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02/02/2023 | FRANCE | N°21/00488

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 02 février 2023, 21/00488


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE







ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023



N° RG 21/00488 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GUSO



[Z] [R]

C/ S.A.S. TRANSDEV RHONE ALPES INTERURBAIN représentée par son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'ANNECY en date du 29 Janvier 2021, RG F19/00129





APPELANT ET INTIME INCIDENT



Monsieur [Z] [R]

[Adresse 4]

[Localité

1]



Représenté par Me Charlie MENUT, avocat au barreau de LYON





INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE



S.A.S. TRANSDEV RHONE ALPES INTERURBAIN représentée par son représe...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023

N° RG 21/00488 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GUSO

[Z] [R]

C/ S.A.S. TRANSDEV RHONE ALPES INTERURBAIN représentée par son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'ANNECY en date du 29 Janvier 2021, RG F19/00129

APPELANT ET INTIME INCIDENT

Monsieur [Z] [R]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Charlie MENUT, avocat au barreau de LYON

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE

S.A.S. TRANSDEV RHONE ALPES INTERURBAIN représentée par son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat plaidant inscrit au barreau de GRENOBLE

et par Me Marie GIRARD-MADOUX de la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Novembre 2022 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, chargé du rapport

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Sophie MESSA,

********

Copies délivrées le :

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS

Monsieur [Z] [R] a été engagé par la société Transdev Rhône Alpes Interurbain en qualité de conducteur receveur par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 3 février 2016.

La société Transdev Rhône Alpes Interurbain est spécialisée dans le secteur d'activité des transports routiers réguliers de voyageurs, et relève de la Convention Collective Nationale des transports routiers et des activités auxiliaires de transport.

Au cours du mois de mai 2017, les parties ont décidé de mettre fin au contrat de travail d'un commun accord, et une convention de rupture conventionnelle a été signée le 31 mai 2017, avec une date de sortie des effectifs fixée au 25 juin 2017.

Par requête reçue le 28 mai 2019, Monsieur [Z] [R] a saisi le Conseil de prud'hommes d'Annecy aux fins de voir condamner la société Transdev Rhône Alpes Interurbain à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité différentielle de salaire, d'indemnité de coupure, de majoration du samedi, de majoration des jours fériés suisses, de la prime de panier, de l'indemnité de téléphone, de la prime de 13ème mois, de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement de départage du 29 janvier 2021, le conseil de prud'hommes d'Annecy a:

- dit que la directive du 28 mars 2014 de l'Office fédéral des transports (Suisse) est applicable à la société Transdev,

- condamné la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain à payer à M. [Z] [R] la somme de 1259,13 euros au titre du rappel de salaires, avec intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- dit que les intérêts des sommes dues seront capitalisés par périodes annuelles conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- rejeté les demandes de Monsieur [Z] [R] fondées sur l'application de l'UTPP 2016

- rejeté la demande de Monsieur [Z] [R] fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail,

- rejeté la demande de Monsieur [Z] [R] au titre du la prime conventionnelle de 13ème mois,

- dit que 1'exécution provisoire de plein droit du jugement est limitée aux sommes visées à l'article R1454-28 du code du travail,

- condamné la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain à payer à M. [Z] [R] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toutes les autres demandes,

- condamné la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain aux entiers dépens.

Par déclaration au greffe par RPVA du 8 mars 2021, M. [Z] [R] a relevé appel de cette décision s'agissant de la limitation du montant des rappels de salaire qui lui ont été alloués par l'application et l'opposabilité de la Directive du 28/03/2014 de l'Office Fédéral du Transports à l'employeur, du rejet de l'application et de l'opposabilité de l'UTPP de 2016 à l'employeur et de ses demandes fondées sur ce texte, du rejet de la demande fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail, du rejet de la demande au titre de la prime conventionnelle de 13ème mois.

La SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain a relevé appel incident.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 5 mai 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [Z] [R] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'application et l'opposabilité de la directive du

28 mars 2014 de l'Office Fédéral du Transport à la société Transdev,

- réformer la décision dont il a été interjeté appel en ce qu'elle a limité le montant des rappels de salaire et a rejeté l'application et l'opposabilité de l'UTPP 2016 à la société Transdev,

- prononcer l'application des dispositions suisses édictées par l'Office Fédéral des Transports et les dispositions locales de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail décrites dans les Usages pour les Transports Publics de Personnes (UTPP 2016),

- condamner la société Transdev Rhône Alpes Interurbain à lui verser les sommes suivantes :

* 6817,49 euros au titre de l'indemnité différentielle de salaire, outre 681,15 euros au titre des congés payés afférents,

* 277,14 euros au titre de l'indemnité de coupure, outre 27,71 euros au titre des congés payés afférents,

* 285,19 euros au titre de la majoration du samedi, outre 28,52 euros au titre des congés payés afférents,

* 87,25 euros au titre de la majoration des jours fériés Suisses, outre 8,73 euros au titre des congés payés afférents,

* 4 395,78 euros au titre de la prime de panier,

* 258,50 euros au titre de l'indemnité de téléphone,

* 1590,88 euros au titre de la prime de 13 ème mois, outre 159,09 euros au titre des congés payés afférents,

* 6000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale,

- appliquer sur les demandes précitées intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation en audience de conciliation devant le Conseil de Prud'hommes pour les créances de nature salariale et à compter de l'arrêt à intervenir pour les autres créances, avec, pour chacune des créances, capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-25 du code civil,

- condamner la société Transdev Rhône Alpes Interurbain à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses demandes, M. [Z] [R] expose que l'exploitation de la ligne de transport de voyageurs reliant les communes d'Evian et de [Localité 5] à celle de Genève se fait par délégation de services publics confiée à la société Transdev Rhône Alpes Interurbain par le Groupement local de Coopération transfrontalière (GLCT), structure de droit public suisse administrée paritairement par la France et la Suisse.

L'employeur a dû obtenir un agrément de l'office fédéral des transports en Suisse pour assurer cette ligne.

La directive de l'office national des transports du 28 mars 2014 lui est donc applicable.

L'UTPP 2016 n'est que la déclinaison locale, au niveau du canton de Genève, de la directive confédérale. Il est constant que toute entreprise dont l'objet est le transport de personnes au moins en partie sur le territoire du canton doit respecter l'UTPP.

L'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 15 septembre 2020 ne saurait être transposé à sa situation, dans la mesure où cette décision avait relevé que le salarié n'avait pas contesté le décompte fourni par la société Transdev et donc avait failli dans la charge de la preuve, alors qu'en l'espèce il établit clairement les préjudices qu'il a subis du fait de la non application par l'employeur de la directive de l'office national des transports du 28 mars 2014 et de l'UTPP de 2016, tout en contestant fermement les quelques éléments incomplets transmis par la société Transdev.

L'employeur ne produit pas de décompte horaire précis de son temps de travail en territoire suisse, alors qu'il lui appartient de produire les éléments permettant de vérifier le temps de travail du salarié.

Seule une comparaison entre les salaires horaires bruts des deux pays est pertinente puisqu'elle annihile l'effet des cotisations sociales salariales obligatoires pour deux pays et systèmes politiques différents assurant les mêmes risques pour le salarié.

La directive 'Procédure de comparaison internationale des salaires' de la confédération Suisse indique en son article 3 qu'il convient de prendre en considération le salaire par son taux horaire brut.

Il devait bénéficier d'une indemnité différentielle par application de la directive de 2014, car une partie de son trajet et donc de son travail s'effectuait en Suisse. Il ne l'a perçue que partiellement.

Il doit bénéficier d'un complément lié aux heures de coupure ou temps de pause sur le sol helvétique.

Il doit bénéficier d'une majoration de 25% pour les temps de travail effectués en Suisse le samedi à partir de 12 heures.

Il doit bénéficier des indemnités de repas et de téléphone prévues par l'article X de l'UTPP. L'employeur ne démontre pas qu'il était équipé d'un téléphone professionnel dans l'exercice de ses fonctions.

Il a travaillé en Suisse lors de jours fériés reconnus par le canton de Genève, il est donc en droit de réclamer la majoration de salaire applicable.

L'employeur ne lui a pas versé le 13ème mois pour l'année 2016, alors que les dispositions de la convention collective applicable lui permettaient de le percevoir dès sa première année au sein de la société au prorata de son temps passé dans l'entreprise depuis son embauche le 23 février 2016. Sur ce point, l'avis de la commission de suivi du 23 janvier 2014 n'a pas un caractère interprétatif et ne lie donc pas la cour.

L'employeur a maintenu de mauvaise foi une exécution fautive de son contrat de travail en refusant d'appliquer les normes impératives suisses ainsi que les dispositions de la convention collective.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 1er juin 2022, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

*dit que la directive du 28 mars 2014 de l'Office Fédéral des transports est applicable à la société Transdev,

* rejeté les demandes de M. [Z] [R] fondées sur l'application de

l'UTPP 2016,

* rejeté la demande de M. [Z] [R] fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail,

* rejeté la demande de M. [Z] [R] au titre de la prime conventionnelle de 13ème mois,

* rejeté toutes les autres demandes,

- le réformer pour le surplus, et, statuant à nouveau :

* débouter M. [Z] [R] de l'ensemble de ses demandes,

* condamner M. [Z] [R] à lui payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain expose que la directive suisse OFT du 28 mars 2014 définit les conditions de travail applicables au personnel de la branche bus affecté au transport de voyageur intérieur, soit le transport effectué en Suisse. Or elle n'exploite aucune activité de 'bus', mais des autocars définis au 1.7 de l'article R311-1 du code de la route; elle exploite des lignes principalement situées sur le territoire français, alors que la directive vise uniquement le transport intérieur à la Suisse; enfin cette directive ne s'applique qu'aux entreprises bénéficiant d'une concession accordée par l'Office fédéral des transports, ce qui n'est pas son cas.

Les dispositions de cette directive fixant un salaire minimum lui sont donc inopposables.

A titre subsidiaire, M. [Z] [R] n'établit pas avoir été lésé en se voyant appliquer le taux horaire français, alors que la charge de la preuve sur ce point lui incombe. La comparaison entre le salaire suisse et le salaire français doit se faire sur la base du coût salarial en incluant l'ensemble des avantages sociaux pris en charge par l'employeur. En Suisse, le salaire horaire est plus élevé car le salarié suisse garde à sa charge certaines cotisations qui sont prises en charge par l'employeur en France.

La cour doit sur ce point suivre le même raisonnement que celui retenu dans son arrêt du 15 septembre 2020, et débouter le salarié de sa demande de rappel d'indemnité différentielle.

La directive 'Procédure de comparaison internationale des salaires' n'est pas applicable au salarié, puisqu'elle se rapporte aux travailleurs détachés, ce qui n'est pas le cas de M. [Z] [R]. Cette directive fait par ailleurs référence à un tableau de calcul qui n'est pas produit par le salarié.

Les temps de coupure ne peuvent être intégrés, comme l'a fait à tort le conseil de prud'hommes, dans le calcul de l'indemnité différentielle puisqu'ils ne constituent pas du temps de travail effectif et font l'objet d'une indemnisatioon spécifique, le salarié formulant d'ailleurs une demande spécifique à ce titre.

La société produit un tableau de décompte du temps de travail du salarié en Suisse, établi sur la base des données du chronotachygraphe. Le temps passé en Suisse a été décompté en fonction des heures de conduite réalisées entre 'Genève douanes' et 'Genève gare routière'.

Le peu de crédibilité à accorder aux plannings produits par le salarié trouve son illustration dans les erreurs qu'ils contiennent, celui-ci mentionnant avoir travaillé sur des journées où il n'a en réalité pas travaillé. Par ailleurs, il intègre dans ses calculs des temps de conduite en 'haut le pied', soit hors service commercial, qui ne sont pas couverts par le contrat de délégation de service public et n'ont pas à être indemnisés au titre de la directive OFT.

M. [Z] [R] n'établit pas que la société Transdev soit concernée par l'UTPP 2016, qui s'analyse en fait en une convention collective suisse, alors que le contrat de travail du salarié renvoie à la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires de transport. Il n'établit nullement que les dispositions suisses seraient plus avantageuses que les dispositions de la convention collective française.

Le salarié ne détaille pas son calcul s'agissant des heures de pause, n'identifie pas les temps de pause considérés. Ces temps lui ont par ailleurs été indemnisés de façon supérieure par rapport aux dispositions prévues dans l'UTPP 2016.

Le salarié ne justifie pas de son calcul s'agissant de la majoration de salaire pour le travail du samedi.

Le salarié ne justifie pas avoir été contraint de faire usage de son téléphone personnel lors de son temps de travail en Suisse.

S'agissant des indemnités de repas, le salarié ne justifie pas avoir effectué des tours de service ayant duré au moins 5 heures en Suisse, avoir effectué des pauses repas en Suisse et que ces pauses ont duré moins d'1h30 à l'extérieur du dépôt ou moins d'une heure au dépôt. Le salarié sollicite par ailleurs des indemnités de repas sur des jours où il a pris ses repas en France ou sur des journées durant lesquelles il était en arrêt maladie.

Le salarié ne justifie pas de son calcul s'agissant des jours fériés, et ne justifie pas de l'existence d'une majoration applicable au travail durant les jours fériés.

La commission de suivi saisie à la suite de difficultés d'interprétation de l'article 26 de l'accord ARTT du 18 avril 2002 de la convention collective a confirmé dans son avis du 23 janvier 2014 que l'acquisition d'une année complète d'ancienneté au 31 décembre de chaque année est le critère déterminant pour bénéficier du 13ème mois, et que la proratisation du 13ème mois ne concerne que les salariés qui ont réalisé une durée de travail effective inférieure à l'horaire contractuel. Or le salarié n'avait pas un an d'ancienneté au 31 décembre 2016, et la durée effective de son travail n'était pas inférieure à l'horaire contractuel.

La société n'a commis aucun manquement dans l'exécution du contrat de travail du salarié. Elle a toujours fait en sorte de répondre à ses demandes. Par ailleurs, le salarié ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct à ce titre.

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 2 septembre 2022. Le dossier a été appelé à l'audience du 10 novembre 2022. A l'issue, la décision a été mise en délibéré au 24 janvier 2023, délibéré prorogé au 02 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'applicabilité de la directive du 28 mars 2014 de l'Office Fédéral des transports à la société Transdev

En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

En l'espèce, l'employeur a sollicité au dispositif de ses dernières conclusions la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes déféré en ce qu'il a dit que la directive du 28 mars 2014 de l'Office fédéral des transports lui était applicable.

En outre, à supposer que ce point doive être considéré comme un moyen et non une prétention, la cour estime qu'en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation sur ce point, le premier juge a, par des motifs pertinents qu'elle approuve et reprend intégralement, justement retenu que cette directive était applicable à la société Transdev.

L'attention de la société Transdev sera attirée sur le fait qu'elle avait elle-même, ainsi qu'il en ressort d'un arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 15 septembre 2020 produit aux débats, reconnu dans un courrier du 23 mars 2017 que cette directive s'appliquait bien à elle, dans les termes suivants: 'dans le cadre des prestations sous concession, qui nous sont confiées par les pouvoirs publics suisses, nous mettons en oeuvre la directive de l'Office fédéral des transports. (...) Cette directive nous impose en tant qu'entreprise prestataire LIHSA/TRANSALIS reliant Genève au département de la Haute Savoie, de calculer l'éventuel rattrapage de salaire pour les conducteurs intervenant sur les services de cette concession. Le mode de calcul se fait alors par comparaison entre le salaire minimum suisse et les conditions de travail françaises. Le salaire français comprend non seulement le salaire de base mais également l'ensemble des rémunérations non appliquées dans le système de rémunération suisse (ancienneté, durée du travail , congés, assurance chômage...)'.

Sur la demande de rappel de salaire au titre de l'indemnité différentiel

Il incombe au salarié, qui a charge de la preuve, de justifier le rappel de salaires tant dans son principe que dans son montant. Ce rappel de salaire résulterait de la preuve que l'application de son contrat de travail français qui lui a été appliqué durant ses heures de travail en Suisse lui a été défavorable par rapport à l'application de la directive sus-citée.

Le salarié soutient que seule une comparaison entre les salaires horaires bruts suisse et française serait pertinente puisqu'elle annihilerait l'effet des cotisations sociales salariales obligatoires.

Cependant, la directive OFT du 28 mars 2014 mentionne un salaire minimum perçu par le personnel de transport et non un salaire brut ou net.

Le salarié ne peut soutenir qu'il convient de retenir la définition de 'salaire perçu' comme étant celle adoptée dans la directive 'Procédure de comparaison internationale des salaires' alors que cette directive, qui par ailleurs n'existait pas à la date du contrat de travail du salarié mentionne explicitement qu'elle concerne les travailleurs détachés, ce qui ne correspond pas à sa situation, et ne définit pas la notion de travail perçu.

Cette notion de salaire perçu, non définie clairement, ne saurait donc être déterminante.

Afin de vérifier si le régime français a été défavorable au salarié s'agissant de ses heures de travail en Suisse, il convient de déterminer des bases de comparaison identiques pour chaque pays.

Or l'employeur suisse qui applique un taux horaire suisse ne paie pas les cotisations sociales patronales liées aux charges sociales, aux caisses de retraite, les charges liées aux organismes de prévoyance et de mutuelle, ainsi que les cotisations chômage, contrairement à l'employeur exploitant son entreprise en France. Si le salarié suisse bénéficie d'un salaire minimal plus élevé, il doit aussi être tenu compte des charges dont il doit s'acquitter venant grever cette rémunération.

Ainsi, une comparaison des taux horaires bruts suisse et français ne saurait suffire à démontrer une perte de salaire par l'application d'un régime défavorable au salarié.

Il ne peut donc être fait droit à la demande du salarié résultant d'un calcul fondé uniquement sur la différence entre le salaire brut horaire suisse et le salaire brut horaire français, ce calcul ne prenant pas en compte les cotisations salariales et patronales plus élevées en France et qui lui bénéficient.

Par ailleurs, l'employeur a procédé au titre de l'année 2016 à un rappel de salaire versé au salarié au mois de mars 2017 pour un montant de 1134,83 euros, au titre d'un poste intitulé 'indemnité taxe différentielle suisse'. Cet élément permet de retenir que l'employeur reconnaît une différence de traitement en défaveur du salarié pour la fraction de son travail effectuée en Suisse.

Il ressort de l'explication donnée au salarié par l'employeur s'agissant du mode de calcul de cette indemnité que ce dernier a retenu un 'taux différentiel brut non chargé' de 3,71.

Le salarié, sur lequel repose la charge de la preuve, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause cette méthode de calcul, qui sera donc retenu pour calculer le rappel de salaire qui lui est dû.

L'employeur ne produit aucun élément quant au temps de travail du salarié en Suisse avant novembre 2016, de sorte qu'il sera fait droit aux heures sollicitées par le salarié, résultant de ses plannings prévisionnels pour la période de mai 2016 à octobre 2016 pour un total de 211 heures 44.

S'agissant de la période comprises entre novembre 2016 et juin 2017, l'employeur produit des éléments précis, extrait notamment des données enregistrés par les chronotachygraphes, permettant de vérifier les heures effectuées par le salarié en Suisse et détaillant ses temps de coupure.

Le salarié ne produit aucun élément ni n'avance aucune explication quant au calcul de la rémunération de ses temps de 'coupure', qui font l'objet d'une indemnisation spécifique ainsi qu'il en résulte de ses fiches de paye, de sorte qu'il ne saurait solliciter que l'indemnité différentielle leur soit appliquée sur cette période, faute d'élément permettant de fixer une base de calcul.

Les heures effectuées en Suisse sur cette période seront donc retenus au regard des élément produits par l'employeur, pour un total de 167 heures 41.

Ainsi, la décidion du conseil de prud'hommes ser infirmée sur ce point. M. [Z] [R] était en droit de percevoir à titre de rappel de salaire, après application de l'indemnité différentielle, la somme de 1407,01 euros (379 heures 25 x 3,71). Il a déjà perçu à ce titre la somme de 1134,83 euros.

L'employeur sera donc condamné à lui verser la différence, soit 272,18 euros, outre 27,21 euros de congés payés afférents.

Sur les demandes fondées sur l'application des 'Usages Transports publics de personnes' dite UTPP 2016

Il résulte de l'article 1 de ce document , qui reflète les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage à Genève,dites 'usages', que ces derniers 'concernent les entreprises visées à l'article 25 de la loi du 12 mars 2004 sur l'inspection et les relations du travail.'

Par ailleurs, l'article 2 dispose que les usages s'appliquent à toute entreprise ou partie d'entreprise privée, suisse ou étrangère, qui exécute ou fait exécuter à Genève, à titre principal ou accessoire, régulièrement ou occasionnellement, du transport public de personnes. Les usages sont applicables à toutes les catégories de travailleurs exerçant leur activité au sein des entreprises concernées.

L'article 25 de la loi du 12 mars 2004 dispose que 'toute entreprise soumise au respect des usages, en vertu d'une disposition légale, réglementaire ou conventionnelle, doit en principe signer auprès de l'office un engagement de respecter les usages. L'office délivre à l'entreprise l'attestation correspondante, d'une durée limitée. L'engagement vaut pour l'ensemble du personnel concerné. Il prend effet au jour de sa signature, sous réserve de l'alinéa 3. L'entreprise est réputée liée par un engagement dès l'instant où son personnel est appelé à travailler sur un marché public.'

Il résulte de la combinaison de ces deux textes que la société Transdev Rhône Alpes Interurbain est soumise au respect des Usages relatifs aux transports publics de personnes dans le canton de Genève, puisque:

- elle exécute ou fait exécuter à Genève, de façon régulière, du transport public de personnes,

- les usages s'appliquent aux entreprises étrangères,

- ses salariés sont appelés à travailler sur un marché public en Suisse, en l'espèce les transports publics sur l'agglomération de Genève, de sorte qu'elle est réputée être liée par un engagement de respecter les usages prévues par une disposition légale, réglementaire ou conventionnelle, en l'espèce l'UTPP 2016.

* Frais de téléphone

L'article 10 de l'UTPP 2016 prévoit un forfait de 20 francs suisses par mois à titre de frais de téléphone si l'employeur ne met pas à la disposition du salarié un téléphone professionnel ou une radio. En l'espèce, l'employeur ne justifie pas de cette mise à disposition. S'agissant d'un forfait, le salarié n'a pas à justifier de ce qu'il a été contraint de faire usage de son téléphone personnel durant son travail.

Il sera donc fait droit à la demande du salarié à hauteur de 258,50 euros.

* Indemnités de repas

L'article 10 de l'UTPP 2016 prévoit que l'indemnité de repas s'élève à 20 francs suisses par tour de service ayant duré au moins 5 heures. L'indemnité n'est pas dûe si la pause dure plus de 1h30 et a lieu à l'extérieur du dépôt ou si elle dure au moins une heure et a lieu au dépôt.

Les usages s'appliquent sur l'horaire de travail effectué en Suisse. Le tour de service d'au moins 5 heures doit donc avoir été effectué en Suisse. Or le salarié ne justifie aucunement avoir effectué des tours de service en Suisse ayant duré au moins 5 heures. Il ne peut donc prétendre à une indemnité de repas.

La décision du conseil de prud'hommes sera donc confirmée en ce qu'elle l'a débouté de sa demande à ce titre.

* Jours fériés

L'article 9 de l'UTPP 2016 prévoit que le travail effectué le dimanche est payé avec une majoration de 10 francs suisses.

Le salarié fonde sa demande s'agissant des jours fériés sur la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce, qui dispose en son article 20 que la fête nationale suisse est assimilée au dimanche et que les cantons peuvent assimiler au dimanche au plus huit autres jours fériés par an. Or l'article 2 de cette loi dispose qu'elle ne s'applique pas 'aux entreprises ou parties d'entreprises soumises à la législation fédérale sur le travail dans les entreprises de transports publics', ce qui est le cas en l'espèce.

Au regard de ces éléments, la décision du conseil de prud'hommes sera donc confirmée en ce qu'elle l'a débouté de sa demande à ce titre.

* Majoration du samedi

L'article 9 de l'UTPP 2016 prévoit que le travail effectué le samedi dès 12 heures est payé avec une majoration de 25%.

Le salarié produit des éléments qui permettent d'établir son temps de travail le samedi en Suisse à 3h38 entre mai et novembre 2016, et 11h16 entre décembre 2016 et juin 2017. Il lui sera donc alloué à titre de rappel de salaire, en application de cette majoration de 25%:

- pour la période de mai à novembre 2016: (10,366 euros + 3,71) + 25% de (10,366 euros + 3,71) = 17,595 euros de l'heure = 64 euros pour 3h38

- pour la période de décembre 2016 à juin 2017: (10,439 euros + 3,71) + 25% de (10,439 euros + 3,71) = 17,686 euros de l'heure = 199,55 euros pour 11h16,

soit un total de 263,55 euros, outre 26,35 euros de congés payés afférents.

* Heures de coupure

L'article 3 de l'UTPP 2016 dispose que 'trois pauses au maximum sont admises dans un même tour de service. L'une des pauses doit durer au moins 30 minutes. Les pauses accordées hors du lieu de service comptent comme temps de travail à raison de 30% au moins de leur durée. Celles qui sont accordées au lieu de service comptent comme temps de travail à raison de 20% au moins lorsque plus de deux pauses sont prévues dans le même tour de service'

La demande du salariée à ce titre apparaît fondée et justifiée par les pièces et calculs qu'il produit aux débats. Il y sera donc entièrement fait droit. Le jugement du conseil de prud'hommes sera sur ce point infirmé.

Sur la demande au titre du 13ème mois conventionnel

L'article 26 de l'accord ARTT du 18 avril 2002 adopté dans le cadre de la convention collective des transports routiers dispose:

' il est créé, pour les salariés ayant au moins 1 an d'ancienneté dans l'entreprise au 31 décembre de chaque année, un 13e mois conventionnel. Ce 13e mois est calculé prorata temporis pour les bénéficiaires ne justifiant pas d'une année civile complète de travail effectif, tel qu'il est défini par les dispositions légales.'

Il résulte clairement de ces dispositions que seuls les salariés ayant au moins un an d'ancienneté dans l'entreprise au 31 décembre de chaque année peuvent se voir attribuer un 13ème mois conventionnel. Les bénéficiaires évoqués pour le calcul du prorata temporis sont nécessairement les salariés cités à l'alinéa précédant, à savoir ceux comptant au moins un an d'ancienneté dans l'entreprise au 31 décembre de l'année précédente.

Le salarié, engagé le 3 février 2016, ne comptait pas un an d'ancienneté au 31 décembre 2016, et a démissionné avant le 31 décembre 2017. Il ne peut donc, aux termes de cet article, prétendre à la prime de 13ème mois.

En conséquence, la décision du conseil de prud'hommes sera confirmée en ce qu'elle a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Le fait que l'employeur ait refusé d'accéder aux demandes du salariée qui pour partie n'étaient pas fondées ne saurait constituer une exécution déloyale du contrat de travail.

Même s'il s'est opposé dans le cadre de la présente instance à l'application de la directive de l'OFT du 28 mars 2014, l'employeur a néanmoins appliqué ce texte dans le cadre de la relation de travail en versant une indemnité différentielle au salarié.

Par ailleurs, l'entrée en vigueur récente de l'UTPP 2016 (1er avril 2016) et le contenu de ce texte et de l'article 25 de la loi du 12 mars 2004 étaient de nature à susciter un désaccord quant à leur sens et leur application à la société Transdev Rhône Alpes Interurbain, de sorte que la résistance de cette dernière sur ce point ne saurait être qualifiée d'abusive.

Ainsi, faute de démontrer de la part de l'employeur une exécution de mauvaise foi du contrat de travail, la décision du conseil de prud'hommes sera confirmée en ce qu'elle a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Transdev Rhône Alpes Interurbain sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Elle sera par ailleurs condamnée à verser à M. [Z] [R] la somme de 2200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DÉCLARE recevables les appel et appel incident de M. [Z] [R] et de la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Annecy du 29 janvier 2021 en ce qu'il a :

- dit que la directive du 28 mars 2014 de l'Office Fédéral des transports Suisse s'applique à la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain,

- débouté M. [Z] [R] de ses demandes au titre de l'exécution déloyale du conrtat de travail, du 13ème mois conventionnel, de l'indemnisation des jours fériés travaillés en Suisse et des indemnités de repas,

INFIRME pour le surplus,

Et statuant à nouveau :

CONDAMNE la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain à verser à M. [Z] [R] la somme de 272,18 euros, outre 27,21 euros de congés payés afférents, au titre du rappel de salaire au titre de l'indemnité différentiel,

DIT que le document 'Usages Transports publics de personnes' dit UTPP 2016 de l'office cantonal de Genève de l'inspection et des relations du travail s'applique à la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain,

CONDAMNE la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain à verser à M. [Z] [R] la somme de :

- 258,50 euros au titre des frais de téléphone,

- 263,55 euros, outre 26,35 euros de congés payés afférents, au titre de la majoration pour travail le samedi,

- 277,14 euros, outre 27,71 euros de congés payés afférents, au titre des heures de coupure,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la SAS Transdev Rhône Alpes Interurbain à verser à M. [Z] [R] la somme de 2200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que conformément aux dispositions des articles 1231-7 et 1344-1 du code civil, les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du Conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère de salaire et à compter du présent arrêt pour le surplus,

DIT que conformément à l'article 1154 devenu 1343-2 du Code civil, les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts, pourvu qu'ils soient dus pour une année entière.

Ainsi prononcé publiquement le 02 Février 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Chbre sociale prud'hommes
Numéro d'arrêt : 21/00488
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;21.00488 ?
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