ARRÊT DU
11 MARS 2008
CL / SB
-----------------------
R. G. 06 / 01380
-----------------------
Jean-François X...
C /
S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES
-----------------------
ARRÊT no 85
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
Prononcé à l'audience publique du onze mars deux mille huit par Catherine LATRABE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, assistée de Nicole CUESTA, Greffière,
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
Jean-François X...
né le 11 juin 1967 à TONNEINS (47400)
...
...
Rep / assistant : la SCPA CABINET DUPOUY (avocats au barreau de MARMANDE)
APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes de MARMANDE en date du 25 septembre 2006 dans une affaire enregistrée au rôle sous le no R. G. 05 / 00032
d'une part,
ET :
S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES
prise en la personne de son représentant légal
4, Chemin des Arrestiaux
Z. I. Auguste
33610 CESTAS
Rep / assistant : la SCP SABATTE-L'HÔTE-ROBERT (avocats au barreau de TOULOUSE)
INTIMÉE
d'autre part,
ASSEDIC AQUITAINE
Service Juridique de Pau
27, Avenue Léon Blum-B. P. 9067
64051 PAU CEDEX 9
Non comparante
PARTIE INTERVENANTE
dernière part
A rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 4 février 2008, sur rapport de Catherine LATRABE, devant Catherine LATRABE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre et Chantal AUBER, Conseillère, assistées de Solange BELUS, Greffière, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu. Les magistrats rapporteurs en ont, dans leur délibéré, rendu compte à la Cour composée, outre d'eux-mêmes, de Françoise MARTRES, Conseillère, en application des dispositions des articles 945-1 et 786 du Nouveau Code de Procédure Civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés.
* *
*
Jean-François X..., né le 11 juin 1967, a été embauché le 1er décembre 1995 par la S. A. SODIBO SOBCAL, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'ouvrier professionnel d'entretien tirage pression, 2ème échelon, coefficient 170 moyennant une rémunération mensuelle brute sur 13 mois de 11. 000 francs.
La S. A. SODIBO SOBCAL a fait l'objet d'une reprise par la Société ELIDIS BOISSONS SERVICES.
Le 18 janvier 2005, Jean-François X... a été convoqué à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire à effet immédiat.
Suivant courrier recommandé en date du 15 février 2005, cette dernière notifie à Jean-François X... son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
"... Le 6 / 01 / 2005, vous écrivez à Didier A... PDG de Kronenbourg et vous lui indiquez que le Directeur Régional Elidis aurait détourné des fonds, vous précisez dans votre lettre que le Directeur Régional était en cela aidé de complices que vous ne citez pas, et vous terminez en disant : « chez moi on appelle ça des voleurs ».
Ces accusations sans fondements sont intolérables.
Les primes commerciales versées par le Brasseur, en l'occurrence Kronenbourg, au distributeur Elidis n'ont pas vocation d'être reversées aux Chefs de secteur. Aucun contrat de Chef de secteur ne prévoit du reste une rémunération à ce titre.
En tout état de cause, nous ne pouvons accepter les accusations graves et fausses que vous portez à l'encontre des responsables de la société.
Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnités...
Votre licenciement étant prononcé pour faute grave, votre mise à pied conservatoire ne vous sera pas rémunérée... "
Contestant ce licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de l'intégralité de ses doits, Jean-François X... a saisi, le 15 avril 2005, le Conseil de Prud'hommes de MARMANDE.
Suivant jugement en date du 25 septembre 2006, cette juridiction a dit que le licenciement de Jean-François X... revêt une cause réelle et sérieuse et a condamné
la S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES à lui payer les sommes de 1. 276, 94 € au titre de la mise à pied conservatoire, de 3. 953, 82 € au titre de l'indemnité de préavis, de 395, 38 € au titre de l'indemnité de congés payés y afférents et de 1. 383, 11 € au titre de l'indemnité de licenciement et enfin, a débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Jean-François X... a relevé appel de cette décision dans des conditions de forme et de délais qui n'apparaissent pas critiquables.
Il explique que le 6 janvier 2005, il a effectivement adressé un courrier au Directeur de KRONENBOURG dont la Société ELIDIS est la filiale distribution afin de s'étonner de ce que le système de primes commerciales mis en place par la Société KRONENBOURG connaisse de graves dysfonctionnements au niveau d'ELIDIS OCCITANIE.
Il soutient, pour l'essentiel, que contrairement aux dénégations de la Société ELIDIS les affirmations contenues dans son courrier sont fondées même si les termes ont été maladroits, les chefs de secteur parmi lesquels son ami Julien C... récemment décédé, rencontrant des difficultés pour percevoir ces primes.
Il considère dès lors que le licenciement dont il a fait l'objet est dépourvu de cause réelle et sérieuse ce qui doit lui ouvrir droit au paiement de la mise à pied conservatoire, aux indemnités de rupture ainsi qu'à des dommages et intérêts.
Il ajoute qu'il a toujours effectué des heures au-delà de la durée hebdomadaire prévue non seulement pour l'exécution de son travail quotidien mais encore pour des dépannages en urgence et qu'à compter du 1er janvier 2001 et du fait de la mise en place des 35 heures, même par modulation, le nombre d'heures supplémentaires effectuées a encore augmenté.
Il produit, à cet égard, des fiches de pointages datées de janvier à septembre 2001 faisant apparaître une moyenne mensuelle représentative de 16 heures supplémentaires qu'il entend appliquer à la période non prescrite.
Il indique, par ailleurs, qu'au début de son contrat, il percevait une prime entretien TP à hauteur de 5, 50 Francs par intervention ainsi qu'une prime installation TP à hauteur de 150 Francs par intervention, lesquelles lui ont été arbitrairement supprimées alors que ses collègues bénéficient encore aujourd'hui de ces deux primes regroupées en avril 2004 en une seule prime entretien TP.
Il fait état, en outre, de ce qu'il n'a pas pris l'intégralité de ses congés annuels et de ce qu'à l'issue de chaque période, il perdait, ainsi que d'autres collègues, des jours de congés payés non reportés même si les deux jours de fractionnement étaient intégrés ce qui doit lui ouvrir droit à l'octroi de dommages et intérêts, l'accumulation de salariés perdant ce droit laissant apparaître que l'impossibilité de solder leur congé était bien imputable à l'employeur.
Il considère, de plus, qu'il aurait dû percevoir une indemnité forfaitaire prévue pour l'ensemble des frais telle que prévue par la lettre d'engagement dont il entend se prévaloir.
Il explique, enfin, qu'il a très mal vécu les circonstances et les motivations de son licenciement qui ont induit un syndrome dépressif sévère réactionnel ce qui doit lui ouvrir droit à indemnisation.
Il demande, dès lors, à la Cour de dire que le licenciement dont il fait l'objet n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, de condamner en conséquence la S. A. ELIDIS BOISSONS à lui payer les sommes suivantes de 1. 276, 94 € à titre de paiement de la mise à pied conservatoire, de 3. 953, 82 € à titre d'indemnité de préavis, de 395, 38 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis, de 1. 983, 19 € à titre d'indemnité de licenciement, de 25. 727, 88 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dire qu'il rapporte la preuve de ce qu'il a effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées, de condamner la S. A. ELIDIS BOISSONS à lui payer au titre de ces heures supplémentaires la somme de 12. 841, 47 €, de dire qu'il rapporte la preuve de ce que la S. A. ELIDIS BOISSONS ne lui a pas payé la prime entretien, supprimée arbitrairement, de condamner la S. A. ELIDIS BOISSONS à lui payer la somme de 7. 200, 00 € au titre de la prime entretien, de dire qu'il a été empêché par son employeur de prendre le solde de ses congés payés ayant entraîné un préjudice, de condamner la S. A. ELIDIS BOISSONS à lui payer la somme de 1. 320 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de ces congés payés, de constater qu'il devait percevoir une indemnité forfaitaire au
titre de ses frais, de constater que cette indemnité ne lui a été que partiellement réglée, de condamner la S. A. ELIDIS BOISSONS à lui verser la somme de 4. 285, 14 € à titre de solde de l'indemnité due au titre des frais, de dire que les circonstances de son licenciement ont entraîné pour lui un préjudice moral, de condamner la S. A. ELIDIS BOISSONS à lui payer la somme de 5. 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice moral distinct et enfin, de condamner la S. A. ELIDIS BOISSONS à lui payer la somme de 1. 500 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
* *
*
La S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES demande, pour sa part, à la Cour de confirmer le jugement sur la question des heures supplémentaires, des dommages et intérêts, congés perdus, du forfait repas, des primes d'installation et de sanitation, de le réformer sur la question du licenciement, de dire que Jean-François X... a effectivement commis une faute grave à l'origine de son licenciement, d'ordonner le remboursement de la somme versée au titre de l'exécution provisoire soit 5. 789, 59 €, de débouter Jean-François X... de l'intégralité de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle soutient, principalement, que le licenciement pour faute grave est parfaitement fondé, le ton adopté par le salarié dans son courrier du 6 janvier 2005 étant injurieux, gravement accusateur sans fondement et diffamatoire.
Elle estime, par ailleurs, que les autres réclamations du salarié sont parfaitement infondées.
* *
*
Par courrier en date du 27 juillet 2007 parvenu au greffe le 3 août 2007, l'ASSEDIC AQUITAINE a sollicité de la Cour la condamnation de l'employeur à lui rembourser le montant des indemnités versées à Jean-François X... dans la limite de six mois par application des dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du Travail.
L'ASSEDIC AQUITAINE n'a pas comparu à l'audience de la Cour.
- SUR QUOI :
Attendu que la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Qu'il résulte de la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige que dans un courrier adressé au PDG de KRONENBOURG, dont la Société ELIDIS est la filiale distribution, Jean-François X... a effectivement traité ses supérieurs hiérarchiques de " voleurs ", accusant le Directeur Régional ELIDIS " Monsieur D... et ses complices de détourner les fonds de leurs destinataires ", " préférant annexer le fruit du travail d'autrui " en ne redistribuant pas " les primes commerciales mises en place par la Société KRONENBOURG afin de récompenser les Chefs de Secteurs ELIDIS de leurs acquisitions contractuelles. "
Attendu que si le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de sa liberté d'expression, il ne peut abuser de cette liberté en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.
Que l'appréciation injurieuse émise par Jean-François X... à l'égard de ses supérieurs hiérarchiques, les termes pour le moins excessifs à connotation pénale employés dans une lettre adressée au PDG du groupe ne peut entrer dans l'exercice normal de la liberté d'expression du salarié.
Que si le contexte dans lequel est intervenu l'envoi de ce courrier, dans les jours qui ont suivi le décès accidentel d'un ami de Jean-François X..., Chef de Secteur, dont ce dernier entendait, ainsi qu'il le précise, dans le courrier litigieux, prendre la défense des intérêts et de ceux de sa compagne, ne permet pas de retenir la faute grave, il n'en demeure pas moins que l'abus, ci-dessus visé, par le salarié de sa liberté d'expression est constitutif d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté Jean-François X... de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ont condamné la S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES au paiement de la mise à pied conservatoire ainsi qu'au paiement de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de congés payés y afférent, dont les montants ont été correctement déterminés.
Que l'indemnité de licenciement qui est également due au salarié doit, par contre, en considération de son ancienneté dans l'entreprise, être fixée à la somme de 1. 983, 19 €.
Attendu que s'il résulte de l'article L. 212-1-1 du Code du Travail que la charge de la preuve des heures de travail effectivement réalisées par le salarié n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient, cependant, à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Qu'au cas présent, les pièces produites aux débats par le salarié sont constituées par deux attestations faisant état pour l'une, en termes généraux, de la disponibilité de Jean-François X... ou pour l'autre, d'un travail de nuit effectué, sans autre précision, en 2001 et en 2002, dans deux établissements d'AGEN, par deux procès-verbaux de réunion du comité d'entreprise établis 2001 et en 2004 évoquant, également, en termes généraux le passage aux 35 heures et par des photocopies de fiches de pointage visant la période de janvier à septembre 2001 mais ne comportant ni le cachet ni la signature de l'employeur et dont aucun élément ne permet de retenir qu'elles ont été établies durant la relation de travail.
Que la demande de rappel du salarié couvrant la période non prescrite de 2000 à décembre 2004 apparaît, dès lors, insuffisamment étayée alors que, de son côté, l'employeur produit aux débats pour la période considérée des fiches d'intervention concernant Jean-François X... dont la rubrique " heure de début et heure fin " n'a pas été renseignée par l'intéressé et justifie, par ailleurs, avoir eu recours de manière habituelle à une entreprise sous traitante pour effectuer de nombreux travaux de montage ou d'entretien des installations de tirage.
Que dans ces conditions, il convient de débouter Jean-François X... de sa demande de paiement d'heures supplémentaires.
Attendu, sur la prime entretien, que la réclamation de Jean-François X... n'apparaît pas fondée alors qu'il résulte de l'examen de ses bulletins de salaires qu'à l'instar de ses collègues de travail Brice E... et Benoit E..., il a perçu mensuellement une prime s'élevant en ce qui le concerne à la somme constante de
152, 45 € sous la dénomination de prime individuelle (bulletins de paie de juin 2000 à mars 2004), de prime entretien (bulletins de paie d'avril à septembre 2004) ou de prime exceptionnelle individuelle (bulletins de paie d'octobre 2004 à février 2005).
Attendu sur les frais que Jean-François X... s'appuie sur une lettre de proposition d'emploi en date du 15 septembre 1995, libellée " à l'attention de Monsieur F... pour un poste de plombier ", prévoyant outre une rémunération mensuelle la " somme de
2. 000 francs par mois de frais forfaitaire ".
Que cependant le contrat de travail de Jean-François X..., à effet du 1er décembre 1995, ne fait aucune référence à la prise en charge par l'employeur de tels frais
forfaitaires ; qu'il prévoit, par contre, la mise à disposition du salarié d'une voiture de fonction, un tel véhicule ayant, d'ailleurs, été restitué par l'intéressé le 16 février 2005.
Que, dès lors, Jean-François X... qui n'établit pas que la S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES reste redevable à son égard de frais professionnels qu'il aurait exposés et qui ne lui auraient pas été remboursés, doit être débouté de sa demande au titre de frais.
Attendu que le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse et Jean-François X... ne justifiant pas de la réalité d'une faute qui aurait été commise, à l'occasion de ce licenciement, par l'employeur en relation de cause à effet avec un quelconque préjudice dont il aurait eu à souffrir, ne saurait se voir octroyer des dommages et intérêts pour préjudice moral.
Attendu, par conséquent, qu'il convient d'infirmer la décision déférée seulement sur le montant de l'indemnité de licenciement ; que cette décision sera, par contre, confirmée en toutes ses autres dispositions.
Attendu que le licenciement procédant d'une cause réelle et sérieuse, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du Travail au bénéfice de l'ASSEDIC.
Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de Jean-François X... la totalité des frais non compris dans les dépens qu'il a pu être amené à exposer pour la défense de ses intérêts.
Attendu que les dépens de l'appel seront mis à la charge de la S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES qui succombe pour partie.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en audience publique, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,
Infirme la décision déférée seulement sur le montant de l'indemnité de licenciement,
Et statuant à nouveau :
Condamne la S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES à payer à Jean-François X... la somme de 1. 983, 19 € à titre d'indemnité de licenciement,
Confirme la décision déférée en toutes ses autres dispositions,
Rejette comme inutile ou mal fondée toutes demandes plus amples ou contraires des parties,
Condamne la S. A. ELIDIS BOISSONS SERVICES aux dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine LATRABE, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, et par Nicole CUESTA, Greffière présente lors du prononcé.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE