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10/01/2023 | FRANCE | N°21/01222

France | France, Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 10 janvier 2023, 21/01222


COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE







ARRÊT DU 10 JANVIER 2023



N° RG 21/01222 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GXFO



S.A.S.U. SIA CONCEPT

C/ [K] [L]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 06 Mai 2021, RG F 20/00034







APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE



S.A.S.U. SIA CONCEPT

[Adresse 2]

[Adresse 5]

[Localité 4]



Représentée par Me Paterne MILONGO MOUKONGO, avocat a

u barreau de THONON-LES-BAINS





INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE



Madame [K] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par M. Daniel FOLLET, délégué syndical ouvrier





COMPOSITION D...

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 10 JANVIER 2023

N° RG 21/01222 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GXFO

S.A.S.U. SIA CONCEPT

C/ [K] [L]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 06 Mai 2021, RG F 20/00034

APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE

S.A.S.U. SIA CONCEPT

[Adresse 2]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Paterne MILONGO MOUKONGO, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE

Madame [K] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par M. Daniel FOLLET, délégué syndical ouvrier

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 04 Octobre 2022, devant Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s'est chargé du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

********

Copies délivrées le :

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 5 novembre 2018, Mme [K] [L] a contacté Mme [V] [W], gérante de la société Sia Concept, exploitant un salon de coiffure, afin de solliciter un contrat d'apprentissage.

Le 5 décembre 2018, Mme [K] [L] a signé un contrat d'apprentissage avec la société Sia Concept pour obtenir son CAP coiffure en 2 ans.

Mme [K] [L] a été placée en arrêt de travail à compter du 31 mai 2019.

Le contrat d'apprentissage a été rompu le 18 juin 2019 et les documents de fin de contrat ont été remis à Mme [K] [L]. Celle-ci a contesté son solde tout compte.

M. [X], secrétaire de l'Union Local FO et M. [H], défenseur syndical, sont entrés en contact avec Mme [V] [W] afin de trouver un accord entre les parties, en vain.

Par requête du 25 octobre 2019, Mme [K] [L] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annemasse.

Par jugement en date du 6 mai 2021, le conseil de prud'hommes d'Annemasse a :

- appelé les parties à plus de modération dans leurs comportements,

- dit que le contrat d'apprentissage a été conclu d'un commun accord,

- dit qu'il n'y a pas lieu à une condamnation au titre du travail dissimulé,

- condamné la Sasu Sia Concept à payer à la demanderesse les sommes de :

* 305 euros au titre d'un solde d'heures supplémentaires,

* 174 euros au titre de congés payés,

*1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la réfection de la dernière fiche de paie, du solde de tout compte et de l'attestation Assedic sous astreinte de 50 euros par jour et par document à compter de 10 mai 2021,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- condamné la Sasu Sia Concept aux éventuels dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 10 juin 2021 par RPVA, la Sasu Sia Concept a interjeté appel de la décision. Mme [K] [L] a formé appel incident le 29 octobre 2021.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 28 juillet 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sasu Sia Concept demande à la cour de :

- confirmer la décision en ce qu'elle a dit que la formalité concernant la rupture du contrat d'apprentissage de Mme [K] [L] a été respectée, a débouté Mme [K] [L] de sa demande des dommages et intérêts à ce titre, a dit qu'il n'y a pas lieu à une condamnation au titre du travail dissimulé, a dit qu'aucun élément apporté au dossier ne permet de prouver ou d'évaluer un quelconque préjudice pour Mme [K] [L] au cours du contrat, a débouté Mme [K] [L] de sa demande de dommages et intérêts au titre de frais de transport extérieurs à cette affaire et a débouté Mme [K] [L] de ses demandes accessoires non justifiées,

- infirmer la décision en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande in limine litis, l'a condamnée à payer à Mme [K] [L] 305 euros au titre d'un solde d'heures supplémentaires, 174 euros au titre des congés payés, 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'elle a ordonné la réfection de la dernière fiche de paye, du solde de tout compte et de l'attestation Assedic sous astreinte de 50 euros par jour et par documents à compter du 10 mai 2021, l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et de ses demandes accessoires,

- condamner Mme [K] [L] à lui payer :

* 10 000 euros au titre de son préjudice moral subi,

* 479 euros perçus au titre de l'exécution provisoire de la décision rendue,

- réformer la décision en enjoignant Mme [K] [L] de produire le document de la rupture du contrat d'apprentissage en sa possession ainsi que le certificat de travail signé par Mme [V] [W] sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

En tout état de cause :

- condamner Mme [K] [L] à lui payer la somme de 3500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens distraits au profit de Me [Y] sur son affirmation de droit.

La Sasu Sia Concept soutient que Mme [K] [L] n'a pas respecté le principe du contradictoire en omettant de communiquer à la société ses conclusions complétives et certaines pièces avant le jour de l'audience de première instance.

Conformément aux dispositions du code du travail, dans le cadre d'un contrat d'apprentissage, lorsque la période de 45 jours est écoulée, la rupture du contrat peut intervenir d'un commun accord entre l'employeur et l'apprenti. La rupture doit être constatée par écrit et signée par les parties. Le père de l'apprentie souhaitait rompre le contrat car elle avait trouvé un autre maître d'apprentissage durant son arrêt maladie, avec lequel le nouveau contrat a été signé le 9 juin 2019. Le document de rupture indique comme motif 'sur commun accord à l'initiative de l'apprenti'. La rupture du contrat d'apprentissage est à l'initiative de l'apprentie comme en témoignent les échanges entre Mme [V] [W] et les parents de Mme [K] [L].

Mme [V] [W] conteste avoir refusé d'accueillir l'apprentie et l'avoir placée en congés payés sans que cette dernière le lui demande.

Mme [K] [L] a effectué 14 heures supplémentaires, le travail effectué à cette occasion était bénéfique pour sa formation. Les heures supplémentaires ont été rattrapées avec l'accord de l'apprentie et de ses parents sous forme de repos compensateurs équivalent en journées ou demi-journées, ce qu'elle n'a pas contesté lors de l'audience de première instance. À compter d'avril 2019, l'apprentie n'a plus fait d'heures supplémentaires.

Les horaires ayant été comptabilisés et répertoriés, il n'y a pas la preuve d'une tentative intentionnelle de travail dissimulé.

Les 11 jours de congés payés inscrits sur le bulletin de paie de juin 2019 ont été pris du 18 au 29 juin 2019, leur montant s'élevant à 173,77 euros, et l'indemnité compensatrice de congés payés s'élevait à 32,23 euros. Ces sommes n'ont pas été déduites du solde tout compte.

Le délai de rectification des documents de fin de contrat a commencé à courir avant que Mme [V] [W] n'ait été destinataire du jugement, ce qui est abusif.

Les titres de transport versés par l'intimée ne sont pas à son nom et sont datés de 2020. Certains titres de transport portent sur les trajet entre le domicile de l'apprentie et son nouveau lieu d'apprentissage. Mme [V] [W] allait chercher Mme [K] [L] à son domicile et la ramenait sauf en cas d'empêchement. Elle a contribué à 70% de ses déplacements.

Suite aux difficultés de communication et aux plaintes de clients concernant le travail de l'apprentie, Mme [V] [W] a décidé de la faire travailler sur tête malléable.

L'obligation de loyauté est d'ordre public et s'applique à tout contrat, ce que n'a pas respecté l'apprentie en signant un autre contrat d'apprentissage durant son arrêt de travail.

Elle a consulté des documents du salon à l'insu de Mme [V] [W], son père a contacté une cliente mécontente de son travail, cela a porté atteinte à la réputation du salon.

Mme [V] [W] conteste avoir omis de signer les documents de fin de contrat, elle avait prévu de le faire et de les remettre à l'apprentie.

La société a subi un préjudice moral du fait du comportement de l'apprentie et de son père.

Une personne morale peut subir un préjudice moral en cas d'atteinte au droit à la protection de son nom, de son domicile, de ses correspondances et de sa réputation et peut en être indemnisée conformément à la jurisprudence.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 octobre 2021, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, Mme [K] [L] demande à la cour de :

- dire et juger que l'appel est abusif, que le contrat d'apprentissage de Mme [K] [L] a été rompu de façon unilatérale par l'employeur,

- confirmer la décision à savoir le salaire reconnu par l'employeur, les indemnités compensatrices de congés payés, et les jours non travaillés,

- infirmer la décision concernant les indemnités pour préjudices subis ainsi que les frais de transport liés à cette rupture abusive du contrat d'apprentissage, le travail dissimulé et la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- confirmer le fait que les papiers de fin de contrat doivent être modifiés sous astreinte de 50 euros par jour à compter de la date de la décision,

- estimer que les frais liés à l'élaboration du dossier augmentent l'article 700 du code de procédure civile et condamner l'employeur à payer 2100 euros à ce titre,

- condamner la Sia Concept à payer à Mme [K] [L] :

* 5 000 à titre d'indemnité pour préjudices subis,

* 822 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (un mois de salaire : 411 euros + un mois de préavis : 411 euros, outre 41 euros de congés payés afférents),

* 2 465 euros au titre du travail dissimulé,

* 395 euros au titre du salaire reconnu par l'employeur,

* 62 euros au titre des indemnités compensatrices de congés payés,

* 178 euros au titre des jours non travaillés du 13 au 29 juin,

* 381 euros au titre de la prise en charge des frais de transport,

* remise de l'attestation Assedic, du certificat de travail, du solde tout compte, des fiches de salaires sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par pièce à compter de la date de la décision,

* 2 100 euros au titre de l'article du 700 du code de procédure civile,

* les dépens,

- ordonner l'exécution provisoire.

L'apprentie était mineure au moment de la rupture du contrat et aucun document n'a été soumis à sa signature ou à celle de ses représentant légaux.

La société n'a pas respecté la convention collective nationale, n'a pas planifié ses heures et jours de travail, a utilisé le contrat à des fins autres que la formation et n'a pas rémunéré ses frais de déplacements et transports.

Initialement, l'apprentie prenait en charge les clients, puis elle a été cantonnée aux tâches de service, elle travaillait souvent les samedis et plus de 35 heures par semaine.

Elle était souvent sollicitée la veille pour le lendemain pour travailler. Des jours non-travaillés lui ont été imposés et n'ont pas été rémunérés.

Ces manquements ont causé un préjudice à l'apprentie, elle a été privée de pratiques et conseils pour sa formation, cela lui a causé un préjudice financier et elle n'a pu gérer son temps personnel.

La société ne respectait pas l'obligation de deux jours de repos consécutifs dans le cadre d'un tel contrat.

Les parents de l'apprentie ont signé la rupture du contrat afin de préserver leur enfant mais les conditions de rupture nécessitant l'accord des deux parties n'étaient pas réunies. Il s'agit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les heures supplémentaires n'ont pas été portées sur le bulletin de paie, Mme [V] [W] a imposé des jours non travaillés afin d'établir des fiches de paie de 151 heures par mois, il s'agit d'un travail dissimulé.

Un apprenti ne peut faire d'heures supplémentaires sauf dérogation de l'inspecteur du travail.

Une journée de travail implique désormais un départ à 7h et un retour à 20h pour l'apprentie car le salon de son nouveau maître d'apprentissage se trouve à 33km de son domicile. Sans les fautes de la société ayant conduit à la rupture de son contrat, Mme [K] [L] aurait évité ces frais de transport.

En juin, Mme [K] [L] a signé un engagement pour une formation sous réserve de rupture de contrat avec la société, elle devait fournir le nom de l'éventuel maître d'apprentissage à l'école dès juin.

Mme [V] [W] doit signer les documents de fin de contrat et la feuille Pôle emploi doit être rectifiée car il ne s'agit pas d'une démission.

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 4 mars 2022. L'affaire, initialement fixée au 17 mai 2022, a été renvoyée au 4 octobre 2022. A l'issue, elle a été mise en délibéré au 10 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande tendant à voir infirmer la décision du conseil de prud'hommes ayant débouté la société Sia Concept de sa demande in limine litis de voir écarter des débats les dernières conclusions et pièces produites par la salariée

L'employeur ne formule aucune demande à ce titre, se contentant de solliciter qu'il soit constaté que sur ce point le principe du contradictoire n'a pas été respecté. La cour n'est donc saisit d'aucune demande et n'est donc pas tenue de statuer sur ce point.

Sur la rupture du contrat d'apprentissage

Il résulte de l'article L 6222-18 du code du travail dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2019 que le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties jusqu'à l'échéance des quarante-cinq premiers jours, consécutifs ou non, de formation pratique en entreprise effectuée par l'apprenti. Passé ce délai, la rupture du contrat, pendant le cycle de formation, ne peut intervenir que sur accord écrit signé des deux parties.

Si l'apprenti est mineur, cet accord doit également être signé par son représentant légal (Cass. soc., 1er févr. 2005, n° 03-40.605).

Les deux parties doivent donner leur consentement éclairé. Il appartient à l'apprenti de démontrer que son consentement a été vicié.

En l'espèce, Mme [K] [L] soutient que l'employeur aurait rompu unilatéralement le contrat d'apprentissage.

La société Sia Concept produit cependant une photographie d'un document 'rupture du contrat d'apprentissage' en date du 29 juin 2019, supportant les noms d'[K] [L] et de son père [S] [L] ainsi que leurs signatures, et mentionnant que la rupture intervient d'un commun accord à l'initiative de l'apprentie.

Mme [K] [L] soutient que le non respect par l'employeur du code du travail, l'absence de formation, la pression psychologique qu'elle subissait ont conduit ses parents à signer la rupture du contrat d'apprentissage afin de préserver sa santé et son équilibre.

Il résulte de l'article L 6222-25 du code du travail dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2019 que l'apprenti de moins de dix-huit ans ne peut être employé à un travail effectif excédant ni huit heures par jour ni la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-27. Toutefois, à titre exceptionnel, des dérogations peuvent être accordées, dans la limite de cinq heures par semaine, par l'inspecteur du travail, après avis conforme du médecin du travail.

En l'espèce, l'employeur reconnaît dans ses pièces avoir fait dépasser la durée légale journalière et hebdomadairedu travail à son apprentie à pluseiurs reprises, ce qui a donné lieu selon ses propres calculs à 46 heures supplémentaires à l'apprentie sur 24 semaines travaillées.

Aucune dérogation n'a été sollicitée auprès de l'inspecteur du travail.

Il importe peu qu'une partie de ces heures aient donné lieu à une contrepartie en repos compensateur de remplacement, puisque l'employeur n'a pas respecté les obligations légales rappelées ci-dessus.

Ces obligations particulières résultent de la nécessité de protéger plus particulièrement les conditions de travail des apprentis mineurs au niveau de leurs conséquences sur le plan physique comme sur le plan psychologique.

La seule constatation que l'employeur n'a pas respecté les dispositions particulièrement protectrices s'agissant de son apprentie mineure, en lui imposant de nombreuses heures supplémentaires, des semaines de travail pouvant atteindre plus de 50 heures (de l'aveu même de l'employeur, l'apprentie a travaillé à trois reprises 43 heures ou plus sur une semaine), un temps de travail à la journée dépassant très régulièrement les 8 heures par jour, constitue un manquement grave à ses obligations et une exécution déloyale du contrat d'apprentissage de nature à vicier le consentement de Mme [K] [L] à la rupture de ce dernier. Ce manquement est d'autant plus grave en l'espèce puisque un maître d'apprentissage est sensé montrer l'exemple à son apprenti quant au respect du droit du travail.

La décision du conseil de prud'hommes sera donc infirmée, et le contrat d'apprentissage sera résilié aux torts de l'employeur.

Mme [K] [L] était en droit de solliciter les salaires qui lui sont dûs jusqu'à la date de résiliation judiciaire ou de la fin prévue du contrat d'apprentissage, ainsi qu'une indemnité réparant le préjudice subi du fait de la rupture anticipée de son contrat (Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.049 ; Cass. soc., 15 mars 2000, n° 97-44.035 ; Cass. soc., 16 oct. 2002, n° 00-46.280).

S'agissant des salaires, il convient d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes et de faire droit à sa demande à hauteur de 863 euros brut (congés payés compris).

S'agissant de l'indemnisation de son préjudice, il sera constaté que Mme [K] [L] avait trouvé dès le 9 juin 2019, soit avant la rupture de son contrat d'apprentissage, un nouveau maître d'apprentissage, auprès duquel elle a commencé à exercer dès juillet 2019, de sorte qu'il ne peut être considéré qu'est intervenue une rupture dans son processus d'apprentissage.

Elle justifie par ailleurs avoir subi un préjudice en ce qu'elle a dû exposer des frais de transport pour se rendre chez son nouveau maître d'apprentissage, frais qu'elle n'aurait pas eu à exposer si le contrat la liant à la société Sia Concept n'avait pas été rompu.

Sa demande sur ce point à hauteur de 381 euros apparaît justifiée par les pièces produites aux débats.

Elle ne justifie pas avoir subi d'autre préjudice résultant de la rupture de son contrat d'apprentissage.

En conséquence, la décision du conseil de prud'hommes sur ce point sera infirmée et la société Sia Concept sera condamnée à verser à Mme [K] [L] la somme de 381 euros.

Sur les heures supplémentaires

L'article L3171-4 du code du travail énonce qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et que si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d' heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. (Soc, 18 mars 2020, n°18-10.919)

Mme [K] [L] produit des plannings détaillés jour par jour des horaires qu'elle soutient avoir effectués entre décembre 2018 et juin 2019. Ces éléments apparaissent suffisamment précis pour permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société Sia Concept produit en réponse ses propres plannings mentionnant des horaires jour par jour.

Par ailleurs, l'employeur soutient à juste titre que le 14 janvier 2019, Mme [K] [L] n'a pas commencé son travail à 9h, mais plus justement à 15h, ainsi qu'en atteste l'échange de sms entre les parties ce jour-là, l'employeur venant chercher l'apprentie à son domicile aux alentours de 14h.

Les autres arguments du même ordre avancés par l'employeur se rapportent à des semaines où l'apprentie n'a pas dépassé 35h de travail, il n'y a donc pas lieu de les examiner.

Compte-tenu de ces éléments, le nombre d'heures supplémentaires effectuées par Mme [K] [L] sera fixé à:

- 37,75 heures majorées à 25%

- 8,25 heures majorées à 50%.

Son taux horaire brut était de 2,7081 euros.

Au regard de ces éléments, la décision du conseil de prud'hommes sera infirmée et la société Sia Concept sera condamnée à verser à Mme [K] [L] la somme de 161,29 euros brut, outre 16,12 euros de congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires.

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la période du 17 au 29 juin 2019

Il résulte des pièces produites aux débats que Mme [K] [L] a donné son accord pour prendre des congés payés entre le 18 et le 29 juin 2019, congés payés qui lui ont été rémunérés.

Il y a donc lieu d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes sur ce point et de débouter Mme [K] [L] de sa demande à ce titre.

Sur le travail dissimulé

Aux termes des dispositions de l'article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Aux termes des dispositions de l'article L. 8223-1 du même code : ' En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.'

Le paiement de cette indemnité suppose de rapporter la preuve, outre de la violation des formalités visées à l'article L 8223-1, de la volonté chez l'employeur de se soustraire intentionnellement à leur accomplissement.

La société Sia Concept reconnaît avoir fait effectuer 46 heures supplémentaires à Mme [K] [L]. Il n'est pas contesté que ces heures supplémentaires n'ont jamais été déclarées ni rémunérées durant la relation de travail. L'autorisation obligatoire de l'inspecteur du travail n'a jamais été sollicitée par l'employeur.

Il résulte de ces constatations que l'employeur s'est délibérément soustrait à l'accomplissement des formalités visées à l'article L 8223-1 du code du travail.

En conséquence, la décision du conseil de prud'hommes sur ce pont sera infirmée, et la société Sia Concept sera condamnée à verser à Mme [K] [L] la somme de 2464,44 euros net (salaire de base: 410,74 euros par mois).

Sur la remise des documents de rupture rectifiés sous astreinte

En application de l'article R 1234-9 du Code du travail, l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L 5421-2 et transmet ces mêmes attestations à l'institution mentionnée à l'article L 5312-1.

Par ailleurs, en application des articles L 1234-19 et D 1234-6 du même code, un certificat de travail doit être remis au salarié.

Enfin, l'article L 3243-2 impose la remise au salarié d'un bulletin de paie, dont le défaut de remise engage la responsabilité civile de l'employeur.

Il sera ordonné à la Sasu Sia Concept de remettre à Mme [K] [L] les documents de rupture rectifiés (certificat de travail, attestation Unedic, reçu pour solde de tout compte, fiche de paie) sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter d'un mois suivant la signification de la présente décision.

Sur la demande de l'employeur au titre du préjudice moral

Il est exact que Mme [K] [L] avait signé avec un autre maître d'apprentissage un contrat d'apprentissage le 9 juin 2019 (avec effet à compter du 16 juillet 2019), donc à une période où son contrat n'était pas encore rompu avec la société Sia Concept.

Cependant, une telle attitude trouve son origine dans le comportement de cette dernière qui avait antérieurement gravement manqué à ses obligations dans le cadre de ce contrat. Il était légitime que cette apprentie, compte-tenu de ces manquements, prenne ses dispositions pour éviter une rupture dans son parcours d'apprentissage.

Il ne résulte pas des pièces produites aux débats que Mme [K] [L] ait cherché délibérément à dénigrer la Sasu Sia Concept durant l'exécution du contrat les liant.

En conséquence, la décision du conseil de prud'hommes sur ce point sera confirmée.

Sur la demande de l'employeur d'enjoindre Mme [K] [L] de produire le document de la rupture du contrat d'apprentissage en sa possession ainsi que le certificat de travail sous astreinte

Il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande qui n'est absolument pas motivée au sein des conclusions de l'appelant.

Sur l'exécution provisoire

Il n'y a pas lieu à ordonner l'exécution provisoire.

Il sera rappelé qu'en vertu de l'article 31 alinéa 2 de la Loi n°91-650 du 9 juillet 1991, l'exécution est poursuivie aux risques du créancier qui, si le titre est ultérieurement modifié, devra restituer le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent.

La décision rendue en appel venant modifier celle de première instance et se substituant à celle-ci, elle constitue un titre exécutoire permettant de poursuivre les éventuelles restitutions.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

La décision de première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera confirmée.

La Sasu Sia Concept sera condamnée à verser à Mme [K] [L] la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera également condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DÉCLARE recevable les appel et appel incident de la société Sia Concept et de Mme [K] [L],

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse du 6 mai 2021 en ce qu'il a :

- débouté la Sasu Sia Concept de sa demande tendant à voir enjoindre Mme [K] [L] de produire le document de la rupture du contrat d'apprentissage en sa possession ainsi que le certificat de travail sous astreinte,

- débouté la Sasu Sia Concept de sa demande au titre de son préjudice moral,

- condamné la Sasu Sia Concept à verser à Mme [K] [L] la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

PRONONCE la résiliation du contrat d'apprentissage de Mme [K] [L] aux torts de la Sasu Sia Concept,

CONDAMNE la Sasu Sia Concept à verser à Mme [K] [L] :

- la somme de 863 euros brut, congés payés compris, au titre des salaires non versés suite à la rupture du contrat d'apprentissage,

- la somme de 381 euros net au titre du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'apprentissage,

- la somme de 2464, 44 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- la somme de 161,29 euros brut, outre 16,12 euros de congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires,

DÉBOUTE Mme [K] [L] de sa demande de rappel de salaire pour la période du 17 ou 29 juin 2019,

ORDONNE à la Sasu Sia Concept de remettre à Mme [K] [L] les documents de rupture rectifiés (certificat de travail, attestation Unedic, reçu pour solde de tout compte, fiche de paie) sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter d'un mois suivant la signification de la présente décision,

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

CONDAMNE la Sasu Sia Concept aux dépens de l'instance.

CONDAMNE la Sasu Sia Concept à verser à Mme [K] [L] la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ainsi prononcé publiquement le 10 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : Chbre sociale prud'hommes
Numéro d'arrêt : 21/01222
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-10;21.01222 ?
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