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04/07/2024 | FRANCE | N°21/02083

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 04 juillet 2024, 21/02083


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE











ARRÊT DU 04 JUILLET 2024



N° RG 21/02083 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2QA



S.A.S. CLINEA prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social.

Ayant un établissement sous l'enseigne PIERRE DE SOLEIL sis [Adresse 2]

C/ [V] [C]





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 28 Septembre 2021, RG F 20/00061

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Appelante



S.A.S. CLINEA prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social. Ayant un établissement sous l'ens...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 JUILLET 2024

N° RG 21/02083 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2QA

S.A.S. CLINEA prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social.

Ayant un établissement sous l'enseigne PIERRE DE SOLEIL sis [Adresse 2]

C/ [V] [C]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 28 Septembre 2021, RG F 20/00061

Appelante

S.A.S. CLINEA prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social. Ayant un établissement sous l'enseigne PIERRE DE SOLEIL sis [Adresse 2], demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Olivier BACH de la SELARL EOLE AVOCATS, avocat au barreau de LYON

Représentée par Me Guillaume PUIG, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimé

M. [V] [C]

né le 05 Septembre 1964 à [Localité 8],

demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Serge MOREL VULLIEZ, avocat au barreau d'ANNECY

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Juin 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Cyril GUYAT, Présidente,

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

Madame Françoise SIMOND, Conseillère,

qui en ont délibéré

assistés de Madame Capucine QUIBLIER, Greffier à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré,

********

Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties

M. [V] [C] a été engagé à compter du 18 janvier 2019 par la Sas Clinéa, en qualité de médecin généraliste, statut cadre, coefficient 498, par contrat de travail à durée indéterminée prévoyant une rémunération forfaitaire de 7.690 euros bruts mensuels pour 213 jours de travail par an, outre un forfait mensuel brut d'astreintes de 648 euros incluant 6 astreintes mensuelles.

La Sas Clinéa exploite une clinique de soins de suite et réadaptation, dénommée 'Pierre de soleil', située à [Localité 9] et appartient au groupe Orpéa-Clinéa. Elle compte plus de 11 salariés.

La convention collective nationale de l'hospitalisation privée est applicable.

Par courrier remis en mains propres le 14 novembre 2019, M. [V] [C] a été convoqué à un entretien préalable de licenciement fixé le 26 novembre 2019, avec mise à pied conservatoire.

Par courrier du 5 décembre 2019, M. [V] [C] s'est vu notifier un licenciement pour faute grave.

Par requête réceptionnée le 18 juin 2020, M. [V] [C] a saisi le Conseil de prud'hommes d'Annemasse aux fins de contester la rupture de son contrat de travail ainsi que la clause de forfait-jours qui y était insérée, et pour solliciter des indemnités de rupture, ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, outre une indemnité pour travail dissimulé.

Par jugement en date du 28 septembre 2021, le Conseil de prud'hommes d'Annemasse a:

- Déclaré que le licenciement de M. [V] [C] prononcé le 5 décembre 2019 ne repose pas sur une faute grave, et l'a déclaré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la Sas Clinéa-Pierre de Soleil à payer les sommes suivantes à M. [V] [C]:

* 1.602,08 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 7.690 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 23.070 € au titre du préavis, outre 2.307 € au titre des congés payés afférents ;

* 5.775,37 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, outre 577,537 € au titre des congés payés afférents ;

- Rejeté la demande de voir constater que le licenciement est intervenu dans des circonstances particulièrement vexatoires ;

- Rejeté la demande de voir constater la nullité de la convention de forfait-jours ;

- Rejeté la demande de remise de bulletins de salaire rectifiés ;

- Ordonné la remise des documents de fin de contrat de travail rectifiés, conformément au dispositif du présent jugement, sans assortir cette obligation d'une astreinte ;

- Condamné la Sas Clinéa-Pierre de Soleil à verser à M. [V] [C] la somme de 2.300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté la Sas Clinéa-Pierre de Soleil de sa demande de remboursement des jours RTT indûment réglés ;

- Rejeté sa demande concernant l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la Sas Clinéa- Pierre de Soleil aux dépens.

La Sas Clinéa a interjeté appel par déclaration enregistrée le 20 octobre 2021 au réseau privé virtuel des avocats. M. [V] [C] a formé appel incident par conclusions du 12 avril 2022.

*

Par dernières conclusions notifiées le 27 juin 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la Sas Clinéa demande à la Cour de :

- Juger que le licenciement du Docteur [C] repose sur une faute grave ;

- Juger que le licenciement du Docteur [C] n'était pas vexatoire ;

- Juger valable la convention de forfait jours du Docteur [C] ;

- Juger irrecevables les demandes nouvelles du Docteur [C] relatives au remboursement du repas et au paiement des astreintes ;

Statuant à nouveau,

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a:

-déclaré que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse;

-condamné la société Clinéa à payer au Docteur [C] les sommes suivantes:

* 1.602,08 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 7.690 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 23.070 € d'indemnité de préavis;

* 5.775,37 € de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, outre 577,53 € de congés payés afférents ;

*2.300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-ordonné la remise des documents de fin de contrat de travail rectifiés ;

-Confirmer le jugement en ce qu'il a:

-débouté le Docteur [C] de sa demande de 20.000 euros de dommages et intérêts au titre d'un licenciement vexatoire;

-déclaré la convention de forfait jours valable;

-débouté le Docteur [C] de sa demande de 46.140 euros d'indemnité pour travail dissimulé ;

A titre subsidiaire,

-Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté la Sas Clinéa de sa demande de remboursement de jours RTT dans l'hypothèse où la convention de forfait jours devait être privée d'effets ;

- Condamner le Docteur [C] aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Sas Clinéa soutient en substance que:

Au début du mois de novembre 2019, elle a été informée par la fille d'un patient que le Docteur [C] avait commis plusieurs fautes dans le cadre de l'exercice de ses fonctions et manquements à ses obligations professionnelles, ce qui constitue une faute grave.

La faute grave est caractérisée lorsqu'au sein d'un établissement de santé un salarié met en danger des patients. De même, tout manquement d'un salarié vis-à-vis d'une personne âgée dépendante constitue une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

Indépendamment des griefs qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement, le Docteur [C] a violé les règles les plus élémentaires du secret médical en versant aux débats des comptes-rendus de confrères détaillant l'état clinique du patient et en produisant des éléments du dossier médical de ce dernier, dont il n'était pas destinataire.

Le salarié a transféré un patient fragile, sans justification, au CHAL, alors que les soins auraient pu être réalisés sur site, et n'a renseigné aucune information dans son dossier médical, ce qui a mis en danger sa santé et sa sécurité.

Il a, de plus, porté atteinte à la qualité des soins prodigués au patient en s'abstenant d'établir un suivi de son état clinique malgré les demandes de la famille et d'un médecin spécialiste, et en ne respectant pas sa volonté.

Le Docteur [C] a fait preuve de négligence, notamment en retardant la transmission d'un certificat médical, ce qui a freiné, d'autant, le transfert du patient dans un établissement plus adapté.

Par ailleurs, il n'a pas respecté la procédure de réponse aux plaintes, se permettant des écrits déplacés à l'égard d'un membre de la famille d'un patient, ce qui a compromis l'image de la clinique.

Le salarié ne produit pas la décision du Conseil de l'ordre qui aurait mis un terme aux poursuites dirigées contre lui, ni la transaction prétendûment régularisée avec la fille du patient.

M. [V] [C] ne démontre pas que la décision de le licencier aurait été prise avant l'entretien préalable.

Elle n'a commis aucune faute dans la mise en oeuvre de la procédure de licenciement. Le salarié ne démontre, ni de l'existence d'une faute, ni de celle d'un préjudice lié à un prétendu licenciement vexatoire.

L'absence de mise en 'uvre des entretiens annuels sur la charge de travail ou de document de contrôle n'a pas pour effet de rendre la convention de forfait nulle. Elle ouvre seulement droit au paiement de dommages-intérêts, ce qui n'est pas demandé en l'espèce.

Le Docteur [C] ne rapporte aucun élément permettant de démontrer qu'il a effectué des heures supplémentaires, à l'exception d'un calendrier qu'il a, pour les besoins de la cause, lui-même annoté a posteriori, alors que nul ne peut se constituer de preuves à soi-même. Il n'a, d'ailleurs, jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires, ni transmis ledit document, pendant l'exécution du contrat de travail.

Le salarié ne démontre pas que l'employeur a volontairement omis de mentionner sur ses bulletins de paie le nombre exact d'heures de travail réalisées.

M. [C] [V] a présenté deux demandes nouvelles relatives au remboursement de repas et au paiement d'astreintes, alors qu'elles n'ont aucun lien avec le contenu de sa requête initiale.

Le livre 'les Fossoyeurs', dont se prévaut le salarié, ne se rattache à aucune de ses prétentions, son évocation est sans objet et sans conséquence. De plus, il ne concerne pas la société Clinéa mais Orpéa.

*

Par dernières conclusions notifiées le 30 août 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [V] [C] demande à la Cour de :

- Dire et juger M. [V] [C] recevable et bien fondé en ses prétentions ;

- Déclarer que le licenciement de M. [V] [C] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

- Constater que ce licenciement est intervenu dans des circonstances particulièrement vexatoires;

- Constater la nullité de la clause en forfait-jours insérée dans le contrat de travail ;

- Fixer la moyenne mensuelle des salaires à 7.690 € ;

- Confirmer le jugement, en ce qu'il a:

-déclaré que le licenciement de M. [V] [C] prononcé le 5 décembre 2019 ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse;

-condamné la Sas Clinéa à payer à M. [C] les sommes suivantes:

* 1.602,08 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 7.690 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

* 23.070 € au titre du préavis;

*2.307 € au titre des congés payés afférents;

* 5.775,37 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire;

*577,537 € au titre des congés payés afférents;

*2.300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

-Infirmer le jugement en ce qu'il a:

-rejeté la demande de M. [C] de voir constater que le licenciement est intervenu dans des circonstances particulièrement vexatoires,

-rejeté la demande de M. [C] de voir constater la nullité de la convention de forfait jours,

-rejeté la demande de remise de bulletins de salaire rectifiés ;

- Condamner la Sas Clinéa à payer à M. [C] les sommes suivantes :

* 20.000 € au titre de l'indemnité de licenciement particulièrement vexatoire ;

* 18,50 € au titre du rappel de salaire (repas novembre 2019) ;

* 9.944,16 € supplémentaires au titre de la nullité de la convention individuelle de forfait, outre 994,41 € au titre des congés payés afférents ;

* 2.204,67 € au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre 220,46 € au titre des congés payés afférents ;

* 46.140 € au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

* 558 € au titre des astreintes non payées ;

- Ordonner à la Sas Clinéa de délivrer à M. [V] [C] un solde de tout compte, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;

- Ordonner à la société Clinea de remettre des bulletins de paie rectifiés qui tiennent compte des heures de travail réellement effectuées, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, la Cour d'appel se réservant le droit de liquider l'astreinte ;

- Dire et juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal, outre capitalisation par année entière conformément aux dispositions des articles 1153-1 et 1154 du code civil;

- Débouter la Sas Clinéa de ses entières demandes ;

- Condamner la Sas Clinéa à payer à M. [V] [C] la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [V] [C] fait valoir que:

Son licenciement pour faute grave n'est pas fondé. La société ne rapporte pas la preuve matérielle des faits, qu'il conteste dans leur intégralité.

Son employeur a volontairement créé une confusion pour laisser croire que les griefs reprochés concernaient des patients différents alors qu'ils sont relatifs au même patient.

En outre, ils ne reposent que sur les seules allégations de la fille de ce patient, lesquelles, bien que n'ayant fait l'objet d'aucune enquête ou confrontation, ont été considérées comme véridiques par la société, sans que la moindre contradiction ne puisse y être apportée, la clinique s'étant empressée de le convoquer à un entretien préalable sans même chercher à recueillir ses explications, alors qu'il disposait d'une expérience notable et de qualités professionnelles et humaines reconnues.

Spécialiste de la médecine de la vieillesse depuis plus de 25 ans, il a toujours consacré le temps nécessaire à l'accueil des patients et de leur famille. Plusieurs professionnels avec lesquels il a collaboré attestent de ses qualités.

La plaignante ne s'en est pas pris uniquement à lui, mais à tout le corps médical en général, ainsi qu'à d'autres hôpitaux dans son courrier destiné à l'ordre des médecins.

Sa demande d'hospitalisation du patient était justifiée par un ensemble de motifs relatifs à son état de santé qui se dégradait fortement.

Il a privilégié la santé du patient à la satisfaction de la demande de sa fille consistant à obtenir un certificat médical pour une admission en EHPAD.

La société Clinéa a été sommée de produire les questionnaires anonymes remplis par les patients dont il s'est occupé, ainsi que le mail d'excuses de la plaignante, mais l'employeur n'y a pas donné suite.

La procédure de gestion des plaintes mise en place au sein de la société n'a jamais été portée à sa connaissance.

Il a répondu directement au courriel adressé par la fille du patient afin d'éviter de la laisser tout le week-end avec ses doutes et inquiétudes, et lui a proposé de convenir d'un rendez-vous.

Il n'a jamais fait l'objet d'aucune poursuite disciplinaire, le Conseil de l'ordre des médecins ayant constaté le caractère infondé des griefs et une transaction a été trouvée avec la plaignante.

Il a été décidé de son licenciement avant l'entretien préalable, comme le démontrent des échanges de SMS entre le médecin coordinateur, son supérieur hiérarchique, et un autre médecin de la clinique.

Son licenciement est abusif et vexatoire. La perte injustifiée de son emploi lui a causé un préjudice.

La convention de forfait en jours est nulle en l'absence d'accord d'entreprise ou d'établissement organisant les modalités de sa mise en place et à défaut de diligences effectuées par l'employeur pour pallier cette absence.

Il était le seul médecin en charge de tous les patients du service et ne bénéficiait d'aucune aide. Les heures supplémentaires qu'il a effectuées ont été imposées par la nature et la quantité du travail demandé.

La société Clinéa avait parfaitement conscience de l'ampleur des heures de travail réalisées et de la nullité de la clause de forfait-jours insérée dans son contrat de travail. Elle s'est intentionnellement soustraite à ses obligations en mentionnant sur chacun de ses bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué, de sorte que l'infraction de travail dissimulé est caractérisée.

Les demandes relatives aux astreintes et au remboursement des repas constituent des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Le groupe Orpéa-Clinéa a fait parler de lui, notamment au travers un ouvrage médiatisé qui a eu des répercussions politiques. Celui-ci illustre les différents dysfonctionnements des établissements de ce groupe et confirme que son cas n'est pas isolé.

*

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 24 novembre 2022.

L'audience de plaidoiries a été fixée au 19 janvier 2023, puis renvoyée au 22 juin 2023.

L'affaire a été mise en délibéré au 7 septembre 2023, prorogé au 4 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur les demandes relatives au licenciement

A. Sur le licenciement verbal

« L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. » (article L.1232-2 du code du travail). « Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié (article L.1232-3 du même code).

Lorsque l'employeur manifeste avant l'entretien préalable sa volonté irrévocable de rompre le contrat de travail, il s'en déduit l'existence d'un licenciement verbal dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 12 déc. 2018, n°16-27.537 ; Cass. soc., 25 septembre 2013, n°12-20.354).

Le Docteur [C] prétend que la société Clinéa avait décidé de le licencier bien avant l'entretien préalable du 26 novembre 2019, notamment en faisant part de son éviction à plusieurs de ses membres ainsi qu'à la plaignante (fille du patient), de sorte que son licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Au soutien de ses allégations, le salarié produit :

-des échanges de SMS dans lesquels :

' Le Docteur [S], médecin pneumologue à la clinique Pierre de Soleil de juillet 2015 à octobre 2019, devenu médecin coordonnateur national Clinéa-Orpéa, lui indiquait le 15 novembre 2019:

'J'ai eu M. [P] (directeur régional SSR centre est) au téléphone. La rupture de contrat ne concerne que la Clinique Pierre de Soleil et par conséquent Orpéa-Clinéa. Mais cela n'affectera pas ta carrière. Tu peux t'installer ailleurs. A plus »,

Puis :

« Non non ce n'est pas une faute grave c'est un ensemble de faits. M. [P] lui-meme m'a dit que tu pourras trouver du travail ailleurs. De toute façon il faut y aller à la convocation pour savoir quels sont les reproches auxquels tu pourras répondre »;

' Le Docteur [D] (médecin coordinateur) lui écrivait le 14 novembre 2019 (jour de la remise de sa convocation): « Ta carrière n'est pas mise en cause et je pense qu'elle ne le sera pas mais fort probablement ton poste au sein de clinea tu en sauras un peu plus lors de ton entretien »;

-Un courriel envoyé le 27 novembre 2019 par Mme [O] (plaignante) au Conseil départemental de l'ordre des médecins de Haute-Savoie, indiquant: 'selon les informations fournies, le Docteur [C] ne ferait plus partie du personnel de la clinique...', et précisant le 1er décembre 2019: « En ce qui concerne le Dr [C] qui n'exerce plus à la Clinique Pierre de Soleil, l'information m'a été transmise par le Dr [D] directement le jour du décès de mon papa. » , lequel est intervenu le 18 novembre 2019.

Or, ces éléments, qui ne font que rapporter des propos qui auraient été tenus par des personnes non décisionnaires, ne sont pas suffisants pour prouver que la société Clinéa a réellement manifesté en amont de l'entretien préalable sa volonté irrévocable de rompre le contrat de travail de M. [V] [C], ce d'autant plus que ce dernier a, en définitive, contrairement à ce qui lui avait été indiqué par le Docteur [S] dans son SMS du 15 novembre 2019, été licencié pour faute grave par LRAR du 5 décembre 2019, signée par Mme [R] [W], directrice exploitation.

Dans ces conditions, le moyen soulevé par le salarié lié à l'existence d'un licenciement verbal ne saurait prospérer.

B. Sur le licenciement pour faute grave

L'article L.1232-1 du code du travail rappelle que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci s'entend d'une cause objective, reposant sur des griefs suffisamment précis, vérifiables et établis, qui constituent la véritable raison du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'il rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis.

La charge de la preuve d'une faute grave repose exclusivement sur l'employeur qui l'invoque.

Selon les dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige sur le licenciement, le juge auquel il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Il doit, notamment, apprécier si la sanction prononcée est proportionnée à la nature et à la gravité des faits reprochés. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Si elle ne retient pas l'existence d'une faute grave, la juridiction saisie doit, alors, rechercher si les faits reprochés au salarié sont constitutifs d'une faute simple de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.

En cas de litige, la faute est appréciée souverainement par les juges du fond en fonction des circonstances propres à chaque espèce et des éléments de preuve qui leur sont soumis.

En l'espèce, la Cour relève, en 1er lieu, que la société Clinéa reproche au Docteur [C], dans le cadre de la présente procédure, d'avoir violé le secret médical en produisant certaines pièces provenant du dossier médical d'un patient et des comptes-rendus médicaux, sans pour autant en tirer de conséquences quant à la recevabilité de celles-ci.

En outre, il convient de rappeler qu'un salarié, dans le cadre d'un litige prud'homal, peut transmettre des documents couverts par le secret professionnel et/ou médical, dès lors qu'il en a eu connaissance à l'occasion de ses fonctions et que cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense.

La lettre de licenciement du 5 décembre 2019, fixant l'objet du litige, est rédigée comme suit:

'En effet, nous avons constaté de graves dysfonctionnements dans l'exercice de vos fonctions de Médecin au sein de notre Clinique.

Tout d'abord, le 31 octobre 2019, alors qu'un patient nécessitait la pose d'une sonde à demeure, vous avez organisé son transfert au sein d'un centre hospitalier de la région pour qu'il puisse y être procédé au sein de cette structure, au prétexte que le matériel nécessaire n'était pas disponible au sein de la Clinique, sans prendre la peine de vérifier ces éléments.

En effet, lors de notre entretien, vous avez rétorqué qu'aucune sonde n'était présente sur l'établissement et que vous avez opéré ce transfert également car le patient nécessitait des prélèvements en lien avec une suspicion d'infection et la pose d'une perfusion.

Toutefois, l'établissement était bien doté à la fois du matériel et des moyens nécessaires à cet acte et les analyses que vous aviez évoquées pouvaient être effectuées par le laboratoire de notre établissement.

Par votre manque de vigilance, vous avez contraint ce patient à un transfert, acte invasif au regard de son état de santé déjà très fragilisé, sans prendre la peine de vous assurer au préalable que le matériel et les moyens mis à votre disposition pouvaient ou non permettre le maintien de sa prise en charge au sein de notre établissement.

En agissant de la sorte, vous ignorez le matériel et les moyens mis à votre disposition au sein de la structure afin d'assurer la prise en charge de qualité des patients que nous accueillons, ce que nous ne saurions tolérer.

De telles négligences, qui auraient pu avoir d'importantes conséquences sur la santé déjà grandement fragilisée du patient, sont totalement inacceptables et incompatibles avec vos fonctions de Médecin.

Par votre manque de diligence, vous avez contrevenu à vos obligations professionnelles mais plus grave encore avez nui à la bonne prise en charge du patient mettant de fait en danger sa santé et sa sécurité, ce qui est totalement contraire à la spécificité de notre activité.

Dans un autre registre, le médecin d'astreinte le 10 novembre 2019, n'a pas retrouvé dans le dossier de transmissions médicales expliquant votre décision de stopper le sondage urinaire sur ce même patient, ni depuis quand ce dernier avait été arrêté.

L'état de santé du patient le nécessitant, le médecin d'astreinte a fait procéder le même jour à un nouveau sondage urinaire, acte invasif, sur ce patient.

Vous n'êtes pourtant pas sans savoir que la transmission et la traçabilité des actes médicaux sont des éléments primordiaux afin d'assurer la continuité des soins et assurer la qualité de prise en charge que sont en droit d'attendre les patients et leurs familles d'un établissement tel que le nôtre.

Nous vous rappelons que, conformément à vos missions, il vous appartient notamment d'assurer le suivi médical des patients et la tenue du dossier médical dans le respect des recommandations de traçabilité des soins et des analyses bénéfices/risques et d'utiliser les outils informatiques mis à disposition.

En agissant de la sorte, vous nuisez au bon suivi médical et administratif des patients, ce qui indubitablement nuit à la prise en charge de qualité que nous nous efforçons de leur garantir.

Or, en votre qualité de Médecin, vous ne pouvez ignorer l'absolue nécessité d'assurer le suivi médical des patients et de leur dossier médical et de soins, cela pouvant être lourd de conséquences pour leur santé.

Un tel laxisme et manque de professionnalisme dans l'exécution de vos fonctions ne représentent pas un cas isolé.

Ainsi, le 24 octobre 2019, la fille d'un patient vous a expressément indiqué que le traitement neurologique de son père venait d'être modifié et que le neurologue était en attente de nouvelles sur la tolérance de ce changement afin de s'assurer que son patient supporte ce nouveau traitement et des éventuels impacts sur son état de santé, ce que le neurologue faisait également part dans un courrier dont vous aviez eu connaissance.

Toutefois, vous n'avez daigné donner suite ni à la sollicitation de la famille du patient, ni au neurologue du patient.

Lors de notre entretien vous avez reconnu avoir reçu le courrier du neurologue mais ne pas avoir pris contact avec lui afin de l'informer des évolutions sur l'état de santé de ce patient, malgré sa demande et celle de la famille du patient.

La famille de ce patient a ainsi été contrainte de contacter directement le neurologue afin de lui transmettre les seules informations dont elle avait connaissance et que ce dernier sollicitait auprès de notre établissement, toujours dans l'optique d'assurer la continuité des soins du patient en question.

Dans le même ordre d'idées, alors que la fille du patient a organisé son transfert en EHPAD avec l'intervention de l'équipe mobile de soins palliatifs, elle vous a sollicité afin que vous lui remettiez un certificat médical, nécessaire afin de finaliser ce transfert. Ce n'est que le 07 novembre 2019, soit près de 10 jours plus tard que vous lui avez remis ledit certificat.

Par votre manque de rigueur et de réactivité, la sortie du patient a ainsi été retardée par l'attente de son certificat médical.

Nous ne saurions tolérer un tel comportement, impactant nécessairement, non seulement le fonctionnement de l'établissement, mais également la prise en charge du patient et la continuité des soins. Egalement en agissant de la sorte, vous allez à l'encontre de la volonté de la famille et du patient.

De plus, en agissant de la sorte, vous adoptez une attitude visant à compromettre les relations avec les familles des patients que nous accueillons.

Votre comportement est tel, qu'un membre de la famille d'un patient vous a qualifié, dans le cadre d'une plainte formulée auprès de l'Agence Régionale de Santé le 04 novembre 2019, de médecin 'très sûr de lui', qui est 'un courant d'air' et qui répond en indiquant qu'il 'n'a pas le temps car il a du travail'.

Nous ne saurions admettre que vous adoptiez un tel discours à l'égard des familles des patients que nous prenons en charge, mettant ainsi à mal la confiance qu'ils ont placé en notre établissement.

De plus, par de tels propos, vous portez atteinte à l'image de l'entreprise et faîtes preuve d'un manque considérable de professionnalisme.

Dans ce même ordre d'idées, le 7 novembre 2019, vous avez pris la liberté de répondre directement à un courriel d'un membre de la famille d'un patient que nous accueillions, qui faisait état d'une réclamation relative à la prise en charge d'un patient, agissant ainsi en toute méconnaissance de la procédure applicable au sein de notre établissement.

Nous vous rappelons en effet que ces réclamations doivent être transmises à la Direction de l'établissement afin qu'une réponse y soit apportée et que vous ne pouvez en aucun cas supplanter la Direction dans le traitement de ces dossiers.

De surcroît, dans cette réponse adressée à la fille de ce patient vous lui avez indiqué qu'elle employait des 'mots plutôt acerbes et décalés de la réalité vis-à-vis de mon équipe et de moi-même', adoptant ainsi une attitude désinvolte et dénuée de toute compassion, face aux inquiétudes de la famille d'un patient.

Nous sommes contraints de vous rappeler qu'il vous appartient, en votre qualité de Médecin de:

-Participer et veiller à la bonne coordination des professionnels de santé

-Suivre et accompagner les familles et les patients, à l'admission et selon les besoins et dans son domaine de compétences et selon la réglementation en vigueur.

-Suivre le règlement de fonctionnement de la Clinique et veiller à son application.

Ces négligences traduisent non seulement, votre manque d'implication mais plus grave encore, sont de nature à engager la responsabilité de la clinique et vont nécessairement à l'encontre d'une prise en charge sérieuse et optimale que les patients et leurs familles sont en droit d'attendre d'un établissement tel que le nôtre.

Nous ne pouvons tolérer un tel manque de diligence dans l'exercice de vos fonctions de Médecin puisque vos agissements sont contraires à ce que nous sommes en droit d'attendre de vous au regard des tâches qui vous incombent, ce que nous ne pouvons admettre.

Les explications que vous avez apportées lors de l'entretien, ne nous ont pas permises de modifier notre appréciation des faits.

Par conséquent, au regard de l'ensemble de ces faits, et eu égard à votre comportement ne nous laissant pas présager d'améliorations nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave'.

' Sur le transfert inutile et dangereux d'un patient très fragilisé

L'article R.4127-40 du code de la santé publique dispose que : 'Le médecin doit s'interdire, dans les investigations et interventions qu'il pratique comme dans les thérapeutiques qu'il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié'.

L'employeur fait valoir que :

-la Clinique Pierre de Soleil disposait d'une sonde à demeure, ce qui rendait inutile le transfert au Centre Hospitalier Alpes Léman, décidé par le Docteur [C], d'un patient atteint de la maladie de Parkinson, d'autant plus que celui-ci n'y consentait pas et que son état de santé était déjà très fragilisé (déshydradation, dénutrition, opération chirurgicale récente),

-la pose d'une sonde et d'une perfusion sont des actes courants qui pouvaient se faire en SSR,

-le Docteur [C] aurait du vérifier, avant tout déplacement du patient, que la clinique disposait du matériel nécessaire,

-la clinique disposait d'une convention d'accès à un laboratoire permettant de réaliser toutes les analyses nécessaires pour déterminer si le patient souffrait ou non d'une infection,

-le Docteur [C] n'a eu de cesse de modifier ses arguments tout au long de la procédure pour justifier sa décision de transfert ('contexte de dénutrition et syndrome paranéoplasique', puis 'nécessité d'explorer l'avancée du cancer de la verge du patient par un urologue', puis 'tableau de déshydratation extracellulaire avec troubles urinaires du patient', et enfin 'ensemble de motifs'...),

-lorsqu'un patient est en fin de vie, le médecin doit avoir une démarche 'palliative' et non 'curative', de sorte que même si le transfert du patient avait été médicalement justifié, le Docteur [C] aurait dû prendre en compte sa situation particulière en privilégiant l'acte médical le moins intrusif pour lui et en vérifiant l'utilité de cet acte au regard de l'état du patient.

Au soutien de ses allégations, la société Clinéa produit:

-un mail du Docteur [C], du 31 octobre 2019, envoyé à la direction, au responsable des soins et à l'infirmier coordinateur, dans lequel il fait état d'un retour du patient à la clinique, après un coup de téléphone 'sec et agressif' des urgences s'étonnant de ce qu'ils ne posaient pas de perfusion, ni de SAD (sonde à demeure);

-la plainte adressée par mail le 4 novembre 2019 par la fille du patient, rédigée en ces termes au sujet du transfert:'Mon papa a même fait un aller/retour au CHAL le jeudi 31.10 à [Localité 5] car il a fait une rétention urinaire 24h après avoir ôté sa sonde urinaire posée suite à l'opération. Je me questionne sur ce déplacement (et son coût) car je pense que la Clinique Pierre de Soleil soit (doit) bien posséder des sondes urinaires, étant donné que des paraplégiques y sont accueillis (effectivement pas au même étage que mon papa) !';

-un mail de Mme [B] [Z], responsable des soins à la clinique Pierre de Soleil mentionnant en date du 28 novembre 2019: 'Je vous confirme que des sondes double courant avec les poches de lavage sont bien présentes sur la structure et à disposition des IDE. Lors de ma dernière astreinte, cette sonde a été reposée à la demande du Dr [D] (10 ou 11/11). Il n'y a pas de sujet concernant l'approvisionnement';

Le Docteur [C] a répondu, dans ses écritures, qu'il avait connaissance de la présence de tels équipements (laboratoire d'analyses et sondes urinaires) au sein de la clinique, mais que sa demande d'hospitalisation du patient était justifiée par un ensemble de motifs, et pas uniquement par la pose d'une sonde à urines, 'face à un tableau de déshydratation extracellulaire avec troubles urinaires dans un contexte de dénutrition et de syndrome paranéoplasique'. Il explique que le cancer de la verge dont le patient était atteint engendrait des difficultés au niveau de la sonde, laquelle se bouchait régulièrement (ayant dû être changée à trois reprises entre le 8 octobre et le 27 octobre 2019), et qu'il convenait d'y remédier de manière plus efficace en effectuant une évaluation en milieu hospitalier. Il prétend avoir agi en considération de l'état de santé du patient pour prévenir au mieux les éventuelles complications, précisant, par ailleurs, qu'il convenait d'explorer l'avancée du cancer de la verge avant de tenter de poser une nouvelle sonde. Il fait valoir, enfin, que le patient a du être hospitalisé le 7 novembre 2019 pour la pose d'une voie veineuse centrale.

Au soutien de ses prétentions, le Docteur [C] produit une attestation du Docteur [K] partageant son avis médical, ainsi que celui du CH de [Localité 7], quant à la nécessité de prioriser l'exploration de l'avancée du cancer de la verge du patient.

En outre, contrairement à ce qui est allégué par la société Clinéa dans ses conclusions, le Docteur [C] fait observer qu'il ne s'agissait pas d'un patient en fin de vie et qu'il n'a jamais été question, par le transfert litigieux, d'un quelconque acharnement thérapeutique, en témoignent les propos de sa fille dans sa plainte du 4 novembre 2019 (:'Mon papa, que j'ai vu encore cet après-midi, souhaite juste pouvoir vivre les quelques années qui lui restent, debout sur ses deux jambes...'). Il précise que son passage en soins palliatifs n'a été décidé que le 13 novembre 2019 suite à une dégradation brutale de son état général.

Par ailleurs, le Docteur [C] se prévaut de l'existence d'un courrier, qu'il a rédigé au soutien de sa demande de prise en charge hospitalière du patient, comportant les motifs pour lesquels, d'après lui, son transfert se justifiait, qu'il n'a, toutefois, plus en sa possession.

Malgré la sommation de communiquer qui lui a été adressée par lettre du 11 mai 2021, force est de constater que la société Clinéa persiste à refuser de produire ' le courrier du Docteur [C] aux termes duquel il demande la prise en charge hospitalière du patient', sous couvert du secret médical. Cette dernière prétend, en outre, que ledit courrier n'aurait aucune incidence sur l'appréciation du bien-fondé du motif de licenciement dans la mesure où, suite à ce transfert, le patient n'a pas été hospitalisé, ce qui démontrerait, selon elle, que son état de santé ne le justifiait pas.

Or, l'argument médical occupant une place centrale dans l'examen de ce grief, la Cour observe qu'en refusant la communication de cette pièce essentielle, qu'elle est la seule à détenir, la société Clinéa, non seulement, met le Docteur [C] dans l'incapacité d'assurer sa défense et le prive de son droit à un procès équitable, mais surtout, ne se donne pas, à elle-même, les moyens de rapporter la preuve matérielle des faits reprochés au salarié, laquelle, en l'état des documents produits, n'est pas établie, les seuls éléments transmis ne permettant pas, en effet, de considérer que M. [V] [C] est à l'origine d'un transfert inutile et dangereux d'un patient en fin de vie.

Ce grief n'est, dès lors, pas caractérisé.

' Sur l'absence de traçabilité des soins

Il est reproché au Docteur [C] de ne pas avoir renseigné le dossier médical d'un patient, au mépris de ses obligations professionnelles élémentaires et, notamment, de ne pas avoir donné d'explications quant au motif l'ayant conduit à arrêter son sondage urinaire double, de sorte qu'en l'absence d'informations, le médecin d'astreinte aurait du, le 10 novembre 2019, procéder à un nouveau sondage urinaire, constituant un acte invasif et douloureux.

Le Docteur [C] conteste avoir retiré ladite sonde, indiquant qu'il ne travaillait pas le samedi 9 novembre 2019 et qu'au regard des problèmes de santé du patient ce dernier n'aurait pas pu survivre plus de 48 heures sans sonde.

La société Clinéa refuse, une fois de plus, de transmettre le dossier médical du patient concerné au motif qu'il serait strictement confidentiel.

Or, de ce fait, force est de constater que la Cour ne dispose d'aucun élément permettant de vérifier la réalité de la faute reprochée au Docteur [C].

L'employeur se contente, en effet, de fournir un mail du 28 novembre 2019 de la responsable des soins, lequel, s'il permet de confirmer qu'une 'sonde a été reposée à la demande du Dr [D] (10 ou 11/11)', n'en expose, toutefois, pas les raisons.

Cet élément, à lui seul, ne démontre nullement d'une absence de traçabilité des soins prodigués par le Docteur [C].

Ce grief n'est donc pas davantage établi.

' Sur l'absence de suivi de l'état clinique d'un patient

La société Clinéa verse aux débats la plainte adressée par la fille d'un patient à l'ARS le 4 novembre 2019, rédigée en ces termes: 'A son arrivée le 24.10 à 14h30, nous sommes accueillis par une aide-soignante et nous voyons le médecin du service le Dr [V] [C] vers 16h00. Je lui explique le parcours de mon papa (3ème établissement en 3 semaines). Je réitère que mon papa est en cours de changement de traitement (Modopar/Sinemel), que sa neurologue attend des nouvelles. Je l'informe que je le trouve moins bien sous le nouveau traitement et lui donne tous les éléments du dossier médical de mon papa' (...) 'A noter que j'ai, sans l'aval du médecin de la clinique Pierre de Soleil, contacté ce jour par mail sa neurologue pour l'informer de la situation, ainsi que sa médecin traitant dans l'espoir de faire avancer cette situation ».

Le Docteur [C] transmet, quant à lui, le compte-rendu du Docteur [J] [M] du CH [Localité 4] daté du 25 octobre 2019 confirmant que sa prescription d'arrêter le Tramadol, médicament mal toléré par certains patients atteints de la maladie de parkinson, avait permis d'objectiver une amélioration de ses troubles (nausées).

Or, il lui est uniquement reproché par l'employeur de ne pas avoir tenu informé le neurologue en charge du traitement de la maladie de parkinson du patient de l'évolution de son état de santé, malgré les demandes de ce dernier, et d'avoir, par sa négligence, porté atteinte à la qualité et à la continuité des soins prodigués au patient.

La Cour observe que la société Clinéa ne justifie pas des demandes du neurologue alléguées, mais que, pour autant, elles ne sont pas contestées par le Docteur [C], lequel ne prétend pas, non plus, y avoir répondu.

Dans ces conditions, il convient de considérer que ces faits sont matériellement établis.

' Sur le retard dans la transmission du certificat médical de transfert d'un patient

L'article R. 4127-36 alinéa 1er du code de la santé publique dispose que : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas ».

La société Clinéa considère que l'attitude adoptée par le Docteur [C], lequel n'aurait pas respecté la volonté de la famille d'un patient de refuser un acharnement thérapeutique, devenu inutile, et de le diriger vers des soins palliatifs en EHPAD, en tardant à remettre un certificat médical de transfert et en indiquant, en outre, qu'il n'avait pas le temps de s'occuper de ce dossier, est contraire à la charte de la personne hospitalisée rappelant que :

-toute personne est libre de choisir l'établissement de santé qui la prendra en charge,

-un établissement ne peut faire obstacle à ce libre choix, que s'il n'a pas les moyens d'assurer une prise en charge appropriée à l'état du patient ou s'il ne dispose pas de la place disponible pour le recevoir,

-la prise en compte de la volonté des personnes parvenues au terme de leur existence est essentielle,

-la famille et les proches doivent pouvoir disposer d'un temps suffisant pour avoir un dialogue avec les médecins responsables en cas de diagnostic ou de pronostic grave.

La société Clinéa produit un mail du 31 octobre 2019 envoyé au Docteur [C] dans lequel la fille du patient concerné le sollicitait pour remplir un formulaire médical nécessaire à sa demande d'EHPAD, ainsi que la plainte de cette dernière adressée le 10 novembre 2019 au Conseil de l'Ordre des Médecins de Haute-Savoie dans laquelle elle expose avoir du relancer le Docteur [C] à 4 reprises, avant de parvenir à obtenir ce questionnaire le 7 novembre 2019.

Par ailleurs, cette même personne indiquait, au sujet du Docteur [C], dans sa plainte du 4 novembre 2019, adressée à l'ARS, figurant en procédure: « Ce médecin, très sûr de lui, est un courant d'air qui me dit qu'il sait, que je dois leur faire confiance, et qu'il n'a pas de temps car il a du travail ».

Le Docteur [C], pour sa défense, soutient que le transfert en EHPAD du patient n'était pas une priorité compte tenu de son état de santé alarmant, qu'il a entendu privilégier par rapport à la satisfaction de la demande de sa fille. Il explique que l'urgence consistait à le réhydrater, à le stabiliser, à bilanter et résoudre ses troubles urinaires obstructifs récurrents, avant de se précipiter sur un transfert en EHPAD, considérant qu'il était essentiel d'agir, compte tenu de son cancer de la verge à un stade bien avancé et de son antécédent de pyélonéphrite grave datant de 2017. Il ajoute que ce patient est finalement décédé le 18 novembre 2019, après avoir été placé en soins palliatifs le 13 novembre 2019, de sorte que la communication du certificat médical souhaité, à la date du 7 novembre 2019, n'aurait eu aucune incidence quant à son transfert en EHPAD.

Par ailleurs, le salarié communique une attestation de Mme [T], infirmière, mentionnant: 'Je souhaiterais témoigner du fait qu'il a toujours eu de bonnes relations avec les patients et fait preuve d'empathie vis-à-vis d'eux' (...). Je souhaiterais également témoigner du fait que Mme [O] avait des exigences importantes concernant les soins dispensés à son père. En effet, le personnel soignant recevait de nombreux appels de sa part, et cela jusqu'à plusieurs fois par jour afin de demander des explications concernant les traitements de son père ou pour nous faire part du fait que l'état de santé de celui-ci se dégradait. C'est certainement pour cette raison que parfois, ses appels pouvaient également être agressifs ».

Le Docteur [C] souligne, en outre, que le mail de Mme [O] du 10 novembre 2019 adressé au Conseil de l'ordre des médecins de Haute-Savoie, dénonçant des 'agissements contraires au code de déontologie', visait aussi un autre médecin n'exerçant pas dans le même établissement que lui.

Dans ces conditions, la Cour considère que les seuls propos de cette plaignante, qu'il convient d'accueillir avec prudence, ne sauraient suffire à démontrer la réalité des faits reprochés au salarié, à défaut de tout autre élément, notamment d'ordre médical, produit par l'employeur.

Ce grief n'est donc pas caractérisé.

' Sur le non-respect de la procédure de réponse aux plaintes et les écrits 'déplacés' à l'égard d'un membre de la famille d'un patient

Il est à préciser que ce grief est relatif à la fille d'un autre patient que celui évoqué précédemment.

La société Clinéa produit un document intitulé 'gestion des plaintes' , émanant de la clinique Pierre de soleil, ayant pour objet de décrire la conduite à tenir lors de la réception d'une plainte, applicable depuis le 5 avril 2017.

Il en ressort que tout courrier de plainte d'un patient ou de sa famille sur les soins doit être immédiatement transmis au médecin coordinateur régional (SSR dans le protocole) et/ou à la direction, et que tous les courriers en réponse doivent être communiqués, pour validation, au directeur de division, avant envoi au plaignant.

Le Docteur [C] prétend n'avoir jamais été informé de cette procédure avant sa production dans le cadre des débats, ni de la possibilité de la consulter via le portail qualité informatisé.

La société Clinéa produit, en réponse, des échanges de mails entre le Docteur [C] et sa hiérarchie relatifs à différentes réclamations de familles de patients réceptionnées, afin de démontrer qu'il était bien avisé de la marche à suivre (13 juin 2019: 'Merci de me faire un retour pour réponse', 31 octobre 2019: 'Merci de tenir (mot effacé) informée si la famille part sur réclamation').

Or, le Docteur [C] a répondu directement à la fille d'un patient se plaignant de l'arrêt d'un traitement, par mail du 8 novembre 2019, figurant à la procédure, faisant suite à un message reçu la veille sur le site internet. Ceci, sans que son courriel n'ait été validé au préalable par le médecin coordinateur régional ou le directeur de l'établissement, en commençant, en outre, par cette phrase: « Je me permets de vous répondre aux inquiétudes avec des mots plutôt acerbes et décalés de la réalité vis-à-vis de mon équipe et de moi-même ».

La société Clinéa lui reproche, outre le non respect de la procédure de réponse aux plaintes, le fait qu'il ait manqué de délicatesse et de compassion vis-à-vis de cette plaignante sans tenir compte de son état de souffrance psychologique. Elle considère, en outre, que son image a été ternie par l'emploi d'un ton agressif.

Le Docteur [C] prétend que l'urgence nécessitait qu'il réponde à la fille du patient sans passer par sa hiérarchie afin d''éviter de la laisser tout le week-end avec ses doutes et inquiétudes'.

S'il apparait qu'il n'a pas respecté, stricto sensu, la procédure interne à la clinique, il s'avère, toutefois, qu'à travers un tel message il a répondu, précisément, aux interrogations de cette personne quant à l'arrêt du traitement de son père, en terminant ses explications ainsi: 'Il n'y a pas de négligence de notre part. Il serait souhaitable que vous nous fassiez confiance quant à l'exercice de notre métier. Je suis prêt à vous recevoir à mon bureau et discuter de façon constructive et sans dénigrement de quiconque avec votre papa. Je transfère à la direction de la clinique et à toute l'équipe soignante votre mail et ma réponse précise à celui-ci, afin qu'il n'y ait plus de malentendu'.

Le Docteur [C] soutient que suite à son mail de réponse, il aurait reçu des excuses de la fille du patient.

La société Clinéa, considérant qu'il ne lui appartient pas de pallier la carence du salarié dans l'administration de la preuve, n'entend pas déférer à la sommation de communiquer qui lui a été adressée par le conseil de M. [C] [V] par courrier du 11 mai 2021 au sujet du 'courriel de la fille du patient lui présentant des excuses pour les termes et le ton inapproprié qu'elle avait adoptés'. Pour autant, elle n'en conteste pas l'existence.

En tout état de cause, les éléments fournis par la société Clinéa ne permettent pas de considérer que le Docteur [C] ait adopté des propos 'déplacés' à l'égard de la plaignante.

Ce grief n'est donc que partiellement caractérisé.

*

Par conséquent, il apparait que seuls deux des griefs visés dans la lettre de licenciement sont établis à l'encontre du salarié, à savoir l'absence de retour au neurologue d'un patient (et donc de suivi de son état clinique) et le non respect de la procédure de réponse aux plaintes. Or, la sanction donnée par la société Clinéa à ces faits est manifestement disproportionnée à leur nature et gravité, et ce d'autant plus au regard de la personnalité et de l'absence d'antécécents disciplinaires du Docteur [C].

En effet, le Docteur [C] produit:

-de nombreuses attestations, émanant tant de ses pairs (corps médical) que d'anciens patients, indiquant qu'il s'agit d'un médecin consciencieux, rigoureux, à l'écoute et bienveillant;

-plusieurs attestations provenant de l'ordre national des médecins et du service du médecin cantonal de [Localité 6], rapportant qu'il n'a jamais fait l'objet de la moindre sanction disciplinaire, que ce soit lors de son exercice professionnel en France ou en Suisse.

Par ailleurs, la Cour observe que la société Clinéa n'a pas transmis les 'Questionnaires anonymes de satisfaction des patients ayant séjourné dans le service du Docteur [C]', malgré la sommation de communiquer adressée par son avocat par courrier du 11 mai 2021, alors que, s'agissant de données couvertes par l'anonymat, l'employeur ne peut valablement se retrancher derrière leur caractère confidentiel pour tenter de justifier cette absence de production.

Nul doute que de tels éléments auraient été fournis par la société Clinéa s'ils avaient contenu des motifs d'insatisfaction à l'encontre du Docteur [C], à l'instar des plaintes versées aux débats.

Par conséquent, il convient de confirmer la décision du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [V] [C] prononcé le 5 décembre 2019 ne repose pas sur une faute grave, et l'a déclaré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

C. Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire

La mise à pied conservatoire suppose l'existence d'une faute grave nécessitant l'éviction immédiate du salarié (Cass. soc., 6 nov. 2001, n° 99-43.012).

Dès lors, la question du paiement ou non de la période couverte par la mise à pied dépend de la sanction finalement retenue. Si la faute grave n'est pas retenue, le salarié peut prétendre au versement de son salaire : « seule une faute grave peut justifier le non-paiement du salaire pendant une mise à pied conservatoire » (Cass. soc., 5 juin 1996, n°95-40.019).

En l'espèce, la mise à pied conservatoire du Docteur [C] a pris effet le 15 novembre 2019 et son licenciement, dépourvu de cause réelle et sérieuse, a été prononcé le 5 décembre 2019. Le salarié peut, dès lors, prétendre à un rappel de salaire, à hauteur de 5.775,37 €, à raison de la mise à pied conservatoire injustifiée dont il a fait l'objet, outre 577,53 € au titre des congés payés afférents, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes.

D.Sur les indemnités de rupture

Le Docteur [V] [C], à la date de cessation de ses fonctions, avait une ancienneté de 10 mois au sein de la société Clinéa et percevait une rémunération brute mensuelle de 7.690 €.

Dans ces conditions, il convient de lui allouer, compte tenu des données de l'espèce:

-au titre de l'indemnité compensatrice de préavis :

L'indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, qu'aurait perçus le salarié s'il avait travaillé pendant cette période (C.'trav., art.'L.'1234-5).

L'article L.1234-1 2° du code du travail prévoit que lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois.

Toutefois, ces dispositions ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.

En l'espèce, la convention collective applicable et le contrat de travail prévoient un préavis de trois mois en cas de licenciement d'un salarié bénéficiant du statut cadre, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes et de condamner la société Clinéa à verser à M. [C] [V] la somme de 23.070 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 2.307 € bruts de congés payés afférents.

-au titre de l'indemnité légale de licenciement :

Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement (article L.1234-9 du code du travail).

Quel que soit le motif de licenciement, cette indemnité ne peut pas être inférieure à (C.'trav., art.'R.'1234-2)':

-1/4'de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à 10'ans d'ancienneté,

-1/3'de mois de salaire par année d'ancienneté à partir de 10'ans d'ancienneté.

L'indemnité légale de licenciement est calculée par année de service dans l'entreprise en tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets (C.'trav., art.'R.'1234-1).

Dès lors, M. [V] [C] peut prétendre à une indemnité légale de licenciement de 1.602,08€ (7.690/4 x 10/12), ainsi que jugé par le Conseil de prud'hommes d'Annemasse dont la décision sera confirmée.

- au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

L'article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnité maximale d'un mois de salaire.

Bien que le Docteur [C] n'apporte aucun élément quant à sa situation postérieurement à son licenciement permettant d'apprécier les conséquences de celui-ci, il convient de lui allouer 7.690€ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit une indemnité correspondant à 1 mois de salaire, au regard des circonstances dans lesquelles la rupture de son contrat de travail est intervenue. Le jugement du Conseil de prud'hommes d'Annemasse sera, dès lors, confirmé.

E. Sur les dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

'L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Le conseil de prud'hommes, qui a constaté que le salarié n'apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision' (Cass. soc., 13 avril 2016, n°14-28.293).

M. [V] [C] considère avoir été licencié 'sans préavis' et sans que la moindre contradiction ne puisse être apportée aux griefs formulés à son encontre, l'employeur se contentant de 'prendre pour argent comptant' les allégations de la fille d'un patient, sans diligenter la moindre enquête, et sans faire preuve de respect et de considération envers son expérience professionnelle, en choisissant de rompre brutalement la relation professionnelle, 3 semaines seulement après la remise de sa convocation à un entretien préalable. Il prétend que le préjudice qu'il a subi dans son milieu professionnel est certain.

Or, la Cour observe que M. [C], à défaut de produire le moindre document, ne justifie pas d'un préjudice distinct de ceux dont il a d'ores et déjà obtenu réparation par l'octroi des indemnités de rupture attachées à son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes qui a rejeté la demande du salarié.

II. Sur les demandes liées à la convention de forfait annuel en jours

A. Sur la nullité de la convention de forfait annuel en jours

L'application à un salarié d'une clause de forfait annuel en jours est subordonnée à l'existence de dispositions conventionnelles conformes l'autorisant (C. trav., art. L.3121-63: accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ).

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, l'accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours doit impérativement fixer les modalités selon lesquelles (C. trav., art. L. 3121-64):

- 'l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié' ;

- 'l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise' ;

- 'le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L.2242-8 '.

En l'absence de garanties dans l'accord collectif portant sur l'évaluation et le suivi de la charge de travail, ou lorsque celles-ci sont insuffisantes, la convention de forfait annuel en jours doit être annulée (Cass. soc., 6 nov. 2019, n°18-19.752), sauf régularisation.

À titre dérogatoire, et afin de sécuriser les accords devenus défaillants au gré des réformes, l'article L.3121-65 du code du travail admet qu'en pratique, une convention de forfait-jours puisse être valablement conclue si l'employeur satisfait aux conditions cumulatives suivantes:

-établir « un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié » ;

-s'assurer « que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires » ;

-organiser « une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération » ;

-définir «les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion » et les communiquer « par tout moyen aux salariés concernés ».

Si la Cour de cassation a considéré, dans un premier temps, que le non-respect des modalités de suivi, fixées par l'accord collectif, n'ouvrait droit qu'à des dommages-intérêts pour le salarié lésé (Cass. soc., 13 janv. 2010, n°08-43.201 ; Cass. soc., 7 déc. 2010, n°09-40.750), elle juge désormais que, ces mesures étant nécessaires pour garantir la protection de la sécurité et de la santé du salarié, leur défaut d'application a pour conséquence de priver d'effet la convention de forfait (Cass. soc., 19 févr. 2014, n°12-22.174 et 12-28.170 ; Cass. soc., 2 juill. 2014, n°13-11.940).

En l'espèce, l'article 6 du contrat de travail de M. [C] stipule que:'En considération des caractéristiques de ses fonctions de médecin rendant impossible tout décompte a priori de son temps de travail quotidien, le praticien sera rémunéré sur la base d'un forfait défini en fonction d'un nombre de jours de travail sur l'année.

La rémunération forfaitaire du praticien, au sein de la clinique, sera de 7.690 € bruts mensuels pour 213 jours de travail pour une année complète, conformément à la loi n°2004-626 du 30 juin 2004 'relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées'.

Il est entendu que cette rémunération prend en compte les contraintes inhérentes à la fonction du praticien.

Les parties rappellent que cette rémunération est indépendante du nombre d'heures de travail effectif et de jours accomplis pendant la période de paye, le praticien étant soumis aux dispositions relatives aux conventions de forfait pour le personnel cadre telles que définies, notamment, dans l'accord d'entreprise relatif au temps de travail des cadres.

Le praticien s'engage à consacrer le temps nécessaire à l'accomplissement des tâches liées à sa fonction. Compte tenu de l'autonomie du praticien dans l'organisation journalière de son temps, il est laissé libre de gérer ses horaires journaliers de travail aux fins d'accomplir les missions de sa fonction. Toutefois, l'entreprise lui demande de conserver une répartition étalée et relativement constante de son temps de travail et de la présence dans l'entreprise.

Le praticien, en tant que salarié de la clinique, est soumis aux dispositions légales et réglementaires relatives à la durée du travail.'

Pour justifier l'application de cette convention individuelle de forfait jours, l'employeur produit un accord d'entreprise de la Sas Clinéa relatif à l'aménagement du temps de travail des cadres au forfait conclu le 29 novembre 2001.

M. [C] considère que cet accord collectif ne respecte pas les dispositions de l'article L.3121-64 du code du travail, en ce que les modalités d'évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié n'y sont pas évoquées, pas plus que celles relatives au droit à la déconnexion.

Par ailleurs, il fait valoir que le non-respect de ces dispositions légales aurait pu être pallié par une mise en 'uvre de mesures conformes à l'article L.3121-65 du code du travail, mais qu'aucun document de contrôle, ni aucun entretien annuel, n'a été mis en place au sein de la société Clinéa, de sorte que sa convention individuelle de forfait-jours doit être frappée de nullité.

Le Docteur [C] estime, à juste titre, que les mails qu'il a échangés avec la Directrice d'exploitation, Mme [W], versés aux débats par la société Clinéa, où il est question de rencontres entre eux (31 janvier 2019: échange d'informations sur le service 2B, 17 février 2019: point sur son 1er mois de prise de fonctions, 12 avril 2019: rendez-vous de renouvellement de sa période d'essai, 3 octobre 2019: journée d'accueil des nouveaux salariés, 27 juin 2019: conditions de son départ en congés), ne sauraient démontrer l'existence d'entretiens réguliers relatifs à ses conditions d'exercice et sa charge de travail.

L'accord d'entreprise de la Sas Clinéa du 29 novembre 2001 prévoit que 'la mise en application du présent accord, au regard de la charge de travail de chacun, sera contrôlée chaque année lors des entretiens individuels d'évaluation. Des documents permettant une récapitulation annuelle du nombre de jours travaillés dans l'année seront tenus par le responsable hiérarchique direct et visés en fin d'année civile par chaque salarié concerné', de sorte que, contrairement à ce que soutient M. [C], des modalités d'évaluation et de suivi de la charge de travail du salarié y sont bien mentionnées.

La société Clinéa souligne, pour sa part, que le Docteur [C] ayant moins d'un an d'ancienneté à la date de son licenciement, il ne saurait lui reprocher une absence d'entretien et de document de contrôle, dont la fréquence, imposée par les textes applicables, n'est, d'après elle, qu'annuelle.

Or, le récapitulatif annuel, prévu par l'article L. 3121-65 du code du travail, se combine avec les autres modalités de suivi, lesquelles doivent constituer des dispositifs de contrôle 'au fils de l'eau'.

En effet, la Cour de cassation exige, en pratique, de l'employeur qu'il institue un suivi effectif et régulier de la charge de travail et de la santé de ses salariés astreints à une convention de forfait-jours.

Non seulement l'employeur doit justifier que le contrôle du temps et de la charge de travail du salarié est opéré en temps réel, mais, également, qu'il existe un mécanisme correcteur permettant, en cas de surcharge, d'ajuster, rapidement, ce temps et cette charge de travail, pour prévenir toute violation au droit à la santé et au repos du travailleur.

Dès lors, en l'espèce, la Cour considère que les dispositifs prévus dans l'accord collectif de la Sas Clinéa, compte tenu, notamment, de leur périodicité annuelle et de l'absence de système correctif, n'offrent point de garanties suffisantes au salarié quant à la protection de sa santé et de sa sécurité, en ce qu'ils ne permettent pas de s'assurer, en temps utile, que l'amplitude de sa charge de travail reste raisonnable, ni d'une bonne répartition entre ses temps de travail et de repos.

Dans ces conditions, la convention de forfait annuel en jours de M. [C] [V] est nulle et le salarié peut prétendre à l'application des dispositions de droit commun relatives au temps de travail, notamment sur les heures supplémentaires. Le jugement du Conseil de prud'hommes sera, dès lors, infirmé sur ce point.

B. Sur les heures supplémentaires et la contrepartie obligatoire en repos

Aux termes de l'article L.3121-27 du code du travail : « La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine ».

En vertu de l'article L.3121-28 du code du travail : 'Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent'.

Les heures supplémentaires se décomptent par semaine en application de l'article L.3121-9 du code du travail et donnent droit, en vertu de l'article L.3121-36 du même code, à une majoration de 25% pour les 8 premières heures et de 50 % pour les heures suivantes.

En application de l'article L.3171-2 du code du travail, 'Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ». L'article L.3171-3 du même code prévoit que l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées (Cass. Soc., 14 novembre 2018, n°17-16959). Le juge doit donc rechercher si les heures supplémentaires invoquées par le salarié étaient commandées, explicitement ou implicitement par l'employeur, ou si elles résultaient de sa charge de travail telle que fixée par l'employeur. C'est seulement lorsqu'elles ont été effectuées malgré l'opposition de l'employeur, sans que la nature ou la quantité des tâches confiées au salarié ne les justifient, que les heures supplémentaires ne peuvent donner lieu à paiement (Cass. Soc., 24 septembre 2014, n°13-14289).

La charge de la preuve des heures supplémentaires effectuées ne repose pas spécialement sur l'une des parties. Elle est dite 'partagée'.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail : « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».

Dans le dernier état de sa jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi précisé le rôle de chaque partie et du juge :

« En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. » (Cass. Soc., 27 janvier 2021, n°17-31046).

En l'espèce, dans ses écritures, le salarié expose que 'le montant des indemnités sollicitées au titre de la nullité de la convention individuelle de forfait en jours' a été déterminé et calculé comme suit :

-chaque journée travaillée a été notée depuis la date d'embauche jusqu'à la rupture du contrat, -une demi-heure journalière consacrée au déjeuner a été retirée des heures travaillées,

-les horaires journaliers effectués n'ont jamais été inférieurs à 08h30-17h00. Le plus souvent, le Docteur [C] travaillait de 08h30 à 18 heures, voire 19 heures ou 20 heures en cas de besoin.

Au soutien de sa demande, le Docteur [C] produit un calendrier sur lequel il est annoté de manière manuscrite le volume d'heures de travail effectuées chaque jour. Il y est fait mention, également, des périodes de congés payés, de RTT et d'astreintes.

Par conséquent, la Cour considère que le salarié présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, permettant à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Or, de son côté, la société Clinéa se contente de verser aux débats une fiche de signalement relatif à un évènement indésirable du 15 juin 2019 (émanant de l'IDE service soins 2ème étage faisant état d'une erreur de prescription et mentionnant: 'patient sous ATB per os, arrivée le 14/06 à 16h30. Pas d'observation médicale réalisée, le médecin me dit avant son départ qu'il fera cette observation à son retour de congés'), de laquelle il ne saurait se déduire que le Docteur [C] avait pour pratique habituelle de quitter son poste de travail avant 17 heures.

Ainsi, il apparait, d'après le décompte précis opéré par le salarié, que de janvier 2019 à novembre 2019, le Docteur [C] a effectué 308,30 heures supplémentaires, qu'il appartient à la société Clinéa de lui régler, à hauteur de 9.944,16 euros, outre 994,41 euros de congés payés afférents.

Les articles L. 3121-30 et L. 3121-38 du code du travail précisent que les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel fixé, à défaut d'accord, à 220 heures par an, ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos fixée à 100 % ou 50 % des dites heures, selon que l'entreprise a plus ou moins de vingt salariés.

La Sas Clinéa comptant plus de 20 salariés, le Docteur [C] peut prétendre à une contrepartie obligatoire en repos de 2.204,67 euros, outre 220,46 euros de congés payés afférents, à raison des 88,30 heures supplémentaires qu'il a réalisées au delà du contingent annuel.

C. Sur le travail dissimulé

Suivant l'article L.8221-5 du code du travail:

'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1°Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2°Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3°Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales'.

Le travail dissimulé n'est constitué qu'à la condition que l'intentionnalité de l'employeur soit démontrée, ce qui ne peut se déduire de la seule application d'une convention de forfait illicite (Cass. soc., 28 févr. 2018, n°16-19.054), le salarié devant, ainsi, prouver que c'est délibérement que son employeur a refusé de lui payer les heures supplémentaires qu'il dit avoir réalisées et de les mentionner sur ses bulletins de paie.

Le caractère intentionnel peut être retenu si les heures mentionnées sur les bulletins de paye sont très inférieures au nombre d'heures effectivement réalisées et que cette pratique dure depuis de nombreuses années (Cass. soc., 20 juin 2013, n°10-20.507), ou s'il apparaît que l'employeur ne peut ignorer l'amplitude horaire réalisée par le salarié (Cass. soc., 6 mai 2015, n°13-22.211), ou bien encore lorsque le temps de travail est pré-quantifié en application de dispositions conventionnelles mais que les heures effectuées en plus ne sont volontairement pas décomptées (Cass. soc., 5 juin 2019, n°17-23.228), et lorsque l'employeur a fait sciemment travailler un salarié au-delà de 35 heures, sans le rémunérer de l'intégralité de ses heures (Cass. soc., 24 avr. 2013, n°11-28.691).

En l'espèce, les faits de travail dissimulé n'étant pas démontrés dans leur intentionnalité, il convient de débouter le salarié de sa demande d'indemnité, étant précisé que le Conseil de prud'hommes a omis de statuer sur celle-ci.

D. Sur la demande reconventionnelle de la société Clinéa de remboursement des jours de RTT

Lorsque la convention de forfait en jours est privée d'effet, l'employeur est en droit, en application du principe de la répétition de l'indû, de demander au salarié le remboursement des jours de réduction du temps de travail dont il a bénéficié, dans la mesure où ils constituent la contrepartie de la forfaitisation (Cass. soc. 6 janv. 2021, n°17-28.234). Cette solution est transposable en cas de convention de forfait en jours nulle.

En l'espèce, à la lecture des bulletins de paie, corroborés par le calendrier fourni par le Docteur [C], il apparait qu'il a bénéficié de :

- 2 jours de RTT en mars 2019 pour une indemnisation de 699,09 euros ;

- 2 jours de RTT en avril 2019 pour une indemnisation de 699,09 euros ;

- 1 jour de RTT en mai 2019 pour une indemnisation de 349,55 euros ;

- 1 jour de RTT en juillet 2019 pour une indemnisation de 349,55 euros ;

- 1 jour de RTT en septembre 2019 pour une indemnisation de 349,55 euros ;

- 1 jour de RTT en octobre 2019 pour une indemnisation de 349,55 euros ;

- une indemnité versée à la rupture du contrat de travail de 2.097,30 euros (correspondant à 6 jours de RTT).

Par conséquent, le jugement du Conseil de prud'hommes doit être infirmé sur ce point et il convient de faire droit intégralement à la demande reconventionnelle de la société Clinéa en condamnant M. [C] [V] à lui rembourser la somme de 4.263,64 euros.

III. Sur les demandes nouvelles relatives au paiement des astreintes et au remboursement de repas

Depuis 2016, le principe d'unicité de l'instance en matière prud'homale a été supprimé, de même que la possibilité pour les parties de présenter des demandes nouvelles tout au long de la procédure, y compris au stade de l'appel.

La requête initiale fixe, dès lors, les limites du litige prud'homal. L'article 70 du code de procédure civile, qui a vocation à s'appliquer aux procédures prud'homales, dispose que : « Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».

En l'espèce, par requête réceptionnée le 18 juin 2020, M. [V] [C] a saisi le Conseil de prud'hommes d'Annemasse aux fins de contester son licenciement, ainsi que la clause de forfait-jours insérée dans son contrat de travail, et pour solliciter des indemnités de rupture, un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, le paiement d'heures supplémentaires et d'un repos compensateur, outre une indemnité pour travail dissimulé.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives de première instance du 16 décembre 2020, le Docteur [C] a présenté deux autres demandes relatives à des rappels de salaires correspondant au remboursement de repas de novembre 2019 et à des astreintes non payées.

Contrairement à ce que soutient le salarié, ces deux demandes, qui ne figuraient pas dans sa requête initiale, ne s'inscrivent pas dans le prolongement de ses prétentions originaires en ce qu'elles n'ont aucun lien avec la contestation du licenciement et de la convention de forfait-jours.

En conséquence, la Cour juge irrecevables, au visa de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes nouvelles du Docteur [C], relatives aux astreintes et au remboursement de repas, étant précisé que le Conseil de prud'hommes a omis de statuer sur celles-ci.

IV. Sur les demandes annexes

Au regard de ce qui précède, il convient de condamner la société Clinéa à remettre à M. [V] [C] les documents de fin de contrat et bulletins de paie rectifiés, tenant compte de la présente décision, en déboutant le salarié du surplus de ses demandes, le prononcé d'une astreinte n'apparaissant pas nécessaire et justifié.

S'agissant des créances salariales, en application de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.

Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.

Pour les sommes portant sur des rappels de salaire (y compris indemnité de préavis, indemnité de licenciement, indemnité de congés payés, prime d'ancienneté'), les intérêts courent, soit à compter de la saisine de la juridiction prud'homale, c'est-à-dire de la date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation (en l'espèce le 15 septembre 2020) ou devant le bureau de jugement en cas de saisine directe, soit, si les salaires ont fait l'objet d'une réclamation antérieure, à compter de la date de la demande de paiement.

S'agissant des créances indemnitaires, en application de l'article 1231-7 du code civil, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement, à moins que le juge n'en décide autrement. En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger à ces dispositions.

La demande du salarié relative à la capitalisation des intérêts, non motivée, sera rejetée.

V. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Clinéa succombant à titre principal, elle devra assumer la charge des dépens, tant en 1ère instance qu'en cause d'appel, et verser à M. [C] [V], au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2.300 euros, tant en 1ère instance, qu'en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,

Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes d'Annemasse du 28 septembre 2021 en ce qu'il a:

- Déclaré que le licenciement de M. [V] [C] prononcé le 5 décembre 2019 ne repose pas sur une faute grave, et l'a déclaré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la Sas Clinéa-Pierre de Soleil à payer les sommes suivantes à M. [V] [C]:

* 1.602,08 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 7.690 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 23.070 € au titre du préavis, outre 2.307 € au titre des congés payés afférents ;

* 5.775,37 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, outre 577,53 € au titre des congés payés afférents ;

- Rejeté la demande de voir constater que le licenciement est intervenu dans des circonstances particulièrement vexatoires ;

- Ordonné la remise des documents de fin de contrat de travail rectifiés, conformément au dispositif du présent jugement, sans assortir cette obligation d'une astreinte ;

- Condamné la Sas Clinéa-Pierre de Soleil à verser à M. [V] [C] la somme de 2.300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté la demande de la société Clinéa concernant l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la Sas Clinéa- Pierre de Soleil aux dépens.

Infirme le jugement du Conseil de prud'hommes d'Annemasse du 28 septembre 2021 pour le surplus de ses dispositions frappées d'appel;

Statuant à nouveau sur les chefs d'infirmation,

- Constate que la convention de forfait annuel en jours est nulle;

- Condamne la Sas Clinéa-Pierre de Soleil à payer les sommes suivantes à M. [V] [C]:

* 9.944,16 € au titre des heures supplémentaires non rémunérées, outre 994,41 € de congés payés afférents;

* 2.204,67 € au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre 220,46 € de congés payés afférents;

-Condamne M. [V] [C] à rembourser à la Sas Clinéa-Pierre de Soleil la somme de 4.263,64 € au titre des jours de RTT indûment réglés;

- Ordonne à la société Clinéa de remettre à M. [V] [C] les documents de fin de contrat (solde de tout compte, attestation Pôle emploi et un certificat de travail), ainsi que les bulletins de salaire, rectifiés, tenant compte de la présente décision, sans assortir cette obligation d'une astreinte;

Et y ajoutant,

-Déboute M. [V] [C] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé;

-Déclare irrecevables les demandes nouvelles de M. [V] [C] relatives au remboursement de repas de novembre 2019 et au paiement d'astreintes;

-Dit que les sommes allouées, revêtant le caractère de créances salariales, porteront intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2020, et que celles revêtant le caractère de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance (en cas de confirmation) ou du présent arrêt (en cas d'infirmation), conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil ;

-Condamne la société Clinéa à payer à M. [C] [V] une somme de 2.300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel;

-Condamne, en cause d'appel, la société Clinéa aux entiers dépens de l'instance;

-Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;

Ainsi prononcé publiquement le 04 Juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle CHUILON, Conseillère en remplacement du Président légalement empêché, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier P/Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Chbre sociale prud'hommes
Numéro d'arrêt : 21/02083
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.02083 ?
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