COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 26 JUIN 2023
N° RG 22/00251 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G5HT
[E] [Y]
C/ S.A.R.L. HOTELOP, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 13 Janvier 2022, RG F 20/00068
APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE
Madame [E] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Virginie VABOIS, avocat au barreau d'ANNECY, substituée par Me Audrey GUICHARD, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE
S.A.R.L. HOTELOP, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Virginie GLORIEUX KERGALL, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS
et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Avril 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, chargé du rapport
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER,
Copies délivrées le :
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FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS
Mme [E] [Y] a été engagée par la société Clean Management dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée saisonnier à temps partiel de 130 heures par mois à compter du 6 juillet 2018.
Mme [E] [Y] a par la suite été engagée par la Sarl Hotelop le 1er février 2019 par contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité d'agent d'entretien polyvalente, catégorie employé, niveau I, échelon I, avec un salaire mensuel brut de 1744,21 euros. Son ancienneté issue de son contrat avec la société Clean Management était reprise.
La convention collective applicable est celle des hôtels, cafés et restaurants.
Le 14 mars 2019, l'employeur a notifié un avertissement à la salariée.
La salariée a été convoquée par courrier du 29 avril 2019 à un entretien préalable à éventuelle licenciement.
Le 24 mai 2019, la Sarl Hotelop a notifié à la salariée son licenciement pour faute grave.
Par requête enregistrée le 3 juin 2020, Mme [E] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annemasse aux fins de contester son avertissement, de voir dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, de voir constater un non respect des règles relatives au transfert d'entreprise et une exécution déloyale de son contrat de travail par l'employeur, et a sollicité diverses sommes à ce titre.
Par jugement du 13 janvier 2022, le conseil de prud'hommes d'Annemasse a:
jugé que la recevabilité de l'action de Mme [E] [Y] est prescrite,
jugé que le licenciement pour faute grave est fondé,
débouté Mme [E] [Y] de l'ensemble de ses demandes,
débouté la Sarl Hotelop de ses demandes reconventionnelles,
laissé les dépens à la charge de chaque partie.
Par déclaration reçue au greffe par RPVA le 18 octobre 2021, Mme [Y] a relevé appel de cette décision en ce qu'elle a jugé son action prescrite et en ce qu'elle l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes. La Sarl Hotelop a formé appel incident.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 mai 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, Mme [E] [Y] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Annemasse le 13 janvier 2022 dans toutes ses dispositions, hormis en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle formulée par la Sarl Hotelop à titre de remboursement de la journée du 30 avril 2019,
- fixer la moyenne de ses salaires bruts à la somme de 1.820,23 euros,
- condamner la Sarl Hotelop à lui verser la somme de 7.500 euros nets de CSG CRDS à titre de dommages-intérêts pour détournement de la procédure de transfert automatique des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise au sens de l'article L.1224-1 du Code du travail et violation par l'employeur de son obligation de loyauté,
- juger que l'avertissement du 14 mars 2019 est nul,
- condamner la Sarl Hotelop à lui payer la somme de 3.000 euros nets de CGS CRDS à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée,
- juger que l'action en contestation de licenciement n'est pas prescrite,
- juger que son licenciement pour faute grave est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
- condamner la Sarl Hotelop à lui verser:
* 1820,23 euros nets de CSG CRDS à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1820,23 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 182,02 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
* 400,45 euros nets de CSG CRDS au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- ordonner la remise d'une attestation Pôle Emploi rectifiée, sous astreinte journalière de 100 euros, dans un délai de 10 jours à compter dans la notification de l'arrêt à intervenir,
- condamner la Sarl Hotelop à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la première instance, et 2500 euros en cause d'appel,
- condamner la même la même aux entiers dépens de procédure,
- juger que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal,
- confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Annemasse le 13 janvier 2022 en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle formulée par la SARL HOTELOP ANNEMASSE à hauteur de 88,55 euros bruts en remboursement de la journée du 30 avril 2019.
Mme [E] [Y] soutient que la convention de prestation de services conclue entre la société Clean Management et la Sarl Hotelop a été résiliée le 1er février 2019, et qu'à compter de cette date l'activité de nettoyage des chambres de l'hôtel B and B d'Annemasse, au sein de laquelle elle travaillait, a été reprise en gestion directe par la Sarl Hotelop, qui exploitait cet hôtel; qu'elle n'a pas été licenciée par la société Clean Management qui s'est contentée de lui remettre un certificat de travail.
La cour de cassation a jugé que la reprise en gestion directe, avec les mêmes moyens, d'un service jusqu'alors externalisé avec des moyens spécifiques en personnel et en matériel constitue un transfert d'entreprise au sens de l'article L 1224-1 du code du travail.
La Sarl Hotelop n'a jamais déféré aux sommations qui lui ont été faites de communiquer la convention de prestation de services qu'elle avait conclue avec Clean Management, le document aux termes duquel cette convention a été résiliée, et le registre unique du personnel de la Sarl Hotelop, éléments qui auraient notamment pu éclairer quant à l'existence de transfert d'éléments d'exploitation en matériel et en personnel entre les deux entreprises.
Toutes les conséquences doivent être tirées de cette abstention.
Le fait que son ancienneté au sein de Clean Management ait été reprise dans son nouveau contrat de travail démontre la réalité du transfert.
Le changement de convention collective entre les deux contrats n'est pas un obstacle à l'existence d'un transfert d'entreprise.
En soumettant la salariée à un nouveau contrat de travail comportant plusieurs modifications, dont certaines en sa défaveur, par rapport à son ancien contrat de travail, l'employeur s'est rendu coupable d'un détournement de la procédure de transfert automatique des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise.
L'employeur, animé par la volonté de se séparer d'elle, a exécuté de façon déloyale le contrat de travail en lui confiant un volume de travail irréalisable dans le temps qui lui était imparti, puis en abusant de son pouvoir disciplinaire en lui notifiant un avertissement et en la licenciant pour faute grave.
Elle n'a jamais refusé d'effectuer le travail qui lui était confié et a toujours nettoyé l'intégralité des chambres dont elle avait la charge. Les attestations des deux salariées ne suffisent pas à établir le grief reproché dans la mesure où le lien de subordination qui lie ces salariées à l'employeur leur ôte toute objectivité, et qu'elles ne sont corroborées par aucun élément probant. Son contrat de travail de Clean Management, qui aurait dû être transféré, ne mentionnait pas comme fonction la concernant le nettoyage des chambres, il ne peut donc lui être reproché de prétendument refuser d'effectuer une tâhce pour laquelle elle n'a initialement pas été embauchée. L'avertissement qu'elle a reçu n'est donc pas fondé.
Son action n'est pas prescrite dans la mesure où l'ordonnance du 25 mars 2020 portant prorogation de certains délais échus, dont la prescription des actions en justice, pendant la période d'urgence sanitaire du 12 mars au 24 juin 2020 a prorogé son délai pour saisir le conseil de prud'hommes du 24 mai 2020 au 24 août 2020.
Elle n'a commis aucune faute de nature à justifier un licenciement.
La Sarl Hotelop ne pouvait retenir pour la licencier les faits qui avaient déjà fait l'objet d'un avertissement, en application de la règle non bis in idem.
Le grief tenant à son attitude intimidante voire menaçante vis-à-vis de ses collègues est particulièrement imprécis, aucun exemple ne venant l'illustrer, et il n'est pas daté, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier si ces faits sont prescrits.
Le fait d'avoir refusé d'effectuer sa prestation de travail le 30 avril 2019 ne saurait lui être reproché dans la mesure où ce fait est intervenu postérieurement à sa convocation à l'entretien préalable. Ce jour-là, c'est son employeur qui lui a demandé de rentrer chez elle.
Les seules attestations de ses ex-collègues, tenus dans un lien de subordination vis-à-vis de l'employeur donc manquant d'objectivité, ne sauraient apporter la preuve des griefs qui lui sont imputés, faute d'être corroborées par d'autres éléments probants.
Le grief soulevé relève d'avantage de l'insuffisance professionnelle, qui ne saurait avoir un caractère disciplinaire.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 22 juillet 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sarl Hotelop demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de remboursement de la journée du 30 avril 2019 indument payée et de sa demande de condamnation de Mme [E] [Y] à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mma [E] [Y] à lui verser la somme de 88,55 euros brut,
- condamner Mma [E] [Y] à lui verser la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la première instance, et 1000 euros en cause d'appel,
- condamner la même aux entiers dépens.
La Sarl Hotelop soutient qu'il ne peut y avoir transfert des contrats de travail lorsque l'entité économique autonome perd son identité à l'occasion de la cession. Ni la perte d'un marché ni la poursuite de l'activité s'y rapportant par le donneur d'ordre à la suite de la résiliation du marché ne peuvent suffire, en l'absence de tout transfert d'éléments d'exploitation significatifs, à entraîner un transfert des contrats de travail.
En l'espèce, la résiliation du contrat de prestation de service entre la société Clean Management et la Sarl Hotelop a constitué une perte de marché pour la première.
Le nettoyage des chambres ne relevait pas d'une entité économique autonome qui avait sa propre identité. Clean Management intervenait comme sous-traitant de la tâche de nettoyage, et lors de la perte de ce marché de nettoyage par celle-ci, cette activité s'est confondue avec celle de l'activité d'hôtellerie.
La perte de toute identité propre de l'activité de nettoyage par rapport à l'activité de la société Hotelop est à elle-seule suffisante pour démontrer que la salariée ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail.
Il n'y a par ailleurs pas eu de transfert d'éléments d'exploitation significatifs de nature à entraîner un changement d'employeur.
Le fait de proposer aux salariés de Clean Management d'être intégrés à l'activité de l'hôtel démontre qu'il n'y avait aucun caractère automatique des transferts des contrats de travail.
C'est la salariée qui a demandé à bénéficier d'un contrat de travail à temps plein, alors qu'elle était à temps partiel pour la société Clean Management. Elle a signé ce contrat de travail en toute liberté.
La salariée ne verse aucun élément de preuve quant à la surcharge de travail à laquelle elle soutient avoir été exposée.
Lui était confié le nettoyage d'une moyenne de 15 à 23 chambres par jour, étant précisé que le nettoyage d'une chambre d'un client restant prenait dix minutes et celui d'un client partant vingt minutes. Les tâches confiées représentaient en moyenne 180 minutes pour les premiers et 180 minutes pour les seconds.
La salariée ne fait aucune distinction entre les chambres des clients partant et celles des clients restant.
La pièce versée sur ce point par la salariée est une copie d'écran non datée qui ne rapporte aucune preuve.
Elle n'établit donc pas une quelconque déloyauté de son employeur, ni même un lien entre une déloyauté et son prétendu préjudice.
S'agissant de l'avertissement, il était parfaitement justifié. Ses fiches de temps pour les 9 février et 1er mars démontrent qu'elle n'a pas effectué toutes ses heures de travail ces jours-là. Les attestations produites démontrent que cet avertissement était fondé. En outre, la salariée ne justifie pas du quantum de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
L'action de la salariée portant sur la rupture de son contrat de travail se prescrivait par un an en application de l'article L1471-1 du code du travail, elle était donc prescrite à la date de saisine du conseil de prud'hommes.
La salariée a refusé d'exécuter toutes les tâches qui lui étaient demandées, a insulté ses supérieurs hiérarchiques et a été agressive envers ses collègues.
Son avertissement a été rappelé dans la lettre de licenciement car la salariée à réitéré son comportement tenant à refuser d'accomplir l'intégralité des tâches qui lui étaient confiées, de sorte qu'elle n'a pas tenu compte de la sanction déjà prononcée. Elle n'en faisait qu'à sa tête, contestait sa hiérarchie et ne respectait pas ses horaires. Ses collègues avaient peur d'elle.
Le 29 avril 2019, jour de la réception de sa convocation à son entretien préalable, elle a fait un scandale, ce qui a conduit son employeur à lui demander de rentrer chez elle. Elle n'a repris son travail que le 3 mai sans produire aucun justificatif d'absence pour la période du 30 avril au 3 mai.
Tous les faits qui lui sont reprochés sont postérieurs au 29 février 2019.
La salariée a refusé d'effectuer son travail le 30 avril 2019, l'employeur est donc fondé à solliciter le remboursement du salaire indûment payé pour ce jour.
La clôture a été prononcée au 27 février 2023. L'affaire a été évoquée à l'audience du 27 avril 2023. A l'issue, la décision a été mise en délibéré au 15 juin 2023, délibéré prorogé au 22 juin 2023 puis au 26 juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et pour non respect des règles relatives au transfert d'entreprise
L'article L. 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
Ces dispositions s'appliquent aux salariés titulaires d'un contrat de travail en cours d'exécution à la date du transfert affectés à l'entité économique transférée.
Ce texte, interprété à la lumière de la Directive n°2001/23/CE du 12 mars 2001, s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise; que constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre; qu' elle suppose donc que des moyens matériels et techniques et en personnel aient été spécifiquement affectés à la poursuite d'une finalité économique propre ; que le transfert d'une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant.
Ainsi l'article L.1224-1 du code du travail est applicable lorsque sont transférés à la fois l'activité et les moyens organisés qui permettent de l'accomplir. Le transfert des contrats de travail prévu par cet article s'opère de plein droit.
L'article L.1224-1 du code du travail est un texte d'ordre public qui s'impose aux salariés comme aux employeurs et s'applique, même en l'absence d'un lien de droit entre les employeurs successifs.
La seule perte d'un marché de prestation de service et sa reprise par un nouveau titulaire ou en gestion directe ne constitue pas un transfert d'une entité économique sauf à démontrer que le changement de titulaire du marché ou sa reprise en gestion directe entraîne le transfert d'un ensemble de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre et dont l'identité est maintenue.
Enfin, en application des dispositions des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, il appartient à la salariée de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
S'il est exact que la salariée a fait sommation à l'employeur de communiquer son registre unique du personnel, la convention de services passée entre la société Clean Management et la Sarl Hotelop et l'acte de résiliation de cette convention afin de vérifier si, comme elle le prétend, l'ensemble du personnel et le matériel de la première avait été repris par la seconde, et que cette dernière n'a pas déféré à cette sommation de communiquer, il lui appartenait néanmoins de produire elle-même des éléments de nature à appuyer ses allégations sur ce point, ce qu'elle ne fait pas.
La salariée ne produit aucun élément de nature à démontrer, ni même à laisser présumer que la société Clean Management gérait avec des moyens spécifiques en personnel et matériel le marché de nettoyage de l'hôtel B and B de [Localité 4]. Elle ne procéde sur ce point que par allégations. Elle ne démontre pas plus que ce marché était effectué par un ensemble bénéficiant, au sein de la société Clean Management, d'une autonomie d'organisation, de sorte qu'il ne saurait constituer une entité économique autonome.
Ainsi, il convient de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'elle a débouté Mme [E] [Y] de sa demande à ce titre.
Sur l'avertissement du 14 mars 2019
Il résulte de l'article L1333-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L'avertissement, dont les termes fixent les limites du litige, est libellé comme suit:
A plusieurs reprises ' le 9/02/2019, le 01/03/2019 et aujourd'hui le 13 mars 2019 ' je vous ai fait savoir que je n'approuvais pas certains de vos comportements. En effet, lorsque vos collaboratrices [H] [X] pour les deux premières dates eou [V] [T] pour la dernière dater vous ont remis votre feuille pour le nettoyage des chambres, vous avez refusé de faire votre travail en leur répondant que vous étiez fatiguée. Nous avons eu des discussions à maintes reprises à ce sujet et vous avez tenu à signer un contrat à temps plein car « vous aviez besoin d'argent » d'après vos propres dires. Je vous rappelle que votre fiche de poste n'est pas exhaustive et que le nettoyage des chambres fait part entière de vos attributions.
Ne constatant aucun changement dans votre attitude, je me vois dans l'obligation, par cette lettre, de vous adresser un avertissement.
La salariée dans un courrier du 19 mars 2019, indique qu'elle prend « bonne note » de ce courrier, mais précise qu'elle n'a à aucun moment refusé d'exécuter son travail sous prétexte d'être fatiguée, et qu'lle avait seulement mentionné que « l'accord était de prévoir des suppléants en cas de surcharge de travail ». Elle a ainsi contesté le motif de son avertissement.
La salariée soutient qu'elle ne pouvait être sanctionnée pour avoir refusé de nettoyer des chambres alors que le contrat de travail de Clean Management qui aurait normalement dû être transféré ne prévoyait pas une telle tâche. Cependant, il a été retenu l'absence de transfert de son contrat de travail Clean Management.
L'employeur produit une attestation de Mme [H] [X], adjointe de direction à l'Hôtel B and B, qui indique avoir pu constater régulièrement et notamment le 9 février, le 1er mars et le 13 mars que la salariée se plaignait souvent de la charge de travail qui lui était attribuée. A aucun moment cette personne n'indique que la salariée a refusé d'effectuer tout son travail sur ces journées.
L'employeur produit également une attestation de Mme [V] [T], réceptionniste à l'hôtel, qui indique avoir eu une altercation le 13 mars 2019 avec la salariée car celle-ci a refusé de faire le ménage de toutes les chambres qui lui étaient confiées, et qu'elle a donc dû lui enlever des chambres.
Ainsi l'employeur ne produit aucun élément pour justifier des griefs s'agissant des 9 février et 1er mars 2019.
Il sera par ailleurs constaté qu'aucune mention particulière ne figure sur les fiches de missions journalières de la salariée sur ces trois dates, de sorte qu'il n'est pas possible d'en tirer un quelconque élément probant s'agissant de l'exécution ou non par la salariée de l'intégralité de son travail.
Il ne peut être retenu que l'attestation de Mme [T] serait nécessairement dénuée d'objectivité au regard de son lien de subordination avec l'employeur: cette attestation évoque précisément le refus de la salariée d'effectuer le nettoyage de toutes les chambres qui lui ont été affectées le 13 mars. Sur ce point, la salariée se contente de répondre qu'elle s'est uniquement plainte d'une surcharge de travail.
Si la salariée soutient qu'elle était confrontée à une surcharge de travail et qu'elle ne pouvait effectuer tout le travail qui lui était demandé sur son horaire de travail, elle ne procède que par allégations sur ce point, ne produit aucun élément de nature à appuyer ses dires. Elle n'a jamais, avant de recevoir son avertissement, contesté sa charge de travail auprès de son employeur.
Au regard de ces éléments, il convient de retenir que la faute de la salariée est avérée pour la journée du 13 mars 2019, celle-ci ayant fait preuve à cette date d'insubordination envers l'employeur.
Au regard de la faible ancienneté de la salariée, moins d'un an, l'avertissement apparaît proportionné à la faute commise.
La décision sur ce point du conseil de prud'hommes sera donc confirmée.
Sur le licenciement
Il résulte des articles 1 et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période que toute action en justice dont le délai expirait entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 est réputée avoir été introduite à temps si elle a été effectuée dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
En l'espèce, le droit d'agir en justice de la salariée pour contester son licenciement expirait le 24 mai 2020. En application de cette ordonnance, ce délai était repoussé au 23 août 2020. Elle a introduit sa demande devant le conseil de prud'hommes le 3 juin 2020, son action au titre du licenciement n'est donc pas prescrite.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations s'attachant à son emploi, d'une importance telle qu'il rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
L'ancienneté du salarié et l'absence de sanction disciplinaire ne sont pas systématiquement des causes atténuantes de la gravité de la faute commise.
La gravité de la faute n'est pas fonction du préjudice qui en est résulté.
Le juge doit apprécier si la sanction prononcée est proportionnée à la nature et à la gravité des faits reprochés.
La procédure de licenciement doit être engagée avant l'expiration du délai de prescription de deux mois courant à compter de la date de connaissance des faits par l'employeur.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur.
En application de l'article L 1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 24 mai 2019 fixant les limites du litige formule les griefs suivants :
- le fait que, depuis le 9 février 2019, elle conteste sa charge de travail et refuse d'exécuter toutes les instructions, et de nettoyer toutes les chambres qui lui sont confiées, à tel point qu'un avertissement a dû lui être notifié,
- le fait qu'en dépit de cet avertissement, elle a persisté à refuser d'exécuter toutes les tâches qui lui sont confiées,
- le fait qu'elle provoque des altercations verbales avec ses collègues, qu'elle s'est montrée insultante, a traité sa directrice et son adjointe « d'esclavagiste » et de « pute», qu'elle adopte une attitude intimidante voire menaçante envers ses collègues,
- le fait que le 30 avril, elle a à nouveau refusé d'effectuer une partie de son travail tout en hurlant dans le hall de l'hôtel, que la directrice lui a demandé de reprendre le travail dans le calme ou de rentrer chez elle, qu'elle est rentrée chez elle, que le même jour la directrice l'a mise en demeure de reprendre son travail, travail qu'elle n'a repris que le 3 mai.
L'employeur produit des attestations :
- Mme [K], réceptionniste, indique avoir constaté que le 20 mars et le 5 avril 2019, la salariée avait négligé de nettoyer une chambre, et que par ailleurs elle refusait souvent d'effectuer le nombre de chambres qui lui était demandé, alors qu'elle-même et ses collègues aident dès que possible les femmes de ménage en cas de surcroît de travail.
- Mme [X], adjointe de direction, qui indique que le 7 mars 2019, la salariée a sous-entendue qu'elle était « une pute » car toutes les femmes « qui couchent sans être mariées le sont »; qu'elle a eu de nombreuses conversations, notamment le 27 mars et le 2 avril 2019, au cours desquelles la salariée pouvait la traiter elle et Mme [P] [I] « d'esclavagiste »; qu'une collègue de Mme [C], collègue de la salariée lui a dit que cette dernière l'avait interpellée en lui disant qu'elle savait qu'elle avait témoigné contre elle et qu'elle ne voulait pas que cela se reproduise, Mme [C] précisant qu'elle ne voulait pas travailler dans un climat de peur et qu'elle préférait arrêter son travail si cela se reproduisait. Mme [X] indique également que lors de l'entretien professionnel de Mme [C] le 8 mars 2021, celle-ci lui a indiqué que la période durant laquelle elle avait travaillé avec Mme [E] [Y] était une des pires périodes, que le travail avec elle était anxiogène, qu'elle avait peur de cette personne. L'extrait de cet entretien professionnel évoquant ce point est joint à l'attestation. Mme [X] précise que la salariée décidait seule de ses horaires qui étaient complètement aléatoires, comme du travail qu'il était ou non décent de lui donner. Le 30 avril, alors qu'elle venait de recevoir sa convocation à l'entretien préalable, elle a hurlé dans le lobby de l'hôtel et a refusé de travailler, de sorte qu'il lui a été demandé de rentrer chez elle. Elle n'a pas travaillé les deux jours suivants.
- Mme [T], réceptionniste, qui indique avoir assisté le 13 mars 2019 à une altercation entre la salariée et Mme [P] [I], directrice de l'hôtel, au cours de laquelle Mme [E] [Y] a haussé le ton et a insulté la directrice « d'esclavagiste ». Elle précise que le 9 mai, elle a refusé de noter sur sa fiche quand des chambres sentent la cigarette, estimant qu'elle se mettait en danger vis-à-vis du client si celui-ci apprenait qu'elle renseignait la direction sur ce point.
- Mme [P] [I], directrice, qui indique que la salariée provoquait souvent des altercations et des éclats de voix, qu'elle maltraitait ses collègues qui avaient peur d'elle, qu'elle ne cessait de contester les directives, qu'elle venait travailler aux heures qu'elle décidait, qu'elle la traitait elle-même ainsi que Mme [X] d'esclavagiste et de pute. La salariée a fait un scandale sur son lieu de travail quand elle a reçu son courrier, raison pour laquelle elle lui a demandé de rentrer chez elle. Elle n'est pas revenu travailler les deux jours suivants.
L'employeur produit par ailleurs une lettre de mise en demeure du 30 avril 2019 adressée à la salariée, mentionnant que celle-ci s'est présentée sur son lieu de travail à 9 heures, que Mme [X] lui a présenté sa journée, qu'elle s'est opposée à faire tout ce qui était prévu, qu'elle a haussé le ton, que Mme [P] [I] lui a demandé de rentrer chez elle. Ce courrier la met en demeure de reprendre son travail, car elle est censée travailler toute cette semaine-là.
Le grief tenant à l'attitude intimidante et menaçante de la salariée ne repose sur aucun fait précis, les faits concernés ne sont pas datés, la seule attestation de Mme [X] rapportant les propos de Mme [C] faisant état d'une menace voilée est insuffisante pour démontrer la réalité de ces faits.
Le grief tenant au fait que la salariée refuse d'exécuter tout le travail qui lui est confié n'est pas établi: s'agissant du 20 mars et du 5 avril, Mme [K] n'évoque pas une attitude volontaire de la salariée de ne pas nettoyer toutes les chambres mais une « négligence »; les allégations selon lesquelles elle refusait souvent de faire toutes les chambres qui lui étaient attribuées sont imprécises, non datées.
Le grief tenant aux propos insultants tenus par la salariée à Mme [X] et à sa directrice est établi par les attestations de ces deux personnes ainsi que de celle de Mme [T]. Ces attestations sont concordantes quant aux termes employés, « pute » et « esclavagiste », Mme [T] et Mme [P] [I] évoquent notamment toutes deux le fait que la salariée a fortement haussé la voix sur son lieu de travail le 30 avril et a traité la seconde d'esclavagiste.
Le grief tenant à l'absence de la salariée à son poste de travail les 1er et 2 mai 2020 est avéré: cette absence est attestée par Mme [X] et Mme [P] [I], elle apparaît sur sa fiche de paye de mai 2020, et la salariée ne conteste à aucun moment avoir été absente sur ces deux jours, ce sans justifier de ces absences.
Contrairement à ce que soutient la salariée, l'employeur a tout à fait la possibilité de retenir des faits postérieurs à l'envoi de la convocation à l'entretien préalable pour justifier un licenciement, dans la mesure ou ce dernier est également motivé par d'autres faits fautifs antérieurs à cette convocation, ce qui est le cas en l'espèce.
Si l'employeur ne peut invoquer les faits objets de l'avertissement pour justifier la décision de licenciement, l'existence de cet avertissement peut être prise en compte pour apprécier la sanction à appliquer au salarié.
Il résulte de ces constatations que l'employeur démontre que la salariée a commis des fautes dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, en se montrant insultante à plusieurs reprises envers sa supérieur ainsi qu'envers une autre salariée et en étant absente de son poste de travail sans justificatif pendant deux jours.
Ces faits sont d'autant plus graves que la salariée ne travaillait directement pour le compte de la Sarl Hotelop que depuis trois mois à la date des derniers faits, et qu'elle avait déjà fait l'objet d'un avertissement au bout de six semaines de travail. Ces éléments démontrent une volonté réitérée de la salariée de ne pas respecter et exécuter de bonne foi son contrat de travail.
Les faits retenus constituent ainsi une violation des obligations s'attachant à son emploi d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
La décision du conseil de prud'hommes sera donc confirmée en ce qu'elle a jugé que le licenciement pour faute grave est fondé, et en ce qu'elle a débouté Mme [E] [Y] de l'ensemble de ses demandes à ce titre.
Sur la demande par l'employeur de remboursement du salaire versé pour la journée du 30 avril 2019
Il résulte du courrier du 30 avril 2019 adressé par l'employeur à la salariée que le premier a demandé à la seconde de rentrer chez elle car elle avait eu un comportement inacceptable sur son lieu de travail, perturbait l'organisation du service et entravait le travail de ses collègues. L'employeur soutient que c'est son refus de travailler qui est à l'origine de son absence.
L'employeur soutient avoir payé par erreur cette journée à la salariée, et sollicite son remboursement.
Cependant, faire droit à sa demande à ce titre reviendrait à opérer une retenue sur salaire en raison d'un comportement fautif de la part de la salariée, ce qui constitue aux termes de l'article 1331-2 du code du travail une sanction pécuniaire interdite.
En conséquence, la décision sur ce point du conseil de prud'hommes sera confirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
DECLARE recevables Mme [E] [Y] et la SARL Hotelop en leurs appel et appel incident,
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse du 13 janvier 2022 en ce qu'il a jugé que la recevabilité de l'action de Mme [E] [Y] est prescrite,
Statuant a nouveau sur ce point,
DIT que l'action de Mme [E] [Y] en contestation de son licenciement n'est pas prescrite,
CONFIRME pour le surplus le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse du 13 janvier 2022,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [E] [Y] aux entiers dépens de la procédure,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 26 Juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, remplaçant Monsieur Frédéric PARIS, Président, régulièrement empêché, et Madame Capucine QUIBLIER, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier P/Le Président