Vu l'ordonnance en date du 5 janvier 1989, enregistrée au greffe de la cour le 19 janvier 1989, par laquelle le président de la 1ère sous-section de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête de la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX ;
Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés le 4 mai et le 10 août 1988, présentés pour la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX (C.U.B.) représentée par son président domiciliée ... ; la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 mars 1988 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à payer à M. et Mme X... la somme de 1.321.315,94 F avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 1985 en réparation des dommages subis par leur immeuble à la suite d'une opération de travaux publics ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme X... devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner les entreprises Larnaudie, S.A.D.E. et Lyonnaise des Eaux et de l'Eclairage à la garantir intégralement des condamnations pouvant être mises à sa charge ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 mai 1990 :
- le rapport de M. LALAUZE, conseiller ;
- les observations de Me Z... substituant la S.C.P. Fortunet - Mattei - Dawance, avocat de M. et Mme X... ;
- les observations de Me A... de la S.C.P. A... - Barthélémy, avocat de la société S.A.D.E. ;
- et les conclusions de M. de MALAFOSSE, commissaire du gouvernement ;
Sur l'exception de prescription quadriennale :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 : "La prescription est interrompue par : toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ; tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné ..." ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les dommages survenus à l'immeuble de M. et Mme X... sont apparus dans toute leur ampleur en 1976 pour ceux dont l'origine serait les travaux d'assainissement et en 1979 pour ceux dont l'origine serait les travaux de démolition de l'immeuble mitoyen au leur ; que la lettre du 9 janvier 1980 par laquelle la C.U.B. a fait connaître à M. et Mme X... qu'elle transmettait leur réclamation à son assureur a interrompu le délai de la prescription quadriennale qui a recommencé à courir à compter du 1er janvier 1981 ;
Considérant, d'une part, que les communications écrites, échangées en 1982 et 1983 entre l'expert de l'assureur et des consorts X..., n'émanent pas d'une autorité administrative et n'ont pas été adressées à l'administration intéressée ; que, d'autre part, les réunions d'expertises amiables, organisées entre lesdits experts en 1983 et 1984, n'ont pas mis obstacle à ce que les consorts X... puissent faire valoir, dans les délais, leurs droits à l'encontre de la C.U.B. ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'existence de ces réunions d'expertises pour écarter l'exception de prescription quadriennale opposée par la C.U.B. ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Y..., voisin des consorts X..., avait saisi, à raison du même fait générateur, le tribunal administratif de Bordeaux, d'une action en responsabilité dirigée contre la C.U.B. ; que le tribunal s'est prononcé par un jugement du 15 octobre 1981 ; qu'ainsi, la prescription quadriennale a été, même en ce qui concerne M. et Mme X..., interrompue et a recommencé à courir pour un nouveau délai de quatre ans à compter du 1er janvier 1982 ; que dès lors, la créance éventuelle des consorts X... n'était pas prescrite le 14 octobre 1985, date de l'enregistrement de leur demande au tribunal administratif de Bordeaux ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que les dommages occasionnés à l'immeuble de M. et Mme X... ont eu pour origine, d'une part, les travaux de construction d'un collecteur qui ont provoqué des effondrements de surface ayant atteint le niveau d'assise de la façade dudit immeuble et, d'autre part, les travaux de démolition de l'immeuble situé au n° 25 et qui était mitoyen au leur au droit des murs mais aussi par la poutraison des planchers et par la toiture ; que ces travaux ont été réalisés pour le compte de la C.U.B. ; que, dès lors, la responsabilité de cet établissement se trouve engagée même en l'absence de faute, à l'encontre de M. et Mme X... qui avaient la qualité de tiers à l'égard des travaux effectués ;
Sur le préjudice :
Considérant que si les premières constatation de l'expert laissaient penser que la majeure partie des mouvements affectant les fondements de l'immeuble était achevée, la suite des opérations d'expertise a démontré la poursuite de ces mouvements ; que, dès lors, le tribunal administratif a fait, sur la base du rapport de l'expert, une exacte évaluation du montant des travaux nécessaires pour réparer les dommages subis en fixant ce montant à la somme de 1.321.315,94 F avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 1985 ; que si M. et Mme X... demandent, par la voie du recours incident, une indemnité de 35.000 F en réparation de troubles de jouissance, ils n'apportent aucune précision concernant lesdits troubles et ne sont, dès lors, pas fondés à demander une indemnisation à ce titre ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que M. et Mme X... ont demandé la capitalisation des intérêts les 2 janvier 1989 et 5 janvier 1990 ; qu'à chacune de ces deux dates, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les appels en garantie dirigés contre la société S.A.D.E. et la S.L.E.E. :
Considérant qu'il est constant que la C.U.B. a prononcé le 19 juillet 1978 la réception définitive des travaux sans faire aucune réserve alors qu'à cette date elle avait connaissance des désordres survenus à l'immeuble de M. et Mme X... ; que le recours en garantie formé par la C.U.B. contre les sociétés S.A.D.E. et S.L.E.E. tend à mettre en cause la responsabilité que ces dernières pouvaient encourir envers elle en raison de la mauvaise exécution du contrat et a ainsi pour fondement juridique les fautes commises par ces sociétés dans l'accomplissement de leurs obligations contractuelles ; que la réception définitive prononcée sans réserve ayant eu pour objet de mettre fin aux rapports contractuels entre la C.U.B., d'une part, et la S.A.D.E. et la S.L.E.E., d'autre part, les conclusions d'appel en garantie formées par l'établissement public ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur l'appel en garantie dirigé contre la société Larnaudie :
Considérant que l'appel en garantie de la C.U.B. dirigé contre la société Larnaudie n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ; qu'il doit, dès lors, être rejeté ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article R 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstance de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article R 222 et de condamner la C.U.B. à payer à M. et Mme X... la somme de 5.000 F au titre des sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la C.U.B. n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux, l'a condamnée à verser une indemnité de 1.321.315,94 F à M. et Mme X... ;
Article 1er : La requête de la C.U.B. ainsi que le recours incident de M. et Mme X... sont rejetés.
Article 2 : Les intérêts afférents à l'indemnité de 1.321.315,94 F que la C.U.B. a été condamnée à verser à M. et Mme X... par jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 3 mars 1988 et échus aux 2 janvier 1989 et 5 janvier 1990 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les appels en garantie formés par la C.U.B. à l'encontre des sociétés S.A.D.E., Larnaudie et Lyonnaise des Eaux et de l'Eclairage sont rejetés.
Article 4 : La C.U.B. versera à M. et Mme X... une somme de 5.000 F au titre de l'article R 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.