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08/08/2025 | FRANCE | N°2025-1154

France | France, Conseil constitutionnel, 08 août 2025, 2025-1154


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juin 2025 par le Conseil d’État (décision nos 499596 et 499597 du 5 juin 2025), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Cosmospace et autre par la SAS Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1154 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garant

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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juin 2025 par le Conseil d’État (décision nos 499596 et 499597 du 5 juin 2025), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Cosmospace et autre par la SAS Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1154 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ;
- la loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l’espace numérique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, enregistrées le 24 juin 2025 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 1er juillet 2025 ;
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SAS Zribi et Texier, enregistrées le 2 juillet 2025 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Eurotitrisation et autres par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations en intervention présentées pour la société Eurotitrisation et autres par la SCP Spinosi, enregistrées le 16 juillet 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Stéphane-Laurent Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les sociétés requérantes, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la société Eurotitrisation et autres, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 29 juillet 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction résultant de la loi du 21 mai 2024 mentionnée ci-dessus.
2. L’article 22 de la loi du 6 janvier 1978, dans cette rédaction, prévoit :
« Les mesures prévues aux IV et V de l’article 20 et aux 1° à 7° du I de l’article 21 de la présente loi sont prononcées sur la base d’un rapport établi par l’un des membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, désigné par le président de celle-ci parmi les membres n’appartenant pas à la formation restreinte. Ce rapport est notifié au responsable de traitement ou à son sous-traitant, qui peut déposer des observations et se faire représenter ou assister. Le rapporteur peut présenter des observations orales à la formation restreinte mais ne prend pas part à ses délibérations. La formation restreinte peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît susceptible de contribuer utilement à son information, y compris les agents des services de la commission.
« La formation restreinte peut rendre publiques les mesures qu’elle prend. Elle peut également ordonner leur insertion dans des publications, journaux et supports qu’elle désigne, aux frais des personnes sanctionnées.
« Sans préjudice des obligations d’information qui incombent au responsable de traitement ou à son sous-traitant en application de l’article 34 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, la formation restreinte peut ordonner que ce responsable ou ce sous-traitant informe individuellement, à ses frais, chacune des personnes concernées de la violation relevée des dispositions de la présente loi ou du règlement précité ainsi que, le cas échéant, de la mesure prononcée.
« Lorsque la formation restreinte a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que l’amende administrative s’impute sur l’amende pénale qu’il prononce.
« L’astreinte est liquidée par la formation restreinte, qui en fixe le montant définitif.
« Les sanctions pécuniaires et les astreintes sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine ».
3. Les sociétés requérantes reprochent à ces dispositions de ne pas prévoir que la personne mise en cause devant la formation restreinte de la Commission nationale de l’informatique et des libertés est informée de son droit de se taire lorsqu’elle est amenée à présenter des observations, alors même que ces dernières sont susceptibles d’être utilisées à son encontre dans le cadre de cette procédure. Il en résulterait, selon elles, une méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « déposer des observations » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978, ainsi que sur les mots « La formation restreinte peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît susceptible de contribuer utilement à son information » figurant à la dernière phrase du même alinéa.
- Sur l’intervention :
5. Selon le deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d’un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.
6. La seule circonstance que la société Eurotitrisation et autres aient posé une question prioritaire de constitutionnalité relative aux pouvoirs de sanction de l’Autorité des marchés financiers n’est pas de nature à leur conférer un intérêt spécial à intervenir dans la procédure, dès lors que celle-ci porte sur une autre disposition législative que celle qui fait l’objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité. Par conséquent, leur intervention n’est pas admise.
- Sur le fond :
7. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
8. Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu’une autorité administrative ou publique indépendante, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission, dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.
9. Selon le second alinéa de l’article 1er de la loi organique du 20 janvier 2017 mentionnée ci-dessus, pris sur le fondement du dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution, la loi « fixe les règles relatives … aux attributions … des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ».
10. Les articles 20 et 21 de la loi du 6 janvier 1978 déterminent les mesures susceptibles d’être décidées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés à l’encontre des responsables de traitement de données ou de leurs sous-traitants en cas de manquement à leurs obligations, en matière de protection des données à caractère personnel, découlant du règlement du 27 avril 2016 mentionné ci-dessus et de la loi du 6 janvier 1978. Au nombre de ces mesures figurent des amendes administratives, qui constituent des sanctions ayant le caractère de punition.
11. L’article 22 de la loi du 6 janvier 1978 fixe la procédure selon laquelle la formation restreinte de la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut prononcer de telles sanctions, sur la base d’un rapport établi par l’un des membres de l’autorité administrative indépendante.
12. En application des dispositions contestées de cet article, le responsable du traitement ou son sous-traitant peut présenter des observations en réponse au rapport qui lui est notifié. En outre, il peut être entendu par la formation restreinte si elle juge son audition utile à son information. En revanche, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne prévoient que la personne mise en cause est informée de son droit de se taire.
13. Lorsqu’elle produit des observations en réponse au rapport qui lui est notifié ou lorsqu’elle est entendue devant la formation restreinte, la personne mise en cause peut être amenée à reconnaître les manquements qui lui sont reprochés. En outre, le fait même qu’elle soit invitée à présenter ses observations ou entendue peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire.
14. Or la formation restreinte prend connaissance des observations déposées par la personne mise en cause en réponse à la notification du rapport et reçoit celles qui sont faites devant elle.
15. Dès lors, en ne prévoyant pas que la personne physique ou, le cas échéant, le représentant légal de la personne morale mise en cause devant la formation restreinte doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789. Par conséquent, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
16. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.
17. En l’espèce, d’une part, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver la personne mise en cause de la possibilité de présenter des observations devant la formation restreinte. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2026 la date de l’abrogation des dispositions contestées.
18. D’autre part, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
19. En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, la personne mise en cause devant la formation restreinte doit se voir notifier son droit de se taire.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « déposer des observations » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, ainsi que les mots « La formation restreinte peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît susceptible de contribuer utilement à son information » figurant à la dernière phrase du même alinéa du même article sont contraires à la Constitution.
 
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 17 à 19 de cette décision.
 
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 août 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
 
Rendu public le 8 août 2025.
 


Synthèse
Numéro de décision : 2025-1154
Date de la décision : 08/08/2025
Sociétés Cosmospace et autre [Notification du droit de se taire à une personne faisant l’objet d’une procédure de sanction par la CNIL]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 08 août 2025 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 08 août 2025 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2025-1154 QPC du 08 août 2025
Origine de la décision
Date de l'import : 22/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2025:2025.1154.QPC
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