COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2022
N° RG 21/00787 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GVRI
[Z] [S]
C/ Société ALPINA SECURITE PRIVEE
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNECY en date du 09 Mars 2021, RG F 19/00228
APPELANT :
Monsieur [Z] [S]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Audrey GUICHARD, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
INTIMEE :
Société ALPINA SECURITE PRIVEE
dont le siège social est sis [Adresse 4]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Edouard HABRANT, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Septembre 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Sophie MESSA,
********
Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties
M. [Z] [S] a été embauché par la Sarl Alpina Sécurité par contrat à durée indéterminée le 1er avril 2017 en qualité d'agent de prévention et de sécurité à temps partiel à hauteur de 25 heures par semaine, avec une rémunération de 10,1997 euros brut de l'heure.
Huit avenants vont être régularisés entre mai 2017 et février 2018, faisant varier la durée du travail du salarié.
Le 4 septembre 2017, M. [Z] [S] a signé un second contrat à durée indéterminée en qualité d'opérateur vidéo chef de poste à temps partiel, à hauteur de 100 heures par mois, avec une rémunération de 11,50 euros brut de l'heure et une prise d'effet au 6 septembre 2017. Ces fonctions se cumulaient à celles d'agent de sécurité prévues par le premier contrat de travail.
Quatre avenants sont intervenus entre septembre 2017 et janvier 2018, faisant là encore varier la durée du travail du salarié.
La convention collective de la prévention et de la sécurité est applicable.
Le nombre de salariés de l'entreprise est inconnu.
M. [Z] [S] a été placé en arrêt de travail le 28 février 2019.
Par requête du 16 octobre 2019, M. [Z] [S] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annecy afin de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, celui-ci ayant selon lui exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail et ayant manqué à son obligation de prévention et de sécurité.
Par jugement en date du 9 mars 2021, le conseil de prud'hommes d'Annecy a :
- dit que la Sarl Alpina Sécurité a exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail de M. [Z] [S],
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Z] [S] aux torts exclusifs de la Sarl Alpina Sécurité au jour du prononcé du jugement,
- condamné la Sarl Alpina Sécurité à payer à M. [Z] [S]:
* 6210 euros nets de CSG et CDRS à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait des manquements de la Sarl Alpina Sécurité à ses obligations contractuelles et légales,
* 3105 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 310 euros de congés payés afférents,
* 1520,17 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné à la Sarl Alpina Sécurité de remettre à M. [Z] [S] les documents de fin de contrat sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du 21ème jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté M. [Z] [S] de ses demandes d'indemnisation pour travail dissimulé et de dommages et intérêts pour préjudice subi,
- débouté la Sarl Alpina Sécurité de ses demandes,
- condamné la Sarl Alpina Sécurité aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 9 avril 2021par RPVA, M. [Z] [S] a interjeté appel de cette décision. La Sarl Alpina Sécurité a formé appel incident le 6 octobre 2021.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 juin 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [Z] [S] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a débouté de ses demandes d'indemnisation pour travail dissimulé et de dommages et intérêts pour préjudice subi en raison de la rupture qui s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il a condamné la Sarl Alpina Sécurité à lui payer la somme de 6 210 euros nets de CGS et CRDS à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait des manquements de la Sarl Alpina Sécurité à ses obligations contractuelles et légales,
Statuant à nouveau :
- condamner la Sarl Alpina Sécurité à lui payer les sommes de :
* 20000 euros nets de CGS et CRDS à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait des manquements de la Sarl Alpina Sécurité à ses obligations contractuelles et légales,
* 9315 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
* 7762,50 euros nets de CGS et CRDS à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant :
- condamner la Sarl Alpina Sécurité à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l'instance,
- ordonner la rectification de l'attestation Pôle emploi en tenant compte de la décision à intervenir sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision,
- débouter la Sarl Alpina Sécurité de l'ensemble de ses demandes.
Au soutien de ses demandes, il explique qu'en plus de ses missions d'agent de sécurité et d'opérateur vidéo, l'employeur lui demandait d'effectuer des contrôles internes dans les magasins à compter d'avril 2017 et des contrôles de qualité à compter de janvier 2018.
Les contrôles internes n'ont été déclarés sur les bulletins de paie qu'à partir de mai 2018 sous forme de prime. Jusque là, les remboursements de frais étaient majorés pour inclure le paiement de la prestation du contrôle interne.
La société reconnaît qu'il a effectué ces missions. Elle a délibérément dissimulé une partie des heures travaillées et payées pendant plusieurs années.
Il a fait face à une accumulation de manquements graves de la part de l'employeur rendant le climat de travail anxiogène, ce qui a eu un impact sur sa santé.
Lui-même n'a fait l'objet d'aucune sanction, des missions complémentaires lui ont même été confiées dans le cadre du contrôle qualité et du contrôle interne.
Les attestations versées par la société proviennent de personnes en lien d'affaires avec elle, et il en conteste le contenu.
L'employeur modifiait de manière intempestive ses horaires de travail, il ne pouvait prévoir un rythme de travail. L'article L.3123-11 du code du travail prévoit que les modifications de la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois sont notifiées au salarié en respectant un délai de prévenance, ce qui n'a pas été le cas.
Les changements lui étaient communiqués au dernier moment, souvent à des heures tardives ou durant ses jours de repos.
Diverses attestations confirment ces modifications intempestives.
À plusieurs reprises il n'a pu assurer des missions car il n'en avait pas été informé.
La société lui a reproché, de façon injustifiée, la mauvaise circulation des informations de modification de son planning ainsi qu'une mauvaise exécution de son contrat de travail.
L'employeur lui adressait des messages, des mails et des appels en dehors de son temps de travail. Cette immixtion dans sa vie privée était anxiogène.
D'autres salariés attestent de ces comportements.
L'employeur a manqué à son obligation de prévention et de sécurité de résultat prévue par l'article L.4161-1 du code du travail.
Ce manque d'organisation a causé des départs et changements de planning, la gérante était dépassée.
Les conditions de travail étaient dégradées par un manque de moyens, de formation et des difficultés matérielles.
L'indemnisation des arrêts de travail était faite en retard.
Ses conditions de travail ont eu des répercussions sur son état de santé et ont causé un syndrôme anxio-dépressif. Il a subi un préjudice moral et financier.
Les différents manquements de l'employeur et les conditions de travail justifient ses demandes indemnitaires.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 6 octobre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sarl Alpina Sécurité demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] [S] de ses demandes d'indemnisation pour travail dissimulé et de dommages et intérêt pour préjudice subi,
- infirmer le jugement sur le surplus,
Et statuant à nouveau,
- débouter M. [Z] [S] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [Z] [S] aux dépens.
Au soutien de ses demandes, la Sarl Alpina Sécurité indique qu'elle s'est efforcée de proposer d'autres missions que celles d'agent de sécurité à M. [Z] [S] car plusieurs clients s'étaient plaints de ses prestations dans ce cadre. Des essais ont ainsi été réalisés pour lui confier des missions de contrôle qualité, de contrôle interne, d'opérateur vidéo, ces missions n'étaient pas pérennes.
La société lui a demandé de mettre un terme à sa mission de contrôle qualité en mars 2018.
Les contrôles internes étaient effectués une fois par mois.
L'appelant n'apporte aucun élément justifiant le volume de travail qui aurait été dissimulé.
Le caractère intentionnel de la dissimulation de travail n'est pas caractérisé.
Les missions du salarié ont été acceptées et rémunérées, rémunérations qui apparaissent sur les bulletins de paie.
Les manquements invoqués par l'appelant ne sont pas fondés, il n'apporte pas la preuve qu'ils sont suffisamment graves et qu'ils ont empêché la poursuite du contrat de travail.
Les modifications de planning étaient proposées au salarié et ne lui étaient pas imposées.
M. [Z] [S] imposait lui-même ses exigences et refusait des affectations. Il a régulièrement demandé des modifications de planning pour des raisons privées, la société acceptait.
M. [Z] [S] n'a pas fait l'objet de reproches injustifiés, il a simplement reçu un courriel, le 4 juin 2018, lui rappelant les exigences du client et la nécessité de respecter les règles.
La société effectue l'ensemble de ses prestations ce qui implique une communication en temps réel.
Le salarié a lui-même contacté la société en dehors du temps de travail.
Seulement trois messages par mois lui ont été adressés en dehors du temps de travail, du 15 août 2017 au 8 février 2019.
Le salarié ne démontre pas que les appels de la société étaient passés en dehors de ses heures de travail, et en tout état de cause un appel sur deux est à l'initiative du salarié.
Ce dernier ne justifie pas des courriels qui lui auraient été adressés en dehors de ses horaires de travail.
Il n'apporte aucune pièce démontrant la violation de l'obligation de prévention et de sécurité.
Le salarié invoque un manque de formation au soutien de ses allégations relatives à la dégradation des conditions de travail, or il a bénéficié de deux formations avant son arrêt de travail.
Les pièces qu'il produit ne démontrent aucunement que les conditions de travail au sein de l'entreprise étaient dégradées.
M. [Z] [S] a adressé un seul courrier à la société concernant l'indemnisation des arrêts maladie le 8 avril 2019, la procédure prud'homale étant déjà enclenchée. Cette demande a été traitée avec diligence. L'attestation de salaire a été établie le 4 avril 2019 et des courriels ont été envoyés et échangés les 9, 15, 18 et 19 avril 2019. Le dossier a été réexpédié par télétransmission et la CPAM a traité le dossier en 48 heures.
Le salarié ne verse à l'appui de ses allégations s'agissant de son préjudice qu'un seul certificat médical qui se borne à reprendre ses déclarations, sans établir un lien de causalité entre son état de santé et les manquements allégués.
L'instruction de l'affaire a été clôturée le 4 février 2022. Le dossier a été appelé à l'audience de plaidoirie du 8 septembre 2022. A l'issue, il a été mis en délibéré au 27 octobre 2022.
Motifs de la décision
Sur le travail dissimulé
Aux termes des dispositions de l'article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Aux termes des dispositions de l'article L. 8223-1 du même code : ' En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.'
Le paiement de cette indemnité suppose de rapporter la preuve, outre de la violation des formalités visées à l'article L 8221-5, de la volonté chez l'employeur de se soustraire intentionnellement à leur accomplissement.
En l'espèce, le salarié justifie par plusieurs courriels ainsi que par des fiches de paye portant la mention 'Prime 3 contrôles internes' qu'il a été chargé par son employeur d'effectuer des missions de contrôle interne à compter d'avril 2017 jusqu'à février 2019, et de contrôle qualité à compter de janvier 2018 jusqu'à mars 2018, sans que ces missions ne soient prévues à son contrat de travail. La persistance dans le temps de ces missions, notamment des missions de 'contrôle interne' effectuées chaque mois, démontre qu'il ne s'agissait pas, contrairement à ce que prétend l'employeur, d'essais ponctuels.
Il doit être constaté que la 'prime 3 contrôles internes' n'apparaît sur ses bulletins de paie qu'à compter de mai 2018, alors qu'il est démontré que M. [Z] [S] effectue ces contrôles depuis avril 2017. Par ailleurs, dans un courriel du 24 septembre 2017, le salarié indique à son employeur ne pas avoir reçu 'le règlement de 100 euros pour les contrôles de août 2017".
Ces deux éléments accréditent les dires de M. [Z] [S] selon lesquels les contrôles internes qu'il effectuait lui étaient dans un premier temps rémunérés sous la forme d'une prime non déclarée, et que cette prime n'a été déclarée qu'à compter de mai 2018.
L'employeur ne conteste d'ailleurs aucunement cette allégation au sein de ses conclusions.
L'employeur, qui doit être en mesure de justifier des horaires de travail de ses salariés, ne produit pas les plannings du salarié ni aucune pièce qui permettrait de vérifier le temps de travail passé par M. [Z] [S] sur ces contrôles internes, éléments qui auraient permis de vérifier la comptabilisation de ce temps de travail sur les bulletins de paye.
Au regard de ces éléments, il doit être considéré que la Sarl Alpina Sécurité s'est soustraite sur ce point intentionnellement aux formalités rappelées à l'article L 8221-5 du code du travail, ce qui caractérise le travail dissimulé.
La décision du conseil de prud'hommes sur ce point sera infirmée, et la Sarl Alpina Sécurité sera condamnée à verser à M. [Z] [S] une indemnité à ce titre de 9315 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail
Aux termes des dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L'employeur doit en respecter les dispositions et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en le payant le salaire convenu. Le salarié doit s'abstenir de tout acte contraire à l'intérêt de l'entreprise et de commettre un acte moralement ou pénalement répréhensible à l'égard de l'entreprise.
La bonne foi contractuelle étant présumée, il appartient au salarié de démontrer que l'employeur a exécuté de façon déloyale et fautive le contrat de travail.
M. [Z] [S] soutient que son employeur lui aurait fait des reproches injustifiés. Il justifie seulement de deux courriels de son employeur,le 29 mars 2018 et le 30 mai 2018, dont le contenu ne permet pas de caractériser de la part de l'employeur une exécution déloyale ou fautive du contrat de travail.
M. [Z] [S] soutient que la multitude de sms reçus de la part de son employeur notamment en dehors de son temps de travail cobnstitue une immixtion dans sa vie privée qui s'est révélée particulièrement anxiogène pour lui. Cependant, il résulte de ses pièces et propres décomptes qu'il aurait reçu 189 sms de la part de son employeur dont 78 en dehors de ses horaires de travail entre août 2017 et février 2019, soit 18 mois, c'est à dire une moyenne de 10 sms par mois dont 4 en dehors du travail. Il n'est arrivé que très ponctuellement que son employeur le contacte en soirée. Il indique par ailleurs ne plus disposer des éléments relatifs aux appels téléphoniques de son employeur avant janvier 2019, et justifie de 10 appels reçus de ce dernier entre le 10 janvier et le 12 février 2019.
Ces éléments ne paraissent pas constituer de la part de l'employeur une exécution fautive du contrat de travail.
S'agissant des conditions de travail dégradées évoquées par M. [Z] [S], les attestations qu'il produit au soutien de cette allégation n'évoquent pas pour l'essentiel sa situation personnelle, à l'exception de celle de M. [W] [Y]. Cependant, l'attestation de ce dernier ne peut être considérée comme probante, l'attestation de M. [J] [I], chef de poste, produite par l'employeur étant de nature à remettre en cause l'impartialité et l'objectivité de cette personne. Le courriel évoquant un problème de badge ne saurait démontrer l'existence de conditions de travail dégradées. Enfin, le courrier adressé à la Direccte par le salarié dans lequel il décrit ses relations de travail ne peut être considéré comme probant en ce qu'il n'exprime que la verison de celui-ci.
S'agissant du retard dans l'indemnisation des arrêts de travail, il doit être rappelé qu'aucun délai légal n'est prévu pour la transmission par l'employeur de l'attestation de salaire à la CPAM suite à un arrêt maladie. Il résulte des pièces produites aux débats que le salarié a demandé à son employeur le 8 avril 2019 de faire parvenir cette attestation à la CPAM, que l'attestation avait été établie le 4 avril par l'employeur, etqu'au 18 avril la CPAM ne l'avait toujours pas reçue. Ces seuls éléments ne sauraient caractériser une mauvaise foi de l'employeur ou un comportement déloyal de sa part.
Par ailleurs, en application des dispositions de l'article L 3123-11 du code du travail, toute modification de la durée de travail entre les jours de la semaine ou entre les semaines du mois est notifiée au salarié en respectant un délai de prévenance, sauf lorsqu'elle intervient avec l'acceptation exprès du salarié (Cass soc., 9 novembre 2016, n°15-19.401).
M. [Z] [S] produit des courriels de son employeur l'informant de multiples changements de planning pour les mois d'avril, juin, septembre 2018 et janvier et février 2019, parfois pluseiurs fois dans la même journée, changements faisant varier son temps de travail mensuel mais également ses lieux d'affectation:
- planning d'avril 2018: onze plannings différents entre le 27 mars et le 16 avril 2018,
- planning de juin 2018: treize plannings différents entre le 29 mai et le 18 juin 2018,
- planning de septembre 2018: onze plannings différents entre le 24 août et le 19 septembre 2018,
- planning de janvier 2019: huit plannings différents entre le 28 décembre 2018 et le 24 janvier 2019,
- planning de février 2019: huit plannings différents entre le 26 janvier 2019 et le 7 février 2019.
Si certains courriels communiqués par M. [Z] [S] révèlent que la Sarl Alpina Sécurité pouvait demander l'accord du salarié pour certaines modifications de planning ou missions, il ne résulte pas de ces pièces que le salarié ai donné ou même ait eu la possibilité de donner un accord express à toutes les modifications souhaitées par l'employeur. La Sarl Alpina Sécurité ne produit quant à elle aucune pièce sur ce point.
Il sera par ailleurs rappelé que le salarié se trouve dans un lien de subordination envers son employeur, outre un lien de dépendance économique, et est donc tenu d'effectuer les horaires portés à son contrat de travail afin non seulement de ne pas risquer une procédure disciplinaire mais également d'être payé.
Ainsi, il ne saurait être retenu que M. [Z] [S] avait le choix d'accepter ou de refuser les très nombreuses et importantes modifications de planning souhaitées par son employeur.
Compte-tenu des très nombreux changements de plannings sur des périodes de moins d'un mois, parfois pour une application dès le lendemain, il doit être considéré que l'employeur n'a pas respecté, et ce à plusieursreprises, de délai de prévenance suffisant.
M. [Z] [S] soutient également que l'employeur aurait manqué à son obligation de prévention et de sécurité de résultat en ne mettant pas en place une organisation et des moyens adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, la désorganisation au sein de la société se révélant selon lui particulièrement anxiogène.
Il résulte des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
En l'espèce, la désorganisation au sein de la société Alpina Sécurité est démontrée par les très nombreux changements de planning imposés au salarié à temps partiel au détriment de son organisation personnelle.
Par ailleurs, le salarié produit plusieurs éléments de nature à démontrer que cette désorganisation était de nature à impacter la santé physique et mentale des salariés:
- les attestations de Mme [N], de M. [C] [L], de Messieurs [R] et [O] qui évoquent notamment les conséquences des changements récurrents de planning sur leur vie privée et leur organisation personnelle,
- un courrier de son médecin traitant du 13 mai 2019 qui mentionne que M. [Z] [S] présente depuis le 28 février 2019 un syndrôme anxio-dépressif ayant nécessité un traitement, que le salarié rattache à ses conditions de travail.
- une attestation de son médecin traitant en date du 26 mai 2021 qui indique que M. [Z] [S] a bénéficie d'un arrêt de travail toujours en cours pour syndrôme dépressif réactionnel provoquant 'une anxiété, des attaques de panique, une perte de confiance, une nervosité, des douleurs diverses et variées', qu'il est suivi par un psychiatre depuis fin 2019, bénéficie d'une psychothérapie et d'une prise en charge cognitivo-comportementale. Le médecin mentionne que cet état contre-indique la reprise de son poste de travail,
- une attestation de Mme [D], personne qui donnait des cours à M. [Z] [S] et qui indique que son employeur lui a téléphoné à plusieurs reprises durant leurs cours et qu'elle a constaté que cela lui a crée un stress et le perturbait pour le reste de la séance.
Le salarié avait attiré l'attention de son employeur sur les difficultés relatives à ces changements de planning, ainsi qu'en atteste notamment le courriel du 8 mars 2018: 'je constate via consultation que mon planning a été modifié sans en avoir été informé. J'espère à l'avenir que quand une modification de planning aura lieu, je serais averti par mail de la chose, et ce quelques jours à l'avance (...).
L'entreprise ne justifie pas avoir mis en place une organisation adaptée de nature à corriger ces difficultés.
Ces deux derniers points doivent être considérés comme une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.
M. [Z] [S] justifie, par la production de pièces médicales d'un lien entre son état de santé ayant justifié son arrêt maladie et ses conditions de travail telles que ci-dessus mises en évidence.
Dans un document faisant suite à une visite du 16 novembre 2020, le médecin conseil de l'assurance maladie évoque un certificat médical du 10 novembre 2020 mentionnant un syndrôme anxio-dépressif majeur réactionnel.
Il était toujours suivi, 18 mois après son arrêt de travail, par un psychiatre qui attestait le 29 avril 2021 que les soins avaient 'entraîné des progrès nets mais encore insuffisants pour lui permettre une reprise du travail'.
Il justifie ainsi d'un préjudice en lien avec l'exécution déloyale du contrat de travail de la part de l'employeur qui sera indemnisé par une somme de 4000 euros.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu'un contrat de travail peut être résilié aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles. Dans l'hypothèse où elle est justifiée, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Si les reproches formulés doivent être appréciés de manière globale et non manquement par manquement, ils doivent cependant être examinés un par un afin de déterminer préalablement s'ils sont établis, la charge de la preuve des manquements incombant au salarié.
En l'espèce, les éléments repris ci-avant ont permis de retenir que l'employeur avait exécuté de façon déloyale le contrat de travail, et que la dégradation de l'état de santé du salarié avait un lien avec ce comportement de l'employeur. Au regard des manquements établis de l'employeur et de leurs conséquences importantes sur l'état de santé de M. [Z] [S], ceux-ci apparaissent suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
La décision du conseil de prud'hommes sera donc confirmée en ce qu'elle a prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur à la date du jugement.
Cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [Z] [S] est en droit de solliciter une indemnité de préavis et une indemnité de licenciement. L'employeur ne conteste pas les montants alloués à ce titre par le conseil de prud'hommes et à nouveau sollicités par le salarié en appel. La décision sur ces points du conseil de prud'hommes sera donc confirmée.
En application de l'article L 1235-3 du code du travail, M. [Z] [S] est en droit de percevoir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 et 5 mois de salaire brut. Le salarié avait 33 ans à la date de la résiliation du contrat de travail. Il était encore suivi à cette date par un psychiatre. Son médecin traitant attestait en mai 2021 que son état de santé contre-indiquait toujours la reprise de son poste de travail. Il justifie d'une reconnaissance de travailleur handicapé à compter du 6 juillet 2021, ses difficultés ont une 'incidence légère à modérée sur son autonomie sociale et professionnelle, avec un taux d'incapacité inférieur à 50%. Il ne justifie pas de sa situation personnelle et financière postérieurement à cette date du 6 juillet 2021.
Compte-tenu de ces éléments, il sera alloué à M. [Z] [S] une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse de 6210 euros.
Sur la remise des documents de fin de contrat modifiés
La décision sur ce point du conseil de prud'hommes sera confirmée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La décision du conseil de prud'hommes à ce titre sera confirmée.
Par ailleurs, la Sarl Alpina Sécurité sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel. Elle sera également condamnée à verser à M. [Z] [S] la somme de 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Déclare M. [Z] [S] et la Sarl Alpina Sécurité recevables en leurs appel et appel incident,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Annecy du 9 mars 2021 en ce qu'il a :
- prononcé la résiliation du contrat de travail de M. [Z] [S] aux torts de la Sarl Alpina Sécurité à la date du 9 mars 2021,
- condamné la Sarl Alpina Sécurité à verser à M. [Z] [S] la somme de 3105 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 310 euros de congés payés afférents,
- condamné la Sarl Alpina Sécurité à verser à M. [Z] [S] la somme de 1520,17 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- ordonné à la Sarl Alpina Sécurité de remettre à M. [Z] [S] les documents de fin de contrat sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du 21ème jour suivant la notification de la décision,
- condamné la Sarl Alpina Sécurité à verser à M. [Z] [S] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Sarl Alpina Sécurité aux dépens,
Infirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau :
Condamne la Sarl Alpina Sécurité à verser à M. [Z] [S] la somme de :
- 9315 euros de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé,
- 4000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 6210 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant,
Dit que la cour se réserve la liquidation de l'astreinte,
Condamne la Sarl Alpina Sécurité aux dépens d'appel,
Condamne la Sarl Alpina Sécurité à verser à M. [Z] [S] la somme de 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ainsi prononcé publiquement le 27 Octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Sykvie LAVAL, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président