COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2023
N° RG 21/02007 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G2G6
S.A.S. DE LA PLAGE
C/ [X] [N] [V] [O] [I]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 16 Septembre 2021, RG F 19/00181
APPELANTE :
S.A.S. DE LA PLAGE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-Marie LAMOTTE de la SELARL LAMOTTE & AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
INTIMEE :
Madame [X] [N] [V] [O] [I]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Audrey GUICHARD, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 22 Novembre 2022, devant Madame Isabelle CHUILON, Conseiller désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s'est chargée du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Mme Capucine QUIBLIER, Greffier lors des débats, et lors du délibéré:
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Copies délivrées le :
********
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [X] [O] [I] a été engagée par la Sas de la plage, exploitant un restaurant au port de [Localité 5], suivant un contrat à durée déterminée, pour la saison allant du 25 mars 2016 au 30 septembre 2016, en qualité d'employée polyvalente, pour une durée de travail de 35 heures par semaine, outre 4 heures supplémentaires hebdomadaires, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1.549,42 euros et des avantages en nature (nourrie: 2 repas par jour).
Par avenant du 26 septembre 2016, il a été convenu que le contrat de travail se poursuivrait entre les parties pour une durée indéterminée à compter du 1er octobre 2016, aux mêmes conditions.
La Sas de la plage a un effectif situé entre trois et cinq salariés et applique la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants.
Le contrat de travail de Mme [X] [O] [I] a pris fin le 13 avril 2019, dans le cadre d'une procédure de rupture conventionnelle homologuée par la Direccte.
Par courrier recommandé du 27 mai 2019, Mme [X] [O] [I] contestait son reçu pour solde de tout compte et réclamait le paiement d'heures supplémentaires.
Par courrier recommandé du 3 juin 2019, la Sas de la plage faisait part, en réponse, de son désaccord et demandait un décompte hebdomadaire précis à Mme [X] [O] [I], justifiant sa réclamation au titre d'heures supplémentaires.
Par courrier recommandé du 6 septembre 2019, Mme [X] [O] [I] adressait à la Sas de la plage une mise en demeure avant saisine du conseil de prud'hommes dénonçant son reçu pour solde de tout compte et demandant le paiement de 2.060 euros pour salaires impayés et de 18.694 euros correspondant aux heures supplémentaires.
Par requête en date du 12 novembre 2019, Mme [X] [O] [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annemasse aux fins de paiement de rappels de salaires. Par la suite, elle a demandé, en outre, à ce qu'il soit dit et jugé que son employeur avait exécuté son contrat de travail de manière fautive et déloyale et qu'il était coupable de travail dissimulé par dissimulation d'heures travaillées, en sollicitant le paiement de diverses sommes.
Par jugement en date du 16 septembre 2021, le conseil de prud'hommes d'Annemasse a:
- Dit que la Sas de la plage a exécuté le contrat de travail de Mme [X] [O] [I] de manière fautive et déloyale,
- Condamné la Sas de la plage à payer à Mme [X] [O] [I] 2.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
- Dit que la Sas de la plage est coupable de travail dissimulé,
- Condamné la Sas de la plage à payer à Mme [X] [O] [I] les sommes de :
* 5 106,42 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 511 euros au titre des congés payés afférents,
* 11.418,12 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
- Fixé le salaire moyen à la somme de 1.903,02 euros bruts,
- Ordonné à la Sas de la plage de remettre à Mme [X] [O] [I] les bulletins de salaire de février 2021 à décembre 2018 ainsi que celui d'avril 2019, le certificat de travail rectifié, l'attestation pôle emploi rectifiée ainsi que le solde de tout compte, ce sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du 05octobre 2021,
- Dit que le conseil se réserve la liquidation de l'astreinte,
- Condamné la Sas de la plage à payer à Mme [X] [O] [I] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire de ce qui est de droit,
- Condamné la Sas de la plage aux dépens,
- Fixé le point de départ des intérêts, pour les créances ayant caractère de salaire, à compter de la date d'enregistrement de la requête au greffe le 12 novembre 2019,
-Ordonné la capitalisation des intérêts lorsqu'ils seront dus pour une année entière conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
Par déclaration reçue au greffe le 7 octobre 2021 par RPVA, la Sas de la plage a interjeté appel à l'encontre de l'ensemble des dispositions de la décision. Mme [X] [O] [I] a formé appel incident par conclusions du 10 janvier 2022.
'
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 4 mai 2022, auxquelles la cour se réfère pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Sas de la plage demande à la cour de :
- Déclarer son appel recevable et bien-fondé,
Y faisant droit et statuant à nouveau,
- Débouter Mme [X] [O] [I] de l'intégralité de ses demandes,
- La condamner au paiement d'une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La Sas de la plage fait valoir que:
Mme [X] [O] [I], durant l'exécution de son contrat de travail, n'a jamais formulé la moindre réclamation concernant le paiement d'heures supplémentaires ou un prétendu non-respect de la durée maximale du travail et des temps de repos.
La salariée a attendu février 2021 pour dénoncer une exécution déloyale et fautive du contrat de travail par son employeur.
Elle ne produit pas d'éléments suffisamment précis pour étayer sa demande au titre des heures supplémentaires, laquelle a, de surcroît, été fluctuante.
Le décompte manuscrit et le tableau d'heures supplémentaires versés en procédure ont été rédigés a posteriori pour les besoins de la cause. Ils ne reposent sur aucun élément concret ou objectivement vérifiable. Les pauses repas n'ont pas été déduites.
La comparaison entre les relevés horaires de M. [G] [P], cuisinier, et ceux de la salariée, révèle des incohérences, cette dernière ayant, notamment, déclaré avoir travaillé certains jours où le restaurant était fermé.
Son relevé de compte bancaire pour le mois de mai 2018, ainsi que les opérations de cartes bleues réalisées au restaurant fin 2018, ne correspondent pas avec les volumes horaires allégués par la salariée.
La dissimulation du nombre d'heures de travail effectuées n'est caractérisée que si elle est intentionnelle, or une réclamation d'heures supplémentaires contestée par l'employeur ne caractérise pas cette intention.
Les attestations versées par Mme [X] [O] [I], se contentant d'allégations générales, sont imprécises et non-probantes.
Mme [F] qui témoigne, plus de 4 ans après son départ, de prétendues injures raciales proférées à l'encontre de Mme [X] [O] [I], n'a jamais travaillé avec cette dernière.
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Dans ses conclusions notifiées le 9 mai 2022, auxquelles la cour se réfère pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Mme [X] [O] [I] demande à la cour de:
-Réformer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la Sas de la plage à payer à Mme [X] [O] [I] 2.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
Statuant à nouveau,
-Condamner la Sas de la plage à payer à Mme[X] [O] [I] la somme de 8.000 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail,
-Débouter la Sas de la plage de l'ensemble de ses demandes,
-Confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
Y ajoutant :
- Condamner la Sas de la plage à payer à Mme [X] [O] [I] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel, ainsi que les entiers dépens d'appel.
Mme [X] [O] [I] fait valoir que :
Elle travaillait au delà de 39 heures par semaine sans aucune contrepartie.
Elle justifie de ses heures par un décompte manuscrit et des attestations d'anciennes salariées.
L'employeur n'a mis en place aucun système de décompte d'heures.
Selon la jurisprudence, un employeur ne peut évoquer l'absence de réclamation antérieure pour faire échec à la demande de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires.
Il importe peu que les tableaux produits aient été établis pendant la relation de travail ou a posteriori. L'employeur a l'obligation de décompter les heures du salarié et ne peut, au soutien de sa contestation, se contenter de pointer des incohérences ou erreurs dans le décompte opéré par celui-ci.
M. [G] [P] s'est rétracté de son attestation rédigée initialement en faveur de la société.
L'employeur ne peut prétendre ignorer l'ampleur des heures qu'elle a réalisées, s'agissant d'une entreprise de petite taille et en ce qu'il a volontairement choisi de s'affranchir des dispositions légales et conventionnelles, en ne procédant pas à un décompte des heures réellement effectuées.
C'est donc de façon intentionnelle, qu'il a choisi de ne payer qu'une partie de ses heures, de sorte que le travail dissimulé est caractérisé.
L'employeur a commis des manquements à ses obligations contractuelles, notamment de sécurité, par le non-respect de la durée maximale de travail et des temps de repos, ainsi que par ses insultes et son attitude méprisante.
Ce sont ces manquements, constatés au cours de la relation de travail, qui expliquent la rupture conventionnelle.
La salariée ne disposait que d'un jour de repos par semaine. Elle n'a jamais bénéficié de 35 heures de repos consécutives.
Les conditions de travail étaient difficiles, comme en attestent d'anciennes collègues.
L'employeur lui a, en outre, tenu des injures racistes ('négresse'), comme en témoigne Mme [F].
'
L'instruction de l'affaire a été clôturée le 2 septembre 2022.
La date des plaidoiries a été fixée à l'audience du 22 novembre 2022.
L'affaire a été mise en délibéré au 26 janvier 2023, prorogé au 23 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
I. Sur les heures supplémentaires et les congés payés afférents
En application de l'article L.3171-2 du code du travail 'Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ».
L'article L.3171-3 du même code prévoit que l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.
L'article D.3171-8 du code du travail précise: 'Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D.3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes :
1°Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies;
2°Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié'.
Cette obligation pesant sur l'employeur de décompter les horaires de tous ses salariés est rappelée dans la convention collective nationale des hôtels cafés et restaurants.
En application de l'article L.3121-9 du code du travail, les heures supplémentaires se décomptent par semaine et donnent droit, en vertu de l'article L.3121-36 du même code, à une majoration de 25% pour les 8 premières heures et de 50 % pour les heures suivantes.
La convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants, qui déroge aux dispositions légales en la matière, prévoit que les heures supplémentaires sont majorées de la manière suivante :
' 10% pour les heures effectuées entre la 36ème et la 39ème heure ;
' 20% pour les heures effectuées entre la 40ème et la 43ème heure ;
' 50% pour les heures effectuées à partir de la 44ème heure.
Il résulte de l'article L.3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties. Toutefois, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié. Le juge forme, alors, sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande.
Au dernier état de la jurisprudence de la cour de cassation (Cass. Soc. 18 mars 2020) 'le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures effectuées d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments'. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre partie, 'dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant'.
En l'espèce, au soutien de sa demande, Mme [X] [O] [I] produit les attestations de Mmes [F] et [C], anciennes collègues de travail, faisant état de la réalisation, par les salariés de la Sas de la plage, d'heures supplémentaires non payées, sans plus de précisions.
Ces éléments doivent être considérés comme insuffisants parce que trop imprécis.'
En revanche, la salariée transmet, pour la période allant du 8 février 2018 au 23 décembre 2018, un décompte manuscrit faisant apparaître les heures de travail effectuées et ses horaires journaliers, ainsi qu'un tableau intitulé 'calcul des HS' récapitulant le total des heures réalisées chaque semaine et des sommes dues.
La cour de cassation considère que constitue un élément suffisamment précis des récapitulatifs d'horaires rédigés par le salarié lui-même, même non contresignés par l'employeur (Cass. soc., 25'févr. 2004, n°01-45.441'; Cass. soc., 12'oct. 2004, n°02-41.289'; Cass. soc., 10'mai'2007, n°05-45.932'; Cass. soc., 11'juill. 2007, n°06-41.120'; Cass. soc., 23'mars'2011, n°10-11.906'; Cass. soc., 7'déc. 2011, n°10-19.434'; Cass. soc., 26'sept. 2012, n°10-27.508'; Cass. soc., 29'janv. 2014, n°12-25.951'; Cass. soc., 12'mars'2014, n°12-29.141), 'peu importe qu'ils aient été établis durant la relation de travail ou a posteriori (Cass. Soc. 29 janvier 2014, n°12-24.858).
A la lecture de ces pièces, il convient de considérer que Mme [X] [O] [I] produit des éléments suffisamment précis qui sont de nature à permettre à l'employeur, chargé d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
De son côté, l'employeur est dans l'incapacité de remettre un quelconque document justificatif portant sur les heures de travail effectivement réalisées par Mme [O] [I], ce qui confirme les propos de la salariée au sujet du fait qu'il n'existait, au sein de la société, aucun système de décompte des heures réalisées par le personnel, en violation des dispositions légales et conventionnelles.
L'argument consistant, pour la Sas de la plage, à dire que Mme [O] [I] ne s'était jamais plainte, antérieurement à la rupture de son contrat de travail, de ce que des heures supplémentaires ne lui avaient point été payées, est totalement inopérant, l'article L.3243-3 du code du travail disposant que l'acceptation sans protestation, ni réserve, d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir, de sa part, renonciation au paiement, de tout ou partie, du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat.
Par ailleurs, la Sas de la plage entend reprocher à Mme [X] [O] [I] de ne pas avoir déduit de ses calculs ses pauses repas, sans pour autant en préciser la durée et la fréquence.
Or, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article L.3121-2 du code du travail, les temps consacrés aux repas et pauses sont considérés comme du temps de travail effectif dès lors que le salarié reste à la disposition de son employeur, sans possibilité de s'éloigner de son poste de travail, et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
D'autre part, la production, par la Sas de la plage, d'un relevé de compte bancaire portant sur le seul mois de mai 2018 n'est aucunement de nature à éclairer la cour sur le volume d'heures de travail effectivement réalisé par Mme [X] [O] [I] durant l'ensemble de la période visée par sa demande, lequel n'a, en outre, pas nécessairement de lien avec le montant des recettes enregistrées.
Enfin, la Sas de la plage entend se prévaloir du témoignage de M. [G] [P], cuisinier à la pizzeria d'août 2017 à novembre 2021, ayant notamment travaillé avec Mme [X] [O] [I], pour contester les réclamations faites par cette dernière au titre des heures supplémentaires.
L'attestation de ce salarié, produite par l'employeur, est rédigée comme suit:'Selon mon expérience dans ce restaurant, je peux qu'il est vrai que l'on fait plus d'heures en été mais beaucoup moins en hiver, parfois même le restaurant ferme un jour de temps en temps en hiver (faute de clients) et notre salaire est quand même versé en intégralité.
J'ai été informé des plaintes de [N]... Je trouve qu'elle exagère vraiment beaucoup, il y a toujours eu une très bonne entente le personnel et le patron, quant aux heures supplémentaires, elle profite de la confiance du patron qui n'a pas noté les heures mais tout est infondé, mes propres heures doivent correspondre à peu de choses près aux siennes.
C'est moi-même qui faisais à manger pour le personnel, je sais donc que ses dires ,comme quoi elle ne mangeait pas à sa faim, esttout à fait incorrect ! ».
Cette attestation, non datée, est accompagnée du décompte des horaires de travail de M. [G] [P] pour la période de janvier à décembre 2018.
La Sas de la plage considère que la comparaison des relevés horaires de M. [G] [P] avec le décompte des heures de travail produit par Mme [X] [O] [I] révèle des incohérences, dans la mesure où cette salariée dit avoir travaillé à des moments où le restaurant, d'après son cuisinier, était fermé, ou à des horaires tardifs ne correspondant pas à ceux déclarés par M. [P].
Or, il convient de relever que M. [P] et Mme [O] [I] n'exerçant pas les mêmes fonctions au sein du restaurant, l'un étant cuisinier, et l'autre en charge du service, il n'apparait pas anormal que leurs horaires de travail ne soient pas strictement identiques.
Cette attestation de M. [P] ne permet donc pas d'exclure l'accomplissement, par Mme [X] [O] [I], d'heures supplémentaires.
Surtout, il s'avère que Mme [O] [I] produit une autre attestation de M. [P] [G], datée du 6 mai 2022, lequel mentionne:'Je viens me rétracter par rapport à mes déclarations précédentes. Ma collégue a toujours été là pour moi dès mon arrivée dans la boite, m'a toujours soutenu quand le patron me rabaissait, il m'appelait [L] (laid, moche et méchant héros d'un dessin animé). Profitant de ma détresse financière et morale au moment des faits, m'a demandé de faire des fausses déclarations quand il a vécu le jugement des prud'hommes d'Annemasse moyennant de l'argent, en me rassurant que ça n'avait aucune incidence sur moi, et je réalise que j'ai trahi mon ancienne collègue qui m'a toujours dit de marquer mes heures, ce que je n'ai jamais fait. Tout cela a été un tissu de mensonges. En tant que cuisinier je partais bien avant elle, nous n'avions qu'un. J'ai moi démissionné pour les mêmes raisons et je regrette d'avoir fait cela mon ancienne collègue'.
Il apparait, ainsi, que la Sas de la plage, n'a pas respecté son obligation de décompter les heures de travail accomplies par ses salariés et qu'elle ne parvient pas à démontrer, au soutien de sa contestation, le caractère inexact du décompte des heures supplémentaires non rémunérées opéré par Mme [X] [O] [I], de sorte qu'il doit être fait droit intégralement à la demande de cette salariée.
Au vu des éléments précis transmis par Mme [X] [O] [I], non valablement contestés par l'employeur, il convient de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse, en ce qu'il a condamné la Sas de la plage à payer à la salariée la somme de 5.106,42 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 511 euros au titre des congés payés afférents.
II. Sur le travail dissimulé
Suivant l'article L.8221-5 du code du travail:
'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur:
1°Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2°Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3°Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales'.
Le travail dissimulé n'est constitué qu'à la condition que l'intentionnalité de l'employeur soit démontrée, ce qui ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie (Cass. soc., 19 janv. 2005, n°02-46.967 ; Cass. soc., 29 juin 2005, n°04-40.758). Le caractère intentionnel peut être retenu si les heures mentionnées sur le bulletin de paye sont très inférieures au nombre d'heures effectivement réalisées et que cette pratique dure depuis de nombreuses années (Cass. soc., 20 juin 2013, n°10-20.507), ou s'il apparaît que l'employeur ne peut ignorer l'amplitude horaire réalisée par le salarié (Cass. soc., 6 mai 2015, n°13-22.211), ou bien encore lorsque le temps de travail est pré-quantifié en application de dispositions conventionnelles, mais que les heures effectuées en plus ne sont volontairement pas décomptées (Cass. soc., 5 juin 2019, n°17-23.228, JSL, n° 480-16), et lorsque l'employeur a fait sciemment travailler un salarié au-delà de 35 heures, sans le rémunérer de l'intégralité de ses heures (Cass. soc., 24 avr. 2013, n°11-28.691).
Tel est le cas, en l'espèce, puisqu'il apparait que Mme [O] [I] a été amenée à réaliser un quantum d'heures supplémentaires important, ce dont la Sas de la plage avait parfaitement conscience, compte tenu de la taille restreinte de l'entreprise et de la durée de travail hebdomadaire accomplie par cette salariée. Pour autant, la Sas de la plage a toujours mentionné sur ses bulletins de paie un nombre d'heures inférieur à celui réellement exécuté, de sorte que l'élément intentionnel du délit de travail dissimulé est caractérisé, ce d'autant plus que les attestations produites par la salariée confirment qu'il s'agissait d'une pratique récurrente de l'employeur (heures supplémentaires non payées).
En s'abstenant de procéder à un décompte des heures de travail effectuées par sa salariée, au mépris des obligations mises à sa charge, et en ne déclarant pas, de façon systématique, durant toute la période visée par la demande (soit de février à décembre 2018), les heures supplémentaires accomplies, alors qu'elle ne pouvait les ignorer, la Sas de la plage s'est volontairement mise en situation de dissimuler une partie non négligeable de l'activité de Mme [X] [O] [I], la privant, ainsi, de certains de ses droits.
L'indemnité spécifique pour travail dissimulé n'est due qu'en cas de rupture du contrat de travail, quelque soit sa qualification.
Un minimum forfaitaire de dédommagement, dans ce cas, est fixé à hauteur de 6 mois de salaire (C. trav., art. L.8223-1 et L.8221-5 ), à moins que l'application d'autres règles
légales ou de stipulations conventionnelles ne conduise à une solution plus favorable pour le salarié (Cass. soc., 13 déc. 2006, n°04-40.527).
Le montant de cette indemnité doit être calculé en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six mois précédant la rupture du contrat (Cass. soc., 18 oct. 2006, n°05-40.464 ; Cass. soc., 26 avr. 2017, n°16-11.660, JSL n° 433-33).
En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait que le salaire moyen de référence de la salariée était de 1.903,02 euros bruts, montant retenu par le conseil des prud'hommes.
Par conséquent, il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui a alloué à Mme [O] [I] la somme de 11.418,12 euros à titre d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé.
III. Sur l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail
Aux termes des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
En l'espèce, la salariée prétend que l'employeur aurait manqué, à plusieurs égards, à ses obligations, par :
- le non respect de la durée maximale de travail,
- le non respect des temps de repos,
- des insultes,
- une attitude méprisante.
Pour justifier de ses dires, Mme [O] [I] produit une attestation de Mme [F] [K], ancienne collègue de travail, qui rapporte, en date du 15 juin 2020: « J'ai travaillé avec Mme [N] [I] à la pizzeria de la plage à [Localité 5]. Les conditions de travail n'ont jamais été respectées que ce soit les heures supplémentaires, les retenues sur salaires de nourriture (il nous donnait une pizza pour trois), il injuriait Mme [I] [N] de « négresse ». Les jours de congés n'étaient pas respectés également. Il m'a moi même forcée à démissionner sous pression. De ce fait, j'ai été contrainte de démissionner.»
Elle communique, également, l'attestation du 09 juin 2020 de Mme [C] [T], ancienne collègue de travail, qui expose: « J'ai travaillé avec Mme [N] [I] à la pizzeria de la plage à [Localité 5]. Les conditions de travail n'étaient pas respectées. Les heures supplémentaires n'étaient pas payées (pas de comptage d'heures). Avec seulement 1 jour de congé payé. Les frais de nourriture étaient retenus dans le salaire mais la quantité n'était pas suffisante. De ce fait, j'ai moi même démissionné...».
Ces deuxattestations faisant état d'allégations générales, sans référence à des faits précis et datés, leur force probante doit nécessairement être considérée comme limitée.
Pour autant, elles confortent le contenu du décompte manuscrit des heures de travail effectuées par Mme [O] [I] et de son tableau récapitulatif, faisant apparaître, systématiquement, pour chaque semaine, qu'elle ne bénéficiait que d'un seul jour de congé, en l'occurrence le lundi, qu'elle dépassait la durée maximale hebdomadaire de travail et que son temps de repos entre deux journées travaillées était insuffisant, en violation des dispositions conventionnelles applicables, telles que rappelées par le conseil de prud'hommes et non contestées par l'appelante.
En outre, l'attestation de M. [G] [P] du 6 mai 2022, sus-visée, corrobore celle de Mme [F], quant au fait que l'employeur avait une attitude irrespectueuse envers ses salariés, notamment Mme [O] [I] [X], en les affublant de surnoms péjoratifs.
Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse qui a condamné la Sas de la plage à verser 2.500 euros de dommages-intérêts à Mme [O] [I] [X], à défaut pour la salariée de justifier d'un plus ample préjudice occasionné par l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail par son employeur.
IV. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La Sas de la plage succombant, elle devra assumer la charge des entiers dépens de l'instance et verser à Mme [O] [I] [X] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
V. Sur les autres demandes
Il convient de confirmer les dispositions du jugement du conseil de prud'hommes relatives à la remise, sous astreinte, des documents de fin de contrat rectifiés, et aux intérêts, dans la mesure, notamment, où la Sas de la plage, bien qu'appelante sur ces points, n'y a consacré aucun développement spécifique dans ses écritures justifiant qu'il soit statué différemment qu'en 1ère instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse du 16 septembre 2021 en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
CONDAMNE la Sas de la plage aux entiers dépens en cause d'appel.
CONDAMNE la Sas de la plage à payer à Mme [X] [O] [I] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 23 Février 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président