COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 02 AVRIL 2024
N° RG 22/00646 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G64X
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE CHALON SUR SAONE
C/ [B] [C] [Z] [W] etc...
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNECY en date du 30 Mars 2022, RG F 20/00167
APPELANTE :
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE CHALON SUR SAONE
[Adresse 3]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentant : Me Laetitia GAUDIN de la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMEES :
Madame [B] [C] [Z] [W]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Amélie OMBRET, avocat au barreau de BONNEVILLE
S.E.L.A.R.L. SELARL MARIE DUBOIS SELARL MARIE DUBOIS ès qualité de mandataire liquidateur de la société AVENIR GROUPE EXPERTISES
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Pascale DRAI-ATTAL, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 16 Mai 2023, devant Madame Isabelle CHUILON, Conseiller désigné(e) par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s'est chargé(e) du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré,
Et lors du délibéré par :
Monsieur Cyril GUYAT, Président,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
********
Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties
Le 9 septembre 2019, Mme [B] [W] a été embauchée par la Sas Avenir Groupe Expertises, ayant pour président M.[G] [J], en qualité de diagnostiqueur immobilier responsable à temps plein, pour un salaire mensuel de base de 3.206,43 € brut, sans qu'aucun contrat de travail écrit n'ait été établi.
La convention collective applicable est celle des cabinets ou entreprises de géomètres-experts, géomètres-topographes, photogrammètres et experts fonciers du 13 octobre 2005. Cette société employait habituellement moins de 11 salariés.
Par LRAR du 22 novembre 2019, Mme [B] [W] a mis en demeure la Sas Avenir Groupe Expertises de lui régler sa note de frais du mois de septembre 2019, ainsi que son salaire du mois d'octobre 2019, suite à des chèques rejetés.
Le 3 décembre 2019, Mme [B] [W] a déposé plainte pour faux et usage de faux contre M. [G] [J], lui reprochant une falsification de son certificat de compétences dans le cadre de l'exercice de son activité de dirigeant de la Sas Dexial.
Par courrier recommandé, daté du 3 décembre 2019, envoyé le 4 décembre 2019, et réceptionné le 9 décembre 2019 par la Sas Avenir Groupe Expertises, Mme [B] [W] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.
Le 15 janvier 2020, Mme [B] [W] a déposé plainte pour exécution d'un travail dissimulé à l'encontre de son ancien employeur.
Par requête déposée le 31 juillet 2020, Mme [B] [W] a saisi le Conseil de prud'hommes d'Annecy afin qu'il soit dit que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour réclamer le paiement de diverses sommes (indemnités de rupture, paiement des salaires de novembre 2019 et décembre 2019, remboursement des notes de frais d'octobre 2019, novembre 2019 et décembre 2019, rappel d'heures supplémentaires, dommages-intérêts pour préjudice indépendant du retard de paiement des salaires et absence de remise des documents de fin de contrat).
La Sas Avenir Groupe Expertises a été placée en liquidation judiciaire, suivant un jugement du Tribunal de Commerce de Lyon du 31 mars 2021, fixant la date de cessation des paiements au 15 octobre 2019 et nommant, en qualité de liquidateur judiciaire, la Selarl Alliance MJ.
L'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] a été appelée à intervenir dans l'instance prud'homale, par application de l'article L.625-3 du code de commerce.
La Selarl Marie Dubois a été désignée en lieu et place de la Selarl Alliance MJ ès qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises.
Par jugement en date du 30 mars 2022, le Conseil de prud'hommes d'Annecy a :
-Dit que les manquements reprochés par Mme [B] [W] à la Sas Avenir Groupe Expertises sont suffisamment graves pour justifier la prise d'acte;
-Dit que la prise d'acte de Mme [B] [W] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
-Fixé, en conséquence, les créances de Mme [B] [W] sur la liquidation judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises aux sommes suivantes :
* 3.206,43€ brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 320 € brut au titre des congés payés sur préavis,
* 3.309,67€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3.309,67€ brut pour le paiement du salaire de novembre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
* 427,05€ brut pour le paiement du salaire de décembre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
* 438,31€ net pour le remboursement de la note de frais du mois d'octobre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
* 105,81€ net pour le remboursement de la note de frais du mois de novembre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
* 2.503,80€ brut à titre de rappel des heures supplémentaires, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
* 1.500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice indépendant pour le retard de paiement des salaires,
* 1.000 € à titre de dommages et intérêts pour absence de remise des documents de fin de contrat,
* 19.238,58€ à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
* 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
-Ordonné mention de ces sommes sur l'état des créances de la Sas Avenir Groupe Expertises;
-Dit que le présent jugement est opposable au CGEA de [Localité 6] dans la limite de sa garantie;
-Débouté Mme [B] [W] de sa demande au titre du remboursement de la note de frais du mois de décembre 2019 à savoir 25,17 euros;
-Ordonné à la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises de remettre à Mme [B] [W] les documents suivants:
-ses bulletins de paie de novembre et décembre 2019,
-son certificat de travail,
-son attestation pôle emploi,
-son solde de tout compte;
-Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement pour les sommes qui n'en bénéficient pas de plein droit;
-Débouté le CGEA de [Localité 6] et la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire, de leurs demandes;
-Condamné la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises à supporter les entiers dépens;
L'Association Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 6] a interjeté appel à l'encontre de cette décision par déclaration enregistrée le 15 avril 2022 via le réseau privé virtuel des avocats.
*
Par dernières conclusions notifiées le 26 septembre 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 6], demande à la Cour de :
-Dire et juger le jugement à intervenir seulement opposable à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] sur le fondement de l'article L. 625-3 du code de commerce,
Réformant le jugement déféré,
-Juger que la procédure de liquidation judiciaire de la société Avenir Groupe Expertises a interrompu de plein droit le cours des intérêts en application de l'article L.622-28 du code de commerce,
-Débouter Mme [B] [W] de sa demande de requalification de sa prise d'acte,
-Condamner Mme [B] [W] à rembourser à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6]:
*3.309, 67 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*3.206, 43 € d'indemnité de préavis,
*320 € de congés payés afférents au préavis,
-Débouter Mme [B] [W] de sa demande au titre de l'indemnité de travail dissimulé,
-Condamner Mme [B] [W] à rembourser à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] la somme de 19.238,58 € d'indemnité de travail dissimulé, perçue au titre de l'exécution du jugement déféré,
-Fixer une créance de salaire pour novembre 2019, de 3.206, 43 € bruts,
-Condamner Mme [B] [W] à rembourser à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] le trop-perçu au titre du salaire pour novembre 2019, soit 103,24 €,
-Fixer une créance de salaire pour décembre 2019, de 295,97 € bruts,
-Condamner Mme [B] [W] à rembourser à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] le trop-perçu au titre du salaire pour décembre 2019, soit 131,08 €,
En tout état de cause,
-Débouter Mme [B] [W] de sa demande au titre des heures supplémentaires,
-Condamner Mme [B] [W] à rembourser à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] la somme de 2.503, 80 € payée, en exécution du jugement déféré, au titre des heures supplémentaires,
-Débouter Mme [B] [W] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'absence de remise des documents de fin de contrat faute de préjudice prouvé,
-Juger que les dommages et intérêts qui seraient fixés au titre de l'absence de remise des documents de fin de contrat doivent être exclus de la garantie de l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6], les conditions spécifiques de celle-ci n'étant pas réunies notamment au visa de l'article L.3253-6 du code du travail,
-Condamner Mme [B] [W] à rembourser à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] la somme de 1.000 € de dommages et intérêts au titre de l'absence de remise des documents de fin de contrat,
-Débouter Mme [B] [W] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice indépendant du retard de paiement faute de preuve de la mauvaise foi de l'employeur,
-Condamner Mme [B] [W] à rembourser à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] la somme de 1.500 € de dommages et intérêts au titre du préjudice indépendant du retard de paiement faute de preuve de la mauvaise foi de l'employeur,
-Débouter Mme [B] [W] de sa demande au titre d'une note de frais pour décembre 2019,
A titre subsidiaire,
Réformant le jugement déféré,
-Débouter Mme [B] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-Juger que l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 et L.3253-17 du code du travail,
-Juger que l'indemnité qui serait fixée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ou sur la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et les dépens ainsi que l'astreinte qui serait prononcée doivent être exclus de la garantie de l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6], les conditions spécifiques de celle-ci n'étant pas réunies notamment au visa de l'article L.3253-6 du code du travail,
-Juger que la garantie de l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] est encadrée par les articles L.3253-17 et D. 3253-5 du code du travail qui prévoient, pour toutes causes de créances confondues, le principe du plafond de garantie de l'AGS applicable aux créances qui ont été et qui seraient fixées au bénéfice de Madame [B] [W] au titre de son contrat de travail,-Juger que l'obligation de l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
-Condamner Mme [B] [W] aux dépens.
L'Unédic, délégation AGS CGEA de [Localité 6], soutient en substance que:
Elle a réglé les demandes d'avances qui ont été présentées par le liquidateur judiciaire au bénéfice de Mme [B] [W] ensuite du jugement déféré pour un total brut de 35.359,32 €.
A la date de la prise d'acte, soit au 3 décembre 2019, seul le salaire du mois de novembre 2019 était impayé. Cela ne saurait caractériser un manquement suffisamment grave.
Le grief du non paiement des heures supplémentaires repose sur les seules affirmations de la salariée, qui a proposé de ne plus travailler qu'à 80%, au lieu du temps complet qu'elle accomplissait, ce qui jette le trouble sur la réalité du manquement allégué.
Les chèques sont revenus impayés en raison de la seule situation de trésorerie de l'entreprise.
La prétendue falsification du certificat de compétences de Mme [W] est indépendant de la relation de travail avec Avenir Groupe Expertises. Ce grief, concernant une société tiers (Sas Dexial), ne peut donc pas être pris en compte.
La circonstance qu'une nouvelle assurance a été souscrite après l'arrivée de la salariée ne signifie pas qu'il n'en existait aucune auparavant. Qui plus est, c'est bien la responsabilité de la société qui aurait été engagée et non celle de la salariée.
Rien ne prouve que des rapports de diagnostics aient été produits sans certifications valides.
La prise d'acte doit être qualifiée de démission.
La salariée n'a travaillé qu'entre le 9 septembre et le 3 décembre, soit moins de 3 mois. Une ancienneté aussi faible n'est pas indemnisable par application du plafond légal pour les entreprises de moins de 11 salariés.
Depuis 2016, la Cour de cassation exige du salarié qu'il prouve la réalité, comme l'étendue, du préjudice dont il réclame réparation.
Dès le 11 décembre 2019, la salariée a créé sa propre entreprise dans le même domaine d'activité, tout en demandant à bénéficier de l'aide à la création d'entreprise auprès de Pôle Emploi. Elle a ensuite retrouvé un emploi salarié.
Les retards de paiement des salaires ont été exclusivement causés par les difficultés financières de l'employeur, indépendamment d'une quelconque intention frauduleuse ou mauvaise foi.
La prise d'acte est du 3 décembre 2019. Elle a juridiquement un effet immédiat, de sorte que la salariée ne peut solliciter le paiement d'un salaire et le remboursement de frais concernant une période postérieure à cette date.
Les tickets de péage communiqués par la salariée au soutien de ses notes de frais ne se rattachent pas nécessairement à son activité professionnelle.
La DPAE a bien été faite de manière rétroactive, pour un emploi au 9 septembre 2019, soit la date exacte d'embauche. Il n'y a donc aucune intention frauduleuse dès lors qu'il y a eu déclaration aux organismes sociaux.
Pour être garanties, les sommes dues doivent pouvoir être rattachées au contrat de travail, ce qui n'est pas le cas des dommages-intérêts fixés au titre de l'absence de remise des documents de fin de contrat, puisqu'ils se rattachent à la responsabilité délictuelle de l'employeur et sont nés après la rupture du contrat de travail.
*
Par conclusions notifiées le 4 novembre 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, Mme [B] [W], formant appel incident, demande à la Cour de :
-Infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de son salaire du 1er au 9 décembre 2019 et de sa note de frais de décembre 2019,
Statuant à nouveau,
-Fixer la créance de Mme [B] [W] à la liquidation judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises aux sommes suivantes :
*909,05 € brut pour le paiement du salaire de décembre 2019, somme assortie d'intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019 ;
*25,17€ net pour le remboursement de la note de frais du mois de décembre 2019, somme assortie d'intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019 ;
*2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
-Condamner la Selarl Marie Dubois à supporter les entiers dépens d'appel;
-Confirmer le jugement pour le surplus de ses dispositions;
-Juger que Mme [B] [W] conservera les sommes d'ores et déjà versées par l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6];
Mme [B] [W] fait valoir que:
Aucun contrat de travail écrit n'a été régularisé en dépit de ses demandes.
Outre le retard significatif (près d'un mois après sa date d'entrée dans l'entreprise) dans l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche, constitutif du délit de travail dissimulé, l'employeur a également tardé à souscrire l'assurance obligatoire, de sorte qu'elle a exercé ses fonctions, pendant plus de deux mois, sans être couverte. Sa certification aurait pu lui être retirée en l'absence d'assurance responsabilité civile professionnelle.
L'employeur a, de plus, été rapidement défaillant dans le paiement des salaires, des heures supplémentaires et notes de frais. Des chèques sans provision ont été rejetés.
En outre, elle s'est aperçue, fin novembre 2019, que les cinq certifications de diagnostiqueur de son employeur étaient arrivés à leurs termes entre juillet et août 2019, et que ce dernier avait falsifié son certificat de compétences pour le mettre à son nom et laisser croire qu'il disposait, ainsi, de sept certifications au lieu des cinq. L'organisme Dekra a confirmé cette falsification. M. [J] a, d'ailleurs, reconnu sa culpabilité dans le cadre d'une procédure pénale de CRPC.
Le 2 décembre 2019, elle a également appris que M.[G] [J] avait adressé, en qualité de dirigeant de la Sas Dexial, un mail à la société Leclerc Socara, au contenu mensonger, susceptible d'engager sa responsabilité, en transmettant le certificat de compétences falsifié et en lui imputant un rapport de diagnostic amiante avant démolition qu'elle n'avait pas réalisé, sachant qu'elle n'était pas salariée de la société Dexial.
En réalité, ce diagnostic avait été effectué par M. [G] [J], alors qu'il ne disposait plus de la certification nécessaire.
Ses heures supplémentaires, non payées et non déclarées par l'employeur, s'expliquent par le fait qu'elle devait assurer seule, dans l'attente de l'embauche d'un second technicien, les missions de technicien, commerciales, administratives et comptables, ce qui ressort des échanges sms avec l'employeur.
En l'absence d'un horaire collectif au sein de la société et d'un système de décompte des heures de travail mis en place par l'employeur, elle a tenu un calendrier notant chaque jour ses horaires de travail, à partir duquel elle a établi un décompte de ses heures supplémentaires impayées.
Le fait de proposer, en décembre 2019, de diminuer son temps de travail à 80% ne remet pas en cause l'existence des heures supplémentaires effectuées antérieurement (de septembre à novembre), et ce d'autant plus qu'elle rapporte des éléments de preuve suffisamment précis quant à celles-ci.
Ces divers manquements sont suffisamment graves pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La date d'effet de la prise d'acte correspond à la date de réception du recommandé par l'employeur, ce qu'elle a d'ailleurs expressément précisé dans sa lettre. La prise d'acte a donc pris effet le 9 décembre 2019, de sorte qu'elle doit être rémunérée jusqu'à cette date.
Elle rapporte la preuve des frais engagés et de ce qu'elle a travaillé jusqu'au 10 décembre 2019 inclus, en communiquant les tickets de péage, ses plannings et la liste de ses missions.
Elle a passé des appels vers des numéros spéciaux pour le compte de la société Avenir Groupe Expertises entre le 23 novembre et le 9 décembre 2019 depuis son téléphone portable personnel en ce que l'agence ne disposait plus d'une ligne téléphonique.
Son entreprise a été créée postérieurement à l'engagement des frais dont elle sollicite le remboursement.
Elle a été engagée alors que son employeur rencontrait déjà des difficultés financières dont il lui a caché l'existence, sa société ayant été déclarée, un mois seulement après son embauche, soit le 15 octobre 2019, en état de cessation des paiements.
Il a, ainsi, fait preuve de mauvaise foi depuis le début de l'exécution du contrat de travail, en l'employant alors qu'il savait pertinemment qu'il n'avait pas les moyens de la rémunérer, en émettant des chèques sans provision, et en allant jusqu'à cacher son existence lorsque la procédure de liquidation judiciaire a été engagée. Il n'a pris aucune mesure pour préserver les droits de ses salariés.
Elle s'est retrouvée, depuis novembre 2019, sans aucun revenu en raison des manquements répétés de l'employeur. Elle a été privée de toute indemnisation par pôle emploi. Sa situation financière est devenue extrêmement délicate. Elle a été contrainte de solliciter l'aide de ses proches, ayant des enfants à charge, ce qui l'a placée dans une posture très inconfortable et humiliante. Elle n'a bénéficié d'aucune aide lors de la création de son entreprise. Elle se dégageait un revenu mensuel moyen inférieur à 1.000 €. Elle a finalement retrouvé un emploi en août 2020.
*
Par conclusions notifiées le 12 août 2022, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la Selarl Marie Dubois, venant aux droits de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la société Avenir Groupe Expertises, demande à la Cour de :
-Déclarer recevable et bien fondé l'appel partiel formé par l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] à l'encontre du jugement rendu le 30 mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes d'Annecy;
-Réformer le jugement rendu le 30 mars 2022 en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de Mme [B] [W] produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse et a fixé les sommes suivantes :
*3.206, 43 € d'indemnité de préavis outre 320 € de congés payés afférents,
*3.309, 67 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
*3.309, 67 € au titre du salaire de novembre 2019,
*427, 05 € au titre du salaire de décembre 2019,
*438, 31 € de remboursement de la note de frais d'octobre 2019,
*105, 81 € de remboursement de la note de frais de novembre 2019,
*2.503, 80 € de rappel d'heures supplémentaires,
*1.500 € de dommages et intérêts pour préjudice indépendant du retard de paiement des salaires, *1.000 € de dommages et intérêts pour absence de remise des documents de fin de contrat,
*19.238, 58 € d'indemnité de travail dissimulé,
*1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau,
- Débouter Mme [W] de sa demande de requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission avec ses conséquences de droit,
- Débouter Mme [W] de l'intégralité de ses demandes à la seule exception de celles relatives aux salaires des mois de novembre et décembre 2019 (3.309,67 € et 213,76 €) et aux notes de frais des mois d'octobre et novembre 2019 (438,31 € et 105,81 €),
A titre subsidiaire,
- Juger que Mme [W] ne justifie d'aucun préjudice spécial,
-Rapporter à juste proportion ses demandes et à une somme symbolique le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause,
-Condamner Mme [W] au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La Selarl Marie Dubois, venant aux droits de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la société Avenir Groupe Expertises fait valoir que:
Si le salaire du mois de novembre 2019 apparaît correspondre à une prestation de travail, il n'en est pas de même de celui du mois de décembre 2019.
Mme [W] ne saurait être rémunérée au-delà du 2 décembre 2019, dernier jour travaillé, ni prétendre à une somme supérieure à 213,76 € à titre de rappel de salaire pour le mois de décembre 2019, dans la mesure où la prise d'acte de la rupture, datée du 3 décembre 2019, a un effet immédiat.
Les frais, dont le remboursement est sollicité au titre du mois de décembre 2019, auraient été exposés par Mme [W] alors même qu'elle avait cessé tout travail au profit de la société.
La salariée communique un document n'ayant aucune valeur contractuelle, qu'elle a rédigé pour les besoins de la cause, sur lequel elle a noté des heures de travail. Il n'existe aucun autre élément de nature à étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires. Elle a proposé à son employeur dans des SMS de travailler à 80 % et d'assurer, sur ce temps, l'intégralité de ses tâches.
Le non-paiement des salaires n'est, en aucune manière, empreint de mauvaise foi de la part de l'employeur.
Mme [W], qui a bénéficié d'une aide parentale, ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice indépendant du retard de paiement de ses salaires, alors que la Cour de cassation a mis un terme à la notion de 'préjudice nécessaire', considérant qu'un dommage ne se présume en aucune circonstance et qu'il doit être démontré par le salarié requérant.
Le fait, pour l'employeur, de déclarer tardivement un salarié aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale ne suffit pas, à lui seul, à caractériser son intention de se soustraire à ses obligations légales et réglementaires.
La DPAE établie par la société mentionne une date exacte d'entrée de la salariée dans l'entreprise, circonstance exclusive d'une quelconque intention frauduleuse.
Les griefs, dont fait état la salariée, ne sont pas susceptibles d'entraîner la requalification de la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette prise d'acte s'analyse donc en une démission.
A la date de la prise d'acte, seul le salaire du mois de novembre 2019 était impayé, ce qui ne caractérise pas un manquement suffisamment grave. De plus, les juges devront prendre en considération la situation de trésorerie de l'entreprise qui a seule empêché son paiement par l'employeur.
Le grief de l'absence de paiement des heures supplémentaires ne repose sur aucun élément tangible. Il n'est pas plus de nature à légitimer la prise d'acte.
Les frais professionnels de la salariée, de l'ordre de 500 €, ont donné lieu, sans délai, à l'établissement d'un chèque revenu impayé en raison de la seule situation de trésorerie de l'entreprise.
La trame du certificat de compétences de la salariée est la même que celle du certificat précédemment délivré à M.[J], de sorte que le grief relatif à la falsification et à l'utilisation du certificat de Mme [W] par son employeur n'est pas sérieux. En outre, il n'a causé aucun préjudice à la salariée.
Le fait qu'une assurance ait été souscrite par l'employeur postérieurement à l'arrivée de la salariée ne signifie pas qu'il n'en existait aucune auparavant. La réalité du grief relatif au défaut d'assurance RC professionnelle obligatoire n'est donc pas établie. En tout état de cause, la responsabilité recherchée aurait été celle de l'employeur et la salariée n'aurait pas pu être inquiétée.
De plus, le grief concernant la production de rapports de diagnostics sans certifications valides ne ressort d'aucun élément des débats, en dehors des seules affirmations de la salariée. En outre, un tel manquement n'aurait pas pu nuire à la salariée, quant à elle certifiée, de sorte qu'il ne peut pas justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.
La rupture du contrat de travail s'analysant en une démission, elle ne peut donner lieu à une indemnité compensatrice de préavis et à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le barème prévu à l'article L.1235-3 du code du travail prévoit, dans la situation de Mme [W], une indemnité maximale d'un mois de salaire.
La salariée a retrouvé un emploi au mois d'août, soit très rapidement.
La mention de l'existence d'une prise d'acte n'aurait, en tout état de cause, pas permis à Mme [W] d'être directement indemnisée par Pôle Emploi, de sorte qu'elle ne justifie d'aucun préjudice résultant d'une absence de remise des documents de fin de contrat.
*
L'instruction de l'affaire a été clôturée le 16 janvier 2023.
L'audience de plaidoiries a été fixée au 16 mai 2023.
L'affaire a été mise en délibéré au 18 juillet 2023, prorogé au 2 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
I. Sur les heures supplémentaires
Aux termes de l'article L.3121-27 du code du travail : « La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine ».
En vertu de l'article L.3121-28 du code du travail : 'Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent'.
Les heures supplémentaires se décomptent par semaine en application de l'article L.3121-9 du code du travail et donnent droit, en vertu de l'article L.3121-36 du même code, à une majoration de 25% pour les 8 premières heures et de 50 % pour les heures suivantes.
En application de l'article L.3171-2 du code du travail, 'Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ». L'article L.3171-3 du même code prévoit que l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.
Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées (Cass. Soc., 14 novembre 2018, n°17-16959). Le juge doit donc rechercher si les heures supplémentaires invoquées par le salarié étaient commandées, explicitement ou implicitement par l'employeur, ou si elles résultaient de sa charge de travail telle que fixée par l'employeur. C'est seulement lorsqu'elles ont été effectuées malgré l'opposition de l'employeur, sans que la nature ou la quantité des tâches confiées au salarié ne les justifient, que les heures supplémentaires ne peuvent donner lieu à paiement (Cass. Soc., 24 septembre 2014, n°13-14289).
La charge de la preuve des heures supplémentaires effectuées ne repose pas spécialement sur l'une des parties. Elle est dite 'partagée'.
Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail : « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».
Dans le dernier état de sa jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi précisé le rôle de chaque partie et du juge :
« En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. » (Cass. Soc., 27 janvier 2021, n°17-31046).
En l'espèce, Mme [B] [W] prétend avoir du effectuer des heures supplémentaires pour réaliser la totalité des tâches qui lui étaient confiées, précisant qu'elle était l'unique salariée de l'entreprise et qu'elle occupait un poste à responsabilités.
Au soutien de sa demande en paiement d'heures supplémentaires non rémunérées, la salariée produit un décompte des heures de travail accomplies, corroboré par :
- la liste de ses missions,
- ses plannings de travail,
- ses tickets de péages,
- plusieurs échanges SMS dans le cadre desquels elle sollicite auprès de son employeur le paiement de ses heures supplémentaires, notamment en ces termes: « Oki as tu fait modifier les bulletins de salaire pour heure sup'', 'Bonjour [G], où en es-tu ' Peux-tu me faire parvenir mes bulletins de paye réajustés avec heures supplémentaires '', demande à laquelle, en réponse, celui-ci ne s'est jamais opposé.
Par conséquent, il convient de considérer que la salariée présente, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies permettant à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Or, le mandataire judiciaire ne produit aucun élément émanant de l'employeur permettant d'établir les heures de travail effectuées par la salariée ou de contredire le décompte qu'elle a établi, le fait que Mme [W] ait proposé, début décembre 2019, à M. [J] [G], dans un SMS figurant à la procédure, de travailler désormais à temps partiel (80 %) compte tenu du ralentissement de l'activité, n'excluant aucunement la réalisation d'heures supplémentaires antérieurement à cette période.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui a fixé à 2.503,80 € la créance de la salariée sur la liquidation judiciaire de la société Avenir Groupe Exertises au titre d'un rappel d'heures supplémentaires.
II. Sur les demandes en paiement des salaires et notes de frais
En raison du caractère synallagmatique du contrat de travail, tout salaire est la contrepartie de la prestation de travail (Cass. soc., 11 janv. 1962, n°58-40.128; Cass. soc., 10 juin 2008, n°06-46.000).
Les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés sans qu'ils ne puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due (Cass. Soc., 25 février 1998, n °95-44096).
La prise d'acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail à la date d'envoi du courrier recommandé du salarié (Cass. soc., 4 avr. 2006, n°04-44.540 ; Cass. soc., 17 nov. 2015, n°14-19.925).
Il n'est pas contesté, en l'espèce, que Mme [W] [B] a effectué une prestation de travail pour le compte de la Sas Avenir Groupe Expertises au cours du mois de novembre 2019 et jusqu'à sa prise d'acte, envoyée par courrier recommandé le 4 décembre 2019, sans que son salaire ne lui ait été payé sur cette période.
Par ailleurs, la salariée, à travers la production de tickets de péage, parking, carte bancaire, et de factures, rapporte la preuve des frais qu'elle a engagés au titre des mois d'octobre 2019 (pour un montant de 438,31 €), et de novembre 2019 (pour une somme de 105,81 €).
En revanche, s'agissant du mois de décembre 2019, force est de constater que les documents communiqués sont relatifs à des frais engendrés postérieurement à la prise d'acte de Mme [W] qui a pris effet le 4 décembre 2019, lesquels sont donc nécessairement étrangers à son contrat de travail, de sorte qu'ils ne peuvent donner lieu à remboursement dans le cadre de la présente procédure.
Il apparaît, à la lecture des bulletins de paie des mois de septembre et octobre 2019, que le salaire brut mensuel de Mme [B] [W] était constitué d'un salaire de base de 3.206,43 €, auquel s'ajoutait un avantage en nature (voiture) de 103,24 €, soit un salaire brut total de 3.309,67€/mois.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes qui a:
-fixé les créances de la salariée sur la liquidation judiciaire de la société Avenir Groupe Expertises à :
*3.309,67 € brut au titre du paiement du salaire de novembre 2019,
* 427,05 € brut au titre du paiement du salaire de décembre 2019,
*438,31 € net au titre du remboursement de la note de frais du mois d'octobre 2019,
*105,81 € net au titre du remboursement de la note de frais du mois de novembre 2019,
-débouté Mme [W] de sa demande au titre du remboursement de la note de frais du mois de décembre 2019, à savoir 25,17 €.
III. Sur le travail dissimulé
Suivant l'article L.8221-5 du code du travail:
'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1°Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2°Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3°Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales'.
Le travail dissimulé n'est constitué qu'à la condition que l'intentionnalité de l'employeur soit démontrée, ce qui ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie (Cass. soc., 19 janv. 2005, n°02-46.967 ; Cass. soc., 29 juin 2005, n°04-40.758).
En l'espèce, il ressort des éléments de la procédure que Mme [B] [W] a été embauchée à compter du 9 septembre 2019 par la Sas Avenir Groupe Expertises, laquelle n'a effectué la déclaration préalable à l'embauche la concernant que le 4 octobre 2019, soit près d'un mois après la date d'entrée de la salariée dans l'entreprise.
Or, si l'article L.1221-10 du code du travail exige que cette déclaration nominative soit faite préalablement à l'embauche d'un salarié, l'intention frauduleuse de la Sas Avenir Groupe Expertises ne saurait se déduire de ce seul retard dans la déclaration aux organismes de protection sociale, ce d'autant plus que la date réelle d'embauche de Mme [W] y a été correctement mentionnée.
Par ailleurs, il apparaît, ainsi qu'il a été exposé précédemment, que Mme [B] [W] a été amenée à effectuer des heures supplémentaires non rémunérées par l'employeur, lequel, en outre, s'est abstenu de lui régler ses salaires des mois de novembre 2019 et décembre 2019, qui, d'ailleurs, n'ont pas donné lieu à l'émission des bulletins de paye correspondants.
Pour autant, ces éléments ne suffisent pas à démontrer que la Sas Avenir Groupe Expertises ait eu la volonté de dissimuler l'emploi de sa salariée et de se soustraire intentionnellement à ses obligations vis-à-vis des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale, compte tenu de la gravité des difficultés économiques qui étaient les siennes à cette époque et de la désorganisation qu'elles ont engendré (transparaissant à la lecture des SMS échangés entre les parties), lesquelles ont, d'ailleurs, conduit à son placement en liquidation judiciaire avec une date de cessation des paiements retenue au 15 octobre 2019.
Il convient, dès lors, d'infirmer les dispositions du jugement du Conseil de prud'hommes sur ce point, à défaut d'élément intentionnel caractérisé à l'encontre de l'employeur.
IV. Sur la prise d'acte
La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à celui-ci en se fondant sur des griefs qu'il impute à son employeur.
S'agissant d'un constat de rupture, qui peut s'exprimer ou se manifester de diverses manières, la prise d'acte n'est soumise à aucun formalisme.
Les juges ne sont pas liés par les griefs énoncés dans la lettre qui la notifie. En effet, «'l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige'»'; dès lors «'le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit'» (Cass. soc., 29'juin'2005, n°03-42.804'; Cass. soc., 15'févr. 2006, n°03-47.363'; Cass. soc., 9'avr. 2008, n°07-40.668'; Cass. soc., 30'mai'2018, n°17-11.082).
Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail (Cass. soc., 26'mars'2014, n°12-23.634, n°12-21.372 et n°12-35.040).
C'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire, ou s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission (Cass. soc., 19'déc. 2007, n°06-44.754'; Cass. soc., 9'avr. 2008, n°06-44.191).
Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié (Cass. soc., 7'déc. 2017, n°16-20.470)': l'appréciation doit être globale et non manquement par manquement (Cass. soc., 20'janv. 2015, n°13-23.431).
Un manquement ponctuel de l'employeur à ses obligations contractuelles, explicable par des circonstances indépendantes de sa volonté, sans que soit en cause sa bonne foi, ne saurait légitimer une prise d'acte de la rupture à ses torts.
Parmi les obligations inhérentes au contrat de travail, ont été reconnus comme des manquements'graves :
-le non-paiement de tout ou partie du salaire, ainsi que le paiement avec retard (Cass. Soc., 6 juill. 2004, n°02-42.642 ; Cass. Soc. 20 janv. 2010, n°08-43.476, Cass. Soc. 30 mai 2018, n°16-28127);
- le non remboursement de notes de frais (Cass. Soc. 5 octobre 2016, n°14-28.878);
-l'absence de rémunération des heures supplémentaires (Cass. Soc., 20 janvier 2010, n°08-43476, Cass. Soc., 12 juillet 2010, n°08-44898).
Pour apprécier si les manquements rendent impossible la poursuite du contrat de travail, la Cour de cassation peut être amenée à tenir compte de la vitesse de réaction du salarié et de l'antériorité des faits reprochés à l'employeur.
Le délai écoulé entre la date des faits et la date de la prise d'acte peut enlever à ceux-ci le caractère de gravité y étant attaché, les faits n'ayant pas empêché le salarié de poursuivre son contrat de travail.
L'ancienneté du grief n'est cependant qu'un critère d'appréciation qui ne suffit pas à lui seul à écarter la gravité du manquement. La Cour de cassation censure les juges du fond qui ne s'en tiennent qu'à l'ancienneté des manquements invoqués pour requalifier une prise d'acte en démission': il appartient en effet au juge d'apprécier la réalité et la gravité des manquements invoqués et de dire s'ils sont de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. soc., 19'déc. 2018, n°16-20.522).
La régularisation opérée par l'employeur ne permet pas d'écarter, de facto, la gravité du manquement, le juge devant s'attacher à apprécier si le grief est suffisamment grave pour justifier la prise d'acte. Si tel est le cas, il écartera l'incidence de la régularisation.
En l'espèce, dans son courrier de prise d'acte daté du 3 décembre 2019, Mme [B] [W] fait état des manquements suivants:
'- Non paiement du salaire du mois d'octobre d'un montant de 2.350,21€ payé par chèque N°5574121, rejeté une première fois le 15/11/2019, représenté le 30/11/2019, Bulletin de salaire de novembre 2019 ainsi que le paiement du salaire de novembre d'un montant inconnu à ce jour et payé par virement toujours pas exécuté à ce jour et selon vos dires, en cours d'exécution.
- Non paiement des heures supplémentaires au nombre de 21,25 h pour le mois de septembre 2019 ; 57,25h pour le mois d'octobre 2019 ainsi que pour novembre 2019 de 11,50 h.
- Non paiement de mes notes de frais du mois de septembre 2019 d'un montant de 818,12€ payé par chèque N°5574120, rejeté le 13/11/2019; représenté le 30/11/2019 ; les notes de frais du mois d'octobre d'un montant de 438,31€ et les notes de frais du mois de novembre d'un montant de 105,81€ non réglées à ce jour.
- Utilisation de mon certificat pour vous créer un nouveau certificat.
- Défaut d'assurance RC professionnelle obligatoire.
- Production de rapports de Diagnostics sans certifications valides ».
La salariée démontre, à travers la production des courriers qu'elle a reçus de la Banque Populaire, qu'un 1er chèque, en paiement de sa note de frais de septembre 2019, d'un montant de 818,12 €, a été rejeté le 13 novembre 2019, pour défaut de provision, puis qu'un second chéque, en paiement de son salaire du mois d'octobre 2019, d'un montant de 2.350,21 €, a été rejeté pour le même motif, le 15 novembre 2019.
Elle a mis en demeure son employeur de lui régler lesdites sommes par courrier du 22 novembre 2019.
Par ailleurs, il ressort des développements précédents, que les salaires des mois de novembre et décembre 2019, ainsi que les notes de frais professionnels des mois d'octobre et novembre 2019 ne lui ont pas été réglés, pas plus que ses heures supplémentaires.
Mme [W] [B], justifie, en outre, par la transmission d'échanges SMS avec son employeur qu'elle l'a sollicité, à de multiples reprises, dans le but d'obtenir le paiement des sommes qui lui étaient dues, en vain.
L'employeur a, d'ailleurs, reconnu ses manquements au travers d'un mail adressé au conseil de la salariée le 7 septembre 2020, dans lequel il dit regretter cette situation ainsi que les conséquences subies par Mme [W], lui proposant, à titre de dédommagement, et en échange du retrait de ses plaintes et de l'arrêt des poursuites, de lui céder à titre gratuit tout son matériel de diagnostic et informatique d'une valeur supérieure à 30.000 €, ainsi que le fonds de commerce de la société Ddis, sous réserve qu'elle prenne à sa charge le retard de paiement du loyer du local commercial.
Ce premier grief, relatif au retard et à l'absence de paiement des salaires, notes de frais et heures supplémentaires à la salariée, matériellement établi, est, à lui seul, suffisamment grave pour empêcher toute poursuite de la relation de travail et justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, sans qu'il ne soit besoin d'examiner la pertinence des autres manquements invoqués (retard de 2 mois dans la souscription d'une assurance en responsabilité civile professionnelle couvrant les diagnostics de la salariée, retard d'1 mois dans la déclaration préalable à l'embauche, production de rapports de diagnostics sans certification valide etc...).
Au surplus, la salariée fait la démonstration que M. [G] [J] a été amené à falsifier, au bénéfice de la société Dexial dont il était président, son certificat de compétences de diagnostiqueur immobilier et à en faire usage, ce qui est confirmé par un mail du 18 décembre 2019 de l'organisme de certification Dekra.
Elle fournit, de plus, les certificats en question, ainsi qu'un message électronique adressé par M. [G] [J], es qualité de dirigeant de la Sas Dexial, à la société Leclerc Socara, dans lequel il écrivait en date du 2 décembre 2019:
« Voici comme demandé les certificats de compétences.
Je vous joints également celui de ma salariée ([B] [W]) qui a également réalisé avec moi les diagnostics. ».
De tels faits délictueux ont donné lieu à une comparution de M. [G] [J] sur reconnaissance préalable de culpabilité, devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, le 27 septembre 2021, pour faux et usage de faux.
Contrairement à l'analyse faite par le liquidateur judiciaire et l'AGS, la Cour considère que ces faits de falsification du certificat de compétences ne sont pas 'indépendants de la relation de travail' entre Mme [W] [B] et la Sas Avenir Groupe Expertises, puisqu'ils ont été commis par le supérieur hiérarchique de la salariée, à savoir M. [G] [J], alors que ce dernier avait obtenu, de sa part, la délivrance de son certificat de compétences dans le cadre de l'exécution de ses fonctions au sein de l'une de ses deux sociétés (en l'occurrence la Sas Avenir Groupe Expertises), avant de le falsifier et d'en faire usage au profit de son autre société (à savoir la Sas Dexial).
Un tel manquement de l'employeur à son obligation générale de loyauté envers sa salariée est, lui aussi, suffisamment grave pour empêcher toute poursuite de la relation contractuelle entre eux, du fait de la rupture du lien de confiance engendrée, et, par conséquent, pour justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes qui a dit que les manquements reprochés par Mme [B] [W] à la Sas Avenir Groupe Expertises sont suffisamment graves pour justifier la prise d'acte et que cette dernière produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
' Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents
L'indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, qu'aurait perçus le salarié s'il avait travaillé jusqu'à l'expiration du préavis (C.'trav., art.'L.'1234-5).
Elle n'est due, par définition, que dans les cas de rupture du contrat de travail où un préavis est prévu (licenciement, démission), lorsque l'employeur a décidé, de lui-même, de dispenser le salarié d'exécuter son préavis.
Selon l'article 3.5 de la convention collective nationale des cabinets ou entreprises de géomètres-experts, géomètres-topographes, photogrammètres et experts fonciers du 13 octobre 2005, la durée du délai-congé en matière de démission du salarié ou de licenciement au-delà de la période d'essai est d'un mois pour les salariés bénéficiant, comme Mme [W] [B], d'une ancienneté inférieure à deux années.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes qui a fixé les créances de la salariée sur la liquidation judiciaire de la société Avenir Groupe Expertises à:
*3.206,43 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
*320 € brut au titre des congés payés sur préavis.
' Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnité maximale d'un mois de salaire, dans l'hypothèse où l'ancienneté du salarié dans l'entreprise est inférieure à une année.
Ce barème n'est pas contraire à l'article 10 de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail (OIT) prévoyant une indemnité adéquate, ainsi que l'a jugé la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. Soc., 11 mai 2022, n°21-14.490).
L'indemnité octroyée doit également tenir compte des circonstances de la rupture et de la situation de la salariée.
Malgré la création d'une entreprise au 11 décembre 2019, dont Mme [W] n'a tiré que de faibles revenus (7.389,50 € de janvier à novembre 2020), la situation financière de la salariée s'est lourdement aggravée, générant des frais bancaires à hauteur de 534,23€ et des agios pour un montant de 113,69 € s'agissant de l'année 2019.
Mère de plusieurs enfants à charge, Mme [W], suite à la perte de son emploi, s'est vue refuser l'allocation d'aide au retour à l'emploi et a été contrainte de solliciter l'aide financière de ses proches, qui en attestent (notamment son père qui indique lui avoir prêté, compte-tenu de la précarité de sa situation, la somme de 2.000 € en décembre 2019 puis de 3.000 € en janvier 2020, sa mère qui témoigne lui avoir donné deux fois 500 € en octobre et décembre 2019, et son compagnon qui explique avoir du subvenir aux besoins de la salariée et de son fils âgé de 18 ans, durant la période où elle a été employée par la Sas Avenir Groupe Expertises).
Au regard des éléments de préjudice dont il est justifié, c'est à bon droit que le Conseil de prud'hommes lui a alloué des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant maximal de 3.309,67 € correspondant à un mois de salaire.
V. Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice indépendant du retard de paiement des salaires
L'article 1231-6 du code civil prévoit que :
'Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire'.
'L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Le conseil de prud'hommes, qui a constaté que le salarié n'apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision' (Cass. soc., 13 avril 2016, n°14-28.293).
A la lecture des pièces communiquées par les parties il apparaît que l'employeur:
-a embauché Mme [W] [B] le 9 septembre 2019 alors même qu'il n'était pas, à ce moment là, en capacité de lui verser un salaire du fait que son entreprise traversait de très graves difficultés économiques au point d'être en état de cessation des paiements le 15 octobre 2019,
-a, d'ailleurs, émis plusieurs chèques sans provision à l'ordre de la salariée,
-ne l'a jamais informée, au cours de la relation contractuelle, de la situation financière réelle de son entreprise,
-n'a point fait état de l'existence de la salariée et des sommes qui lui étaient dues auprès du liquidateur judiciaire.
De plus, Mme [W] démontre que les agissements de son employeur, incluant les retards de paiement, lui ont occasionné de vives inquiétudes, ainsi que cela ressort d'un échange de courriels avec la fille de son patron, Mme [E] [J], et des témoignages de ses proches.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes qui lui a alloué une somme de 1.500 € en réparation du préjudice subi indépendamment du retard de paiement des salaires, du fait de la mauvaise foi de son employeur.
VI. Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de remise des documents de fin de contrat
Au moment de la rupture du contrat de travail, l'employeur doit délivrer au salarié une attestation Pôle emploi qui lui permettra de faire valoir ses droits à l'assurance chômage (C. trav., art. R. 1234-9), ainsi qu'un certificat de travail (C. trav., art.L.1234-19), et son solde de tout compte (C. trav., art.L.1234-20).
Ces documents sont quérables et non portables (pour l'attestation, Cass. soc., 5 oct. 2004, n°02.44.487, pour le certificat, Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-27.028).
En conséquence, la seule obligation de l'employeur est de tenir ces documents à la disposition du salarié et de l'en informer. Il n'a donc pas à les lui envoyer. C'est au salarié qui réclame des dommages-intérêts pour un retard dans la délivrance des documents de justifier qu'il les a réclamés et qu'il s'est heurté à l'inertie ou au refus de l'employeur (Cass. soc., 24 janv. 1979, n°77-40.266 ; Cass. soc., 5 juill. 1982, n°80-40.660).
Qu'il s'agisse d'une remise tardive ou d'un défaut de remise, le salarié peut prétendre au paiement de dommages-intérêts. Encore faut-il, cependant, qu'il démontre l'existence d'un préjudice, la Cour de cassation ayant, en effet, abandonné le principe du préjudice nécessaire ouvrant droit automatiquement à des dommages-intérêts, et considérant, désormais, depuis un revirement de 2016, que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. soc., 13 avr. 2016, n°14-28.393 ; Cass. soc., 14 sept. 2016, n°15-21.794).
En l'espèce, le liquidateur judiciaire de la société Avenir Groupe Expertises fait état d'une situation de cessation des paiements et d'une désorganisation excluant toute mauvaise foi de l'employeur dans l'absence de remise des documents de fin de contrat à la salariée. Il souligne, en outre, qu'en tout état de cause, Mme [W] [B] n'aurait pas pu être indemnisée par pôle emploi, du fait de sa prise d'acte, ce qui est exact.
Il apparaît, en effet, à la lecture des pièces communiquées, que la salariée, qui a créé son entreprise quelques jours seulement après sa prise d'acte, s'est vue refuser l'allocation d'aide au retour à l'emploi en ce qu'elle ne remplissait pas la 'condition de chômage involontaire', la prise d'acte de la rupture du contrat de travail n'étant pas une cause de cessation du contrat de travail ouvrant droit aux allocations chômage.
Par conséquent, à défaut pour la salariée de justifier de l'existence d'un préjudice réel lié à l'absence de remise des documents de fin de contrat par l'employeur, il convient d'infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes et de la débouter de ce chef de demande.
VII. Sur les intérêts
En application de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Pour les sommes portant sur des rappels de salaire (indemnité de préavis, indemnité de licenciement, indemnité de congés payés, prime d'ancienneté'), les intérêts courent, soit à compter de la saisine de la juridiction prud'homale, c'est-à-dire de la date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation ou devant le bureau de jugement en cas de saisine directe, soit, si les salaires ont fait l'objet d'une réclamation antérieure, à compter de la date de la demande de paiement.
En application de l'article 1231-7 du code civil, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.
L'article L.622-28 du code du commerce prévoit, qu'en matière de procédure collective, le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous les intérêts de retard et majorations.
En l'état des dernières conclusions de chacune des parties, il convient de confirmer les dispositions du jugement du Conseil de prud'hommes sur ce point, en y ajoutant que la procédure de liquidation judiciaire a interrompu de plein droit le cours des intérêts.
VIII. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La Sas Avenir Groupe Expertises succombant, son liquidateur judiciaire devra assumer la charge des entiers dépens, tant en 1ère instance qu'en cause d'appel.
Par ailleurs, il devra également payer à Mme [W] [B], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 1.500 € au titre de la première instance, ainsi qu'une somme de 2.000 €, en cause d'appel.
IX. Sur la garantie et les autres demandes de l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6]
L'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6], à qui le jugement de première instance, ainsi que le présent arrêt, sont opposables, devra sa garantie à Mme [B] [W] dans les conditions et limites fixées par les articles L. 3253-6 et suivants et D. 3253-5 du code du travail, dès lors qu'elle porte sur des créances rattachées à son contrat de travail nées antérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
Par ailleurs, le présent arrêt, infirmatif sur l'indemnité pour travail dissimulé et les dommages-intérêts pour absence de remise des documents de fin de contrat alloués par le Conseil de prud'hommes, constituant un titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement de première instance (assorti de l'exécution provisoire), il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 6] de condamnation de la salariée à lui rembourser lesdites sommes.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,
Confirme le jugement du 30 mars 2022 du Conseil de prud'hommes d'Annecy en ce qu'il a:
-Dit que les manquements reprochés par Mme [B] [W] à la Sas Avenir Groupe Expertises sont suffisamment graves pour justifier la prise d'acte;
-Dit que la prise d'acte de Mme [B] [W] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
-Fixé, en conséquence, les créances de Mme [B] [W] sur la liquidation judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises aux sommes suivantes :
*3.206,43€ brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
*320 € brut au titre des congés payés sur préavis,
*3.309,67€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*3.309,67 € brut pour le paiement du salaire de novembre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
*427,05€ brut pour le paiement du salaire de décembre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
*438,31€ net pour le remboursement de la note de frais du mois d'octobre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
*105,81€ net pour le remboursement de la note de frais du mois de novembre 2019, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
*2.503,80 € brut à titre de rappel des heures supplémentaires, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2019,
*1.500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice indépendant du retard de paiement des salaires;
-Ordonné mention de ces sommes sur l'état des créances de la Sas Avenir Groupe Expertises;
-Dit que le présent jugement est opposable au CGEA de [Localité 6] dans la limite de sa garantie;
-Débouté Mme [B] [W] de sa demande au titre du remboursement de la note de frais du mois de décembre 2019 à savoir 25,17 euros;
-Ordonné à la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises de remettre à Mme [B] [W] les documents suivants:
*ses bulletins de paie de novembre et décembre 2019,
*son certificat de travail,
*son attestation pôle emploi,
*son solde de tout compte;
-Débouté le CGEA de [Localité 6] et la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire, de leurs demandes;
-Condamné la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises à supporter les entiers dépens;
Infirme le jugement du 30 mars 2022 du Conseil de prud'hommes d'Annecy pour le surplus de ses dispositions frappées d'appel;
Statuant à nouveau sur les chefs d'infirmation,
-Déboute Mme [B] [W] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé;
-Déboute Mme [B] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour absence de remise des documents de fin de contrat;
-Condamne la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises, à payer à Mme [B] [W] une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Y ajoutant,
-Dit que le présent arrêt est opposable à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 6] dans la limite de sa garantie et des plafonds légaux tels que prévus par les articles L. 3253-6 et suivants et D. 3253-5 du code du travail ;
-Dit que la procédure de liquidation judiciaire de la société Avenir Groupe Expertises a interrompu de plein droit le cours des intérêts en application de l'article L. 622-28 du code de commerce;
-Condamne la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises, à payer à Mme [B] [W] une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel;
-Condamne la Selarl Marie Dubois en lieu et place de la Selarl Alliance MJ, es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Avenir Groupe Expertises, aux dépens, en cause d'appel;
-Dit que l'obligation de l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 6] de faire l'avance des sommes allouées à Mme [B] [W] (à l'exclusion de celles qui lui sont dues au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens), ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé et justification par le mandataire judiciaire de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement;
-Dit que le présent arrêt constitue un titre ouvrant droit à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 6], sur les chefs d'infirmation, à la restitution des sommes qu'elle a versées en exécution du jugement de première instance assorti de l'exécution provisoire;
-Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;
Ainsi prononcé publiquement le 2 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle CHUILON, Conseillère en remplacement du Président empêché, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente