. À savoir:
1. La réalisation de tutoriels vidéos pour les jeux qui s'y prêtent (...)
2. La constitution d'une page wiki qui pointera vers des sites extérieurs et référents sur le jeu en échange de lien de notre soluce chez eux (...)';
-mail du 16 septembre 2015 de [H] [R] (co-rédacteur en chef adjoint) à l'ensemble de l'équipe:'Salut les gars, je vous fais part de deux petits trucs à mettre en place suite à la réunion qu'on a tenu hier avec les clermontois:
1. [Z] va nous faire un compte rendu journalier à la manière de [U] et [B], simplement pour qu'on sache ce qu'il fait puisqu'apparemment [X] ne s'occupe plus de lui (le pauvre !). Pour la forme du CR, une simple liste des éléments à mettre en ligne suffit, avec les liens dans le mail qu'on puisse cliquer et les publier rapidement. À envoyer à [N] et à moi-même évidemment.
2. À partir de maintenant, essayez de prendre une petite heure par jour pour faire des tutos ou des astuces sur un titre que vous pratiquez de votre côté pour le plaisir (hors soluce donc). Si vous ne pratiquez pas le jeu vidéo à côté du taf, trouvez des trucs à voler sur des sites que vous consultez régulièrement ou jetez votre dévolu sur un jeu qui a le vent en poupe pour faire le buzz';
-mail du 10 février 2017 de [I] [C] (directeur éditorial) à [J] [S]: 'Est-ce que tu pourrais réaliser une documentation qui montrerait des exemples de liaisons de contenus, rubrique soluce S/T ' À la fois des liens dans la soluce et des liens sur la rubrique S/T, mais aussi la réutilisation des contenus etc...'. Ce à quoi M. [S] a répondu le même jour: 'OK ça marche, je vais donc attaquer tout ça ce soir et je bosserai ce week-end pour prendre de l'avance';
-mail du 4 septembre 2017 d'[K] [W] (rédacteur en chef) à M. [S]: 'Bon courage pour le jeu, je compte sur toi pour me faire du contenu d'ici vendredi soir pour qu'on puisse profiter du week-end de sortie en référencement naturel'.
M. [S] [J] soutient qu'il devait, au départ, communiquer chaque semaine aux responsables de la société Hotpixel un rapport d'activité (bilan) et que, par la suite, cette exigence est devenue journalière.
Il en justifie en versant à la procédure :
-l'ensemble des comptes-rendus journaliers de travail qu'il a établis au cours des années 2016, 2017, 2018 et 2019, sous forme de tableaux mentionnant, pour chaque jour travaillé, la date, le projet, la tâche accomplie, ainsi que le temps passé;
- un mail du 4 mars 2014 qu'il a adressé à [I] [C] (directeur éditorial), [H] [R] (co-rédacteur en chef adjoint) et '[E]' (rédacteur en chef), ayant pour objet ' récapitulatif travail semaine dernière':'Je vous envoie en pièce jointe le récapitulatif du travail que j'ai effectué la semaine dernière';
- les demandes de comptes-rendus émanant des responsables de Hotpixel adressées aux membres de l'équipe:
mail du 15 septembre 2013 de [H] [R] (co-rédacteur en chef adjoint), ayant pour objet ' bilan de la semaine':'Salut à tous! Si c'est pas déjà fait, pensez à envoyer votre petit bilan de la semaine à [X] et [Y]. Merci !';
mail du 3 décembre 2014 de [N].[L] (co-rédacteur en chef adjoint), ayant pour objet 'compte rendu journalier': '[U] en a déjà été informé hier mais à partir de maintenant vos comptes-rendus seront journaliers (et non plus à la semaine) et devront être envoyés à [X] ([I] [C]) et [E] ([K] [W])';
mail du 2 mai 2017 d'[K] [W] (rédacteur en chef): 'Concernant vos rapports de travail quotidiens, deux petites choses. La première : pourriez-vous les remplir chaque jour à 16 heures au plus tard, cela me permet de checker le boulot avant ma fin de journée. Si vous n'avez pas encore fini votre journée à 16 h, ce n'est pas grave, il suffit de reporter le reste à la journée du lendemain. La seconde : pourriez-vous aussi m'indiquer dans une marge à côté de la journée, le nombre d'heures total que vous avez travaillé dans la journée, pas la peine de me faire un détail article par article, juste que je sache combien d'heures de boulot ont occupé votre journée'.
La société Hotpixel fait valoir qu'à travers les comptes-rendus hebdomadaires, puis quotidiens, demandés, il s'agissait uniquement de connaître les missions réalisées par l'ensemble des prestataires et leur avancement pour la mise en ligne, ce qui permettait, aussi, de fixer leurs facturations. Or, elle précise, par ailleurs, que M. [S] n'était pas payé au temps passé sur une mission mais à la tâche accomplie, de sorte que ses explications sur la nécessité pour les prestataires exerçant sous le statut d'auto-entrepreneur de renseigner les heures de travail effectuées chaque jour pour Hotpixel ne sauraient convaincre.
Par ailleurs, M. [S] affirme qu'il était tenu d'assister à des réunions, y compris le samedi, parfois en n'étant prévenu que la 'veille' (Cf mail du 28 avril 2017 à 5h55 de [I] [C]: 'désolé de prévenir si tard mais j'aimerais faire une petite réunion demain (un samedi) 15 heures. Toute présence est souhaitée mais je ne vous en voudrais pas pour les externes si vous n'êtes pas dispo (dans ce cas là vous aurez droit à un débrief ultérieur de notre part). C'est l'histoire d'un quart d'heure 20 minutes pour préciser/officialiser le rôle qu'aura désormais [E] sur Supersoluce. Merci aux externes de me confirmer ou non leur présence le plus tôt possible'), ce qui laisse entendre qu'il devait se tenir à la disposition de la société Hotpixel.
Il apparait, en outre, que la société Hotpixel était amenée à effectuer des bilans quant aux prestations effectuées.
Ainsi, dans un mail du 2 février 2015, ayant pour objet 'point méthodologique personnalisé supersoluce', [I] [C] écrivait à [J] [S]: 'Salut [J], comme je l'avais précisé la dernière fois lors de la conf skype, je me permets de faire un petit point/bilan concernant les méthodologies de travail de chacun.
C'est aujourd'hui ton tour. Je précise qu'il s'agit là de conseils importants visant à améliorer la qualité des soluces. Tu n'es pas le seul concerné, tout le monde fait l'objet d'un bilan et j'ai des points à revoir avec chacun d'entre vous. Ça ne remet absolument pas en cause le fait qu'on est très satisfait par la qualité de ton travail (mise en page, degré de précision) même si tu le sais déjà parce que tu y travailles, on aimerait bien te voir un peu plus rapide et moins expansif lorsque certains passages s'y prête. Go! (...)', message suivi de 4/5 pages de conseils'.
Si la société Hotpixel reconnait avoir adressé à [J] [S] des mails, notamment les 2 décembre 2014, 2 février 2015 et 3 avril 2015, dans lesquels, tout en soulignant la qualité de son travail, elle l'alertait sur sa lenteur et son rendement en lui communiquant des méthodologies, elle prétend que c'était uniquement pour qu'il puisse effectuer ses prestations plus vite et, ainsi, augmenter sa facturation, ce qu'il aurait apprécié. Là encore, de telles explications s'avèrent peu convaincantes.
'Sur les conditions de 'rémunération' de M. [S] et l'existence d'autres sources de revenus
La Cour observe, en 1er lieu, que bien qu'il soit placé sous le statut d'auto-entrepreneur, la société Hotpixel n'a jamais été amenée à solliciter le moindre devis auprès de M. [S] [J], qui n'en établissait pas, et qu'en réalité, les tarifs de ses prestations étaient principalement, si ce n'est exclusivement, fixés par cette dernière, ainsi qu'en témoignent les messages suivants:
-mail du 28 octobre 2013 de [I] [C] à M. [S]: 'Tu te rajoutes un temps de travail considérable... Temps qu'on sera pas en mesure de prendre en compte dans la rému... C'est une première donc tu fais un peu office de cobaye mais déjà premier bilan ça prend beaucoup trop de temps. On est à la bourre sur la sortie du jeu', ce à quoi M. [S] a répondu le même jour: 'pour la rémunération servant de cobaye comme tu as dit n'étant pas habitué à ce genre d'exercice, je savais bien que tu pourrais pas me payer énormément, mais bon on en discutera quand j'aurai fini tout ça.';
-mail du 8 juillet 2014 de M. [S] à [I] [C]:'je ne sais pas si tu as eu le temps de regarder la soluce de Murdered: Soul Suspect que j'ai bouclé en deux semaines, afin de savoir quel prix tu lui donnes ';
- échanges de mails entre M. [S] et [N].[L] du 30 mars 2015:
[S]:'J'attends ta réponse pour savoir à combien vous estimez le travail effectué sur l'ensemble du mois'; (...)
'J'ai compté les heures de taf comme les autres mois et avec ce tarif que tu me proposes je suis payé 4,45 € de l'heure'; (...)
-'Je pense qu'à l'avenir je refuserai ce genre de jeu, car tant que je suis rémunéré à la tâche, ce genre de jeu ne me permet pas de rentrer dans mes frais et je ne pourrai pas continuer ainsi.
Sinon, pour la facture du mois de mars j'aimerais avoir une hausse de la rémunération de la soluce de la Démo de FF, car j'ai passé deux fois et demi plus de temps que pour celle du DLC de Toad. Si tu peux augmenter pour que j'atteigne les 800 € pour le tout ça serait déjà un peu plus correct.
Dans tous les cas je ne pourrais pas tenir beaucoup plus longtemps, une fois les deux ans passés sur le site (août 2015) si la situation reste la même, je quitterai l'entreprise à contrec'ur mais je n'aurai d'autre choix vu que ce n'est pas viable de continuer ainsi'; (...)
-'Désolé encore si j'ai pu te paraître un peu sec dans mes mails d'avoir abordé ce sujet de la rémunération, j'espère que ça ne remet pas en cause mon devenir dans l'équipe';
[N] [L]: 'Je vais discuter de la réévaluation des payes dans la seconde en fumant une petite clope'; (...)' Ah oui en effet. Si tu souhaites être stable entre 900 et 1.000 euros par mois cela a très peu de chance que cela arrive. (...). pas de changement prévu malheureusement';
-échanges de mails du 3 avril 2015 entre [I] [C] et [J] [S]:
[I] [C]:'[J], tu sais très bien depuis le temps que tu bosses pour nous que je ne calcule pas les piges en fonction du temps passé. Ce serait complètement inégal en fonction des personnes'(...);
'toutes les personnes qui bossent en dehors des bureaux sont des externes et donc des pigistes, ils sont indépendants. Sans remettre en cause la qualité de ton travail, je ne mettrai pas en place un barème de rémunération spécial pour toi' ;(...)
'j'ai pris en considération et c'est pour ça que j'ai validé la facture malgré ma remarque' (...);
'coté rému, on a attaqué au début du site à 60 € la soluce. On a évolué à 120, puis à 150, puis à 200";
[S] [J]: 'Surtout qu'au final c'est quand même assez avantageux pour toi je pense, vu que tu ne payes aucune charge pour le travail que j'effectue sur le site. À toi de voir maintenant si tu peux me proposer une solution qui me permettrait de satisfaire aussi bien toi que moi mais sache que je compte les heures depuis un moment et qu'en moyenne la rémunération ne dépasse pas les cinq euros de l'heure de travail, tu trouves ça normal ' Tu penses que c'est suffisant pour vivre à l'heure actuelle '';
-mail du 10 mai 2016 de M. [S] à [I] [C]: 'J'en profite donc pour savoir si l'on peut discuter tous les deux de mon devenir dans l'équipe, afin que je sache si j'aurais bientôt la possibilité d'être rémunéré par forfait pour avoir une réelle stabilité financière.
-mail du 2 novembre 2016 de [I] [C] à M. [S] 'rajoute moi 500 € +bonus de 100 € donc 600 € si ça te convient pour ces guides!', ce à quoi il a répondu: 'OK ça marche, je finis d'éditer la facture et je te l'envoie dans la foulée';
-mail du 20 juin 2017 de M. [S] à [K] [W] (rédacteur en chef): ' je viens donc vers toi pour savoir si tu as déjà décidé le tarif pour ce guide et sinon, si tu as une fourchette pour que je puisse savoir si c'est intéressant pour moi selon le temps de jeu et de rédaction qu'il va demander'.
D'autre part, ainsi que le démontrent le livre chronologique des recettes et ses avis d'imposition des années 2014 à 2019, aucune activité n'a été facturée par l'auto-entreprise de M. [S] à d'autres clients depuis sa collaboration avec la société Hotpixel de sorte que, de septembre 2013 à octobre 2019, il n'a perçu que la seule rémunération de cette dernière, à l'exception de deux réparations effectuées le 31 janvier 2014 et le 1er février 2014 pour des montants respectifs de 60 et 45 €. Les recettes perçues de la société Hotpixel correspondent aux bénéfices non commerciaux qu'il a déclarés, de sorte que M. [S] n'avait pas d'autres clients.
La société Hotpixel fait valoir qu'elle lui avait conseillé, par mail du 20 juin 2017, d'être pigiste pour d'autres sociétés, alors que M. [S] avait, lui-même, écrit le 19 juin 2017 à [I] [C]: ' je vais peut-être démarcher d'autres sites pour proposer de réaliser des guides/soluces, mais toujours en tant que pigiste pour être libre de continuer à travailler avec vous'.
Or, dans un mail du 20 juin 2017 à [K] [W], M. [S] exposait, à ce sujet: 'Effectivement ce serait une solution, mais ma loyauté allant à Supersoluce qui a été le premier site à m'offrir un poste de pigiste, j'ai préféré bosser uniquement pour vous'.
De plus, contrairement à ce que soutient la société Hotpixel, le fait que M. [J] [S] ait travaillé pour la Poste en qualité de facteur du 16 octobre 2017 au 18 novembre 2017, dans le cadre d'un CDD à temps complet renouvelé jusqu'au 31 mars 2018, ne suffit pas pour considérer qu'il n'ait pas pu exercer un autre emploi salarié au bénéfice de la dite société.
*
Dès lors, il apparaît, après examen des conditions réelles d'exercice de l'activité de M. [S], que, dans les faits, malgré son statut d'auto-entrepreneur et la qualification donnée par les parties à leur relation de travail (cf 'factures pour prestations de services'), il était soumis à un lien de subordination à l'égard de la société Hotpixel, dont il était dépendant, même s'il disposait d'une certaine latitude dans l'organisation de son emploi du temps. Outre les conditions de son recrutement, son intégration à une équipe, les directives et 'bilans' dont il faisait l'objet, l'indice le plus significatif de ce lien de subordination est le fait que M. [S] était tenu de rendre compte, quotidiennement, par écrit, à la société Hotpixel, du travail qu'il accomplissait chaque jour, en précisant le nombre d'heures effectuées, alors que, par ailleurs, il ne maitrisait pas les modalités et le montant de sa rémunération, lesquels étaient déterminés par la direction d'Hotpixel tenant, véritablement, 'les rênes' de la relation contractuelle. Par conséquent, il convient de la requalifier en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet et d'infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes.
II. Sur les conséquences de la requalification de la relation de travail entre M. [J] [S] et la société Hotpixel en CDI à temps complet
Cette requalification a pour effet, non seulement, le versement de salaires et autres paiements attachés à la qualité de salarié, mais également, du fait d'une rupture de la relation contractuelle imputable à l'employeur, que celle-ci doive être analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de la méconnaissance des règles fixées par le code du travail.
A. Sur les rappels de salaires et l'indemnité compensatrice de congés payés
M. [S] justifie, par la production d'un article émanant du site internet RegionsJob, que le salaire moyen d'un rédacteur web est de 25.000 à 30.000 € bruts annuels, ce qui est contesté par la société Hotpixel, laquelle, n'apporte, toutefois, aucun élément permettant de contredire cette information.
Il aurait donc dû percevoir, dans la limite de la prescription triennale, un salaire minimum de 75.000 € bruts, là où, en définitive, il n'a facturé que la somme de 23.477 €, de sorte que la société Hotpixel est débitrice, à son égard, d'un rappel de salaires de 51.523 € bruts, ainsi que d'une indemnité compensatrice de congés payés de 7.500 € bruts (10% de 75.000 € bruts), étant précisé que M. [S] ne peut pas demander, à la fois, des congés payés afférents au rappel de salaires et une indemnité compensatrice de congés payés, ce qui reviendrait à obtenir une double indemnisation au titre des congés payés non pris. Le jugement du Conseil de prud'hommes sera, dès lors, infirmé.
B. Sur la requalification de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse
« Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord [...] » (C. trav., art. L. 1231-1).
Aussi la jurisprudence caractérise-t-elle depuis longtemps la démission comme la manifestation d'une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail (Cass. soc., 5 nov. 1987, n°84-45.098 ; Cass. soc., 15 janv. 2002, n°00-40.263 ; Cass. soc., 9 mai 2007, n°05-40.315). Pour être admise comme telle et produire tous ses effets, la démission doit donc s'exprimer librement, c'est-à-dire en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur et de façon explicite, ce qui signifie que la volonté de démissionner ne peut se déduire du comportement du salarié.
« L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. » (article L.1232-2 du code du travail). « Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié (article L.1232-3 du même code).
L'article L.1232-1 du code du travail rappelle que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci s'entend d'une cause objective, reposant sur des griefs suffisamment précis, vérifiables et établis, qui constituent la véritable raison du licenciement.
En l'espèce, la société Hotpixel se fonde sur un message adressé le 18 août 2020 par '[U] 73' (M. [S]) à '[E]' (rédacteur en chef), pour soutenir que c'est M. [J] [S] qui n'a plus voulu travailler avec elle, de sorte qu'elle ne serait pas à l'origine de la rupture de la relation contractuelle.
Toutefois, il apparaît que ledit mail, rédigé comme suit: 'je voulais te dire que je ne pense plus travailler pour le site, du coup je vais renvoyer le matériel (...) que vous m'aviez fourni (...)', ne saurait suffire, à lui seul, pour caractériser une volonté claire et non équivoque de M. [S] de démissionner.
Par ailleurs, il s'avère qu'à compter de novembre 2019, M. [S] ne s'est plus vu confier de missions par la société Hotpixel, alors que cette dernière, du fait de la requalification de leur relation en CDI, avait l'obligation de lui fournir du travail.
Dans ces conditions, la Cour considère que la rupture de la relation de travail entre M. [S] et la société Hotpixel, requalifiée en CDI à temps complet, est imputable aux manquements de l'employeur et qu'elle s'est faite sans que celui-ci ne respecte les dispositions légales et règles protectrices en matière de licenciement, de sorte qu'elle doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [S] [J] peut, dès lors, prétendre à des indemnités de rupture.
A la date de la cessation de la relation contractuelle, M. [S] avait une ancienneté supérieure à six années au sein de la Sarl Hotpixel et la rémunération brute mensuelle à laquelle il pouvait prétendre était de 2.083,33 €.
Dans ces conditions, il convient de lui allouer, compte tenu des données de l'espèce:
-au titre de l'indemnité compensatrice de préavis :
L'indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, qu'aurait perçus le salarié s'il avait travaillé pendant cette période (C.'trav., art.'L.'1234-5).
L'article L.1234-1 3° du code du travail prévoit que lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois, ce qui est conforme à la convention collective applicable (article 46 CCN des journalistes), de sorte qu'il convient de condamner la société Hotpixel à verser à M. [J] [S] la somme de 4.166,61 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 416,60 € bruts de congés payés afférents, ainsi qu'il le demande.
-au titre de l'indemnité légale de licenciement :
Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement (article L.1234-9 du code du travail).
Quel que soit le motif de licenciement, cette indemnité ne peut pas être inférieure à (C.'trav., art.'R.'1234-2)':
-1/4'de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à 10'ans d'ancienneté,
-1/3'de mois de salaire par année d'ancienneté à partir de 10'ans d'ancienneté.
L'indemnité légale de licenciement est calculée par année de service dans l'entreprise en tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets (C.'trav., art.'R.'1234-1).
Dès lors, M. [J] [S] peut prétendre à une indemnité légale de licenciement de 3.296,86€, ainsi qu'il le demande.
- au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
L'article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnité minimale de 1,5 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 7 mois de salaire brut, étant précisé que la Sarl Hotpixel emploie habituellement moins de 11 salariés.
Bien que M. [S] ne justifie pas de sa situation postérieurement à la rupture de la relation contractuelle permettant d'apprécier les conséquences de celle-ci, il convient de lui allouer 6.249,99 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit une indemnité correspondant à 3 mois de salaire, conformément à sa demande, au regard des circonstances dans lesquelles cette rupture est intervenue.
Le jugement du Conseil de prud'hommes d'Albertville sera, dès lors, infirmé.
C. Sur le travail dissimulé
Suivant l'article L.8221-5 du code du travail:
'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1°Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2°Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3°Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales'.
L'article L.8223-1 du code du travail prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant des faits de travail dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Le travail dissimulé n'est constitué qu'à la condition que l'intentionnalité de l'employeur soit démontrée.
Il a été jugé que lorsque des auto-entrepreneurs fournissaient à une société des prestations dans des conditions les plaçant dans un lien de subordination juridique permanente, la présomption de non salariat tombe et que l'infraction de travail dissimulé est caractérisée (Cass. crim., 15 déc. 2015, n°14-85.638).
En l'espèce, il apparaît que M. [S], qui a travaillé durant plus de six ans pour la société Hotpixel n'a jamais fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, et que la stratégie de cette dernière consistait à faire appel à des auto-entrepreneurs afin de minimiser les coûts, notamment en s'exonérant des charges patronales (cotisations sociales, impôts...), ainsi que cela ressort clairement d'échanges de mails du 4 octobre 2016 entre [I] [C] (directeur éditorial) et [J] [S]:
[S] [J]: ' D'ailleurs il ne faut pas oublier que sur chaque facture que tu me règles, il y a 23 % que je dois reverser à l'État t'évitant ainsi de payer des charges salariales et me faisant perdre une bonne partie de mon salaire. On m'a d'ailleurs indiqué que cette pratique de faire bosser un auto entrepreneur pour une seule société, est considérée comme du travail salarial camouflé ce qui est illégal et pourrait finir un jour par te jouer un tour donc soit prudent avec ça.';
Ce à quoi [I] [C] a répondu: 'Merci de me rappeler tout ça mais je suis parfaitement conscient de tous les éléments et règles qui gravitent autour de l'AE. Tout le monde est passé par là. Le système de l'AE est loin d'être parfait dès lors qu'on a passé les deux ou trois premières années. Pour ce qui est de l' 'illégalité' du statut c'est pas ou peu applicable, surtout pour une structure comme la nôtre qui n'abuse pas et qui ne pourrait de toute façon pas se permettre une embauche sans l'AE correspondant. Il est également à noter que les AE qui nous facturent uniquement et personne d'autre sont plutôt rares.'
Dans ces conditions, la société Hotpixel s'est rendue coupable de travail dissimulé et il convient de la condamner à payer à M. [S] la somme de 12.500 € nets à titre de dommages-intérêts.
III. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société Hotpixel succombant, elle devra supporter la charge des entiers dépens, tant en 1ère instance qu'au stade de l'appel, et s'acquitter à l'égard de Maître Piaton Clélia, avocate de M. [J] [S], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, d'une somme de 2.000 €, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve qu'elle renonce au bénéfice de celle-ci.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement du Conseil de prud'hommes d'Albertville du 23 mars 2022, sauf en ce qu'il a :
-débouté M. [J] [S] de sa demande au titre des congés payés afférents (portant sur le rappel de salaires);
-débouté la Sarl Hotpixel de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau sur les chefs d'infirmation,
-Requalifie la relation de travail entre M. [J] [S] et la société Hotpixel en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ;
-Condamne la société Hotpixel à payer à M. [J] [S] les sommes suivantes :
* 12.500 € nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
* 51.523 € bruts à titre de rappels de salaires ;
- Juge que la rupture du contrat de travail entre M. [J] [S] et la société Hotpixel s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamne la société Hotpixel à payer à M. [J] [S] les sommes suivantes :
* 6.249,99 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
* 3.296,86 € nets à titre d'indemnité légale de licenciement ;
* 4.166,61 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 416,60 € au titre des congés payés afférents ;
* 7.500 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
- Ordonne la remise, par la Sarl Hotpixel, à M. [J] [S], des bulletins de salaire ainsi que des documents de fin de contrat (certificat de travail, solde de tout compte et attestation Pôle Emploi) tenant compte de la présente décision, sans qu'il ne soit besoin de l'assortir d'une astreinte;
-Condamne la Sarl Hotpixel aux dépens de 1ère instance;
Et y ajoutant,
-Condamne la société Hotpixel à payer à Maître Piaton Clélia, avocate de M. [J] [S], la somme de 2.000 € au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1990 relative à l'aide juridictionnelle;
-Condamne, en cause d'appel, la société Hotpixel aux entiers dépens de l'instance;
-Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;
Ainsi prononcé publiquement le 09 Juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle CHUILON, Conseillère en remplacement du Président légalement empêché, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier P/Le Président