COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 12 JUILLET 2022
N° RG 21/00394 - N° Portalis DBVY-V-B7F-GUFW
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA [Localité 6]
C/ [S] [F] etc...
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNECY en date du 26 Janvier 2021, RG F 20/00083
APPELANTE :
L'UNEDIC DELEGATION AGS CGEA [Localité 6]
dont le siège social est [Adresse 7]
[Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SCP CABINET DENARIE BUTTIN PERRIER GAUDIN, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMEES :
Madame [S] [F]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par la SELURL BOLLONJEON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELAS RTA AVOCATS, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS
S.E.L.A.R.L. MJ ALPES mandataire liquidateur de la SARL CABINET [C] [F]
dont le siège social est sis [Adresse 1]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SAS C2RG, avocat au barreau d'ANNECY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 19 mai 2022 par Monsieur Frédéric PARIS, Président de chambre, à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, avec l'assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Monsieur Frédéric PARIS, Président,
- Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
- Madame Elsa LAVERGNE, Conseiller,
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Faits et procédure
Mme [S] [F] a été engagée par M. [C] [F] sous contrat à durée indéterminée du 3 janvier 2005 en qualité de secrétaire .
M. [C] [F] exploitait un cabinet d'expert comptable.
L'effectif du cabinet était de moins de onze salariés.
Une procédure de sauvegarde a été ouverte le 18 décembre 2018.
Une liquidation judiciaire du cabinet d'expertise comptable était prononcée le 29 mars 2019 par le tribunal de commerce d'Annecy.
Mme [F] a été licenciée pour motif économique par le liquidateur selon lettre du 12 avril 2019.
Le liquidateur a estimé que Mme [F] n'était pas liée par un contrat de travail.
Mme [F] contestant la position du liquidateur a saisi le 8 avril 2020 le conseil des prud'hommes d'Annecy.
Par jugement du 26 janvier 2021, le conseil des prud'hommes a retenu l'existence d'un contrat de travail et a fixé les créances de Mme [F] comme suit :
- 3314,82 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
- 7363,20 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 736,32 € de congés payés afférents,
- 12 676,97 € à titre d'indemnité de licenciement,
- 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a par ailleurs déclaré le jugement opposable au CGEA [Localité 6], fixé le salaire brut à 3680,60 €, condamné la Selarl Mj Alpes à remettre les documents de fin de contrat rectifiés et condamné la Selarl Mj Alpes aux dépens.
L'Unedic, délégation AGS CGEA [Localité 6] a interjeté appel par déclaration au réseau privé virtuel des avocats du 23 février 2021 sur l'ensemble des dispositions du jugement.
Par conclusions notifiées le 13 juillet 2021auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens l'Unedic délégation AGS CGEA [Localité 6] demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- débouter Mme [F] de toutes ses demandes,
- la mettre hors de cause,
- condamner Mme [F] à lui rembourser la somme de 22 294,36 € au titre du salaire de mars 2019, et les indemnités de préavis, de licenciement et de congés payés.
- condamner Mme [F] à lui payer la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et celle de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- transmettre le jugement au Procureur de la République,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement,
- débouter Mme [F] de sa demande pour résistance abusive,
- dit que l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens sont exclus de la garantie de l'AGS en application de l'article 3253-6 du code du travail ;
- dire que l'AGS ne devra sa garantie que dans les cas et conditions définies par L 3253-8 du code du travail et dans la limite des plafonds légaux prévue par les articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail,
- dire que son obligation de faire l'avance des sommes allouées au salarié ne pourra s'exécuter que sur justification par le mandataire judiciaire de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement ;
- dire que cette obligation n'est pas applicable pour les sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
- condamner Mme [F] aux dépens.
Elle soutient en substance qu'un contrat de travail a été produit en cours de procédure.
Pourtant les salariés du cabinet ne l'ont jamais vu travailler au cabinet d'expert comptable.
Aucune prestation de travail n'est établie.
M. [F] indique que son épouse était rémunérée 1200 € par mois alors que les bulletins de paie indiquent un salaire différent.
Ces éléments factuels démontrent le caractère fictif du contrat de travail.
Aucun élément constitutif du salariat n'est établi.
Par conclusions notifiées le 18 novembre 2021 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, Mme [F] demande à la cour de :
- confirmer partiellement le jugement dont appel,
- dire que le relevé de créances devra porter sur les sommes suivantes :
* 3314,82 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
- 7363,20 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 736,32 € de congés payés afférents,
- 12 676,97 € à titre d'indemnité de licenciement,
* 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner la Selarl MJ Alpes es qualité à lui remettre les documents de fin de contrat,
- enjoindre à l'AGS d'adresser à la Selarl MJ Alpes les fonds lui permettant de payer les sommes dues,
- dire que la décision est opposable au CGEA-AGS [Localité 6],
- condamner in solidum la Selarl MJ Alpes es qualité et le CGEA-AGS [Localité 6] à lui payer la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir notamment que la Selarl MJ Alpes et l'AGS ne rapportent pas la preuve de la fictivité du contrat de travail. Elle établit en revanche qu'elle effectuait des prestations de travail pour le compte du cabinet d'expertise comptable.
Par conclusions notifiées le 23 janvier 2018 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la Selarl MJ Alpes demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- débouter Mme [F] de ses demandes,
- condamner Mme [F] à lui rembourser la somme de 542,34 € indûment versée et aux sommes versées indûment dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement pour un montant de 24 091,31 €,
- condamner Mme [F] à lui payer une somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose essentiellement que Mme [F] n'apporte aucun élément permettant de définir la réalité de l'exercice de son activité de salarié comme l'impose l'article 1553 du code civil.
Il lui appartient de prouver l'existence d'un contrat de travail.
Lors de la procédure collective elle déclarait qu'il n'y avait pas eu de contrat écrit puis produit un contrat opportunément en cours de procédure.
Elle démontre en produisant plusieurs mails de salariés l'absence de toute activité professionnelle.
L'instruction de l'affaire a été clôturée le 4 février 2022.
Motifs de la décision
Mme [F] produit un contrat de travail en date du 20 décembre 2004 conclu entre elle et M. [F] et l'ensemble des bulletins de paie de 2009 à décembre 2018 émanant du cabinet d'expertise comptable de ce denier.
Le contrat de travail écrit produit laisse présumer l'existence d'un contrat de travail.
S'agissant d'une présomption simple pouvant être combattue par la preuve contraire, en cas de de contestation sur l'existence effective d'un contrat de travail écrit, il appartient à l'auteur de cette contestation de démontrer le caractère fictif du contrat de travail.
La Selarl MJ Alpes liquidateur s'est fondée essentiellement sur l'absence de prestations de travail au sein du cabinet d'expertise comptable pour en déduire que le contrat de travail était fictif.
Le liquidateur produit des mails d'anciens salariés, d'une stagiaire relatant dans des mails qu'ils ont adressé au mandataire judiciaire qu'ils n'ont pas vu Mme [F] travailler au sein du cabinet d'expertise comptable.
Mme [F] n'avait pas produit de contrat au travail au début de la procédure collective et avait indiqué en réponse au questionnaire du liquidateur qu'un contrat de travail écrit n'avait pas été établi.
Mme [F] pour sa part verse aux débats une lettre de M. [F] qui atteste que son épouse travaillait à son domicile et effectuait un travail de secrétariat et de préparation de dossiers. Il précise qu'elle relisait l'ensemble de ses dossiers, ses rapports de plus de cent pages, ses lettres de mission, répondait à des mails délicats, qu'il n'était plus nécessaire qu'elle soit présente au bureau physiquement car il avait embauché une secrétaire pour gérer le planning de ses collaborateurs ; il ajoute que l'un des derniers travaux réalisés en décembre 2018 avec lui est l'élaboration et la rédaction de la lettre de mission pour une société cotée à la bourse de Londres qui devait générer 90 000 € d'honoraires.
Elle produit aussi une lettre datée du 5 mars 2019 que lui avait adressé l'un des anciens gérants de la société qui lui demande de justifier de son absence à son poste de travail.
Mme [Y] intervenante en relations humaines relate qu'en 2013, elle a eu plusieurs entretiens avec M. [F] à son domicile ; lors du premier rendez-vous elle a été reçue par Mme [F] qui a dégrossi l'objet de sa demande. Elle précise que lors du second rendez-vous, elle a constaté que Mme [F] était présente, qu'elle répondait au téléphone et s'entretenait avec d'autres membres du personnel au sujet de dossiers professionnels.
Un salarié du cabinet atteste que Mme [F] relisait les rapports, il l'a vu aussi réceptionner des clients et répondre au téléphone.
En réalisant ces prestations de travail, Mme [F] était placée sous la subordination de son époux.
L'AST 74 organisme de santé au travail indique que Mme [F] a bénéficié d'une visite périodique le 15 décembre 2011 et d'un entretien infirmier le 10 décembre 2014.
L'exécution du contrat de travail n'a jamais été contestée pendant de longues années.
Rien n'indique que le contrat de travail produit est un faux.
La réponse au questionnaire du liquidateur n'est pas suffisante à écarter l'existence d'un contrat de travail qui avait été établi plus de quatorze années avant la liquidation du cabinet.
Au regard de tous ces éléments, les éléments produits par le liquidateur et l'AGS ne sont pas suffisamment probants pour établir que le contrat de travail était fictif.
Les arguments du liquidateur et de l'AGS étaient sérieux et aucune résistance abusive n'est caractérisée.
Le jugement sera confirmé.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 26 janvier 2021 rendu par le conseil des prud'hommes d'Annecy ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Selarl MJ Alpes es qualité de liquidateur de la société Cabinet d'expertise comptable [C] [F] à payer à Mme [F] la somme de 1200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée à l'encontre de l'Unedic, délégation AGS CGEA [Localité 6] ;
Condamne la Selarl MJ Alpes es qualité de liquidateur de la société Cabinet d'expertise comptable [C] [F] aux dépens d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 12 Juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.