DU 09 Mai 2006
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C.C/S.B
S.A. MINOTERIE CHABANON
C/
S.C.P. ROUGE MENGELLE
RG N : 05/00611
- A R R E T No510 -06
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Prononcé à l'audience publique du neuf Mai deux mille six, par Nicole ROGER, Conseiller faisant fonctions Présidente de Chambre,
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère Chambre dans l'affaire,
ENTRE :
S.A. MINOTERIE CHABANON prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège
Dont le siège social est Au Moulin
32190 SAINT JEAN POUTGE
représentée par la SCP A.L. PATUREAU & P. RIGAULT, avoués
assistée de Me Jérôme BOUYSSOU, avocat
APPELANTE d'un jugement rendu par le Tribunal d'Instance d'AUCH en date du 28 Février 2005
D'une part,
ET :
S.C.P. ROUGE-MENGELLE, huissiers de justice, agissant en la personne de ses représentants légaux actuellement en fonctions domiciliés en cette qualité au siège
Dont le siège social est Route d'Empeaux
32600 L'ISLE JOURDAIN
représentée par la SCP VIMONT J. ET E., avoués
assistée de la SCP LURY MARTIAL, avocats
INTIMEE
D'autre part,
a rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique, le 04 Avril 2006, devant Nicole ROGER, Conseiller faisant fonctions de Présidente de Chambre, François CERTNER, Conseiller et Christian COMBES, Conseiller (lequel, désigné par le Président de Chambre, a fait un rapport oral préalable), assistés de Dominique SALEY, Greffier, et qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 23 décembre 1992, la SA MINOTERIE CHABANON a confié le soin à la SCP BERNARD et BREEMERSCH, huissiers de justice, de recouvrer les sommes qui lui étaient dues par Marcel C... en exécution d'un prêt dont le solde était demeuré impayé.
A la suite de l'ouverture du redressement judiciaire de son débiteur le 26 octobre 2003 elle a confié le soin à l'huissier de déclarer sa créance auprès du représentant des créanciers avant de constater le 23 janvier 2004 sur l'état de collocation consécutif à la vente sur saisie de l'immeuble sur lequel elle avait inscrit une hypothèque le 6 janvier 1998 qu'elle n'était pas allotie.
Estimant que l'huissier avait commis une faute en omettant de mentionner le caractère hypothécaire de sa créance, elle a saisi le Tribunal d'Instance d'Auch, lequel par jugement rendu le 28 février 2005 a déclaré sa demande irrecevable faute de mise en cause de l'auteur de la faute personnelle invoquée ou des ayants-droits de celui-ci.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SA MINOTERIE CHABANON a relevé appel de cette décision dans des formes et des délais qui n'apparaissent pas critiquables.
Elle indique avoir assigné la SCP ROUGE-MENGELLE, successeur de la SCP BERNARD et BREEMERSCH à laquelle elle avait confiée un mandat et dont elle recherche la responsabilité contractuelle dans le cadre des articles 1991 à 1997 du Code civil ce qui exclut le jeu de la prescription abrégée de l'article 2277-1 du même code. A défaut le délai qui ne court en pareil cas que de la fin de la mission, en l'occurrence le 27 février 1996 lorsque la SCP a reconnu que la créance n'avait été déclarée qu'à titre chirographaire, n'était pas expiré lors de la délivrance de l'assignation le 12 juillet 2004.
Il s'agit de la même personne morale dont la responsabilité est solidairement engagée en cas de faute commise par l'un de ses associés, ce qui l'autorise en application de l'article 1203 du Code civil à diriger son action contre l'huissier et la SCP ou cette dernière seule, si bien que le premier juge ne pouvait déclarer son action irrecevable.
La faute de l'huissier, qui pourrait subsidiairement résider en un manquement à son obligation de diligence et de renseignement, consiste a avoir déclaré la créance sans la sûreté correspondante et qu'il connaissait pour avoir été chargé de délivrer antérieurement un commandement de saisie immobilière et viser dans la déclaration la grosse de l'acte notarié contenant affectation hypothécaire. Soutenant que le prix de la vente suffisait à la désintéresser, elle invoque un préjudice direct et certain la conduisant à solliciter la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 6 451.24 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts légaux à compter du 12 juillet 2004 outre celle de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.
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La SCP ROUGE-MENGELLE oppose la prescription de l'action tirée de l'article 2277-1 du Code civil et l'irrecevabilité de la demande à défaut de la mise en cause de Maître BERNARD qui a effectivement exécuté le mandat mais n'est pas membre de la SCP.
A titre subsidiaire, elle invoque la responsabilité du mandataire judiciaire qui aurait du aviser personnellement la SA MINOTERIE CHABANON en sa qualité de créancier hypothécaire et fait sommation à celle-ci de produire cet avis ajoutant que l'huissier ne peut sans mandat procéder à la déclaration de créance et que le courrier du 10 novembre 1993 ne fait pas état de la nature privilégiée de la créance à déclarer alors que l'ensemble des actes avait été transmis à un avocat au mois de février 1993.
Ajoutant que l'éventuelle perte de chance qui découlerait de sa faute ne saurait excéder la somme de 6 374.73 €, elle sollicite en toute hypothèse la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 2 000 € en raison des frais irrépétibles qu'elle a exposés.
MOTIFS
- sur la prescription de l'action
Attendu qu'en vertu de l'article 2277-1 du Code civil l'action dirigée contre les personnes légalement habilitées à représenter ou à assister les parties en justice à raison de la responsabilité qu'elles encourent de ce fait se prescrit par dix ans à compter de la fin de leur mission ; que le texte vise ceux qui, à titre professionnel ou non, se voient légalement confier un mandat de représentation en justice ou une mission d'assistance devant une juridiction ;
Qu'il découle des éléments régulièrement communiqués qu'après avoir confié le soin à la SCP BERNARD et BREEMERSCH le 23 décembre 1992 de recouvrer les sommes dues par Marcel C..., la SA MINOTERIE CHABANON a informé l'huissier le 10 novembre 1993 que le débiteur était en redressement judiciaire et l'a chargé de déclarer sa créance entre les mains du représentant des créanciers, ce qu'il a fait le 18 novembre suivant ;
Or attendu que la déclaration au passif du redressement judiciaire d'un débiteur équivaut à une demande en justice ; et qu'il découle de la combinaison des articles 175 du décret du 27 décembre 1985, L621-43 du Code de Commerce et 853 du Nouveau Code de Procédure civile que lorsque la déclaration n'est pas faite par le créancier mais par un représentant, celui-ci, s'il n'est avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial ;
Qu'il s'ensuit du tout que l'action actuellement dirigée par la SA MINOTERIE CHABANON dont l'objet consiste à rechercher la responsabilité de l'huissier légalement investi du pouvoir de la représenter à l'occasion de la déclaration de sa créance au passif de Marcel C... est soumise à la prescription édictée par l'article 2277-1 du Code civil ;
Attendu toutefois que le délai court de l'achèvement de la mission qui correspond en l'occurrence au 27 février 1996, date à laquelle l'huissier rendant compte à son mandant de l'exécution imparfaite de son mandat l'informe n'avoir produit qu'à titre chirographaire tout en lui indiquant que sa créance demeurait garantie sur l'immeuble ;
Que la prescription décennale n'était pas en conséquence acquise lors de la délivrance de l'assignation introductive d'instance le 12 juillet 2004 ;
- sur la recevabilité de l'action
Attendu d'abord que la SCP ROUGE-MENGELLE qui oppose que l'action ne serait pas recevable en l'absence de la mise en cause de Maître BERNARD, associé de la SCP BERNARD et BREEMERSCH à l'origine de la faute reprochée, ne conteste pas qu'elle soit le successeur de celle-ci, titulaire du même office d'huissier de justice ;
Que d'ailleurs la modification de la raison sociale de la société dénommée à l'origine "Jean-Etienne Bernard et Frédérique Breemersch" n'est que la conséquence du changement de ses associés, devenue "Frédérique Bernard-Breemersch, Jean- Hubert Rouge et Jean-Marie Mengelle" le 6 octobre 1997 lors du retrait de Maître Bernard et de la nomination concomitante de Maîtres Rouge et Mengelle, puis "Jean-Hubert Rouge et Jean-Marie Mengelle", le 22 février 1999 lors du retrait de Maître Breemersch ;
Et qu'en vertu des dispositions de l'article 39 du décret du 30 décembre 1992, l'huissier associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral, exerce ses fonctions au nom de la société ;
Attendu ensuite qu'aux termes de l'article 1203 du Code civil le créancier d'une obligation contractée solidairement peut s'adresser à celui des débiteurs qu'il veut choisir, sans que celui-ci puisse lui opposer le bénéfice de division ;
Et qu'en application de l'article 16 de la loi du 22 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, chaque associé répond, sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit et que la société civile professionnelle est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes ;
Qu'il résulte du tout que l'action en responsabilité peut indifféremment être dirigée contre la société, l'associé concerné ou encore contre les deux en sorte que l'action actuelle en tant qu'elle est dirigée contre la seule société est recevable ;
- sur la responsabilité de la SCP ROUGE-MENGELLE
Attendu qu'en sa qualité de mandataire l'huissier est soumis aux dispositions des articles 1991 à 1997 du Code civil et supporte en conséquence à l'égard de ses clients une responsabilité de nature contractuelle ; qu'il est tenu d'accomplir le mandat qui lui a été confié en y apportant la diligence et les soins nécessaires et qu'il engage sa responsabilité en cas d'exécution défectueuse dudit mandat ;
Attendu au cas précis que depuis le 23 décembre 1992 la SCP BERNARD et BREEMERSCH était chargée du recouvrement des sommes dues en vertu de l'acte notarié du 5 décembre 1987 dont elle était en possession de l'original transmis à cette occasion ; que le 11 février 1993 l'huissier conseillait à son mandant en raison de ses vaines tentatives d'exécution de délivrer un commandement à fin de saisie immobilière "du fait de notre hypothèque de premier rang" avant de lui confirmer le 10 mai 1993 qu'il avait "mis en place une procédure par voie de saisie immobilière" ; que de fait l'acte du 5 décembre 1987 affectait et hypothéquait spécialement à la sûreté et au remboursement du prêt consenti un immeuble appartenant à l'emprunteur ;
Que c'est dans ces conditions que le 10 novembre suivant la SA MINOTERIE CHABANON avisait l'huissier que son débiteur était en état de redressement judiciaire en précisant "jugement du 26 octobre 1993. La déclaration de créance est à déposer auprès de Maître Chrstian REY, 14 rue fourtanier, 31000 Toulouse. Je note que cette déclaration de créance sera effectuée par vos soins" ;
Que si ce courrier ne précise pas que la déclaration devait être faite à titre privilégié, l'huissier ne pouvait sérieusement ignorer la nature du titre en vertu duquel il poursuivait l'exécution du débiteur ni celle des actes qu'il avait antérieurement délivrés d'ailleurs à la suite des conseils donnés à son mandant ; que précisément la déclaration de créance mentionne qu'elle est faite "au titre de la grosse en forme exécutoire d'une grosse notariée portant prêt ...", selon justificatifs joints qui comprennent à l'évidence l'acte en question à défaut de quoi le représentant des créanciers n'aurait pas manqué de rejeter la déclaration ; et que le courrier ensuite adressé le 11 mars 1996 ira jusqu'à conseiller à la SA MINOTERIE CHABANON de ne pas omettre de "réitérer l'hypothèque qui s'éteindra le 5 décembre 1996. C'est là notre seul espoir de paiement...", cette formule résumant à la fois la parfaite connaissance de la garantie inscrite sur le patrimoine immobilier du débiteur et l'avantage qu'elle revêtait pour le succès de la mission de recouvrement de la créance dont la déclaration était à cet instant un préalable imposé ;
Que c'est dés lors de manière fautive, par négligence et au résultat d'une erreur grossière que l'huissier a mentionné dans la déclaration que celle-ci était faite à titre chirographaire ;
Qu'il ne peut s'exonérer de sa responsabilité en mettant en cause celle du mandataire judiciaire dés lors que même à supposer que ce dernier n'ait pas adressé à la SA MINOTERIE CHABANON l'avis prescrit par l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 qu'il est en conséquence inutile de réclamer, cette circonstance est indifférente au débat actuel puisque nul ne conteste que l'ouverture de la procédure collective intéressant le débiteur a été portée à la connaissance de l'huissier dans un délai utile à la déclaration de créance ;
Qu'il s'ensuit pour la SA MINOTERIE CHABANON la perte définitive de sa créance ainsi que l'établit suffisamment l'acte de collocation dressé le 6 octobre 2003 qui la plaçant en 19ème rang, tout en relevant son absence de production, permet de désintéresser la SBCIC, créancier venant en rang immédiatement postérieur, pour une somme qui excédant notablement le montant de la créance litigieuse suffit à établir que celle-ci, fixée à 41 815.50 francs soit 6 374.73 € aurait été, si l'huissier s'était montré normalement diligent, intégralement payée ;
Que la réparation de ce préjudice actuel, direct et certain doit prendre la forme de la condamnation de la SCP ROUGE-MENGELLE à lui payer cette somme avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation ;
Qu'il convient au résultat de l'ensemble d'infirmer la décision déférée, de condamner l'appelant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1 000 € en considération des frais irrépétibles que la SA MINOTERIE CHABANON s'est trouvée dans l'obligation d'exposer à l'occasion de la procédure ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare l'appel recevable en la forme,
Infirme le jugement déféré,
Et statuant à nouveau,
Déclare l'action recevable,
Condamne la SCP ROUGE-MENGELLE à payer à la SA MINOTERIE CHABANON à titre de dommages et intérêts la somme de 6 374.73 € assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2004,
Condamne la même à lui payer la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile,
Rejette toute autre demande et dit inutiles ou mal fondées celles plus amples ou contraires formées par les parties,
Condamne la SCP ROUGE-MENGELLE aux dépens,
Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure civile, la SCP PATUREAU-RIGAULT, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Le présent arrêt a été signé par Nicole ROGER, Conseiller faisant fonctions de Présidente de Chambre et Dominique SALEY, Greffier présent lors du prononcé.
Le GreffierLa Présidente