COUR D'APPEL DE CAYENNE
[Adresse 1] - [Localité 5]
Chambre commerciale
ARRÊT N°2024/
N° RG 22/00568 - N° Portalis 4ZAM-V-B7G-BD5Z
PG/JN
[V] [G]
[I] [C]-[B]
S.A.R.L. CONCEPTION ETUDES REALISATIONS GUYANE (CERG)
C/
[Z] [D]
ARRÊT DU 12 AOUT 2024
Jugement Au fond, origine Tribunal mixte de Commerce de CAYENNE, décision attaquée en date du 08 Octobre 2021, enregistrée sous le n° 2020000121
APPELANTS :
Monsieur [V] [G]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Emile O TSHEFU, avocat au barreau de GUYANE
Monsieur [I] [C]-[B]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Emile O TSHEFU, avocat au barreau de GUYANE
S.A.R.L. CONCEPTION ETUDES REALISATIONS GUYANE (CERG)
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Emile O TSHEFU, avocat au barreau de GUYANE
INTIME :
Monsieur [Z] [D]
[Adresse 8]
[Adresse 9]
[Localité 7]
représenté par Me Isabelle DENIS, avocat au barreau de GUYANE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
En application des dispositions des articles 907 et 78 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 février 2024 en audience publique et mise en délibéré au 8 avril 2024 prorogé au 12 août 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
M. Laurent SOCHAS, Conseiller
Mme Patricia GOILLOT, Conseillère
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Madame Joséphine DDUNGU, Greffier placé, présente lors des débats et du prononcé
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 al 2 du Code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Par actes d'huissier délivrés les 11 et 18 février 2020, Monsieur [Z] [D] a fait assigner la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane (ci-après dénommée la CERG), Monsieur [I] [C]-[B] et Monsieur [V] [G] devant le tribunal mixte de commerce de Cayenne aux fins notamment de solliciter l'indemnisation de ses préjudices du fait de sa révocation en qualité de gérant.
Par jugement contradictoire du 8 octobre 2021, le tribunal mixte de commerce de Cayenne a :
- condamné solidairement la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane, Monsieur [I] [C]-[B] et Monsieur [V] [G] à payer à Monsieur [Z] [D] les sommes suivantes :
- 10 000 euros au titre de la révocation de Monsieur [Z] [D] sans juste motif,
- 10 000 euros au titre de la révocation abusive de Monsieur [Z] [D],
- condamné solidairement la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane, Monsieur [I] [C]-[B] et Monsieur [V] [G] à payer à Monsieur [Z] [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les demandes reconventionnelles d'indemnisation présentées par Monsieur [G] et la la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane,
- condamné solidairement la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane, Monsieur [I] [C]-[B] et Monsieur [V] [G] aux dépens,
- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit,
- taxé et liquidé les frais de greffe à la somme de 92,22 euros.
Par déclaration en date du 24 novembre 2021, la SARL CERG, Monsieur [I] [C]-[B] et Monsieur [V] [G] ont relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement, hormis en ce qu'il a rappelé que l'exécution provisoire est de droit et en ce qu'il a taxé et liquidé les frais de greffe à la somme de 92,22 euros.
Monsieur [Z] [D] a constitué avocat le 16 décembre 2021.
La SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane, Monsieur [I] [C]-[B] et Monsieur [V] [G] ont déposé leurs premières conclusions d'appelants le 21 février 2022.
Par ordonnance en date du 14 décembre 2022, le conseiller de la mise en état, saisi de conclusions d'incident par M. [Z] [D], constatant que l'appelant ne justifiait pas avoir exécuté la décision frappée d'appel, a ordonné la radiation de l'affaire du rôle.
Selon avis en date du 17 décembre 2022, l'affaire a été réinscrite au rôle sous le numéro général 22/568 suite aux conclusions de la CERG en date du 14 décembre 2022 et du décompte d'huissier versé aux débats en date du 14 octobre 2022.
Monsieur [D] a déposé ses premières conclusions d'intimé le 11 mars 2023.
Aux termes de ses conclusions d'appelant au fond transmises le 21 février 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, la société CERG, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] sollicitent, au visa des articles L223-25 du code de commerce et de l'article 1240 du code civil que la cour :
- infirme le jugement rendu le 8 octobre 2021 par le tribunal mixte de commerce de Cayenne en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- dise que la révocation de Monsieur [D] est justifiée par de justes motifs et qu'elle n'est nullement abusive,
- condamne Monsieur [D] à régler à :
- la SARL CERG, prise en la personne de son représentant légal en exercice la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- Monsieur [V] [G] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- Monsieur [C] [B] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamne Monsieur [D] à verser à la SARL CERG et à Monsieur [G] et à Monsieur [B] unis d'intérêts la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne Monsieur [D] aux dépens.
Au soutien de leurs prétentions, les appelants exposent que lorsque M. [D] a pris la gestion de la société en 2017 ainsi que prévu à la fin de son interdiction de gérer, les résultats de la SARL ont chuté et la trésorerie avait totalement disparu. Ils affirment que M. [D] ne respectait pas les décisions prises lors des AG et que le bénéfice était en chute libre malgré un chiffre d'affaire en progression. Ils indiquent que M. [D] a établi à son profit un nouveau contrat de travail modifiant son poste et ses conditions salariales sans l'accord des autres associés, qu'il n'a pas respecté ses obligations statutaires puisqu'il a créé une société familiale et la SAS Canope avec le personnel de la CERG, qu'il a utilisé le matériel de la CERG au profit de ses autres sociétés et qu'un dérapage important a été constaté dans les coûts de gestion et les frais personnels de M. [D]. Ils expliquent que c'est dans ces conditions que la révocation de la gérance de M. [D] a été votée ainsi que son remplacement par M. [G].
La SARL CERG, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] font valoir que la faute de gestion, la violation des statuts, la mésentente avec les associés et la perte de confiance constituent de justes motifs de révocation au sens des dispositions de l'article L223-25 du code de commerce, et ils estiment que les chiffres traduisent l'incompétence de M. [D] dans la gestion de la société.
Ils soutiennent que la révocation est intervenue par conséquent pour de justes motifs, et n'a pas été ni abusive ni brutale. Ils contestent par ailleurs la mise en cause des associés M. [G] et M. [C]-[B], en soutenant que M. [D] ne démontre pas en quoi ces derniers lui auraient personnellement causé un préjudice.
Aux termes de ses conclusions d'intimé transmises le 16 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, M. [Z] [D] sollicite, au visa de l'article 1240 du code civil et des articles L223-22 et L 223-29 du code de commerce que la cour :
- confirme le jugement du tribunal de commerce de cayenne en date du 8 octobre 2021 en toutes ses dispositions,
- condamne solidairement la société CERG, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] à payer à M. [Z] [D] une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que tous les dépens de la présente instance.
Au soutien de ses prétentions, M. [Z] [D] expose qu'après avoir exercé en qualité de Directeur Général, il a été nommé gérant de la CERG aux termes d'une résolution de l'assemblée générale des associés en date du 15 mars 2017. Il explique qu'étant le seul ingénieur diplômé de la société, il était seul à pouvoir gérer les affaires, et qu'il a accepté de ne pas recevoir de rémunération au titre de ses fonctions de gérant afin de ne pas alourdir les charges financières de la société.
L'intimé affirme avoir fait l'objet de harcèlement incessant depuis de nombreux mois de la part de M. [G] et de M. [C]-[B], lesquels ont lancé des accusations infondées à son encontre. Il précise que ceci l'a conduit à leur délivrer des sommations interpellatives de préciser leurs accusations, ces dernières étant restées sans réponse. Il soutient avoir été brutalement révoqué lors d'une assemblée générale du 6 août 2019 par M. [G] et M. [C]-[B] sans aucun motif, et de façon brutale et vexatoire. Il souligne que la situation de la société a progressé régulièrement sous sa gérance, et relève qu'il a assuré une gestion prudente et rigoureuse en fidélisant une clientèle grâce à son savoir-faire. Il affirme que depuis son éviction, tous les salariés ont quitté la société et toutes les affaires en cours ont été sous-traitées à des sociétés, sans aucune contrepartie financière. Il précise que la CERG a été condamnée par jugement du conseil des prud'hommes de Cayenne en date du 8 novembre 2020 à lui payer des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [Z] [D] fait valoir que sa révocation, dénuée de tout motif, est également abusive au regard des conditions de la révocation ayant porté atteinte à sa réputation et son honorabilité, et du non- respect de l'obligation de loyauté. Il affirme qu'il n'a jamais eu connaissance d'aucun motif de révocation et n'a pu présenter ses observations, et que le seul motif paraît être celui de l'éliminer de la direction de l'entreprise.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2023.
Sur ce, la cour
Sur la demande en indemnisation pour révocation sans juste motif
Aux termes de l'article L223-25 du code du commerce, le gérant peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l'article L223-29, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts (...).
Il est admis que l'appréciation des justes motifs est une question de fait qui s'apprécie in concreto et essentiellement en considération de l'intérêt de l'entreprise qui ne coïncide pas nécessairement avec celui des seuls associés.
C'est à juste titre que le jugement déféré a constaté par des motifs que la cour approuve que les faits invoqués par les appelants pouvant justifier la révocation de M. [D] ne sont établis par aucun élément, en fixant exactement à 10 000 euros la somme allouée à M. [D] à titre de dommages et intérêts.
Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé sur ce point, étant relevé que la SARL CERG, M. [G] et M. [C]-[B] seront solidairement condamnés, les deux associés étant à l'origine et responsables de la décision de révocation sans motif de M. [D].
Sur la demande en indemnisation pour révocation abusive
Il est admis que la révocation d'un gérant est qualifiée d'abusive lorsque les associés ne donnent pas au gérant la possibilité de présenter ses observations ou encore lorsqu'elle est accompagnée d'actes malveillants.
Le jugement entrepris a exactement relevé qu'il résulte notamment du procès-verbal de l'AG du 6 août 2019 que les associés n'ont pas respecté l'obligation de loyauté, lors de leur prise de décision de révocation de leur gérant, étant conscients que M. [D] n'avait pu présenter des éléments pour sa défense lors de l'assemblée ayant voté la révocation de ce dernier.
Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a constaté la révocation abusive pour défaut de loyauté et alloué à M. [Z] [D] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, étant relevé que la SARL CERG, M. [G] et M. [C]-[B] seront solidairement condamnés, les associés étant responsables du non-respect de l'obligation de loyauté.
Sur les demandes reconventionnelles d'indemnisation présentées par les appelants
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu à juste titre qu'il n'est pas justifié par la SARL CERG et M. [V] [G] de ce que l'action de M. [D] constituerait un abus de droit caractérisant une faute civile engageant la responsabilité de ce dernier, et qu'il a débouté ces derniers de ce chef de demande.
Monsieur [C]-[B] sera par voie de conséquence et pour les mêmes motifs également débouté de ce chef de demande, étant ainsi ajouté au jugement déféré.
Sur les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Au regard de la solution apportée au règlement du litige en cause d'appel, la SARL CERG, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] seront condamnés à payer à M. [Z] [D] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, et seront déboutés de leur demande formée à ce titre.
La SARL CERG, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] seront solidairement condamnés aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal mixte de commerce de Cayenne en date du 8 octobre 2021 en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
DEBOUTE M. [I] [C]-[B] de sa demande reconventionnelle d'indemnisation,
CONDAMNE la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] in solidum à payer à M. [Z] [D] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civileau titre des frais exposés en appel,
DEBOUTE la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL Conceptions Etudes Réalisations Guyane, M. [V] [G] et M. [I] [C]-[B] aux entiers dépens d'appel.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et le Greffier.
Le Greffier La Présidente de chambre
Joséphine DDUNGU Aurore BLUM