ARRÊT DU
07 Janvier 2008
F.C/S.B**
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RG N : 06/01703
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EUROFOURS venant aux droits de la ANGOULEVANT S.A.
C/
S.A.R.L. BOYER
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ARRÊT no3/2008
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Commerciale
Prononcé par mise à disposition au greffe conformément au second alinéa de l'article 450 et 453 du nouveau Code de procédure civile le sept Janvier deux mille huit,
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère Chambre dans l'affaire,
ENTRE :
EUROFOURS venant aux droits de la Société ANGOULEVANT S.A., agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Dont le siège social est 577 rue Célestin Hennion
59144 GOMMEGNIES
représentée par la SCP A.L. PATUREAU & P. RIGAULT, avoués
assistée de Me LETARTRE, avocat
APPELANTE d'un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de MARMANDE en date du 19 Juillet 2005
D'une part,
ET :
S.A.R.L. BOYER, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Dont le siège social est Boulangerie Pâtisserie
Place de la Liberté
47800 ALLEMANS DU DROPT
représentée par la SCP TESTON - LLAMAS, avoués
assistée de Me Michel PERRET de la SCP PERRET NUNEZ KAHAN BUREAU, avocats
INTIMÉE
D'autre part,
a rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique, le 26 Novembre 2007, devant Raymond MULLER, Président de Chambre, François CERTNER, Conseiller (lequel, désigné par le Président de Chambre, a fait un rapport oral préalable) et Dominique MARGUERY, Conseiller, assistés de Nicole CUESTA, Greffier, et qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées par le Président, à l'issue des débats, que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe à la date qu'il indique.
EXPOSE DU LITIGE
Dans des conditions de régularité de forme et de délai non discutées, la S.A. EUROFOURS, venant aux droits de la S.A. ANGOULEVANT, a interjeté appel du Jugement rendu par le Tribunal de Commerce de MARMANDE le 19/07/05 ayant :
* déclaré la S.A. ANGOULEVANT seule responsable des désordres, préjudices et malfaçons subis par la S.A.R.L. BOYER,
* condamné la S.A. ANGOULEVANT à reprendre la totalité de l'installation du four principal de boulangerie ainsi que les autres appareils, à savoir : les fours à chaleur tournante, les chariots à filet, les chambres froides, le tout sous astreinte de 500 Euros par jour de retard à compter de la signification de la décision,
* condamné la S.A. ANGOULEVANT à payer à la S.A.R.L. BOYER la somme de 49.000 Euros au titre de travaux de remise en état et la somme de 42.000 Euros au titre du préjudice d'exploitation,
* débouté la S.A. ANGOULEVANT de toutes ses demandes en garantie,
* condamné la S.A. ANGOULEVANT, outre à supporter les entiers dépens en ce compris les frais de référé et d'expertise, à payer à la S.A.R.L. BOYER la somme de
6.000 Euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les faits de la cause ont été relatés par les premiers Juges en des énonciations auxquelles la Cour se réfère expressément.
* *
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Vu les écritures déposées par l'appelante le 19/10/07 aux termes desquelles elle demande à la Cour :
1 ) à titre principal :
- de dire nulle en vertu des articles 117 et suivants du nouveau Code de procédure civile l'assignation du 02/01/04 délivrée à la S.A. ANGOULEVANT, laquelle n'existait plus à cette date,
- de déclarer, cet acte étant atteint d'une irrégularité de fond, nul le Jugement subséquent,
- de dire et juger "irrecevable et mal fondé l'appel dirigé contre la S.A. EUROFOURS, venant aux droits de la S.A. ANGOULEVANT",
- de condamner l'intimée à lui verser la somme de 3.000 Euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
2 ) subsidiairement, d'infirmer la décision entreprise, de rejeter les prétentions adverses par application des dispositions des articles 1604 et suivants du Code civil et de condamner l'intimée à lui verser la somme de 3.000 Euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
3 ) très subsidiairement :
- de constater qu'elle a sous-traité l'installation des matériels à la S.A.R.L. BONNET,
- de condamner cette dernière à la garantir de toute condamnation à intervenir,
- de constater que Messieurs Z... et A... ont contracté directement avec la S.A.R.L. BONNET et sont responsables des désordres dont se plaint cette dernière,
- d'exonérer la S.A. EUROFOURS de toute responsabilité et le cas échéant de condamner solidairement Messieurs Z... et A... à la garantir de toute condamnation,
- de condamner in solidum la S.A.R.L. BONNET et Messieurs Z... et A... à la garantir de toute condamnation et à lui payer la somme de 3.000 Euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Elle fait pour l'essentiel valoir l'argumentation suivante :
$gt; l'assignation a été délivrée à la S.A. ANGOULEVANT à la date du 02/01/04, alors que cette personne morale avait été absorbée par la S.A. EUROFOURS à la suite d'une assemblée générale extraordinaire. du 31/12/2002 approuvant le traité de fusion ; la publicité légale a été accomplie entre les 22 et 24 janvier 2003 et la S.A. ANGOULEVANT a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 12 mars 2003 avec effet au 31/12/02 ; cette fusion a entraîné la dissolution sans liquidation de cette société ainsi qu'il est disposé à l'article L. 236-3-1 du Code de commerce, dissolution produisant ses effets à l'égard des tiers à compter de la publication au registre du commerce et des sociétés en application des règles posées à l'article L. 237-2 alinéa 3 du Code de commerce ; une assignation délivrée à une personne inexistante est nulle s'agissant d'une irrégularité de fond de sorte que le Jugement subséquent est, lui-aussi, nul ; l'irrégularité n'est pas susceptible d'être couverte au prétexte que la S.A. EUROFOURS est en cause d'appel ; s'il est vrai que l'intimée est en droit d'invoquer la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, encore fallait-il qu'elle assigne cette dernière ; l'intimée ne saurait prétendre que les deux entités en question ne formeraient qu'une seule et même personne morale permettant de mettre en oeuvre contre l'une un titre exécutoire détenu contre l'autre alors que la S.A. ANGOULEVANT n'avait plus d'existence juridique,
$gt; c'est à tort que l'intimée soutient que la Cour, dans l'hypothèse où elle prononcerait la nullité du Jugement attaquée, resterait saisie par l'effet dévolutif de l'appel et habile à évoquer et trancher la totalité des points en litige ; si l'appel tend à l'annulation du Jugement, la dévolution ne s'opère sur le tout lorsque l'acte introductif d'instance est annulé -ce qui entraîne l'annulation du Jugement subséquent- que lorsque l'appelant a conclu à titre principal devant la Cour d'Appel, laquelle ne peut statuer s'il s'agit au contraire de conclusions de fond à titre subsidiaire ; tel est en l'espèce le cas puisqu'aussi bien, elle a conclu sur la responsabilité, donc sur le fond, à titre subsidiaire ; l'effet dévolutif pour le tout n'a donc pu se produire,
$gt; le contrat conclu entre la S.A. ANGOULEVANT et la S.A.R.L. BOYER est un contrat de vente, l'installation du matériel étant confiée à d'autres intervenants de sorte que, bien que l'intimée ne le dise pas, son action est nécessairement fondée sur un manquement à l'obligation de délivrer la chose conforme instituée aux articles 1604 et suivants du Code civil ; à ce titre, l'article 6 du contrat liant les parties prévoit que la garantie est limitée à une durée d'un an ; or, l'action n'a été intentée par l'intimée dans ce délai ; en outre, tout ce qui concerne les branchements est exclu de la garantie ; enfin, l'action en garantie des vices cachés était conventionnellement enfermée dans un délai de trois mois à compter de l'apparition des désordres sachant que, de surcroît, l'acquéreur avait la charge d'aviser le vendeur par lettre recommandée dans les huit jours de l'apparition desdits désordres, ce qui n'a pas non plus été respecté,
$gt; le Tribunal de Commerce de MARMANDE a écarté ses appels en garantie contre les autres intervenants sans motiver sa décision ; or, si elle a confié l'installation des matériels vendus à la S.A.R.L. BONNET qui est son sous-traitant, elle n'a elle-même participé en rien aux montages des appareils ; quant à Messieurs Z... et A..., ils ont été choisis par la S.A.R.L. BONNET agissant en qualité de maître de l'ouvrage,
$gt; s'agissant du préjudice, le Jugement appelé ne pouvait à la fois la condamner à reprendre toute l'installation et à verser des dommages et intérêts pour travaux de remise en état, sauf à contrevenir aux dispositions des articles 1142 et suivants du Code civil imposant à la victime d'une obligation de faire d'opter entre dommages et intérêts ou exécution en
nature ; quant à la perte d'exploitation proposée par l'expert, elle n'est pas explicitée par ce dernier qui n'a pas indiqué quel a été le chiffre d'affaires servant de base à son calcul.
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Vu les écritures déposées par la S.A.R.L. BOYER le 23/10/07 aux termes desquelles elle demande à la Cour :
1 ) principalement de rejeter les prétentions adverses comme irrecevables et mal fondées, et de confirmer le Jugement querellé,
2 ) subsidiairement, si elle estimait le préjudice "perte d'exploitation" insuffisamment justifié dans son montant, de recourir à une mesure d'expertise,
3 ) en tout état de cause de condamner l'appelante, outre à supporter les entiers dépens comprenant les frais du référé et de l'expertise, à lui verser la somme de 5.000 Euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Elle fait pour l'essentiel valoir l'argumentation suivante :
$gt; l'appelante a organisé la confusion et tenté de profiter de ce qu'elle a elle-même
crée ; c'est ainsi que, nonobstant son absorption par la S.A. EUROFOURS, la S.A. ANGOULEVANT constituait avocat, faisait des appels en garantie, était représentée aux opérations d'expertise par des techniciens dépêchés par la société absorbante ; le traité de fusion assure la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, laquelle devient tenue de toutes les obligations non réservées de la première ; selon la Jurisprudence de la Cour de Cassation, lorsqu'il apparaît que deux entités ne forment qu'une seule personne morale, le titre exécutoire contre l'un peut être poursuivi contre l'autre ; enfin, l'appelante ne peut invoquer sa propre turpitude pour tenter d'échapper à ses obligations contractuelles,
$gt; si la nullité du Jugement était prononcée, la Cour resterait saisie de la totalité du litige par l'effet dévolutif de l'appel ; en effet, si l'appel tend à l'annulation du Jugement, la dévolution s'opère pour le tout même si l'acte introductif d'instance est annulé, dès lors que l'appelant a comparu et a conclu au fond en première instance ; or, la S.A. EUROFOURS, en tant que détenant 100% des actions de la S.A. ANGOULEVANT, a en quelque sorte comparu sous son couvert et ainsi bénéficié du premier degré de juridiction,
$gt; l'appelante invoque les dispositions des articles 1604 et suivants du Code civil et 6 des conditions générales du contrat pour dénier sa garantie ; or, le délai d'un an posé par ce texte n'impose pas d'agir dans ce laps de temps mais seulement de dénoncer le vice ou même que le vice soit apparu au cours du délai fixé, lequel ne constitue pas un délai de prescription,
$gt; le contrat liant les parties n'est pas un contrat de vente mais un contrat d'entreprise, la fourniture du matériel n'étant qu'une partie de la prestation due qui comportait aussi l'aménagement des locaux en fonction de caractéristiques particulières ; l'appelante était en vérité le véritable maître d'oeuvre et le prescripteur de l'opération réalisée sous le contrôle de ses techniciens ; ce contrat est régi par les articles 1787 et suivants du Code civil de sorte qu'il pesait sur l'appelante une obligation de résultat, laquelle n'a pas été respectée ; les éventuels contrats de sous-traitance conclu par l'appelante avec des tiers, notamment la société BONNET, lui sont inopposables,
$gt; les agissements de l'appelante -carence, malfaçons, etc..., constatées par l'expert- lui causent un préjudice direct et un préjudice de perte d'exploitation qui doivent être compensés.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'acte introductif d'instance a été délivré à la S.A. ANGOULEVANT le
02/01/2004 ;
Or, à cette date, cette société avait fait l'objet d'une fusion par absorption par la S.A. EUROFOURS en vertu d'un traité de fusion établi le 19/11/2002 approuvé en assemblée générale extraordinaire de la société absorbée tenue le 31/12/2002 ; de son côté, le projet de fusion avait été entériné au cours d'une assemblée générale extraordinaire tenue par la société absorbante, elle aussi le 31/12/2002 ;
Il doit être noté que :
- la radiation de la S.A. ANGOULEVANT du registre du commerce et des sociétés est intervenue le 12/03/2003 avec effet indiqué au 31/12/2002,
- l'opération de fusion a eu pour effet, conformément aux dispositions de l'article L. 236-3 du Code de commerce, d'entraîner la dissolution -sans liquidation- de la société absorbée et la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante,
- la publicité légale exigée en pareille matière a été faite les 22, 23 et 24 janvier 2003 dans un journal d'annonces légales,
- mention de cette dissolution figure expressément dans la publicité précitée et figure en date du 12/03/2003 au registre du commerce et de société,
- la dissolution de la S.A. ANGOULEVANT et sa radiation sont devenues opposables aux tiers, notamment à la société intimée, à compter du 12/03/2003 ainsi qu'il est disposé à l'article L. 237-2 alinéa 3 du Code de commerce ;
De ce qui précède, il apparaît que l'assignation délivrée à l'initiative de la S.A.R.L. BOYER l'a été à une personne n'ayant plus, à l'époque, d'existence juridique ;
Par application des dispositions de l'article 117 du nouveau Code de procédure civile, l'assignation du 02/01/2004 doit être déclarée nulle, sa délivrance à une personne inexistante, sans plus de personnalité morale, constituant une irrégularité de fond ;
La S.A. ANGOULEVANT se trouvait dénuée de la capacité d'ester en justice d'autant que, l'opération de fusion ne nécessitant pas de liquidation, il n'y avait aucune survie de la personne morale absorbée pour les besoins d'une telle liquidation ;
L'irrégularité de procédure tenant à l'inexistence de la S.A. ANGOULEVANT, absorbée, n'est pas susceptible de régularisation, même par l'intervention volontaire de la société absorbante ; d'une part, cela reviendrait à admettre une véritable substitution de partie au litige, d'autre part une telle intervention ne pourrait avoir pour effet de couvrir le vice initial résultant du défaut d'existence juridique de la société absorbée attraite à la procédure ;
Le traité de fusion a certes entraîné la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante mais, pour invoquer un tel effet, encore aurait-il fallu que la S.A.R.L. BOYER assigne la S.A. EUROFOURS, venant aux droits de la S.A. ANGOULEVANT ;
La jurisprudence invoquée par l'intimée selon laquelle, lorsque deux entités ne forment qu'une seule et même personne morale, il est possible de mettre en oeuvre contre l'une un titre exécutoire détenu contre l'autre est au cas présent inopérante car elle suppose que les deux entités existent encore l'une et l'autre ; or, ainsi qu'il a été dit plus haut, la S.A. ANGOULEVANT n'avait plus d'existence juridique au jour de la délivrance de l'acte introductif d'instance ;
L'irrégularité affecte la validité de l'assignation elle-même comme des actes qui l'ont suivis et du jugement subséquent, rendu contre une personne morale qui n'existait plus, sans qu'il y ait lieu à l'établissement de l'existence d'un grief ;
L'intimée soutient encore que la Cour étant saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel de la S.A. EUROFOURS, elle pourrait "évoquer" et statuer sur l'ensemble des points en litige ;
En application de l'article 562 du nouveau Code de procédure civile, lorsque l'appel tend à l'annulation du Jugement déféré, la dévolution ne s'opère pour le tout lorsque l'acte introductif d'instance -et le jugement subséquent- est annulé que lorsque l'appelant a conclu au fond à titre principal devant la Cour ou lorsque l'appelant avait comparu et avait conclu au fond en première instance ;
Aucune de ces conditions n'est en l'espèce réunie ;
La S.A. EUROFOURS n'était pas partie en première instance et n'a donc pu
conclure ; en cause d'appel, elle ne conclut sur la question de la responsabilité, c'est à dire sur le fond, qu'à titre subsidiaire, son principal visant à obtenir l'annulation des actes et jugement précités ;
D'où il suit qu'il doit être fait droit à sa demande principale et déclaré n'y avoir lieu à effet dévolutif de l'appel ;
L'équité et la situation économique ne commandent pas de faire application au profit de l'appelante des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d'appel, y compris ceux de référé et d'expertise, doivent être entièrement supportés par la S.A.R.L. BOYER.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Déclare nulle l'assignation délivrée à l'initiative de la S.A.R.L. BOYER à la S.A. ANGOULEVANT le 02/01/2004,
Déclare nul le jugement subséquent rendu par le Tribunal de Commerce de MARMANDE le 19/07/2005,
Dit n'y avoir lieu à effet dévolutif,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne la S.A.R.L. BOYER aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux de référé et d'expertise,
Autorise les Avoués de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.
Le présent arrêt a été signé par Raymond MULLER, Président de Chambre et par Nicole CUESTA, Greffier.
Le Greffier,Le Président,