COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2023
N° RG 21/02082 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2P2
S.A.S. [H] CONSTRUCTION BOIS - 2C BOIS
C/ [D] [U]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 20 Septembre 2021, RG F 20/00096
APPELANTE :
S.A.S. [H] CONSTRUCTION BOIS - 2C BOIS
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-Marie LAMOTTE de la SELARL LAMOTTE & AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
INTIME :
Monsieur [D] [U]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Lionel FALCONNET, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 22 Novembre 2022, devant Madame Isabelle CHUILON, Conseiller désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s'est chargée du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Madame Capucine QUIBLIER, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Copies délivrées le :
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EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [D] [U] a été engagé par la Sas [H] Construction Bois (par abréviation 2C Bois) suivant un contrat à durée déterminée de 3 mois, du 6 juillet 2016 au 5 octobre 2016, auquel a succédé un contrat à durée indéterminée, à compter du 6 octobre 2016, en qualité de charpentier non cadre, pour 151,67 heures de travail par mois, moyennant un salaire mensuel brut de 1.914,18 euros.
La Sas 2C Bois a un effectif inférieur à 10 salariés.
La convention collective des ouvriers des entreprises du bâtiment (moins de dix salariés) est applicable.
En date du 29 octobre 2014, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la Sas 2C Bois.
Par jugement du 1er avril 2016, le tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains a prononcé l'adoption d'un plan de redressement par continuation d'activité pour une durée de dix ans.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 2 septembre 2019, M. [D] [U] informait son employeur qu'il ne reprendrait pas son travail et qu'il mettait fin à leur collaboration, en lui demandant la remise des fiches de paie manquantes depuis 2017, d'un certificat de travail et le solde de tout compte, ainsi que le paiement de deux années de congés payés et des salaires restant dus.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 5 octobre 2019, M. [D] [U] rappelait à la Sas 2C Bois avoir 'pris acte de la rupture de son contrat de travail' par son précédent courrier distribué le 4 septembre 2019 et réitérait sa demande de remise de son reçu pour solde de tout compte, d'un certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi.
Les 4 et 6 mars 2020, la caisse des congés payés du bâtiment a payé à M. [D] [U] ses indemnités de congés payés au titre des années 2018 et 2019, à hauteur de 2.464,97 euros et de 2.306,38 euros.
Par requête du 27 août 2020, M. [D] [U] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annemasse afin qu'il soit dit que la rupture de son contrat de travail est imputable à la société [H] Construction Bois, et que cette dernière soit condamnée à lui verser un arriéré de salaires de 2.557,66 euros, outre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, et à lui remettre, sous astreinte, ses bulletins de paie, ainsi que divers autres documents.
Par jugement du 20 septembre 2021, le conseil de prud'hommes d'Annemasse a :
- Dit que la rupture du contrat de travail est imputable à 2C bois,
- Dit que la prise d'acte de M. [U] est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en produit les effets,
- Ordonné à 2C bois de verser à M. [U] les sommes de :
* 1.914,18 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1.474,53 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
* 3.828,36 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- Ordonné à la société 2C Bois la remise, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard, passé 30 jours suivant la notification du présent jugement, de l'attestation pôle emploi rectifiée et du reçu pour solde de tout compte,
- Ordonné à 2C Bois de verser à M. [U] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire suivant les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail,
- Fixé le salaire de M.[U] au montant mensuel brut de 1.914,18 euros pour l'application de l'article R.1454-28,
- Débouté les parties de leurs autres demandes,
- Condamné la société 2C Bois aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 20 octobre 2021 par RPVA, la Sas [H] Construction Bois (2C Bois) a interjeté appel contre l'ensemble des dispositions de la décision. M. [D] [U] a formé appel incident par conclusions du 25 janvier 2022.
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Dans ses conclusions notifiées le 19 janvier 2022, auxquelles la cour se réfère pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Sas [H] Construction Bois (2C Bois), demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé,
Y faisant droit , statuant à nouveau,
- dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. [D] [U] s'analyse en une démission,
- débouter en conséquence M. [D] [U] de ses demandes au titre des indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- le condamner au paiement de la somme de 957 euros à titre d'indemnité compensatrice de démission,
- plus généralement, le débouter de toutes autres demandes,
- le condamner au paiement d'une somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La Sas [H] Construction Bois (2C Bois) fait valoir que:
Elle conteste l'intégralité des manquements reprochés par le salarié, lesquels ne sont pas établis, revêtent un caractère ancien et n'ont pas empêché la poursuite des relations contractuelles, de sorte que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. [D] [U] constitue, en définitive, une démission.
La demande de rappel de salaires de 9.800 euros nets à parfaire, chiffrée par le salarié dans son courrier du 2 septembre 2019, ne correspond à aucune réalité. Il l'avait fixée à hauteur de 2.557,66 euros devant le conseil de prud'hommes, avant de finir par s'en désister.
Le prétendu manquement lié au non paiement d'un arriéré de salaires relevait d'un problème de communication avec la caisse des congés payés du bâtiment. Il a été régularisé en mars 2020, soit avant la saisine du conseil de prud'hommes.
Elle a produit au salarié, contrairement à ce qu'il allègue, l'ensemble de ses bulletins de paie, en cours d'exécution du contrat de travail, ainsi qu'en cours de procédure, comme acté par le conseil de prud'hommes, étant précisé que M. [U] n'avait jamais formé, antérieurement, aucune réclamation à ce sujet.
D'après l'article 10.1 de la convention collective applicable, le salarié est redevable d'un préavis de démission de deux semaines.
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Dans ses conclusions notifiées le 25 janvier 2022, auxquelles la cour se réfère pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, M. [D] [U] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Annemasse le 20 septembre 2021, sauf en ce qu'il a ordonné à 2C Bois de verser à M. [U] la somme de 1.914,18 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
statuant à nouveau :
- condamner la Sas 2C Bois à payer à M. [D] [U] la somme de 5.742,54 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant :
- condamner la Sas 2C Bois à payer à M. [D] [U] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner la Sas 2C Bois aux entiers dépens, y compris d'exécution.
M. [D] [U] fait valoir que :
Dans sa lettre du 2 septembre 2019, il fait état de manquements reprochés à l'employeur, ce qui confirme l'existence d'un différend antérieur et contemporain à la rupture opposant les parties, de sorte qu'il ne peut s'agir d'une démission, laquelle doit résulter d'une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat.
En outre, sa lettre du 5 octobre 2019 indique expressément qu'il avait pris acte de la rupture de son contrat de travail par le précédent courrier du 2 septembre 2019.
Pour la période travaillée du 1er juillet 2017 au 12 août 2019, il lui a été versé un salaire de 36.676,94 euros, alors qu'il lui était dû un salaire de 39.234,60 euros, ce qui représentait un arriéré de 2.557,66 euros nets.
L'employeur ne lui a point remis les bulletins de paie de septembre 2016, juillet 2017, octobre 2017 à juillet 2018 et de janvier à août 2019. Ce n'est que le 3 juin 2021 que la société [H] Construction Bois lui a communiqué une copie de ceux-ci.
Il a, dès lors, renoncé à sa demande de communication des bulletins de salaire lors de l'audience devant le conseil de prud'hommes, mais ce grief justifie, entre autres, que la rupture du contrat de travail soit imputable à l'employeur.
Si cette obligation avait été respectée en amont par la Sas 2C Bois, cela lui aurait permis une meilleure compréhension du détail des sommes versées et restant dues.
Ses indemnités de congés payés 2018 et 2019 lui ont été réglées tardivement par la Caisse Rhône-Alpes Auvergne Congés Intempéries BTP, en raison du fait que la société 2C Bois ne lui a transmis les éléments nécessaires que le 3 mars 2020.
Le non paiement ou le paiement avec retard des salaires, la non délivrance des fiches de paie et la remise tardive des informations et documents indispensables au paiement des indemnités de congés payés, constituent, de la part de l'employeur, des manquements graves justifiant une prise d'acte de la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs.
De tels retards dans le paiement de son salaire et de ses congés payés ont eu des conséquences sur le paiement de ses propres charges, notamment de son loyer.
Les documents de rupture qui lui ont été transmis le 3 juin 2021 sont erronés.
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L'instruction de l'affaire a été clôturée le 2 septembre 2022.
La date des plaidoiries a été fixée à l'audience du 22 novembre 2022.
L'affaire a été mise en délibéré au 26 janvier 2023, prorogé au 23 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à celui-ci en se fondant sur des griefs qu'il impute à son employeur.
S'agissant d'un constat de rupture, qui peut s'exprimer ou se manifester de diverses manières, la prise d'acte n'est soumise à aucun formalisme.
Les juges ne sont pas liés par les griefs énoncés dans la lettre qui la notifie. En effet, «'l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige'»'; dès lors «'le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit'» (Cass. soc., 29'juin'2005, n°03-42.804'; Cass. soc., 15'févr. 2006, n°03-47.363'; Cass. soc., 9'avr. 2008, n°07-40.668'; Cass. soc., 30'mai'2018, n°17-11.082).
Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail (Cass. soc., 26'mars'2014, n°12-23.634, n°12-21.372 et n°12-35.040).
C'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire, ou s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission (Cass. soc., 19'déc. 2007, n°06-44.754'; Cass. soc., 9'avr. 2008, n°06-44.191).
Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié (Cass. soc., 7'déc. 2017, n°16-20.470)': l'appréciation doit être globale et non manquement par manquement (Cass. soc., 20'janv. 2015, n°13-23.431).
Un manquement ponctuel de l'employeur à ses obligations contractuelles, explicable par des circonstances indépendantes de sa volonté, sans que soit en cause sa bonne foi, ne saurait légitimer une prise d'acte de la rupture à ses torts.
Parmi les obligations inhérentes au contrat de travail, ont été reconnus comme des manquements'graves: le non-paiement du salaire (Cass. soc., 24'oct. 2012, n°11-30.387), y compris de primes (Cass. soc., 7'avr. 2010, n°09-40.020; Cass. soc., 8'avr. 2010, n°09-41.134), ainsi que le versement du salaire avec deux mois de retard (Cass. soc., 25'janv. 2017, n°15-22.582). Il a même été reconnu que le fait de payer le salaire avec quelques jours de retard, à plusieurs reprises sur une période de cinq mois, était un manquement suffisamment grave (Cass. soc., 30'mai'2018, n°16-28.127).
Pour apprécier si les manquements rendent impossible la poursuite du contrat de travail, la cour de cassation peut être amenée à tenir compte de la vitesse de réaction du salarié et de l'antériorité des faits reprochés à l'employeur.
Le délai écoulé entre la date des faits et la date de la prise d'acte peut enlever à ceux-ci le caractère de gravité y étant attaché, les faits n'ayant pas empêché le salarié de poursuivre son contrat de travail.
L'ancienneté du grief n'est cependant qu'un critère d'appréciation qui ne suffit pas à lui seul à écarter la gravité du manquement. La cour de cassation censure les juges du fond qui ne s'en tiennent qu'à l'ancienneté des manquements invoqués pour requalifier une prise d'acte en démission': il appartient en effet au juge d'apprécier la réalité et la gravité des manquements invoqués et de dire s'ils sont de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. soc., 19'déc. 2018, n°16-20.522). Ont été jugés suffisamment graves': le défaut de paiement de l'intégralité des heures travaillées pendant un an, quand bien même il serait intervenu trois ans avant la prise d'acte (Cass. soc., 30'avr. 2014, n°12-21.041'; Cass. soc., 27'nov. 2014, n°13-18.716), ainsi que l'absence de règlement d'heures supplémentaires dont le salarié n'a jamais demandé le paiement pendant quatre ans (Cass. soc., 23'sept. 2014, n°13-19.793).
La régularisation opérée par l'employeur ne permet pas d'écarter, de facto, la gravité du manquement, le juge devant s'attacher à apprécier si le grief est suffisamment grave pour justifier la prise d'acte. Si tel est le cas, il écartera l'incidence de la régularisation.
En l'espèce, il ressort des éléments de la procédure que M. [D] [U] a adressé un 1er courrier recommandé avec avis de réception le 2 septembre 2019 à son employeur, rédigé comme suit:« Je vous annonce par la présente que je ne reprendrai pas mon travail au sein de votre entreprise. Vous n'ignorez pas la situation dans laquelle je me trouve, car depuis presque deux ans, vous ne me délivrez plus en temps et en heure mes fiches de paie, mes bordereaux de congés payés et le plus grave, vous restez me devoir la somme de 9.800 euros à parfaire, en retard de salaire et de congés payés. Vous comprendrez aisément que cette situation ne peut plus durer, et qu'en conséquence, je mette fin à notre collaboration. Vous voudrez bien, dans les plus brefs délais, me faire parvenir les fiches de paie qui me manquent depuis 2017, ainsi que le paiement de deux années de congés payés, et des salaires que vous me devez encore, accompagnés de mon certificat de travail et de solde de tout compte. Sans nouvelles de votre part, rapidement, je serais contraint de saisir les prud'hommes».
S'y ajoute un second courrier recommandé avec avis de réception du 5 octobre 2019, dans lequel M. [D] [U] a écrit à la Sas 2C Bois en ces termes: 'Par un courrier en recommandé... qui vous a été présenté le 04 septembre 2019, j'ai pris acte de la rupture de mon contrat de travail par rapport à tous les faits reprochés qui constituent un grave manquement aux obligations contractuelles. Mon contrat est rompu depuis le 04 septembre 2019. L'effet de la rupture sera suivi d'une assignation de l'entreprise devant le conseil de prud'hommes afin d'obtenir le respect de mes droits et de la réparation financière du préjudice subi. Je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle emploi'.
Pour justifier des manquements reprochés à son employeur, M. [D] [U] produit les relevés de son compte bancaire, pour la période allant du 3 août 2017 au 2 septembre 2019, ainsi qu'un décompte des sommes virées sur celui-ci par la Sas 2C Bois, du 9 août 2017 au 19 août 2019, et des salaires dûs par cette dernière au visa des fiches de paie, de juillet 2017 à août 2019.
A la lecture de ces éléments, il apparait qu'entre le 18 décembre 2017 et le 2 mars 2018, soit durant 2 mois et demi, M. [U] n'a perçu aucune rémunération et que, d'autre part, pendant toute la période sus-visée (d'août 2017 à août 2019), les virements de son salaire ont été effectués à des dates, et pour des montants, aléatoires, ne correspondant pas toujours à ceux indiqués sur ses fiches de paie.
Par ailleurs, il en ressort que le salarié a réellement perçu, entre juillet 2017 et août 2019, 36.676,94 euros de salaire, alors qu'une somme globale lui était due à hauteur de 39.234,60 euros, s'agissant de cette période.
M. [U] s'est finalement désisté de sa demande de rappel de salaires devant le conseil de prud'hommes, à réception des pièces communiquées par la Sas 2C Bois, notamment de ses fiches de paie, lui ayant permis de vérifier ce à quoi correspondaient les diverses sommes versées, de manière, pour le moins, arbitraire, par son employeur.
Ainsi, il lui est apparu que l'arriéré restant dû de 2.557,66 euros correspondait aux congés payés dont le paiement incombait à la caisse des congés payés du bâtiment et des travaux publics de la Haute-Savoie, ainsi que mentionné dans le contrat de travail (article 6).
M. [U] prouve, par la production d'attestations de paiement, n'avoir reçu de la caisse Rhône-Alpes Auvergne 'Congés Intempéries BTP' l'indemnisation de ses congés payés au cours de la campagne 2018 et 2019 pour des montants nets de 2.306,38 euros et de 2.464,97 euros, que les 4 et 6 mars 2020, alors qu'il avait réclamé à son employeur d'effectuer les diligences nécessaires depuis, a minima, sa lettre de prise d'acte du 2 septembre 2019.
Or, il s'avère que M.[H] [R], représentant légal de la Sas 2C Bois, a attendu le 3 mars 2020, soit la veille des paiements opérés, pour adresser à ladite caisse les informations et documents permettant l'indemnisation des congés payés dûs à M.[U] au titre des années 2018 et 2019, ainsi qu'il ressort de l'email transmis par ce salarié.
M. [U] [D] remet, également, diverses correspondances, notamment entre son avocat et la Sas 2C Bois (LRAR du 26 août 2020, courrier officiel du 22 mars 2021), ainsi qu'un avis d'avoir à faire assigner par huissier de justice du 22 septembre 2020, et une citation devant le conseil de prud'hommes du 1eroctobre 2020, documents faisant, tous, état, d'une demande de communication de ses bulletins de salaire auprès de son employeur, laquelle est finalement intervenue en cours de procédure, sans qu'il ne soit établi qu'ils aient fait l'objet d'une transmission antérieure au salarié.
Enfin, M. [U] justifie, par une lettre de la Sci Kern Perte et Fils adressée à son avocat le 13 juin 2021 et des quittances du 1er février 2018 au 31 août 2019, qu'il payait, systématiquement, durant cette période, son loyer avec retard.
Ainsi, M. [D] [U] démontre que la Sas 2C Bois a violé, durant près de deux années, ses obligations contractuelles, en lui versant, systématiquement, son salaire avec retard, en ne lui délivrant pas, en temps utile, ses fiches de paie, et en s'abstenant d'effectuer les démarches lui permettant de percevoir ses indemnités de congés payés dans un délai raisonnable.
Un tel comportement, récurrent et persistant, de l'employeur a, ainsi, entraîné une insécurité et des difficultés financières chez ce salarié. Il est, donc, suffisamment grave pour empêcher toute poursuite de la relation de travail, de sorte que la prise d'acte de la rupture du contrat aux torts de l'employeur est pleinement justifiée.
Les régularisations opérées postérieurement à la prise d'acte (paiement des congés payés et remise des fiches de paie), n'affectent, en rien, le bien fondé de celle-ci, compte tenu de la gravité des manquements de l'employeur.
Dès lors que les griefs invoqués par le salarié sont réels et suffisamment graves, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 25'juin'2003, n°01-42.679'; Cass. soc., 13'juill. 2005, n°03-45.247'; Cass. soc., 16'mars'2011, n°09-67.836) prononcé sans observation du préavis, peu important que le salarié ait demandé à en être dispensé (Cass. soc., 20'janv. 2010, n°08-43.476'; Cass. soc., 20'janv. 2010, n°08-43.471).
L'employeur est donc redevable à l'égard du salarié d'une indemnité compensatrice de préavis (à moins qu'il n'ait exécuté son préavis': Cass. soc., 21'janv. 2015, n°13-16.896), ainsi que de l'indemnité légale (C.'trav., art.'L.1234-9) ou conventionnelle de licenciement.
En l'espèce, il ressort des pièces produites et des écritures des parties que M. [U] avait une ancienneté de 3 années complètes lors de la rupture du contrat de travail et qu'il percevait un salaire moyen mensuel de 1.914,18 euros bruts.
L'indemnité de licenciement ne peut pas être inférieure à 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté. En cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets (C. trav., art. R. 1234-2). M. [U] peut, dès lors, prétendre à une indemnité de licenciement s'élevant à la somme de 1.474,53 euros.
L'indemnité compensatrice de préavis que M. [U] est en droit de percevoir correspond à deux mois de salaire (d'après l'article X-1 de la convention applicable, conforme à l'article L.1234-1 du code du travail). Elle s'élève, donc, à la somme de 3.828,36 euros.
L'article L.1235-3 du code du travail fixe, entre un mois et quatre mois de salaire brut, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à laquelle M. [U] peut prétendre. Compte tenu des circonstances dans lesquelles la prise d'acte est intervenue et du préjudice occasionné au salarié, il convient de faire droit à son entière demande en lui allouant des dommages et intérêts à hauteur de 5.742,54 euros, correspondant à trois mois de salaire.
Dès lors, le jugement du conseil de prud'hommes du 20 septembre 2021, à l'exception du montant des dommages et intérêts octroyés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sera confirmé en toutes ses dispositions, y compris celles concernant les documents de rupture (attestation pôle emploi rectifiée et reçu pour solde de tout compte), en ce qu'elles n'ont fait l'objet d'aucun développement spécifique de la part de la Sas 2C Bois dans ses conclusions, bien que visées au titre des chefs du jugement critiqués par l'acte d'appel.
La Sas [H] Construction Bois (2C Bois) succombant, elle devra assumer la charge des entiers dépens et verser à M. [D] [U] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement rendu le 20 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes d'Annemasse en ce qu'il a ordonné à 2C Bois de verser à M. [U] la somme de 1.914,18 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
CONFIRME le jugement rendu le 20 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes d'Annemasse pour le surplus de ses dispositions.
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la Sas [H] Construction Bois (2C Bois) à payer à M. [D] [U] la somme de 5.742,54 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Y ajoutant,
CONDAMNE la Sas [H] Construction Bois (2C Bois) à payer à M.[U] [D] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.
CONDAMNE la Sas [H] Construction Bois (2C Bois) aux entiers dépens, en cause d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 23 Février 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président