COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 21 MARS 2023
N° RG 21/02489 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G37U
S.N.C. FROMAGERE D'ANNECY
C/ [B] [C]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNECY en date du 08 Décembre 2021, RG F 21/00069
APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE
S.N.C. FROMAGERE D'ANNECY
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON
et par Me Daniel CATALDI de la SELARL CABINET D'AVOCATS DANIEL CATALDI, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
INTIME ET APPELANT INCIDENT
Monsieur [B] [C]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Pauline GOETSCH de la SELARL ASTREAL, avocat au barreau d'ANNECY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Février 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER,
********
Copies délivrées le :
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [C] a été engagé par la société Fromagère d'Annecy le 19 septembre 2010 selon contrat à durée déterminée, en qualité de responsable d'atelier, transformé en contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2011. Il était soumis à un forfait annuel de 215 jours.
A la suite de l'entretien d'évaluation du 28 mars 2019, la société Fromagère d'Annecy mettait en place le 24 juin 2019 un accompagnement personnalisé pour faire face aux difficultés rencontrées dans l'exécution des taches confiées à M. [C] .
Le 5 février 2020, un compte rendu de cette mesure d'accompagnement était effectué.
Par courrier du 5 mars 2020, la société Fromagère d'Annecy notifiait à M. [C] son licenciement pour insuffisance professionnelle compte tenu de l'absence d'amélioration dans la réalisation de ses taches de travail malgré l'accompagnement mis en place depuis 2019.
Contestant son licenciement, M. [C] saisissait le conseil de prud'hommes d'Annecy par requête réceptionnée le 26 février 2021.
Par jugement en date du 8 décembre 2021, le conseil de prud'hommes d'Annecy a :
- dit que le licenciement de M. [C] pour insuffisance professionnelle par la société Fromagère d'Annecy est dénué de cause réelle et sérieuse,
- dit que M. [C] n'a pas été rempli de ses droits à l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- dit que le forfait en jours est sans effet ce qui entraîne le paiement d'heures supplémentaires,
- dit que le travail dissimulé n'est pas avéré et débouté M. [C] de sa demande d'indemnité qui y était liée,
- dit que la société Fromagère d'Annecy n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi et débouté M. [C] de sa demande de dommages-intérêts afférents,
- condamné la société Fromagère d'Annecy à verser à M. [C] les sommes suivantes :
.38 760 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
.1 035 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
.29 906 euros brut en règlement des heures supplémentaires effectuées,
.2 990 euros brut au titre des congés payés afférents,
.15 693 euros net au titre du repos compensateur,
.1 569 euros net au titre des congés payés afférents,
.2 000 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- limité l'exécution provisoire de plein droit du présent jugement aux sommes visées par l'article R. 1454-28 3° du code du travail,
- condamné la société Fromagère d'Annecy aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 23 décembre 2021, la société Fromagère d'Annecy a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions n°3 notifiées le 24 novembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, la société Fromagère d'Annecy demande à la cour d'appel de :
A titre principal :
- infirmer le jugement,
.dire et juger que le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [C] est bien fondé,
.dire et juger que la convention de forfait en jours sur l'année de M. [C] est valide,
.dire et juger que M. [C] n'a pas réalisé d'heures supplémentaires susceptibles de donner lieu à rémunération, ni à repos compensateur,
- confirmer le jugement,
.confirmer que le travail dissimulé n'est pas avéré et débouter M. [C] de sa demande d'indemnité liée,
.confirmer qu'elle n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi et débouter M. [C] de sa demande de dommages-intérêts afférents,
A titre subsidiaire :
- ramener l'indemnité de M. [C] à de plus justes proportions s'agissant de son licenciement.
Elle expose que le licenciement de M. [C] est bien fondé sur l'insuffisance professionnelle eu égard aux lacunes en matière de management et de performance d'atelier, qu'il n'est en rien reproché à M. [C] une attitude fautive mais simplement un manque de prise en considération des axes à améliorer malgré le suivi important qui avait été mis en place par l'employeur. Elle n'a pris aucune sanction disciplinaire à son encontre depuis la mise en place de son accompagnement. La notification d'un avertissement le 20 juillet 2018 pour des faits liés aux fonctions du salarié ne la prive pas de la possibilité de le licencier en invoquant une insuffisance professionnelle. Un point final à l'accompagnement était réalisé le 4 février 2020 avec un bilan écrit formalisé le 5 février 2020.
Sur le forfait en jours, il convient de souligner que l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa rédaction applicable à la date de conclusions de l'accord collectif et de son avenant n'imposait le respect d'aucune modalité de contrôle.
L'avenant à l'accord de groupe en date du 25 juin 2014 a intégré des dispositions relatives au suivi de la charge de travail, rappelant notamment que l'amplitude et la charge de travail doivent demeurer raisonnables et que les salariés bénéficient au minimum d'un repos quotidien consécutif de 11 heures et d'un repos hebdomadaire consécutif de 35 heures.
Le temps de travail de M. [C] était conforme à la durée légale du travail et M. [C] ne rapporte en rien la preuve de la réalisation d'heures supplémentaires.
Les seuls éléments versés aux débats par M. [C] consistent en des tableaux établis par ses soins censés retracer son activité qui se contentent de mentionner ses heures de pointage qui ne correspondent pas à un temps de travail effectif car M. [C] ne badgeait pas.
Pour le calcul des heures supplémentaires, le taux horaire ne saurait être supérieur au taux horaire qui résulte de la rémunération mensuelle minimale conventionnelle pour un temps complet.
Dès lors que M. [C] remet en cause son forfait jours, il ne peut prétendre conserver le bénéfice de ses jours de repos. Elle ne peut communiquer les relevés de badges de M. [C] qui ne sont conservés que 90 jours.
La nullité de la convention de forfait en jours ne permet pas de caractériser l'élément intentionnel attaché à l'infraction de travail dissimulé.
Aucun manquement à ses obligations ne peut lui être reproché. M. [C] ne rapporte aucun élément de preuve permettant de considérer qu'il a été contraint de réaliser de nombreuses heures supplémentaires au détriment de sa santé. L'accompagnement mis en place a été rendu nécessaire. Sur l'exécution provisoire du jugement, elle n'a fait qu'appliquer les règles instaurées s'agissant de l'application du taux neutre lors du versement des éléments de salaires dans le cadre d'une décision de justice.
Dans ses conclusions récapitulatives n°2 notifiées le 5 octobre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, M. [C] demande à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit que le travail dissimulé n'est pas avéré et que la société Fromagère d'Annecy n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi,
Statuant à nouveau,
- infirmer le jugement sur ces deux points,
- condamner la société Fromagère d'Annecy à lui payer les sommes de :
.20 000 euros nets de dommages-intérêts pour manquements à ses obligations de bonne foi et de sécurité,
.25 480 euros de dommages-intérêts pour travail dissimulé,
En tout état de cause,
- condamner la société Fromagère d'Annecy à lui payer la somme de 3 000 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il expose que depuis son embauche, il a été toujours investi dans l'exercice de ses fonctions et était reconnu dans son travail jusqu'à un changement de direction en 2018.
Il faisait état d'une dégradation de ses conditions de travail notamment auprès de la médecine du travail lors d'une visite médicale du 27 novembre 2018.
Il a été mis en place un accompagnement qui n'a consisté qu'à multiplier ses missions et les contrôles de son activité et qui n'a duré que six mois. Il a eu un rappel à l'ordre le 17 octobre 2019.
Il a été licencié pour une prétendue insuffisance professionnelle alors qu'il lui est reproché une attitude fautive (manquements, écarts importants au poste de travail et de la mission attendue). Pendant huit ans il n'a jamais eu le moindre reproche. Il a perçu des primes d'objectifs en 2020. Il lui est reproché des carences dans l'application des procédures managériales et de performance en atelier. Or il est établi que de telles carences, à les supposer établies, ne sont pas imputables au salarié qui subit une augmentation du volume de travail. La société reconnaît qu'elle a mis en place des procédures chronophages.
Dès son embauche, il a été soumis à un dispositif de forfait annuel.
Contrairement aux obligations conventionnelles résultant de l'annexe II de la convention nationale de l'industrie laitière du 20 mai 1955, son employeur n'a jamais organisé de suivi régulier de son temps de travail, son droit à déconnexion ou encore l'articulation entre sa vie privée et sa vie familiale. Son forfait annuel en jours est privé d'effet et il est en droit d'obtenir paiement de ses heures supplémentaires. La société Fromagère d'Annecy a reconnu qu'il travaillait de 8h15 à 17h30 avec une pause le midi soit 9h15 de présence journalière et 46h15 de présence hebdomadaire. Sa réclamation de 43 heures hebdomadaires est fondée.
Il badgeait bien et la société Fromagère d'Annecy a refusé de lui communiquer l'ensemble de ses relevés de pointage alors qu'elle les détient comme le confirme le relevé précis d'heures qu'il verse aux débats. Il est en droit d'obtenir paiement de ses heures supplémentaires, calculé sur la base du salaire qui lui est versé et non pas du salaire minimum conventionnel.
Le défaut de surveillance de l'amplitude et de la charge de travail du salarié soumis à un forfait jours constitue un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et le fait de ne pas régler les heures supplémentaires et d'être soumis à un dispositif de forfait jours de manière illicite pendant plus de 9 ans constituent une exécution déloyale du contrat de travail.
La société Fromagère d'Annecy reconnaît un temps de travail de 46h15 sans règlement des heures supplémentaires ce qui constitue du travail dissimulé.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 décembre 2022.
MOTIFS
Sur le licenciement :
La lettre de licenciement du 5 mars 2020 mentionne un licenciement pour insuffisance professionnelle, à savoir 'manquements et écarts importants au poste de travail dans la fonction et la mission attendue , et ce malgré l'accompagnement effectué ces derniers mois et les alertes effectuées lors de vos derniers entretiens annuels et le rappel des procédures suite à la mauvaise exécution des taches'.
Il résulte de la lettre de licenciement et ce quels que soient les termes employés, notamment le terme manquements qu'il n'est nullement reproché au salarié une abstention volontaire ou une mauvaise volonté délibérée de sa part qui caractériseraient un comportement fautif, mais bien une insuffisance professionnelle.
Le fait qu'un avertissement, non communiqué aux débats, ait été délivré en juillet 2018, pour des manquements qui seraient identiques à ceux reprochés dans la lettre de licenciement et qu'un rappel à l'ordre ait été effectué le 17 octobre 2019 pour une erreur d'étiquetage suite à une absence de contrôle, n'empêchent nullement l'employeur de se placer sur le terrain de l'insuffisance professionnelle.
A la suite de l'évaluation de 2018 qui a eu lieu le 25 juin 2019 qui notait des insuffisances dans la gestion d'un atelier sur le moyen et long terme et sur le positionnement de manager de son équipe et notamment des chefs d'équipe, un plan d'accompagnement a été mis en place.
Un compte rendu de ce plan d'accompagnement a été effectué le 5 février 2020 et il est noté des insuffisances tant sur l'axe managériale, que sur l'axe performance de l'atelier malgré l'accompagnement mis en place.
Il était noté que la vérification quotidienne de la bonne réalisation et de l'enregistrement correct des contrôles dans l'atelier et le recadrage des équipes n'avaient pas été effectués, que les règles d'organisation de l'atelier montraient des écarts récurrents d'une visite d'hygiène à l'autre et que M. [C] n'avait pas été force de proposition, sur l'organisation des retours de nus. M. [C] avait manqué de réactivité en affichant la procédure transmise en novembre 2018 qu'en octobre 2019.
Sur le développement des compétences et la polyvalence des équipes, la matrice de compétence avait été crée et non mise à jour régulièrement, l'accueil des intérimaires et la vérification de leur aptitude à effectuer des changements de lots et d'étiquettes pour ceux ayant plus de deux mois d'ancienneté n'avait pas été effectuée.
Sur l'axe performance d'atelier, il était constaté un manque de réactivité sur la gestion des approvisionnements et aucun lien entre le planning du personnel et le planning d'organisation des lignes n'avait été établi.
M. [C] évoque une dégradation de ses conditions de travail depuis l'arrivé de M. [P] comme responsable d'usine en remplacement de M. [D] puis celle de Mme [F] en septembre 2018, une surcharge de travail et le fait qu'il aurait bénéficié de primes d'objectifs en 2020.
Si M. [C] a pu mal vivre le changement d'équipe de direction comme il s'en est plaint au médecin du travail lors de la visite du 27 novembre 2018, 'difficultés relationnelles avec la hiérarchie, forte charge de travail, manque de reconnaissance', il n'en demeure pas moins qu'il y a eu de la part de cette nouvelle équipe une simple volonté d'améliorer les axes de travail et d'assurer le fonctionnement plein et entier de la fonction de chef d'atelier occupé par M. [C] qui a pu être déstabilisé dans ses habitudes de travail. L'accompagnement a bien été mis en place et n'était pas fictif même s'il n'a duré que six mois.
Si la société Fromagère d'Annecy a reconnu que certaines taches pouvaient être chronophages, notamment l'ordonnancement, elle précise bien avoir travaillé avec M. [C] à la mise en place d'outils lui permettant de simplifier les taches.
Quant aux primes d'objectifs perçues en avril et juin 2020, elles sont calculées sur des objectifs collectif à 50 % et sur des objectifs individuels à 50 %, le détail du calcul des primes de M. [C] faisant apparaître un pourcentage très faible pour la part individuel.
Le jugement sera en conséquence infirmé.
Le licenciement de M. [C] repose sur une cause réelle et sérieuse et il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur le complément d'indemnité conventionnelle de licenciement :
L'article 15 de annexe II relative aux dispositions particulières applicables aux cadres, ingénieurs, agents de maîtrise et techniciens(Avenant n° 6 du 29 juin 2006) de la convention collective nationale de l'industrie laitière prévoit concernant l'indemnité de licenciement que :
2. Cette indemnité est ainsi calculée :
- 1/30 du salaire annuel par année d'ancienneté dans l'entreprise en qualité de cadre, ingénieur, agent de maîtrise ou technicien avec un maximum de 30/30.
En cas d'années incomplètes, le calcul sera fait prorata temporis.
3. Le salaire annuel retenu sera le meilleur des 3 dernières années comprenant les primes, gratifications, à l'exclusion des indemnités ayant incontestablement un caractère bénévole ou exceptionnel. Les sommes versées au titre de l'intéressement ou de la participation, résultant des ordonnances de 1959 et de 1967, sont exclues de ce calcul.
M. [C] justifie bien que son salaire annuel brut de 2017 était de 51 825,18 euros comme mentionné sur son bulletin de salaire de décembre 2017 et non de 48 846,70 euros comme le prétend la société Fromagère d'Annecy.
Le jugement qui a alloué la somme de 1 035 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement sera confirmé.
Sur le forfait annuel en jours :
Dès son embauche, M. [C] a signé une convention individuelle de forfait en date du 20 septembre 2010 fixant le nombre de jours travaillés par an à 215 jours. M. [C] bénéficiait de 10 jours de repos supplémentaires par an, résultant du temps de travail réduit, ces journées étant prises selon un planning établi par l'employeur, prenant en compte le choix du salarié pour au moins 20 % d'entre elles.
L'article 7 de annexe II relative aux dispositions particulières applicables aux cadres, ingénieurs, agents de maîtrise et techniciens(Avenant n° 6 du 29 juin 2006) de la convention collective nationale de l'industrie laitière prévoyait 'qu'outre le respect des dispositions relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et au nombre de jours travaillés dans la semaine, ce type de forfait restera soumis aux dispositions conventionnelles relatives aux limites conventionnelles journalières et hebdomadaires de travail.
Ce forfait doit être accompagné d'un mode de suivi de la durée réelle de travail. Ce suivi peut être effectué par le salarié, sous la responsabilité de l'employeur.'
La loi applicable à l'époque prévoyait bien en son article L .3121-46 du code du travail dans son version en vigueur du 22 août 2008 au 10 août 2016 un entretien annuel individuel sur la charge de travail :
'Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.'
Il n'est pas contesté par l'employeur qu'il n'a jamais assuré le suivi de la durée réelle du travail de M. [C] , fait passer un entretien individuel annuel, ni établi un relevé des journées travaillés, ce qui prive d'effet la convention de forfait jours et le salarié est en droit de réclamer ses heures supplémentaires, étant précisé en outre que ses bulletins de salaire ne mentionnaient pas l'existence de cette convention de forfait jours mais une durée mensuelle de travail de 151,67 heures.
Le jugement qui a dit que le forfait en jours est sans effet ce qui entraîne le paiement d'heures supplémentaires sera confirmé.
Sur les heures supplémentaires et le repos compensateur :
M. [C] est en droit de réclamer le paiement des heures supplémentaires réalisées. Aux termes de l'article L3245-1 du code du travail, l 'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Le contrat de travail de M. [C] a été rompu le 5 mars 2020 et il est en droit de réclamer le paiement de ses heures supplémentaires à compter du 5 mars 2017.
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
M. [C], qui badgeait contrairement à ce que soutient la société Fromagère d'Annecy, produit aux débats ses fiches de pointage du 28 août 2017 au 2 octobre 2018 et du 13 novembre 2018 au 9 février 2020 et a réclamé à la société Fromagère d'Annecy de les produire aux débats, ce que l'employeur a refusé de faire, prétextant, que le logiciel ne conserve que 90 jours d'événements d'accès lié à un salarié pour être en conformité avec la Cnil qui précise cependant dans sa notice sur les badges sur lieux de travail, versée aux débats, que la durée de conservation des données ayant pour finalité le contrôle de la durée du travail est de 5 ans, ce qui est logique compte tenu du délai de prescription.
La société Fromagère d'Annecy se contente d'indiquer que les horaires de travail de M. [C] étaient réguliers de 8h15 à 17h30 avec une pause le midi de 1h15.
Il résulte de l'analyse des relevés de badgages que M. [C] arrivait, en général, le matin entre 7h30 et 8h, qu'il arrêtait son travail entre 12h45 et 13h10, prenait une pause de 1 heure, reprenait vers 13h45-14h pour terminer entre 17h30- 18h et qu'il réalisait en moyenne 43 heures hebdomadaires. Les horaires indiqués dans le relevé de badgages correspondent à peu près à ceux indiqués par l'employeur. Ces relevés sont extrêmement précis.
Il convient de tenir compte pour le calcul des heures supplémentaires de la rémunération perçue par M. [C] et non de la rémunération conventionnelle minimale et du fait que M. [C] bénéficiait de 10 jours de RTT supplémentaires et de calculer, en conséquence, le nombre d'heures supplémentaires réalisées non pas sur 47 semaines mais sur 45 semaines, ce qui donne une somme de ( 21,21 eurosx125%x8x45 semaines x3 ans) 28 633,50 euros au titre des heures supplémentaires outre 2 863,35 euros au titre des congés payés afférents.
La cour ayant fait droit à la demande d'heures supplémentaires formulée par M. [C], ce dont il résulte que qu'il n'a pas été en mesure de formuler du fait de son employeur une demande portant sur le repos compensateur auquel ces heures lui donnaient droit, ce dernier est bien fondé en sa demande d'indemnités. Le préjudice subi comporte le montant d'une indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos, auquel s'ajoute le montant de l'indemnité de congés payés afférents.
Le contingent d'heures supplémentaires autorisé est de 130 heures (article 10.8 de la convention collective nationale des industries laitières).
Il s'apprécie annuellement, étant précisé qu'en 2020, M. [C] n'a pas dépassé ce contingent, son contrat de travail ayant été rompu le 5 mars 2020 et qu'en 2017, il convient de faire démarrer la demande au 5 mars 2017 (43 semaines) soit avec les congés payés 37 semaines .
Le calcul est le suivant :
2017 : 21,21 euros x (8 heuresx37) - 130 heures = 3 520,86 euros
2018- 2019 : [21,21 euros (8 heuresx45)-130 heures]x2 = 9 756,60 euros
La société Fromagère d'Annecy sera condamnée à payer à M. [C] la somme de 13.277,46 euros brut à titre d'indemnité pour repos compensateur non pris outre celle de 1 327,75 brut euros au titre de congés payés afférents.
Sur le travail dissimulé :
Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : (...) 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli (...)" ; que l'article L. 8223-1 du même code dispose : 'En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire'.
La dissimulation d'emploi salarié prévue par ce texte n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ou n'a pas déclaré le salarié.
La société Fromagère d'Annecy ne peut se retrancher derrière la convention en forfait jours alors qu'elle n'a jamais assuré le suivi de la charge de travail, qu'elle ne produit aucun document'de'contrôle'du'nombre'de'jours'travaillés,' ni un' entretien' individuel' sur la charge de travail, ni d'une quelqueconque démarche pour s'assurer de la comptabilité de la charge de travail de M. [C] avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires.
Force est de constater que le temps de travail de M. [C] était régulier comme le souligne la société Fromagère d'Annecy, puisqu'en tant que responsable d'atelier, il était soumis à l'horaire collectif des autres salariés qu'ils devaient encadrer, que l'article 7 de l'annexe II relative aux dispositions particulières applicables aux cadres, ingénieurs, agents de maîtrise et techniciens (Avenant n° 6 du 29 juin 2006) de la convention collective nationale de l'industrie laitière prévoit que le personnel d'encadrement, dont la durée du temps de travail peut être prédéterminée, occupé selon l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe, auquel il est intégré, est soumis aux dispositions générales relatives à la durée du travail.
Les fiches de paie de M. [C] faisaient d'ailleurs mention d'un temps de travail mensuel de 151h67. C'est donc bien de manière intentionnelle que la société Fromagère d'Annecy a mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.
Le travail dissimulé est caractérisé.
Le jugement sera infirmé et la société Fromagère d'Annecy sera condamnée à payer à M. [C] la somme de 25 840 euros brut à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
Sur les dommages-intérêts pour manquements aux obligations contractuelles de sécurité et de bonne foi :
S'il y a eu manquement de l'employeur qui n'a pas mis en place un contrôle de la charge de travail et a fait réaliser des heures supplémentaires à son salarié sans les déclarer, M. [C] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui d'ores et déjà réparé par le paiement des heures supplémentaires réalisés, une indemnité pour repos compensateur non pris du fait de l'employeur et reconnaissance du travail dissimulé.
Les difficultés relatives à l'exécution du jugement pour les condamnations assorties de l'exécution provisoire et l'application d'un taux d'imposition neutre, ne concernent pas l'exécution du contrat de travail.
Le jugement qui a débouté M. [C] de sa demande sera confirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Succombant partiellement, la société Fromagère d'Annecy sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement en ce qu'il a :
- condamné la société Fromagère d'Annecy à payer à M. [C] la somme de 1.035 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- dit que le forfait en jours est sans effet ce qui entraîne le paiement d'heures supplémentaires,
- dit que la société Fromagère d'Annecy n'a pas manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi et débouté M. [C] de sa demande de dommages-intérêts afférents;
INFIRME le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant :
DIT que le licenciement de M. [C] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
DÉBOUTE M. [C] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société Fromagère d'Annecy à payer à M. [C] les sommes de :
.28 633,50 euros brut au titre des heures supplémentaires outre 2 863,35 euros brut au titre des congés payés afférents,
.13 277,46 euros brut à titre d'indemnité pour repos compensateur non pris outre celle de 1 327,75 euros brut au titre de congés payés afférents ;
CONDAMNE la société Fromagère d'Annecy à payer à M. [C] la somme de 25 840 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;
CONDAMNE la société Fromagère d'Annecy à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en appel ;
CONDAMNE la société Fromagère d'Annecy aux dépens de première instance et d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 21 Mars 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président