LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juin 2025 par le Conseil d’État (décision nos 497765 et 499608 du 4 juin 2025), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association des parents et futurs parents gays et lesbiens par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1155 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 1225-35 du code du travail et L. 623-1 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 ;
- l’arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2020 (première chambre civile, nos 18-50.080 et 19-11.251) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l’association requérante par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, enregistrées le 1er juillet 2025 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées pour la Caisse nationale d’assurance maladie, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 2 juillet 2025 ;
- les observations en intervention présentées pour l’association « Le syndicat de la famille » par la SCP Claire Le Bret-Desaché, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour l’association requérante par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, enregistrées le 16 juillet 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bertrand Périer, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association requérante, Me Régis Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, Me Henri de Beauregard, avocat au barreau de Paris, pour l’association intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 29 juillet 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 1225-35 du code du travail, dans la rédaction résultant de la loi du 14 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Après la naissance de l’enfant, le père salarié ainsi que, le cas échéant, le conjoint ou concubin salarié de la mère ou la personne salariée liée à elle par un pacte civil de solidarité bénéficient d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant de vingt-cinq jours calendaires ou de trente-deux jours calendaires en cas de naissances multiples.
« Le congé de paternité et d’accueil de l’enfant entraîne la suspension du contrat de travail.
« Ce congé est composé d’une période de quatre jours calendaires consécutifs, faisant immédiatement suite au congé de naissance mentionné au 3° de l’article L. 3142-1, et d’une période de vingt et un jours calendaires, portée à vingt-huit jours calendaires en cas de naissances multiples.
« Le délai de prévenance de l’employeur quant à la date prévisionnelle de l’accouchement et aux dates de prise du congé et à la durée de la ou des périodes de congés, le délai dans lequel les jours de congé doivent être pris ainsi que les modalités de fractionnement de la période de congé de vingt et un jours et de vingt-huit jours sont fixés par décret. Le délai de prévenance relatif à la date prévisionnelle de l’accouchement et celui relatif aux dates de prise du ou des congés de la seconde période de vingt et un jours ou de vingt-huit jours ainsi qu’à la durée de ces congés doivent être compris entre quinze jours et deux mois.
« Par dérogation aux quatre premiers alinéas, lorsque l’état de santé de l’enfant nécessite son hospitalisation immédiate après la naissance dans une unité de soins spécialisée définie par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, la période de congé de quatre jours consécutifs mentionnée au troisième alinéa est prolongée de droit, à la demande du salarié, pendant la période d’hospitalisation, dans la limite d’une durée maximale déterminée par décret ».
2. L’article L. 623-1 du code de la sécurité sociale, dans la même rédaction, prévoit :
« I. - Les assurées auxquelles s’appliquent les dispositions du présent titre bénéficient à l’occasion de leur maternité, à condition de cesser leur activité pendant la durée minimale prévue à l’article L. 331-3 :
« 1° D’une allocation forfaitaire de repos maternel ;
« 2° D’indemnités journalières forfaitaires.
« Les femmes dont il est reconnu que la grossesse pathologique est liée à l’exposition in utero au diéthylstilbestrol bénéficient d’indemnités journalières forfaitaires à compter du premier jour de leur arrêt de travail dans les conditions prévues à l’article 32 de la loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005.
« II. - À l’occasion de la naissance d’un enfant, le père et, le cas échéant, le conjoint de la mère ou la personne liée à elle par un pacte civil de solidarité ou son concubin, auxquels s’appliquent les dispositions du présent livre bénéficient, sur leur demande, d’indemnités journalières du même montant que celles mentionnées au 2° du I.
« Pour bénéficier des indemnités mentionnées au premier alinéa du présent II, les intéressés doivent cesser leur activité professionnelle pendant une durée minimale, fixée par décret, à compter de la naissance et ne pas reprendre cette activité pendant la durée d’indemnisation.
« Lorsque l’état de santé de l’enfant nécessite son hospitalisation dans les conditions prévues à l’article L. 1225-35 du code du travail, les indemnités journalières sont versées pendant la période d’hospitalisation, dans la limite d’une durée maximale. Un décret fixe les modalités d’application du présent alinéa.
« III. - Lorsqu’ils remplissent les conditions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 161-6, et cessent à ce titre leur activité, les parents adoptifs ou accueillants auxquels s’appliquent les dispositions du présent livre, bénéficient :
« 1° Sous réserve que l’autre parent n’en ait déjà bénéficié, d’une allocation forfaitaire de repos dont le montant est égal à la moitié de celle mentionnée au 1° du I ;
« 2° D’indemnités journalières du même montant que celles mentionnées au 2° du I versées pour la ou les périodes d’interruption d’activité se situant après l’arrivée de l’enfant au foyer, la durée maximale d’attribution de la prestation étant égale, sans préjudice des dispositions du premier alinéa de l’article L. 161-6, aux trois quarts de celle qui est prévue pour les indemnités mentionnées au 2° du I du présent article.
« III bis. - En cas de décès d’un enfant âgé de moins de vingt-cinq ans ou d’une personne âgée de moins de vingt-cinq ans à sa charge effective et permanente et dans un délai d’un an à compter de cette date, l’assuré bénéficie d’indemnités journalières du même montant que celles prévues au 2° du I pendant une durée de quinze jours, qui peuvent être fractionnés dans des conditions déterminées par décret, sous réserve de cesser son activité professionnelle.
« IV. - Un décret détermine les modalités d’application du présent article et notamment le montant de l’allocation prévue au 1° du I, les montants et les durées d’attribution de l’indemnité journalière prévue au 2° du même I, notamment lorsque l’accouchement a lieu plus de six semaines avant la date initialement prévue et exige l’hospitalisation postnatale de l’enfant.
« Les montants des prestations sont revalorisés dans les mêmes conditions que celles fixées pour le plafond prévu à l’article L. 241-3 ».
3. L’association requérante soutient, en premier lieu, que ces dispositions institueraient plusieurs différences de traitement qui seraient injustifiées.
4. Elle leur reproche d’abord de réserver le bénéfice du congé de paternité et d’accueil de l’enfant au père et à la personne qui vit avec la mère, sans ouvrir la même possibilité à la personne vivant avec le père de l’enfant. Elle fait ainsi valoir que, dans le cas d’un couple d’hommes accueillant un enfant, lorsque le lien de filiation avec cet enfant n’a été établi qu’à l’égard d’un seul d’entre eux, l’autre membre du couple ne peut bénéficier de ce congé.
5. Par ailleurs, selon elle, ces dispositions aboutiraient à une rupture d’égalité injustifiée entre, d’une part, le père de l’enfant, qui a droit au bénéfice du congé même en cas de séparation avec la mère, et, d’autre part, la femme, dans le cas d’un couple de femmes ayant eu recours à l’assistance médicale à la procréation, qui n’y a pas droit lorsqu’elle est séparée de la mère qui a accouché, en dépit de l’existence d’un lien de filiation avec l’enfant.
6. Enfin, dans le cas d’un couple qui comporte un homme transgenre ayant accouché d’un enfant, l’autre membre de ce couple ne pourrait pas bénéficier du congé, à la différence de la personne qui vit avec la mère, dès lors que, dans un tel cas, l’établissement d’un lien de filiation maternelle avec l’enfant ne serait pas possible pour un homme transgenre.
7. Il résulterait de ces différences de traitement une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
8. En deuxième lieu, l’association requérante soutient que ces dispositions priveraient l’enfant du bénéfice d’une double présence parentale lors des premiers jours suivant sa naissance, en méconnaissance de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que du droit de mener une vie familiale normale.
9. En dernier lieu, elle soutient qu’en privant la personne vivant avec le père de l’enfant de la possibilité de bénéficier d’indemnités journalières, ces dispositions méconnaîtraient le droit de propriété.
10. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le père salarié ainsi que, le cas échéant, le conjoint ou concubin salarié de la mère ou la personne salariée liée à elle par un pacte civil de solidarité » figurant au premier alinéa de l’article L. 1225-35 du code du travail, ainsi que sur les mots « le père et, le cas échéant, le conjoint de la mère ou la personne liée à elle par un pacte civil de solidarité ou son concubin » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l’article L. 623-1 du code de la sécurité sociale.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :
11. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
12. L’article L. 1225-35 du code du travail prévoit un congé de paternité et d’accueil de l’enfant pour les salariés, après la naissance d’un enfant, d’une durée d’au moins vingt-cinq jours. Le bénéfice de ce congé, qui entraîne la suspension du contrat de travail et pendant lequel le salarié reçoit une indemnité journalière de repos, est, aux termes des dispositions contestées, ouvert au père ainsi que, le cas échéant, au conjoint ou concubin de la mère ou à la personne liée à elle par un pacte civil de solidarité.
13. Le paragraphe II de l’article L. 623-1 du code de la sécurité sociale prévoit, à l’occasion de la naissance d’un enfant, le versement aux travailleurs indépendants d’indemnités journalières de même montant que celles accordées à la mère de l’enfant au titre du congé maternité, pendant une durée minimale d’indemnisation, s’ils cessent d’exercer leur activité professionnelle. En application des dispositions contestées, peut bénéficier d’un tel versement le père et, le cas échéant, le conjoint de la mère ou la personne liée à elle par un pacte civil de solidarité ou son concubin.
14. En premier lieu, ces dispositions instaurent une différence de traitement entre, d’une part, le conjoint, le concubin ou le partenaire de la mère de l’enfant, et, d’autre part, le conjoint, le concubin ou le partenaire du père de l’enfant, dès lors que ce dernier ne peut prétendre au bénéfice d’un tel congé, s’il n’a pas de lien de filiation avec l’enfant.
15. Toutefois, d’une part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 14 décembre 2020 qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a souhaité, en particulier, éviter que la mère reste isolée après l’accouchement afin de la soutenir et de protéger sa santé, au cours d’une période pendant laquelle elle est particulièrement vulnérable.
16. D’autre part, au regard de cet objectif, le législateur a pu considérer que le père n’est pas exposé, après la naissance de l’enfant, aux mêmes risques que la mère qui a accouché, et que la situation du conjoint, du concubin ou du partenaire du père de l’enfant se distingue ainsi de celle de la personne qui vit avec la mère.
17. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi.
18. En deuxième lieu, en accordant au père le bénéfice d’un congé après la naissance de son enfant, le législateur a entendu permettre, dès les premiers jours suivant l’accouchement de la mère, la présence auprès de l’enfant de l’autre parent auquel le lien de filiation confère des droits et obligations à l’égard de cet enfant.
19. Dès lors, dans le cas d’un couple de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, être interprétées comme excluant du bénéfice de ce congé la femme à l’égard de laquelle la filiation de l’enfant a été établie par reconnaissance conjointe.
20. En dernier lieu, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que les personnes transgenres ayant obtenu la modification de leur sexe à l’état civil ne peuvent avoir recours, pour faire reconnaître un lien de filiation avec leur enfant, qu’aux modes d’établissement de cette filiation correspondant à la réalité physiologique. Ainsi, lorsqu’elle accouche d’un enfant, cette personne a droit au bénéfice d’un congé de maternité dans les conditions prévues par l’article L. 1225-17 du code du travail ou, dans le cas des travailleurs indépendants, au versement d’indemnités journalières en application du paragraphe I de l’article L. 623-1 du code de la sécurité sociale. En application des dispositions contestées, son conjoint, son concubin ou son partenaire a lui-même droit au bénéfice d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant, s’il justifie d’une communauté de vie avec cette personne ou d’un lien de filiation avec l’enfant.
21. Dès lors, les dispositions contestées n’instituent aucune différence de traitement entre les couples comportant une personne transgenre et les autres couples.
22. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 19, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale et de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant :
23. Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. - Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
24. Le droit de mener une vie familiale normale résulte de ce même dixième alinéa.
25. Les dispositions contestées prévoient l’attribution d’une prestation sociale à certaines catégories de travailleurs en leur permettant de bénéficier d’un congé indemnisé ou du versement d’indemnités journalières à l’occasion de la naissance d’un enfant, s’ils cessent d’exercer leur activité professionnelle. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la présence des parents ou de leurs proches auprès de l’enfant, dans la période suivant sa naissance.
26. Dès lors, ces dispositions ne méconnaissent, par elles-mêmes, ni le droit de mener une vie familiale normale, ni l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles ne peuvent donc qu’être écartés.
27. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 19, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le droit de propriété, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 19, les mots « le père salarié ainsi que, le cas échéant, le conjoint ou concubin salarié de la mère ou la personne salariée liée à elle par un pacte civil de solidarité » figurant au premier alinéa de l’article L. 1225-35 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, ainsi que les mots « le père et, le cas échéant, le conjoint de la mère ou la personne liée à elle par un pacte civil de solidarité ou son concubin » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l’article L. 623-1 du code de la sécurité sociale, dans la même rédaction, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 août 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 8 août 2025.